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Comme pour la première expérience, il s'agit d'une situation d'apprentissage par la découverte, en l'occurrence de l'utilisation d'un minitour EMCO CompactS (VÉRILLON, 1988).

L'expérimentateur effectuait d'abord une présentation minimale de la machine consistant à designer la pièce à usiner (en place dans le mandrin), l'interrupteur commandant sa mise en rotation, l'outil (présenté comme l'opérateur de l'enlèvement de matière) et les volants, transversal (T) et longitudinal (L), commandant ses déplacements. Ensuite, chaque sujet (les mêmes que dans l'expérience précédente) était invité à proposer, et si possible à exécuter, une procédure pour reproduire, sans prise en compte des dimensions, une pièce modèle comportant des surfaces cylindrique et conique.

L'outil monté était un outil à charioter, donc conçu pour un travail d'enveloppe, c'est à dire de génération de surface par un point (en l'occurrence théorique) : le bec de l'outil (figure 8).

L'objectif était de tenter de suivre dans son évolution la construction par les sujets d'une représentation fonctionnelle de cet instrument, en l'éclairant si possible des enseignements tirés de l'expérience précédente.

Ici encore, l'analyse a porté sur l'enregistrement vidéo du comportement et des verbalisations des élèves.

Résultats

Si l'on exclut quelques premières réponses guidées par la conviction d'une hyper-automatisation de la machine (il suffirait de placer l'outil en contact avec la pièce pour que le tour prenne en charge la totalité du processus de transformation), les stratégies spontanées initiales des élèves paraissent être orientées par deux conceptions générales du fonctionnement du tour.

Une première procédure conduit les sujets à venir, grâce au volant T, mettre l'outil en contact avec la pièce, provoquant ainsi une légère coupe. L'enlèvement de matière est ensuite prolongé sur une certaine longueur de la pièce à l'aide du volant L, déterminant, de fait, une légère « passe » cylindrique.

Cependant, on constate lors de l'entretien que la forme obtenue n'est pas nécessairement cylindrique pour les élèves et que d'ailleurs la même procédure peut être utilisée pour obtenir une forme conique. En effet, il s'avère que sous cette conception, l'outil est imaginé comme exerçant en continu une force dirigée vers la pièce. En conséquence, l'action d'enlèvement de matière, qualifiée « d'usure » par les sujets, peut se trouver distribuée plus ou moins régulièrement le long de la pièce selon la vitesse de rotation imprimée au volant L.

La quantité de matière enlevée en un point de la pièce étant conçue comme dépendant de la durée de contact de l'outil en ce lieu, l'obtention de différentes formes peut effectivement être anticipée. Elles résultent, soit d'un manque d'adresse : on doute de la cylindricité de la pièce parce qu'on a « ralenti » pendant la passe, soit d'une stratégie délibérée : on obtient un cône en « usant » progressivement davantage la pièce lorsqu'on s'approche de son extrémité.

Sous la seconde conception, l'obtention de la forme désirée est prévue et réalisée par une série de coupes – les élèves parlent de « tailler » – produites à l'aide du volant T et réitérées successive-

ment le long de la pièce en décalant chaque fois l'outil d'un cran à l'aide du volant L.

Le problème, souvent anticipé par les élèves, étant données la forme et la disposition de l'outil, est celui de la forme conique du sillon obtenu à chaque passe transversale (figure 10).

Aussi réclament-ils une modification – jugée selon eux néces- saire – de l'orientation de l'outil de façon à pouvoir usiner soit, pour certains avec sa cuvette concave (figure 8) : « ça a la même forme », soit pour d'autres, avec l'arête rectiligne orientée parallèlement à la pièce (figure 9). À défaut, ils se proposent d'arriver progressivement à la forme cylindrique en « attaquant » avec le bec de l'outil les sommets des sillons, dont ils prévoient, après plusieurs cycles, la disparition (figure 10).

Figure 9

Figure 10

Pour la plupart des élèves, l'idée de pouvoir générer une surface cylindrique grâce à une seule coupe rectiligne n'apparaît que tardivement (et, a fortiori, plus tardivement encore pour le cône dont la génératrice est oblique par rapport à l'axe de rotation).

Elle nécessite en effet la prise de conscience de certaines propriétés spatiales invariantes – par sa conception même – du tour : par exemple, la conservation, sous l'action du volant L, de la distance de l'outil à l'axe de rotation de la pièce.

Mais, solidairement, elle nécessite également une décentration du sujet par rapport à ses propres actions afin de pouvoir les resituer et les coordonner dans un espace d'ensemble. En effet seule la découverte consciente ou « en acte » des structures spatiales sous jacentes à ses procédures, souvent liée à leur mise en échec, permet de les recomposer et, par exemple, de prendre conscience de relations d'équivalence entre un outil de forme et un

point générateur muni d'une trajectoire adéquate ou encore entre l'itération d'opérations élémentaires et leur forme composée.

En définitive, un enjeu essentiel présent dans ces trois tâches consiste pour le sujet à se représenter la nature et les conditions de la transformation en jeu et à spécifier la part relative qui revient, pour la conduire, à ses propres actions et à celles de la machine. C'est notamment les aspects génétiques de cette répartition de l'action entre l'élève et différents dispositifs techniques que ces expériences ont mis en évidence. On a vu qu'elle est l'histoire de la dévolution progressive à l'instrument, de manière parfois insuffisante ou excessive, de tâches initialement conçues comme relevant de l'utilisateur

– réglage des mouvements articulaires, puis des trajectoires de la pince, dans le cas du robot,

– réglage des trajectoires de l'outil pour le tour.

Comment rendre compte de ce processus ? Au sein de quel cadre théorique ? Telles sont quelques interrogations que ces observations adressent à la psychologie et dont nous discuterons brièvement pour terminer.