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Ce chapitre est inspiré de ce que Walter et Andersen (2016) appellent la méthodologie de recherche et qu’ils ont imagé tel que représenté à la figure 3.1. Puisque l’appellation « méthodologie de recherche » est peu utilisée et peut facilement être confondue avec les méthodes de recherche, je parlerai d’approche globale de recherche pour ce que Walter et Andersen appellent « méthodologie de recherche ». L’approche globale est définie par Walter et Andersen comme étant composée de la perspective de recherche (influencée par la position sociale de la chercheuse, son épistémologie, son axiologie, et son ontologie), du cadre

théorique (influencé par la perspective de la chercheuse), et des méthodes de recherche, découlant de tous les éléments précédemment nommés.

Toute recherche repose sur la perspective de recherche de la personne qui effectue le travail, que cette perspective soit autochtone ou qu’elle fasse partie du courant dominant. Jusqu’à présent, il est peu usuel pour les chercheuses et chercheurs issus du courant dominant utilisant des méthodes de recherche quantitatives de nommer leur perspective de recherche, d’énoncer leur épistémologie, axiologie, ontologie, ou leur position sociale, et même parfois leur cadre théorique, ou à tout le moins comment celui-ci est influencé par leur perspective de recherche. Cependant, cet état de fait obscurci le processus de recherche et nous empêche de bien comprendre dans quelle(s) perspective(s) se situe la recherche, pourquoi certaines questions sont abordées ou encore la façon dont les questions sont abordées. Ainsi, il est pertinent de s’attarder à la perspective de recherche en toutes circonstances, afin que le lectorat puisse bien situer la recherche présentée en termes idéologiques. C’est également un élément essentiel pour l’avancement des connaissances en ce qui a trait à la conception de ce qu’est une « méthodologie de recherche » et ainsi comprendre les méthodes comme étant un seul aspect de la méthodologie.

Pour débuter ce chapitre, je présente tout d’abord les principaux éléments de ma position sociale et l’impact que certains d’entre eux peuvent avoir eu sur mon projet de recherche. J’aborde ensuite globalement ma perspective de recherche et ses fondements ontologiques, axiologiques et épistémologiques. Ils sont suivis de deux sections détaillant les théories et concepts-clés qui constituent mon cadre méthodologique et théorique général. Ces

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Figure 3.1

Approche globale de recherche

théories sont issues des savoirs occidentaux et autochtones et permettent d’asseoir la compréhension générale des enjeux dont il est question dans la thèse.

Position sociale

Dans le cadre de cette dissertation, je suis d’abord et avant tout une chercheuse et une étudiante, de l’université McGill plus spécifiquement. J’ai une formation en travail social, mais je ne peux me réclamer de l’identité de travailleuse sociale puisque celle-ci est régit par l’Ordre des professions et que je ne fais pas présentement partie de l’Ordre me permettant d’user de cette appellation. Cependant, c’est néanmoins une des façons dont je suis perçue. Je suis également une femme cisgenre, jeune, blanche, mère, dans une relation hétérosexuelle de longue durée, issue de la classe moyenne inférieure, mobile (non-handicapée), dont la langue

Perspective de recherche Position sociale de la chercheuse Ontologie de la chercheuse Épistémologie de la chercheuse Axiologie de la chercheuse Cadre théorique influencé par la perspective Méthodes de recherche

40 maternelle est le français mais bilingue (anglais), ayant reçu/ayant accès à une éducation

avancée, d’héritage religieux catholique mais athée, et de descendance coloniale

principalement française, mais également irlandaise. J’ai grandi en territoire traditionnel Haudenosaunee, plus spécifiquement du peuple Kanien'kehá:ka (plus souvent nommé les Mohawks), territoire sur lequel je continue de vivre et sur lequel j’élève ma fille.

Au-delà de l’énumération de mes principaux statuts sociaux, c’est leurs significations qui sont importantes. Par mon éducation postsecondaire, j’ai conscience depuis près de quinze ans de mes principaux statuts sociaux et l’impact qu’ils ont eu sur ma vie, tel que sur ce que j’ai appris, les opportunités et privilèges que j’ai eus, et les perceptions que les gens peuvent avoir de moi. Cependant, les réflexions demeurent constantes parce que certaines de ces positions sont fluides et dynamiques ou encore parce que les gens et systèmes avec lesquels on interagit changent au fil du temps.

Pour cette recherche, il est donc impossible de ne pas prendre en compte ma descendance coloniale, ma couleur de peau et mes capacités langagières face à un sujet de recherche qui questionne certes un système (celui de la protection de la jeunesse) mais qui questionne comment ce système a interagi avec les enfants et les familles autochtones. Je suis issue du groupe dominant. Je suis issue du groupe qui, collectivement et historiquement, a cherché à assimiler et éliminer les personnes autochtones. Malgré que j’adhère au fait que l’on doit, au Québec et au Canada, décoloniser notre société et nos systèmes, j’ai été élevée avec un système de croyances qui me plaçait dans une position dominante, meilleure, que les peuples autochtones. Il se peut donc que certaines de ces croyances, qui m’ont été inculquée de

manière insidieuse, soient toujours présentes dans ma compréhension générale « de la vie ». Je tente d’avoir une approche consciente de mes croyances et valeurs, afin d’identifier là où ces croyances insidieuses demeurent, mais il est important de dire qu’il est possible que je ne les perçoive pas toutes. Ainsi, si mon projet cherche explicitement à questionner la position dominante par rapport à la protection de la jeunesse, je ne peux garantir qu’implicitement, je ne véhicule pas des idées préconçues dommageables pour les peuples autochtones. D’ailleurs, mon éducation s’est faite au sein d’instances occidentales, incluant dans une discipline, le travail social, qui a été complice de politiques assimilatives envers les Autochtones. Si c’est via

41 mon éducation que j’ai pleinement pris conscience de l’impact de ma position sociale et du degré de préjudice envers les peuples autochtones, ce système d’éducation demeure

néanmoins ancré dans le système dominant – car il comporte son lot de croyances insidieuses à propos de la valeur de certains marqueurs sociaux et, surtout, demeure dépendant des

paradigmes occidentaux par rapport à ce qu’est la connaissance et comment on l’acquiert. Deux autres de mes positions sociales, soit celle de femme et celle de mère (reliées mais non synonymes), doivent également être soulignées par rapport à ce projet. Tout d’abord, parce que je m’identifie en tant que féministe et que cette perspective me démontre

clairement comment, en tant que personne relativement privilégiée mais du genre féminin, je demeure prise dans des préconceptions sur ce que je peux ou dois faire – tant au niveau personnel qu’au niveau des attentes sociales exprimées ouvertement ou non par les personnes et les systèmes avec lesquelles j’interagi. Le travail invisible, découlant de la charge mentale et émotionnelle impartie aux femmes et aux mères, est omniprésent et je dois constamment le balancer avec le « vrai » travail, tel que le travail rémunéré et le travail mis dans cette thèse. Mais l’importance de ces marqueurs est aussi en lien avec le sujet même – beaucoup de personnes travaillant en protection de la jeunesse sont des femmes, et malgré que l’on parle beaucoup de parents et de famille, il demeure que les services de protection de la jeunesse font également partie du monde où il est prétendument « naturel » et attendu que les femmes prennent soins des enfants. Ma recherche parlera indirectement de comment certaines femmes jugent les capacités parentales d’autres femmes. Mon expérience de la maternité a certainement joué un rôle dans ma perspective sur les parents, les mères, en protection de la jeunesse, en m’apportant une compréhension plus concrète des difficultés qui peuvent être rencontrées en tant que parent. Si je ne doutais pas que mon identité de mère allait être en construction et que la maternité allait me remettre en question, je n’avais certainement pas compris comment j’allais être emportée par une vague de fond par rapport aux idéaux de « la bonne mère ». Malgré toute ma compréhension rationnelle des enjeux, je constatais, au fil des ans, comment les discours sur les bonnes mères me poussaient à être dans une posture de maternage intensif, un maternage où mon identité en tant que personne autre que mère n’avait plus beaucoup de place. J’aurais voulu faire différemment, mais même une

42 reconnaissance de ces comportements ne me laissait pas plus outillée pour y faire face. Mon impossibilité à agir différemment face aux attentes sociales m’a certes troublée, mais m’a donné une compréhension plus fine des façons dont on peut, ou non, réagir à des signaux extérieurs ou intérieurs face à nos comportements en tant que parent.

Perspective de recherche : Exploration des axes épistémologique, ontologiques et axiologiques d’une approche transformative

D’emblée, il m’apparait central d’exposer que cette partie représente ma position actuelle dans un débat complexe avec lequel j’ai évolué au cours des dix dernières années, et qu’elle ne fait probablement pas consensus selon la perspective de chacune des personnes qui la lira. Cette thèse s’insère dans le projet sociétal beaucoup plus grand de reconstruire et redéfinir les relations entre peuples colonisateurs et peuples autochtones. Je ne cherche qu’à contribuer une toute petite partie.

Je positionne donc clairement ma recherche dans un paradigme transformatif,

occidental, puisque ma recherche est d’abord et avant tout à propos du système de protection de la jeunesse courant au Québec et qu’il questionne comment les enfants des Premières Nations sont passés au travers de ce système au fil d’une douzaine années de données. Je ne situe pas ma recherche dans un cadre autochtone ou sous toutes autres appellations ou conceptualisations qui combineraient les deux (par ex. approche multi-paradigmatiques, posture du double regard, ou encore une approche critique autochtone; Bartlett et coll., 2012; Held, 2019; Rowe et coll., 2015). Je ne peux néanmoins passer sous silence qu’une

méthodologie (statistiques autochtones, Walter et Andersen, 2016), des théories et des concepts mis de l’avant par des personnes autochtones font partie de mon cadre théorique. Ceux-ci me sont apparus primordiaux car il demeure que je parle d’enfants, et donc de familles et communautés, des Premières Nations, même si c’est tel que demandé par un système occidental. Puisque le cadre transformatif appelle à porter attention au vécu des groupes opprimés et à comprendre les moyens de domination (Mertens, 2014), ces savoirs et

perspectives sont d’autant plus importants pour interpréter les résultats qui découlent de cette recherche, en lien avec les savoirs autochtones.

43 Tel que mis de l’avant par Rowe, Baldry et Earles (2015), de même que par Held (2019), les chercheuses et chercheurs qui ne sont pas autochtones, et particulièrement celles et ceux issus du groupe dominant, se retrouvent actuellement dans un relatif vide pour penser leur perspective de recherche lors de projet avec des partenaires autochtones. Cette difficulté à réfléchir et articuler une position est d’autant plus complexe pour les étudiantes et étudiants, qui ne reçoivent que peu de soutien des instances devant les guider, en partie parce que ces instances et les personnes qui les composent n’ont pas non plus les connaissances ou

l’expérience requise (Held, 2019).

L’utilisation d’une approche transformative demeure aussi essentielle dans mon cas spécifiquement car le projet a été pensé pour soutenir une conscientisation des personnes issues du groupe dominant (en particulier tous les acteurs et actrices du système de protection de la jeunesse) des effets délétères des services de protection de la jeunesse actuels et tel qu’appliqués aux communautés autochtones. La publication du rapport de la Commission Viens dans les derniers mois, vient soutenir ce constat. La compréhension des effets délétères du système actuel (sans rien enlever au rôle important et pertinent qu’il peut jouer aussi en même temps) peut également être utile pour se questionner sur l’impact de ceux-ci pour toutes les familles et enfants, puisque ces impacts découlent, à mon sens, de l’idéologie néolibérale d’individualisation de la responsabilité et du risque. Il ne cherche pas à mettre de l’avant des savoirs autochtones spécifiques, mais plutôt à illustrer les limites de la pensée actuelle. Néanmoins, pour y arriver, l’utilisation de pensées différentes, et donc en particulier

autochtones, soutient cette prise de conscience. Je comprends que pour certaines et certains, cette approche est naïve et démontre bien ma position privilégiée. Je crois qu’illustrer où j’en suis à la lumière de mon cheminement est une importante contribution pour mieux

comprendre l’évolution du raisonnement et pour m’aider dans ce qui sera, possiblement, un futur rôle de guider des étudiantes et étudiants dans leur propre cheminement. J’énonce aussi clairement qu’idéalement mon projet aurait comporté une collecte de données de nature qualitative afin de mettre en lumière des éléments complémentaire qui auraient donné un éclairage plus complet sur certaines dynamiques, mais le cadre du doctorat et les limites

44 auxquelles j’ai dû faire face m’amènent à clore ce premier chapitre de compréhension et me fournissent des pistes de recherche future.

Si l’utilisation de données quantitatives est souvent associée à une perspective positiviste, ou plus récemment post-positiviste, ma perspective est que les données de

recherche, peu importe leur nature, sont le produit d’une réalité construite par la personne ou le système ayant « créé » ces données – et que cette même personne ou système est

dépendant d’un ordre social au sein duquel les relations de pouvoir sont déterminantes. L’utilisation de données et analyses quantitatives est reconnue dans le cadre des approches transformatives (Mertens, 2014) et dans la méthodologie de statistiques autochtones (Walter et Andersen, 2016). À la base, l’utilisation de données quantitatives administratives sert à comprendre le fonctionnement actuel d’un système en lien avec la surreprésentation d’un groupe d’enfants. Comme on se questionne sur le rôle de ce système face aux iniquités observées, les analyses avec les données administratives devraient permettre de soulever des questionnements sur le fonctionnement de ce système face aux enfants des Premières Nations. Idéalement, ces questionnements mèneront à des changements dans ce système.

Ontologie, ou comment on fait sens de la réalité/quelle est la nature de la réalité?

Ma perspective ontologique est que nous vivons dans une réalité matérielle dont les relations sont construites socialement, et que les structures sociales de pouvoir jouent un rôle dans cette construction sociale. Donc, ce qu’on perçoit généralement comme étant « la

réalité », par exemple les taux de signalements fondés en protection de la jeunesse, n’existe en fait que seulement qu’en tant qu’objet social – construit par certains groupes dans certains buts et pour le bénéfice ou le désavantage (de manière implicite plus qu’explicite) de certains

groupes sociaux. Ce n’est pas de dire que ce taux n’existe pas en lui-même, mais plutôt de le concevoir comme étant produit par et pour certains groupes.

Ma perspective se situe dans un axe transformatif dans la mesure où il est présumé que les relations de pouvoirs entre l’état et ses fonctionnaires et les communautés autochtones colorent les interactions au plan des services de protection de la jeunesse. Il est important de nuancer que bien qu’il soit possible que certaines des personnes au sein du système étatique aient des comportements et attitudes discriminatoires, ce qui est présumé ici est que la

45 protection de la jeunesse, en tant que système néocolonial, impose des dynamiques et

relations au détriment des communautés autochtones desservies, malgré les efforts individuels, organisationnels et systémiques mis en place jusqu’à maintenant. Découlant de ce constat, les choix que j’ai faits pour les analyses de cette recherche ne sont pas nécessairement ceux que quelqu’un d’autre aurait faits avec les mêmes données. Cependant, j’ai utilisé un comité aviseur afin de m’assurer de la pertinence sociale de ces choix

Épistémologie, ou comment on sait, acquisition de la connaissance

Pour ce projet, j’ai utilisé des données créées par et pour un système néocolonial, afin de parler de ce système et du traitement des enfants et familles des Premières Nations qui entrent dans ce système. Ces données ont été colligées dans une structure qui répond à des besoins cliniques et administratifs, mais également pensée pour la reddition de comptes. Toutes les informations connues des intervenants ne sont pas nécessairement indiquées dans les données (par ex. certaines informations ne sont pas obligatoires) et les catégories choisies correspondent souvent au jugement ou à la perception de la personne qui est en charge du dossier, selon le cadre imposé par la loi et les politiques locales.

La perspective qu’elles donnent est donc très limitée et n’est qu’une pièce d’un puzzle, mais je juge cette pièce nécessaire et importante. Cependant, il faut souligner que ces données sont créées et pensées pour être utilisées dans une perspective principalement post-positiviste, c’est-à-dire selon l’idée qu’il y a « une » réalité objective, qui est imparfaitement accessible (Ponterotto, 2005). Cette recherche met en relief les multiples façons que ces données représentent cette posture : on collige des informations spécifiques selon des catégories préétablies qui sont les mêmes pour tous. Mon projet, de par le type de savoirs qu’il utilise (les données administratives), est donc issu d’une perspective très occidentale, mais c’est une perspective qui reconnait l’inadéquation de cette perspective pour saisir l’entièreté de l’expérience des Premières Nations.

Axiologie, les valeurs et leurs places dans la recherche

Mon projet de recherche émane de mes valeurs, de l’importance de construire une réalité sociale plus juste et équitable envers toutes les personnes. Je reconnais comment, volontairement ou involontairement, on peut reconduire les structures d’iniquité lorsque l’on

46 est dans une position relativement privilégiée. Qu’il faut plutôt consciemment et

volontairement agir pour ne pas reconduire les structures oppressives qui nous ont permis d’être dans cette position relativement privilégiée. Ce chapitre, en partie plus personnel, me permet d’illustrer explicitement mes valeurs, alors que dans certains autres chapitres, elles y seront de manière plus implicite.

Fondements théoriques

Tel qu’exposé à la section précédente, ma posture philosophique s’ancre dans une conception de « la réalité » où les rapports de pouvoirs ont une incidence directe sur la construction et l’expérience de la réalité des divers actrices et acteurs sociaux. Cette section présente de manière plus concrète les courants théoriques et concepts qui ont influencé mon approche globale à mon sujet de recherche. Ces éléments ne contribuent pas directement à une conceptualisation fine des contacts entre les jeunes et familles des Premières Nations et les services de protection de la jeunesse. Leur rôle est plutôt d’offrir un cadre général pour aborder et analyser les écrits empiriques et méthodologiques qui seront revus dans les chapitres

suivant, me permettant ainsi d’expliciter mon cadre conceptuel et mes questions de recherche. Leur rôle est aussi de guider l’interprétation plus générale des constats dressés par les résultats de recherche. Ces fondements théoriques sont regroupés dans deux grands groupes, soit les fondements théoriques occidentaux et ceux autochtones.

Fondements théoriques occidentaux

Sous l’ombrelle du paradigme transformatif, il existe donc une multitude de courants théoriques qui s’entrecoupent et qui sont parfois présentés sous diverses appellations (par exemple, voir Mertens, 2014, p. 8). Ce qui unit ces courants est leur désir que la recherche soit

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