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2.2 Logiques modales intuitionnistes

2.2.1 Approche de Simpson

Dans son approche, Simpson définit un ensemble d’obligations que doit satisfaire toute logique modale intuitionniste. Ces obligations sont motivées par des liens entre la logique clas-sique et les logiques modales clasclas-siques d’un côté, et d’un autre côté par certaines propriétés de la logique intuitionniste.

Étant donné que toutes les tautologies de CPL sont des axiomes pour les logiques modales classiques, une première obligation consiste à exiger que toutes les formules valides dans le fragment propositionnel de la logique intuitionniste IPL doivent être des axiomes pour toutes les logiques modales intuitionnistes.

Une deuxième obligation est que l’ajout de la loi du tiers exclu (A ∨ ¬A) à toute version intuitionniste d’une logique modale classique doit produire cette dernière. Cette obligation résulte du fait que l’ajout de la loi du tiers exclu à la logique intuitionniste produit la logique classique.

Rappelons qu’une logique (contenant a fortiori la disjonction) satisfait la propriété de disjonction si la validité de A ∨ B implique celle de A ou celle de B. Cette propriété est satisfaite dans la logique intuitionniste, alors qu’elle ne l’est pas dans la logique classique car, par exemple, la formule A ∨ ¬A est valide sans que forcément A et ¬A le soient. En fait, cette propriété traduit le fait que pour que A ∨ B soit valide dans la logique intuitionniste, il faut exhiber soit une preuve de A, soit une preuve de B. Ainsi, la propriété de disjonction est une autre obligation que doivent satisfaire les logiques modales intuitionnistes.

2.2 Logiques modales intuitionnistes 37 Dans la logique classique, il est possible de définir le quantificateur ∀ en fonction de ∃ et vice versa (∀x.A = ¬∃x.¬A et ∃x.A = ¬∀x.¬A) ce qui n’est pas le cas dans la logique intuitionniste. Quand il n’est pas possible de définir un opérateur en fonction d’un autre, on dira qu’ils sont indépendants. Comme nous l’avons vu dans la traduction de logiques modales classiques dans la logique classique (voir section 2.1.4), l’opérateur ♦ coïncide avec un quan-tificateur existentiel et  avec un quanquan-tificateur universel. Cela induit l’obligation que les opérateurs  et ♦ doivent être indépendants dans les logiques modales intuitionnistes.

La dernière obligation de Simpson est informelle mais considérée comme la plus fonda-mentale. Elle exige que les modalités aient une explication compréhensible en terme de raison-nement intuitionniste suivant laquelle les logiques modales intuitionnistes sont correctes et complètes. En fait cette obligation exprime le fait que les liens entre les logiques modales intuitionnistes et la logique intuitionniste doivent être les même que celles entre les logiques modales classiques et la logique classique. Par conséquent, nous pouvons dire que toutes les autres obligations découlent de cette dernière.

La première logique portant le nom de logique modale intuitionniste est celle proposée dans [53]. Cependant, elle ne respecte pas une des obligations de Simpson, car l’ajout de la loi du tiers exclu ne produit pas de logique modale classique. La première logique modale intuitionniste satisfaisant les obligations de Simpson a été introduite par Prior dans [112]. Elle correspond à la version intuitionniste de la logique S5. Plusieurs autres approches ont été utilisées dans la définition de logiques modales intuitionnistes [110, 49, 47, 51] et les versions intuitionnistes de chaque logique modale classique formée à partir d’une combinaison de T , B, 4 et 5 qui en résultent sont souvent différentes. Toutefois, presque tous les fragments privés de ♦ de ces dernières sont les mêmes.

2.2.2 Sémantique de Kripke

Pour tout Th ⊆ {T, B, 4, 5}, nous appelons IKTh la logique modale intuitionniste corre-spondant à la logique KTh. Nous utilisons parfois les noms IT, IB4, IS4 et IS5 pour les versions intuitionnistes de respectivement T, K{B, 4}, S4, S5.

Définition 2.2.1. Un modèle modal intuitionniste est un quadruplet (W, 6, {Dw}w∈W, {Rw}w∈W, {Vw}w∈W) tel que

– W est un ensemble non vide de mondes de Kripke ; – 6 est une relation d’ordre partiel sur W ;

– pour tout w ∈ W , Dw est un ensemble non vide de mondes modaux tel que w 6 w implique Dw ⊆ Dw′;

– pour chaque w ∈ W , Rw est une relation binaire sur Dw, appelée w-relation d’acces-sibilité, telle que w 6 w implique Rw ⊆ Rw′;

– pour chaque w ∈ W , Vw est une fonction de Dw dans 2Prop telle que w 6 w implique Vw(d) ⊆ Vw′(d).

Notons la présence de deux types de mondes dans la structure de modèle modal intuition-niste, à savoir ceux de Kripke et ceux modaux. En ce qui concerne les mondes de Kripke, ils

38 2. Logiques modales intuitionnistes correspondent à la base intuitionniste. Effectivement, la structure de modèle de Kripke pour la logique intuitionniste contient également un ensemble de mondes partiellement ordonné. Quant aux mondes modaux, ils correspondent à l’aspect modal comme dans la structure de modèle modal classique.

De la même façon que dans le cas classique, nous associons à chaque modèle modal intu-itionniste une relation de satisfaction.

Soient M = (W, 6, {Dw}w∈W, {Rw}w∈W, {Vw}w∈W) un modèle modal intuitionniste, w ∈ W , d ∈ Dw et A une formule. La relation w, d MA est définie par induction sur la structure de A comme suit :

– w, d Mp si et seulement si d ∈ Vw(p) ; – w, d M⊥ jamais ;

– w, d MA ∧ B si et seulement si w, d M A et w, d MB ; – w, d MA ∨ B si et seulement si w, d M A ou w, d MB ;

– w, d MA ⊃ B si et seulement si pour tout w> w, w, d M A implique w, d MB ; – w, d M A si et seulement si pour tout w > w et pour tout d ∈ Dw′, Rw(d, d)

implique w, d MA ;

– w, d M♦A si et seulement s’il existe d∈ Dw tel que Rw(d, d) et w, d MA.

une formule A est valide dans un modèle M = (W, 6, {Dw}w∈W, {Rw}w∈W, {Vw}w∈W) si w, d M A pour tout w ∈ W et pour tout d ∈ Dw.

Pour Th ⊆ {T, B, 4, 5}, un modèle (W, 6, {Dw}w∈W, {Rw}w∈W, {Vw}w∈W) est considéré comme faisant partie de la classe de modèles ICTh si pour tout w ∈ W , Rw satisfait les pro-priétés associées aux éléments de Th. Une formule A est valide dans IKTh si et seulement si A est valide dans tous les modèles de ICTh [119].

De même que dans le cas de la logique intuitionniste, la relation de satisfaction vérifie la propriété de monotonie de Kripke :

Proposition 2.2.1 (Monotonie). Si w, d MA et w 6 w, alors w, d MA.

Démonstration. Par induction sur la structure de A. On suppose que w, d M A et w 6 w. Le cas de A = ⊥ est trivial. Si A est une variable propositionnelle p, alors p ∈ Vw(d) car w 6 w implique Vw(d) ⊆ Vw′(d). Donc, on obtient w, d M p.

Si A = B ∧ C alors on a w, d M B et w, d M C. En appliquant l’hypothèse d’induction, on a w, d M B et w, d M C (B et C sont structurellement moins complexe que B ∧ C). Ainsi, on obtient w, d M B ∧ C. Le cas de A = B ∨ C est similaire.

Si A = B ⊃ C alors on a pour tout w′′> w, w′′, d MB ⊃ C. Par conséquent, on a w, d M B ⊃ C. Le cas de A = B est similaire.

Si A = ♦B alors il existe d ∈ Dw tel que Rw(d, d) et w, d  B. En utilisant w > w, on obtient Rw′(d, d). Par application de l’hypothèse d’induction, on a w, d M B. Donc, on en déduit que w, d M ♦B.

En ce qui concerne la propriété des modèles finis, aucune des logiques IKTh ne satisfait cette propriété dans la sémantique de Kripke [105, 119]. Dans ce qui suit nous utilisons la formule ¬¬p ⊃ ¬¬p pour démontrer l’absence de cette propriété.

2.2 Logiques modales intuitionnistes 39 Démonstration. On fait une démonstration par l’absurde. Rappelons au début que ¬p = p ⊃ ⊥. Soit M = (W, 6, {Dw}w∈W, {Rw}w∈W, {Vw}w∈W) un contre-modèle fini (W fini) de ¬¬p ⊃ ¬¬p. Cela signifie qu’il existe w ∈ W et d ∈ Dw tels que w, d M ¬¬p et w, d 2M ¬¬p. On définit une w-feuille comme un monde w supérieur à w tel qu’il n’existe pas de w′′ ∈ W avec w′′ > w. Soit w une w-feuille. Étant donné que w, d M ¬¬p, on a pour tout d ∈ Dw′ tel que Rw′(d, d), w, d M ¬¬p. Par conséquent, pour tout d ∈ Dw′ tel que Rw(d, d), w, d M p car il n’existe pas de monde strictement supérieur à w. Ainsi, on a w, d M p, ce qui implique que w, d 2M ¬p. En utilisant la monotonie de Kripke (proposition 2.2.1), pour tout w′′ > w on a w′′, d 2M ¬p. On en déduit que w, d M¬¬p et on obtient une contradiction.

Proposition 2.2.3. ¬¬p ⊃ ¬¬p n’est valide dans aucune logique IKTh.

Démonstration. Il suffit de démontrer que cette formule n’est pas valide dans IS5 car une conséquence directe de cela est que cette dernière n’est valide dans aucune autre logique IKTh. Soit M = (N, 6, {Di}i∈N, {Ri}i∈N, {Vi}i∈N) est un modéle modal intuitionniste où

– pour tout i ∈ N, Di= {d0, . . . , di} ;

– pour tout i ∈ N et pour tout d, d∈ Di, on a Ri(d, d) ; – pour tout i ∈ N et pour tout 0 6 j < i, Vi(dj) = {p} ; – pour tout i ∈ N, Vi(di) = ∅.

M appartient à la classe des modèles associés à IS5 car toutes les relations d’accessibilité sont des relations d’équivalence.

Étant donné que pour tout i ∈ N et pour tout d ∈ Di, on a j, d M p pour tout j > i. On en déduit que pour tout i ∈ N et pour tout d ∈ Di, i, d 2 ¬p. Ainsi on a 0, d02 ¬¬p. De plus, on a pour tout i ∈ N, i, di 2p ce qui implique que pour tout i ∈ N, i, d02 p. Par conséquent, on a 0, d0 ¬p. Donc, on a 0, d02¬¬p et on en déduit que 0, d0 2 ¬¬p ⊃ ¬¬p.

Cependant, dans d’autres sémantiques certaines des logiques IKTh satisfont la propriété des modèles finis. Dans la sémantique algébrique de IS5 proposée par Bull dans [24], la propriété des modèles finis a été démontrée par Fischer Servi dans [50]. En ce qui concerne les logiques IK, IT, IK{B} et IK{T, B}, la propriété des modèles finis dans la sémantique bi-relationnelle a été démontrée par Simpson dans [119].

Comme les logiques IK, IT, IK{B}, IK{T, B} et IS5 satisfont la propriété des modèles finis, elles sont toutes décidables. Quant aux autres logiques, le problème de décidabilité ainsi que celui de la propriété des modèles finis restent des questions ouvertes.

Notons que les logiques modales intuitionnistes présentées ici se traduisent dans la logique intuitionniste du premier ordre IFO de la même manière que celles classiques dans CFO (voir section 2.1.4). Par exemple, une formule A est valide dans IK si et seulement si T r(A, x0) est valide dans IFO [119].

2.2.3 Systèmes à la Hilbert

Un système à la Hilbert pour la logique IK, appelé HIK, est défini de la manière suivante : – Les théorèmes du fragment propositionnel de la logique intuitionniste IPL.

– (A ⊃ B) ⊃ (A ⊃ B). – (A ⊃ B) ⊃ (♦A ⊃ ♦B). – ♦⊥ ⊃ ⊥.

40 2. Logiques modales intuitionnistes – ♦(A ∨ B) ⊃ (♦A ∨ ♦B). – (♦A ⊃ B) ⊃ (A ⊃ B). A ⊃ B A B [mp] A A [nec]

Ce système a été proposé par Plotkin et Stirling dans [107]. Un autre système équivalent a été proposé par Fischer Servi dans [52].

Pour tout Th ⊆ {T, B, 4, 5}, un système à la Hilbert pour la logique IKTh, appelé HIKTh, est obtenu par l’ajout à HIK des axiomes correspondant aux éléments de Th parmi les suiv-ants [119] :

(T ) (A ⊃ A) ∧ (A ⊃ ♦A). (B) (♦A ⊃ A) ∧ (A ⊃ ♦A). (4) (A ⊃ A) ∧ (♦♦A ⊃ ♦A). (5) (♦A ⊃ A) ∧ (♦A ⊃ ♦A).

Les axiomes T , B, 4 et 5 dans le cas intuitionniste ont la même forme, voire les mêmes, que ceux dans le cas classique. En guise d’exemple, considérons l’axiome T dans le cas clas-sique A ⊃ A. Cette axiome implique que la formule ¬A ⊃ ¬A est valide. Comme on a A ↔ ¬♦¬A et ¬¬A ↔ A, on obtient ¬♦A ⊃ ¬A, ce qui n’est que la contraposée de A ⊃ ♦A. Cependant, l’ajout de A ⊃ ♦A à l’axiome T dans le cas intuitionniste est la conséquence de l’indépendance des deux opérateurs  et ♦.

Précisons que plusieurs des systèmes à la Hilbert que nous venons de décrire correspondent aux deux logiques IB4 et IS5 :

– IS5 = IK{T, 5}, IK{T, B, 4}, IK{T, B, 5}, IK{T, 4, 5}, IK{T, B, 4, 5} – IB4 = IK{B, 4}, IK{B, 5}, IK{B, 4, 5}