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Christophe travaille chez Airbus à Toulouse. Amputé de la jambe, il a lancé récemment le projet Print my leg.

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> Ce que je vais commencer par vous demander, c'est de me raconter un peu votre histoire personnelle, et puis les raisons qui vous ont guidées vers les projets dans lesquels vous êtes impliqué actuellement.

Ok. Bah moi je suis amputé d'une jambe, donc j'ai été amputé à l'âge de 13 ans. Donc j'ai très bien vécu mon handicap. Alors moi j'aime pas utiliser "handicap", parce que la définition du mot elle est pas forcément adéquat quoi. Donc j'utilise plutôt le mot différence, voilà. Donc j'ai une jambe en moins, je l'ai toujours très bien vécu parce que ça m'a jamais empêché de faire tout ce que je souhaitais dans ma vie hein, je fais beaucoup de sport, je fais du windsurf, du kite surf, du snowboard, du VTT, je joue au tennis, etc. Donc personnellement, je ne me sens pas handicapé. Alors j'ai pas de problème particulier avec le mot handicap mais disons que ce que j'ai remarqué, c'est qu'on est plus handicapé dans le regard des autres, des gens qui voient le handicap. Ou quand on annonce qu'on a perdu une jambe, on dirait que c'est un malheur incroyable, mais finalement quand on regarde ce qu'on peut faire grâce aux technologies -moi j'ai une lame en carbone qui me permet de courir. J'ai pas de douleurs particulières la plupart du temps, je dis pas que ça arrive pas mais la plupart du temps je suis pas embêté. Du coup, le handicap, il est surtout souvent psychologique. Je parle de mon cas personnel hein, je veux pas généraliser parce qu'il y a certainement des personnes qui souffrent ou qui ne sont pas bien équipées, et qui ont certainement pas le même discours que moi. Mais pour ma part, j'ai jamais considéré mon handicap comme une frein quoi, ou une limite quoi. Mais cependant, j'ai remarqué que le regard des autres était assez

négatif, alors suivant ce que je fais. Suivant ce que je fais... si je suis sur ma planche

à voile, les gens vont venir me voir en me disant "Wahou c'est génial ce que tu fais, et tout, franchement chapeau, bravo" : c'est plutôt de l'admiration. Mais si je me balade simplement dans la rue en short, ou si je bois tranquillement un café à une terrasse, là je peux sentir des regards soit de gêne, soit de pitié quoi. Donc ça, ça peut être problématique pour... Moi j'ai dépassé ça hein, je l'ai eu très jeune quoi. Mais en discutant avec d'autres personnes amputées... Alors y a des gens qui sont comme moi, que ça gêne pas du tout, mais d'autres ont une "honte", alors je sais pas si le mot est pas un peu fort mais, ils ont honte de montrer leur différence. Donc là on va dire que c'est plutôt de l'ordre du psychologique qu'on a un handicap. Alors si on prend les - alors là je vais parler de mon projet- si on prend les prothèses qui sont faites par les prothésistes, en terme fonctionnel, c'est nickel. Là, toujours pareil, je parle pour moi : ça me convient parfaitement, parce que comme je l'ai dit, je peux faire tout ce que je souhaite, en termes d'activités. Mais par contre sur le plan esthétique, ce qu'ils proposent en fait, c'est des ... c'est essayer de cacher la prothèse.

Alors ça va être soit en faisant une espèce de coque qui va donner l'impression qu'on a une jambe en plastique : alors là les enfants, c'est les meilleurs pour dire la vérité quoi [rire]. Donc quand on se balade, c'est "oh maman regarde, le monsieur il a une jambe en plastique !". Ce qui est pas faux quoi [rire]. Du coup les parents sont gênés : "chut, tais-toi". Voilà. Donc ça, moi bon, je m'en fiche. Mais je sais que chez certains c'est problématique. Ça ou alors on a une espèce de collant avec une mousse en dessous, parce que l'équipement, la prothèse a besoin d'une certaine dynamique, comme ce que j'ai moi. Et on a une espèce de collant couleur chair, toujours pareil, qui essaye de cacher... Mais bon on voit... c'est moche quoi. Du coup moi je me balade sans esthétique, c'est à dire que j'ai ma lame en carbone apparente. Et là, on voit bien que j'essaye pas de cacher mon handicap, ma prothèse, mais effectivement ça fait un peu bizarre. Donc il y a des réactions qui peuvent être soit de la pitié, soit de la gêne, soit je vais pas mentir, y a des gens qui sont complètement indifférents. Donc un jour je suis tombé sur une conférence TED, qui parlait d'un gars qui faisait des esthétiques de prothèses à base d'impression 3D. Il montrait des exemples de ce qu'il faisait. Alors faut regarder Bespoke innovations. Ils ont... quand on tape Bespoke innovations, on voit un peu tout ce qu'ils font. Alors je me suis dit, ça c'est génial ça. C'est typiquement le truc qui me plaît bien. C'est transformer un petit peu le côté négatif de la prothèse en quelque chose de cool quoi, de fashion, quelque chose qui sorte de l'ordinaire, et qui peut même permettre d'exprimer sa personnalité, comme un tatouage ou.. ce qu'on veut quoi. C'est utiliser la prothèse comme un moyen d'être un accessoire de mode on va dire. Moi je prend l'exemple des lunettes de vue, on utilise des lunettes de vue pour corriger sa vue en premier (bien il parait qu'il y a des gens qui mettent des lunettes de vue pour paraître plus intelligents [rire]), mais normalement c'est fait pour corriger la vue ! Mais on s'en sert aussi comme des objets, des accessoires de mode. Donc voilà je me dis : pourquoi pas pour les prothèses ? Donc sauf que Bespoke innovations c'est super, moi je me suis dis "purée super, pourquoi pas me faire une jambe comme ça ?". Sauf que à l'époque, quand j'ai regardé ça, ça coûtait entre 4000 et 6000$. Donc autant dire que.... Pour une esthétique qui va durer le temps de la prothèse... parce que je pense qu'elle est adaptée à la prothèse, si on change de prothèse, on va devoir changer d'esthétique pour s'adapter à la nouvelle prothèse. Peut-être que oui, peut-être que non, mais il y a des chances qu'on soit obligé de se faire refaire une esthétique. Donc autant dire que j'ai abandonné l'idée de m'acheter une esthétique comme ça.Mais bon, je me suis renseigné sur ce qu'ils faisaient, et ils faisaient ça en impression 3D. Donc je me suis dit : pourquoi pas moi aussi faire ça ? Du coup, je me suis un petit peu renseigné : logiciels 3D, impression 3D, blablabla. Sauf que c'est pas si évident que ça, de partir de zéro, et se faire soi- même son esthétique. Donc j'ai un peu abandonné l'idée pendant un certain temps, mais je l'avais toujours dans un coin de ma tête. Et un jour, j'ai découvert les fablabs, donc moi je suis à Toulouse, donc le fablab de Toulouse. J'ai commencé à regarder un peu ce qu'ils faisaient etc, mais toujours pareil, ça paraissait un peu compliqué techniquement de faire ça. Puis j'ai rencontré un designer du fablab qui a été intéressé par mon projet, on a commencé à dessiner des choses, et à faire des choses en 3D. Pour l'aspect extérieur on va dire. Et on s'est rendus compte qu'on avait besoin d'autres compétences parce que sur le point de vue mécanique, on n'était pas suffisamment compétents pour faire quelque chose qui vienne se fixer à la prothèse. Faut m'arrêter hein si je...

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>> Non non c'est parfait allez-y...

Donc moi je travaille chez Airbus, du coup je me suis dit, chez Airbus on est capable de faire des avions... je pense que je vais pouvoir trouver les compétences pour travailler sur une esthétique de jambe quoi. Donc je suis allé voir les gens de la diversité et du handicap, les services ressources humaines, et je leur ai parlé de mon projet, en leur disant que je cherchais des compétences pour m'aider à mener à bien ce projet quoi. Et donc ils ont été emballés, donc j'ai eu un petit peu leur soutien officiel d'Airbus, et je me suis mis à chercher des gens et des compétences dans Airbus quoi. Donc j'ai réuni une petite équipe, qui a grossi puis qui s'est réduite là ces derniers temps, parce que les gens ne trouvent pas forcément le temps de participer au projet. Mais voilà, là on a ... j'utilise exclusivement les moyens d’Airbus pour fabriquer mes prototypes, donc impression 3D... En fait Airbus faut savoir qu'ils ont un espèce de fablab, en interne, donc c'est le même fonctionnement qu'un fablab pour faire des prototypes quoi, et du coup ils m'aident à fabriquer le prototype de ma prothèse. Alors au début, ce... au tout début quand j'ai pensé à ce projet, je me suis dit "tiens, ça pourrait être..." vu que ça se fait pas trop, enfin à l'époque ça se faisait pas trop, je m'étais dit "ça pourrait être une activité professionnelle de pouvoir éventuellement vendre des esthétiques des prothèses". Le problème, c'est qu'à chaque fois que je réfléchissais à comment gagner de l'argent ou ... réfléchir au business case et tout ça, je perdais fortement en motivation. Donc quand j'ai repris le truc, avec le designer, j'avais aucune velléité de gagner de l'argent, je voulais le faire pour moi. Je me suis dit : "je vais me faire mon esthétique de prothèse", et après quand je me suis rendu compte de la complexité du truc, je me suis dit : "mais je m'embête à faire tout ce système, pourquoi pas le partager ?". Et c'est là que j'ai rencontré My Human Kit. C'est quelqu'un du fablab qui m'a dit "si tu veux partager tes trucs comme ça y a Nicolas Huchet, il a monté une association, je suis sur que ça les intéresserait pour que tu travailles avec eux pour ce type de projet." Ce que j'ai fait, je les ai contactés, et mon projet a intégré My Human Kit, les divers projets de My Human Kit. Donc ce que je trouve intéressant c'est ça, c'est le fait de créer de manière totalement bénévole un projet et le partager pour que ça permette aux gens d'accéder à quelque chose, s'ils se le fabriquent eux-mêmes, c'est à dire qu'il faudra qu'ils investissent du temps là dedans, qu'ils se fabriquent eux-mêmes leur prototype de prothèse, d’esthétique quoi. Donc voilà. Et deuxième avantage de ça, c'est que, comme c'est à but non lucratif, les gens sont plus- j'ai l'impression hein- qu'ils sont plus disposés à aider, à développer le projet. Voilà. Donc à peu près, voilà comment est né le projet, qu'est-ce qui... enfin comment on est organisés. On travaille dans une petite équipe où chacun a une partie quoi, je profite des dispositifs, des équipements d'Airbus pour travailler. Alors au début j'étais au fablab mais la personne qui travaillait avec moi est en train de perdre son job, il travaillait au fablab quoi. Il est en train de perdre son job donc je pense qu'il... là il est plus occupé à essayer de trouver des solutions plutôt que de travailler bénévolement (ce que je comprend totalement). Du coup, maintenant je travaille exclusivement avec des gens d'Airbus. Et voilà, donc je travaille avec des gens qui sont à Hambourg aussi, des gens qui sont à Toulouse, des gens de Getafe en Espagne qui m'ont contacté parce qu'ils sont intéressés par le projet. Donc voilà, c'est assez international, c'est hyper enrichissant

pour moi, je rencontre plein de gens, je fais pas mal de nouvelles expériences on va dire, je réponds à des interviews, je fais des présentations devant une centaine de personnes etc. C'est hyper intéressant, à titre personnel aussi, d'être motivé par un projet qui a du sens pour soi-même. Et pour des gens qui sont dans la même situation que moi.

>> Qu'est-ce qui justifie l'intérêt - vous me dites que vous êtes de plus en plus contacté, que vous avez des interventions à faire devant des gens, qu'est-ce qui justifie l'intérêt porté à ce genre de projets ?

Moi je pense ... Ce genre de projets en fait il permet à des gens de faire du bénévolat dans leur domaine de compétences. Il y a plein de gens en fait qui ont un boulot qui leur plaît vraiment, mais qui n'ont pas forcément du sens. Et le fait de travailler sur.. avec ses compétences dans son domaine de compétences sur quelque chose qui a un sens humain qui se rapporte à ... là je suis le client final du produit qu'on est en train de développer, et il y aura plein d'autres personnes qui bénéficieront de ça, donc y a des gens qui trouvent du sens à ça, comme sur les autres projets de My Human Kit... qui trouvent du sens... Alors y a une personne là qui a fait une présentation avec moi sur un autre projet de My Human Kit qui fait ça parce que sa mère est en train de perdre la vue. Il travaille sur le gant sonar, et sa mère est en train de perdre la vue et du coup il veut travailler sur ça pour que ça permette à sa mère d'être plus autonome. Donc voilà, il y a plusieurs personnes qui ont des raisons totalement différentes, d'autres parce qu'ils sont intéressés, parce que c'est un projet, pour le mien, on va dire artistique, qui sort des sentiers battus, ou voilà... Mais en tout cas ça permet d'utiliser... parce que souvent, faire du bénévolat, on va faire du bénévolat dans quelque chose qui n'est pas forcément dans nos compétences. Et là, ça permet d'allier bonne action... alors ça permet plein de choses, ça permet aussi d'élargir son réseau, y a des personnes qui se rencontrent en venant travailler sur le projet, qui viennent de milieux complètement différentes, et qui finalement dans leur travail se rendent compte qu'ils peuvent collaborer... On peut trouver un tas d'intérêts, ça dépend des gens mais voilà. Le sens, c'est vraiment le côté humain du projet, je pense qui joue un rôle important dans l'intérêt que portent les gens sur le projet.

>> Qu'est-ce que vous avez appris vous personnellement depuis que vous avez lancé ce projet ? (en termes de compétences, ou ce que vous avez appris sur vous-même ?)

Alors.... Moi j'ai appris à faire de la comm. [rire] Alors je suis pas encore un as, mais ça me permet de ... de faire voilà, dans mon boulot, j'étais pas trop amené à faire des présentations en public (ça c'est point de vue technique on va dire). Donc là bah depuis, je fais pas mal de présentations, du coup ça m'est utile à ce niveau là. Je me suis mis à faire de la 3D, pour être un peu plus autonome sur les designs. Après je... j'étais très surpris, je pensais que j'allais galérer pour trouver des gens qui collaborent sur le projet. Et en fait quasiment toutes les personnes à qui je demande un coup de main sont prêtes à m'aider. Donc ça c'est une très bonne surprise. On se rend compte que... Après c'est peut-être, je sais pas si c'est dans ce milieu particulier qu'est Airbus, ou les fablabs, mais en tout cas j'étais surpris, très

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agréablement par ce ... par le fait que les gens sont altruistes. Après... ça me permet de faire des rencontres, alors que ce soit dans d'autres domaines qu'Airbus, là je travaille par exemple avec les gens qui font le design de la cabine à Hambourg pour les Airbus, donc ça c'est des gens que j'aurais jamais rencontrés si j'avais pas fait ce projet. Euh.... du coup voilà, ouais c'est... on va dire sur le plan personnel c'est ça, ouais, ça m'apporte du sens, ça c'est non négligeable quoi. C'est quelque chose dont je suis... je suis heureux de faire ça quoi.

>> Ça vous apporte quelque chose dans... bon je vais garder le mot handicap, parce que c'est celui que j'utilise mais effectivement on pourra revenir dessus, mais est-ce que du coup par rapport à votre situation de handicap...

Alors pour l'instant, comme j'ai pas sorti le prototype, je peux pas encore voir les effets. Donc aujourd'hui, c'est un peu ... bah je peux pas dire que ça m'aide dans mon handicap. Ça me permet de communiquer dessus, je rencontre d'autres personnes qui ont ... ou j'ai des questions de personnes qui ont le même ... le même type de handicap que moi quoi, donc c'est intéressant à ce niveau là quoi, de pouvoir partager. Parce que moi je le vis ... une des choses que je voulais faire c'était pouvoir faire du témoignage auprès de personnes amputées, qui vivent très mal leur situation. Et grâce au projet, j'ai croisé d'autres personnes, et j'ai pu discuter un petit peu de ... de tout ça quoi, et du fait que c'est pas... c'est pas insurmontable. Bien loin de là quoi. Oui pour ça, ça m'a aidé. Mais c'est moins d'un point de vue... c'est indirectement lié à mon handicap. Mais quand j'aurais le premier proto, je pourrais dire ... et qu'on sera en été puisque je me mettrai en short [rire], je pourrai plus parler du regard des autres.

>> Et qu'est-ce que vous espérez du coup, qu'est-ce que vous attendez ? Moi ce que j'espère, c'est que certaines personnes qui n'osaient pas se mettre en short par exemple puissent le faire et pensent à ça, en se disant "c'est cool, maintenant j'ai pas honte de montrer quelque chose ou je veux pas le cacher, je veux le montrer". C'est plus dans ce sens là. Moi d'un point de vue personnel, bah... j'ai pas une attente ... c'est pas hyper important pour moi. C'est à dire que moi je le vis bien, même si les gens ils sont ... comment dire... ils ont de la pitié ou quoi, ça me passe au dessus, je m'en fiche, donc ça va pas changer ma vie personnellement. Parce que je serai fier de montrer ma jambe, puisque j'aurais créé le truc et je suis sur que le regard changera en fait, ce sera plus du ... comment dire... les gens seront plus curieux on va dire. J'imagine que les gens seront plus curieux si on arrive à faire un design cool quoi, ils seront plus curieux plutôt que gênés. Parce que justement ça montre si on porte une prothèse comme ça, ça montre que ce n'est pas