• Aucun résultat trouvé

II. L’ARN interférence

II.6. Applications thérapeutiques

L’ARNi s’est révélé être une innovation importante en médecine moléculaire moderne, au point que le magazine Science la déclare “découverte scientifique de l’année” en 2002 (Couzin, 2002). En effet, l’ARNi est un mécanisme physiologique qui peut être exploité pour le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques. Contrairement aux stratégies antisens ou triple hélice, qui nécessitent des concentrations importantes, les siARN requièrent peu de molécules pour activer l’ARNi, évitant ainsi de déclencher des effets secondaires. En outre, l’un des avantages majeurs de l’ARNi est sa très haute spécificité. L’introduction d’une seule mutation au sein du siARN abolit l’effet d’extinction post-transcriptionnelle (Martinez et al., 2002b; Miller et al., 2003; Dykxhoorn et al., 2006;

Schwarz et al., 2006). Cette spécificité importante ouvre la voie à l’utilisation de la technologie ARNi pour éteindre spécifiquement l’expression d’allèles portant une mutation, une insertion ou une délétion. De ce fait, les applications médicales de l’ARNi sont considérables. Elles peuvent concerner les pathologies causées par des allèles dominants portant des mutations comme le cancer (Gartel and Kandel, 2006) ou les maladies neurodégénératives (Davidson and Paulson, 2004; Miller et al., 2005c; Thakker et al., 2006), mais également pour combattre les infections virales (Lecellier and Voinnet, 2004; Ketzinel-Gilad et al., 2006).

Plusieurs travaux ont démontré les applications possibles de l’ARNi dans des modèles cellulaires et animaux. Un siARN dirigé contre l’allèle mutant de la protéine suppresseur de tumeur p53 s’est révélé efficace in vitro pour inhiber l’allèle mutant sans affecter l’allèle p53 sauvage, permettant ainsi la restauration du phénotype anti-oncogène de la protéine p53 sauvage (Martinez et al., 2002b). Cette stratégie peut donc constituer un outil thérapeutique intéressant pour guérir les pathologies associées aux mutations de p53 comme le syndrome de Li-Fraumeni. L’ARNi s’est également révélé efficace pour inhiber l’expression de protéines oncogènes issues d’une translocation chromosomique, qui sont à l’origine de nombreux cancers hématopoïétiques. Dans ce cas, le siARN a été conçu pour cibler la jonction entre les deux messagers (Wilda et al., 2002). Cette approche a permis de supprimer la cytotoxicité causée par la surexpression du récepteur aux androgènes comprenant des répétitions d’acides aminés glutamine, modèle de l’atrophie musculaire spinobulbaire (SBMA) (Caplen et al., 2002).

En ce qui concerne le SNC, malgré le nombre important d’études documentant la capacité des siARN à réduire l’expression d’un gène dans des cultures de neurones (Krichevsky and Kosik, 2002; Higuchi et al., 2003; Leucht et al., 2003; Bhattacharya et al., 2004; Vasko et al., 2005; Jeske et al., 2006) et dans les cellules gliales (Nicchia et al., 2003; Gan et al., 2004; Zhang et al., 2004; Lee et al., 2005; Rozovsky et al., 2005; Takenaga and Kozlova, 2006), deux problèmes majeurs se posent : 1) la présence de la barrière hématoencéphalique restreint l’entrée des siARN à partir de la circulation périphérique, ce qui rend inefficace toute approche systémique pour inhiber un gène dans le cerveau et 2) la variété cellulaire considérable du SNC rend difficile une inhibition spécifique dans un seul

type de cellule. Par conséquent, il est nécessaire d’exprimer les siARN localement et spécifiquement dans les structures cérébrales atteintes. De plus, au niveau cellulaire, il est important de maîtriser le type cellulaire ciblé afin d’éviter tout effet non désiré. Pour répondre à ces contraintes, l’utilisation des vecteurs viraux représente un moyen pour permettre l’application de l’ARNi en thérapeutique humaine. De nombreuses études ont montré l’utilisation de vecteurs viraux pour l’expression de shARN dans le système nerveux central. La preuve de principe a été apportée pour la première fois en 2002 par l’équipe de Beverly Davidson qui a montré que l’injection d’un vecteur adénoviral codant un siARN dirigé contre l’eGFP pouvait éteindre l’expression de ce gène dans le striatum de souris transgéniques le surexprimant (Xia et al., 2002). Un an plus tard, Chris Van den-Haute et collaborateurs ont montré l’efficacité des vecteurs lentiviraux dans ce type d’approches (Van den Haute et al., 2003). L’injection d’un vecteur codant un siARN dirigée contre l’eGFP dans le striatum de souris, suivie une semaine après de l’injection d’un vecteur lentiviral codant la protéine, a conduit à une inhibition de l’expression de celle-ci de plus de 75%. Cette inhibition s’est maintenue six mois après transduction, démontrant ainsi l’efficacité d’un vecteur lentiviral pour une expression à long terme d’un shARN (Van den Haute et al., 2003).

Les vecteurs viraux se sont révélés efficaces pour déclencher l’ARNi dans différents modèles murins de pathologies. En particulier cette stratégie a été utilisée dans un modèle murin (modèle G93A) de la Sclérose Latérale Amyotrophique (SLA). La SLA familiale est une maladie neurodégénérative caractérisée par la mort des motoneurones dans le cerveau et la moelle épinière, résultant de la mutation (G93A) du gène de la SOD1 (Cu/Zn Superoxide dismutase 1). L’injection dans la moelle d’un vecteur lentiviral exprimant un shARN dirigé contre la SOD1 dans ce modèle, a permis de retarder l’apparition de la maladie, ainsi que la réduction de l’atrophie musculaire (Raoul et al., 2005). Des résultats similaires ont été obtenus après injection intramusculaire d’un vecteur EIAV (Ralph et al., 2005) ou d’un AAV (Miller et al., 2005b) dans le même modèle. D’autres preuves expérimentales de la capacité des vecteurs viraux à exprimer un shARN dans des pathologies du système nerveux central ont été apportées. Ainsi, des vecteurs recombinants AAV ont été utilisés pour traiter par ARNi des modèles murins de maladies par expansion de polyglutamine, telles que la maladie de Huntington (Harper et al., 2005) ou l’ataxie spinocérébelleuse de type 1 (SCA1, spinocerebellar ataxia type 1) (Xia et al., 2004). Des

vecteurs lentiviraux exprimant des shARN ont également été utilisés dans des modèles de maladie d’Alzheimer (Singer et al., 2005) et de Parkinson (Sapru et al., 2006).