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Apports de la pharmacocinétique de population

Chapitre 2. Le besoin d’une individualisation posologique :

2.2 Apports de la pharmacocinétique de population

La modélisation pharmacocinétique de population utilise l’approche compartimentale abordée précédemment en complexifiant le modèle pour tenir compte des potentielles variations de concentrations au sein d’une population d’individus étudiés (variabilité inter-individuelle). Elle tient compte également d’une erreur résiduelle inhérente à la modélisation en elle-même expliquée par le fait que décrire un phénomène complexe par une « simple » formule mathématique ne peut en aucun cas aboutir en une description exacte dudit phénomène. Ce terme inclut également la prise en compte d’une potentielle erreur de dosage (variabilité analytique).

Le concept de pharmacocinétique de population fut initialement proposée par Sheiner et Beal dans les années 70 (199) et est en constant développement grâce aux nouveaux progrès en bio-informatique et statistiques. Cette approche est recommandée depuis 1999 par la Food and Drug Administration (FDA) pour le développement de nouveaux principes actifs (200).

D’un point de vue statistique, c’est une technique de régression comme la régression linéaire enseignée dans tous les cours de statistiques de base. Dans notre cas, l’évolution des concentrations au cours du temps est non linéaire et doit tenir compte d’une variabilité

« biologique et technique ». Cette technique est appelée régression non-linéaire à effets mixtes symbolisé par les équations suivantes :

M*,5 = BNO*, Q*,5, … S + '*,5. T*,5 Équation 7

Avec O* = ℎ(U, V*) Équation 8

Où M*,5 est la variable à expliquer pour un individu i, au temps j, ici une concentration, B() est la fonction non linéaire décrivant la pharmacocinétique d’une molécule représentée par un système d’équations différentielles, avec O* le vecteur de paramètres

pharmacocinétiques nécessaires à la résolution de cette équation. Ces paramètres peuvent potentiellement être dépendant de covariables relatives au patient Q*,5. Considérant une approche statistique paramétrique, ℎ() est la fonction associant un paramètre pharmacocinétique dit « typique » dans une population U et un effet aléatoire V* pour estimer la valeur de ce paramètre pour l’individu i, V* se distribuant suivant une certaine loi de distribution. Ainsi, la variabilité inter-individuelle d’un paramètre peut être quantifiée comme étant la déviation entre le paramètre typique et son effet aléatoire. Le terme '*,5. T*,5 associe la forme du modèle d’erreur '*,5 à la valeur de l’erreur résiduelle T*,5 qui suit une distribution normale centrée réduite et permet de quantifier l’écart entre une concentration observée et estimé (prise en compte des erreurs de mesures).

Deux écoles existent au sein de cette approche de population: l’école

« paramétrique » faisant l’hypothèse que V* suit une distribution normale et l’école « non paramétrique » qui ne fait pas cette hypothèse, la distribution, des paramètres pharmacocinétiques étant discrète. Cette approche fut développée grâce aux travaux de Mallet puis de Jelliffe avec la formulation de nouveaux algorithmes d’estimation comme l’algorithme NPAG (non parametric adaptative grid) (201,202). Ainsi, un modèle non paramétrique n’aura pas de V* ni de U à estimer mais une distribution de points « supports » de distribution.

Dans les deux écoles, il est fait usage du théorème de Bayes des probabilités conditionnelles, qui permet de calculer la probabilité de l’événement A sachant que l’événement B est arrivé.

!(# $ ⁄ ) =

!(# $⁄ )×!($)

!(#) Équation 9

En pharmacocinétique, il permet d’estimer les paramètres PK individuels d’un sujet connaissant la distribution de ceux-ci dans la population et les concentrations individuelles mesurées.

A titre d’exemple et pour résumer tout cela, la figure 12 (création personnelle), colonnes A et B montre la distribution des paramètres pharmacocinétiques d’un modèle à deux compartiments décrivant la pharmacocinétique du céfépime. Pour un même modèle structural mais utilisant les deux approches, la distribution étant continue pour le modèle

paramétrique et discrète pour le non paramétrique. Les graphiques de la ligne C et D montrent le changement de la distribution individuelle après estimation Bayesienne : la probabilité pour un individu donné qu’un paramètre prenne une valeur donnée est modifié par le fait de posséder des informations sur les précédentes mesures de concentration.

En résultat de ces données, les graphiques E et F sont les prédictions individuelles d’un profil de concentration après administrations répétées d’une dose donnée (ex : 2g toutes les 12h). Et les graphiques G et H représentent les erreurs commises par le modèle par rapport à la réalité pour chaque patient et mesure de concentration. L’axe des ordonnées représente les valeurs observées et l’axe des abscisses représente les valeurs prédites au même moment.

Nous pouvons clairement voir que l’approche Bayésiennes surpasse l’estimation a priori (sans connaître aucune concentrations) en termes de précision.

Ainsi, il existe plusieurs algorithmes mathématiques pouvant estimer les paramètres de tels modèles pharmacocinétique de population à partir d’un jeu de données et qui sont disponibles dans des logiciels dédiés à l’analyse pharmacocinétique. Une fonction dite de vraisemblance (likelihood en anglais) est calculée pour juger de la performance de cette estimation et doit être maximisée pour améliorer les performances du modèle. Au fur et à mesure des cycles d’estimation, cette fonction de vraisemblance est optimisée pour se stabiliser et stopper l’algorithme (convergence de l’algorithme). Différents modèles peuvent être comparés entre eux en utilisant différentes grandeurs : la fonction objectif (FO) utilisée pour la comparaison de modèles est calculée par :

WX = −2ln (Vraisemblance) Équation 10

Deux valeurs de FO peuvent être comparé statistiquement par le test de comparaisons des vraisemblances (likelihood ratio test, LRT) ayant comme variable de décision Λ dont l’expression est la suivante :

Λ = WX6− WX3 Équation 11

Λ suit approximativement une loi du chi-2 à 1 degré de liberté (si le nombre de paramètres est identique), avec pour valeur seuil Λ ≥ 3.84 pour rejet de l’hypothèse nulle au risque de première espèce de 5% (p < 0.05) et Λ ≥ 6.63 pour un risque de 1%.

Afin de prendre en compte la complexité du modèle et dans un objectif de parcimonie, des critères dits de pénalisation peuvent s’utiliser comme le critère d’Akaike (AIC pour Akaike infromation criterion) ou le Bayesian information criterion (BIC), pouvant être calculés par les formules suivantes :

K!h = −2 ln(Vraisemblance) + 2& Équation 12

"!h = −2 ln(Vraisemblance) + i. & Équation 13

Où & est le nombre de paramètre à estimer d’un modèle donné et i est le nombre d’observations utilisées. Malheureusement, aucun test statistique n’existe pour juger de la différence entre deux modèles.

Afin d’améliorer les capacités prédictives d’un modèle et expliquer une partie de la variabilité inter-individuelle, il peut être ajouté au modèle une ou plusieurs covariables (poids du patient, sexe, estimation de sa fonction rénale, données génétiques…) en la liant mathématiquement à un paramètre pharmacocinétique. L’adjonction d’une covariable dans un modèle peut être testée par la comparaison de modèles via les critères exposés ci-dessus.

Mais le but final de cette incorporation doit être aussi d’expliquer la variabilité d’un paramètre et donc diminuer la part de variabilité inter-individuelle non expliquée par le modèle.

114 Figure 12 : Résumé schématique de la pharmacocinétique de population

(en connaissance d’informations préalables sur la concentration) Slope = 1.19 (95%CI 0.962 to 1.41) Bias = 0.258

2.2.2 Validité du modèle et simulations

Néanmoins, pour son utilisation en pratique courante, le modèle doit justifier de bonnes capacités de prédiction et idéalement d’une validation sur une autre population.

Classiquement, elle passe par comparaison des prédictions et des observations et peuvent se faire à l’échelle populationnelle (a priori) sans prendre en compte les mesures individuelles de concentrations ou à l’échelle individuelle (a posteriori), après estimation bayésienne. Une régression linéaire est alors réalisée avec calcul du biais (erreur systématique dans les prédictions) et de l’imprécision (dispersion de cette erreur).

Pour la validation, plusieurs approches peuvent être effectuées. La validation externe utilise une cohorte de patients différente mais comparable chez laquelle les paramètres PK sont estimés et des profils PK sont prédits et comparés avec la réalité. C’est la méthodologie la plus robuste mais qui n’est pas toujours possible si ne nombre d’individus est faible. Vient ensuite le « data-spliting » ou séparation de données en français. Parmi la population étudiée, une partie est utilisée comme population d’apprentissage et une autre pour validation (en général un ratio 2/3 ; 1/3). Enfin, la validation interne utilise une population virtuelle dont les caractéristiques sont tirées au sort aléatoirement, sur la base du modèle construit, et dont on comparera les observations simulées avec les vraies observations. Ces dernières doivent être distribuées de façon homogène par rapport aux simulations, cette représentation est appelée un VPC pour visual predictive check, les normalized predictions distribution errors (NPDE) développés par Comets et al. (203) utilisent ce principe mais avec une distribution normalisée et dé-corrélées des erreurs de prédiction.

La validité étant acquise, le modèle peut être utilisé pour des extrapolations. Par exemple, il est possible d’effectuer des simulations pour des valeurs données de doses et/ou de covariables pour en tirer une probabilité d’atteinte ou non une cible. On utilise généralement la méthode de Monte Carlo qui génère des valeurs aléatoires de paramètres et de covariables suivant leur propre loi de distribution pour produire un nombre important mais fini de profils pharmacocinétiques (> 500). Lorsque la pharmacocinétique et sa relation avec la pharmacodynamie est connue, il est de ce fait possible de tester différents schémas posologiques de manière à optimiser l’atteinte de la cible PK/PD.

2.3 Apports de la pharmacocinétique de population : focus sur la tobramycine