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Ce que l’on a appris sur les acteurs et les actants du pro- pro-cessus d’alerte aux crues rapides, ou la fin des mondes?

Le processus d’alerte sous l’angle des distances, premiers résultats

3.2 Interprétation des premiers résultats

3.2.1 Ce que l’on a appris sur les acteurs et les actants du pro- pro-cessus d’alerte aux crues rapides, ou la fin des mondes?

Des actants du PA

Nous avons vu que les actants principaux (AP) peuvent prendre différentes formes selon le point de vue des acteurs, ce qui induit du point de vue du chercheur une « dif-fraction » des actants en de multiples sous-formes (Cf.2.3). Nous avons de plus constaté qu’aux AP venaient s’ajouter d’autres actants (AA), non compris dans nos catégories ini-tiales. La constitution de la BD a été l’occasion d’identifier ces AA, et le tableau [Tab.3.3] nous a permis d’illustrer leur « poids » dans le PA en termes de distances. Il s’est avéré que les AA sont partie prenante de (presque) une distance exprimée sur cinq. De cette

diffraction des AP et de la diversité des AA, nous retiendrons que le collectif des ac-tants impliqués dans le PA est beaucoup plus large que nous ne l’imaginions initialement, et que ne le laissait supposer une approche en termes de système d’alerte au sein de l’approche classique (Cf. p.96). Il nous faut de plus insister sur le fait que ces AA n’étaient vraiment pas identifiables a priori et de l’extérieur du PA. En nous tenant à une approche classique du système d’alerte, nous aurions donc couru le risque d’oublier dans notre analyse presque 20% des relations de distance du PA. De plus, la spécificité de ces AA (Cf. 3.1.2) en fonction des acteurs met à jour l’importance, notamment, des configurations locales et territoriales du PA.

Tout ceci valide rétrospectivement nos choix théoriques et méthodologiques énoncés en introduction : sans notre approche pragmatique, nous aurions pu occulter près d’1/5e

des relations de distance des acteurs, ce cinquième étant peut-être la part la plus labile et la plus discrète aux yeux d’une analyse extérieure, mais aussi probablement une part essentielle du PA. Nous aurons l’occasion de donner plus d’éléments en la matière lors de la description des profils (Deuxième partie) et des pratiques de la distance (Troisième partie).

Le PA mobilise donc un collectif bien plus large que le système d’alerte ne le laissait présager, et cela pointe l’importance cruciale des études de terrain approfondies, et assu-mant une certaine complexité, pour saisir le PA aux crues rapides. Bien sûr, ces actants imprévus et spécifiques aux acteurs (ou AA) varieront d’un acteur à l’autre, et probable-ment d’un bassin versant à l’autre. L’important n’est pas alors d’étudier tous les AA en détails, mais que chaque analyse d’un PA intégre dans son approche l’existence même de ces AA, quels qu’ils soient, afin d’en mesurer l’impact sur le PA et les configurations de distances.

Des distances des autres (DdA)

Nous avons montré l’importance des DdA (Cf. 3.1.2), qui représentent plus de 20% du total des distances exprimées (22,6%) et indiquent que les interviewés se préoccupent beaucoup des distances des autres, ou des distances qu’ilssupposentêtre celles des autres. Concrètement, les deux hypothèses ont le même effet : les distances attribuées aux autres par les interviewés représentent 1 distance exprimée sur 5, ce dont on déduit qu’elles sont structurantes des pratiques des acteurs dans l’alerte (déduction qui sera étayée dans la deuxième partie). Elles témoignent du fait que les acteurs ne sont pas seulement préoc-cupés par leurs propres distances, et qu’au sein du collectif, ils ne sont pas isolés dans la tâche qui leur aurait été assignée dans une logique de division du travail. Il existe une réelle préoccupation de la part des interviewés vis-à-vis de relations de distances dont ils ne sont pas, a priori, des protagonistes. Nous verrons plus loin que ce souci n’est pas

3.2. Interprétation des premiers résultats

toujours complètement désintéressé, puisqu’il peut permettre de justifier en retour leur place et activité au sein du PA.

Cette importance des DdA n’était pas attendue, puisque l’existence des DdA elles-mêmes ne s’est imposée à nous que lors de la mise en oeuvre de l’analyse. Elle alimente toutefois au-delà de nos espérances l’intuition évoquée en introduction quant à la di-mension collective du PA : il semble que les acteurs du PA structurent leurs pratiques, et rendent signifiantes leurs activités, par rapport aux autres acteurs impliqués, qu’il s’agisse d’acteurs/actants « officiels » du PA, ou d’acteurs plus improbables. Ceci amène à ouvrir la question des ajustements mutuels des acteurs du PA, qui sera creusée lors de l’analyse des pratiques de la distance (Troisième partie).

Alors, il apparaît peu adapté d’étudier isolément les groupes d’acteurs du PA, car ils conçoivent visiblement leur activité au sein du PA dans une perspective collective, comme reliée aux activités et difficultés des autres. Omettre le fait que les acteurs sont en interaction, que leurs actions prennent place et sensdans un espace social bien plus large qu’eux et en fonction des autres, nous conduirait à réduire considérablement notre compréhension des pratiques de l’alerte.

Nous reviendrons plus loin sur la place concrète de ces DdA dans les configurations de distance des acteurs, mais à ce stade on peut en retenir que :

– le PA est un processus collectif, qu’on ne peut appréhender comme la simple somme, ou l’enchaînement, d’activités autonomes les unes des autres.

– Les acteurs sont reliés entre eux, notamment par des préoccupations d’ordre collectif qui dépassent largement le cadre de leurs seules attributions.

– Ce souci important des DdA relevé chez nos interviewés amène à s’interroger sur leur mode d’engagement dans le PA : plus qu’un travail ou une tâche qui leur incombe, il semblerait que certains le conçoivent comme une mission, dotée d’une valeur éthique qui pourrait parfois se rapprocher du « beruf » (métier/vocation) évoqué par Max Weber(1905 (Réed. 1995) .

Notons enfin que lorsque l’approche classique signale et formalise les interrelations entre acteurs, c’est plus souvent sur le mode de la contrainte que sur celui du collectif, de la solidarité, du souci empathique et de l’ajustement, comme nous le faisons ici. Cela suggère peut-être un renversement à opérer dans l’évaluation des efficacités respectives de la norme et de ce que certains appellent « l’intelligence du coeur » : l’importance des DdA peut être un signe de ce que les ajustements mutuels indispensables à l’efficacité d’un processus d’alerte ne sont pas produits par la procédure mais plutôt par ce qui l’excède et s’exerce hors de son emprise. La question se pose alors de savoir si la règle, la norme et la procédure ignorent, facilitent, ou inhibent l’expression de ces ressources.

Pluralisme des acteurs et collectif du PA

Lors de la présentation de notre échantillon, nous avons relevé les difficultés rencon-trées pour catégoriser nos acteurs, et nous avons souligné le fait que leur place et leur engagement pratiques dans le PA ne pouvait peut-être pas être définis/décrits seulement par leur appartenance à une catégorie classique d’acteurs9. Nous voyons dans ces élé-ments, d’une part, l’illustration du pluralisme cher à la sociologie pragmatique, et d’autre part, un autre indice de ce que l’approche du PA par lesmondes relève de la construction scientifique plutôt que de la constatation empirique.

De fait, il nous faut peut-être ici dissocier deux registres, celui du quotidien, et celui de l’alerte. Dans leurs activités quotidiennes, qu’ils soient chargés de prévoir le temps ou de gérer une commune, les acteurs agissent et se meuvent dans des mondes relativement autonomes, et seulement connectés par des flux d’informations. Mais lorsqu’il « se passe quelque chose », lorsque la situation est telle que chacun ne peut plus exactement vaquer à ses occupations, on observe alors l’émergence (ou le réveil) d’un collectif, qui se recon-nait en partie comme tel, et un « alignement » des acteurs, qui induisent non seulement des connexions entre les mondes, mais aussi qui effacent en partie les frontières, chacun pouvant alors se mouvoir dans le collectif. De fait, il semble qu’au sein du collectif de l’alerte, les acteurs se positionnent de façon originale et pas totalement déterminée par leur statut au sein de leur propre monde. Cela souligne encore la question de l’engagement des acteurs dans le PA, et de ses modalités.

Des points communs aux acteurs

Il a été montré plus haut (Cf.3.1.3) qu’à l’échelle du PA, l’activité des acteurs semble marquée par un certain nombre de caractéristiques communes : multiplicité des actants avec lesquels ils sont en distance, multiplicité des relations de distances, multimodalités de ces relations (ou multidistanciation). Ainsi, chaque acteur est en distance avec de mul-tiples actants et selon différentes modalités, et le « portefeuille » des distances du PA ne semble pas distribué de façon très différenciée entre les acteurs. Ces éléments contredisent l’hypothèse desmondes, sous laquelle on devrait constater une spécialisation des acteurs pour un type d’actants et/ou un ou deux types de distance spécifiques, au niveau de la répartition générale des actants et des distances. Or, à ce stade et sous l’angle des distances, rien ne permet de penser que le PA est scindé/partagé entre plusieurs mondes

caractérisés par des attributions spécifiques en termes de distances (types de distance, quantités de distance et d’actants). Ainsi, et comme nous l’avons déjà relevé, le PA ne

9. Il semble à cet égard, et nous irons plus loin sur la question dans la deuxième partie, que les catégories d’acteurs (décideur, population, opérationnels, experts) stabilisées dans le champ des risques ne soient pas totalement opératoires pour le problème qui nous occupe.

3.2. Interprétation des premiers résultats

semble pas pouvoir être découpé en « tâches » distinctes lorsqu’on l’observe sous l’angle des distances. Cela justifie a posteriori la possibilité, voire la nécessité, d’étudier tous les acteurs du PA grâce à la même grille de lecture, et conforte notre sentiment de la dimension collective du PA .

Dans la seconde partie du mémoire, nous nous intéresserons aux configurations de distances spécifiques aux acteurs, mais il sera nécessaire de toujours garder en ligne de mire ce constat : avant tout, et au-delà des différents profils que nous pourrons établir, sous l’angle des distance, les acteurs du PA ont beaucoup plus de choses en commun que l’approche classique ne tendait à nous le faire penser.

3.2.2 Ce que l’on a appris sur le processus d’alerte aux crues