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3 Analyse des résultats à l’aide des notions de valeurs, règles, objectifs, modèles, données

Au cours de notre expérimentation, nous avons observé l’expression des conflits et des manques dus à l’impact du transfert de technologie, susceptible d’être à l’origine des blocages apparaissant lors de l’analyse des risques. Nous les analyserons en suivant le déroulement de la mise en place de l’analyse des risques telle que nous l’avons réalisée. Nous allons donc scinder cette analyse en cinq modules :

Le module d’initiation de la méthode, Le module de définition des objectifs,

Le module de mise en œuvre de l’analyse des risques,

Le module de pérennisation des conclusions de l’analyse des risques, Le module d’obtention et de pérennisation des résultats en matière de prévention.

Chaque point, chaque module, va faire apparaître une ou plusieurs notions développées par Kervern sur lesquelles il sera possible de travailler par le biais de propositions.

3.1 Initiation de la méthode : un conflit de valeurs

La prise de décision conduisant à la mise en place d’une analyse des risques dans une entreprise résulte, dans la plupart des cas, de l’application de règles, imposées à l’entreprise par les institutions (Annexe 01’), cas de l’entreprise COTITEX.

Ces règles sont la traduction de valeurs dont nous avons vu qu’elles pouvaient entrer en conflit avec les valeurs de l’entreprise. Le principe même de l’imposition d’une règle est perçu par de nombreux chefs d’entreprise comme une entrave à leur activité et à leur

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liberté d’entreprendre. Ce conflit de valeurs est sans doute la première cause du manque de motivation des entreprises pour l’analyse des risques.

Pour qu’une règle soit efficacement traduite dans le fonctionnement de l’entreprise, elle doit être appliquée avec suffisamment de motivation et être intégrée comme une valeur de l’entreprise (voir Figure IV.II.2).

Au delà donc de la mise en œuvre de l’analyse, c’est aussi son efficacité qui est mise en cause.

Figure V.2 Schématisation du processus conduisant à la motivation de l’entreprise pour l’application de règles

Naturellement, les conséquences de ce manque de motivation sur la décision de mettre en place une analyse des risques n’ont pas pu être observées au cours de notre expérimentation ; l’entreprise ayant été sélectionnée par nos partenaires en raison de leur acceptation de l’analyse.

En revanche, le manque de motivation de l’entreprise a été observé tout au long de l’expérience. Il s’est manifesté notamment par le manque de stabilité du groupe de travail (quand ce manque de stabilité n’était pas dû au besoin ponctuel de compétences) (voir Tableau IV.I.9 : synthèse des résultats de l’étape 1, Chapitre Quatre IV, 1ère Partie). A ce conflit implicite de valeurs viennent se greffer des difficultés dues à des manques de modèles de représentation des risques dans l’entreprise. L’entreprise ne connaît ou n’intègre pas naturellement le modèle employé couramment par les institutions qui veut qu’une ou des conséquences soient l’expression d’une ou plusieurs causes.

Cela s’observe, dans notre expérimentation par le fait que le modèle MADS n’est pas immédiatement compris par l’entreprise. Ceci est à rapprocher du fait que par exemple

Traduction Valeurs de l’entreprise Règles internes Motivation de l’entreprise Valeurs de la société Règles externes Pas de motivation de l’entreprise Pas d’analyse des risques intégrée par l’entreprise Traduction Application Non Application Intégration nécessaire

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l’entreprise COTITEX n’analyse par formellement ces accidents et ne connais pas le modèle de l’arbre des causes pour l’analyse des accidents a posteriori.

Si dans l’entreprise, on n’a pas conscience du modèle (présent dans la plupart des méthodes d’analyse des risques) qui sous-entend qu’il est possible d’entreprendre des actions sur les causes pouvant avoir des répercutions bénéfiques sur les conséquences, l’entreprise ne comprendra jamais vraiment dans quel processus s’intègre l’analyse des risques.

Le deuxième modèle manquant à l’entreprise, qui est implicite pour les institutions, même s’il n’a pas encore été démontré de manière formelle [144], est dans le modèle qui considère que les accidents engendrent des pertes dans l’entreprise et dans la société (pertes humaines, de l’entreprise, et surtout que la maîtrise des risques permet de les réduire considérablement. Ce modèle pourtant déjà repris par d’importants cabinets de conseil [145] n’est pas intégré par l’entreprise, elle ne crée pas de règles s’y rapportant. Pour conclure, nous pouvons dire que si les valeurs de l’entreprise ont intégré les valeurs de la société, ou si la pression des institutions est telle que l’entreprise est dans l’obligation absolue de respecter les règles des institutions (sans forcément les intégrer), l’entreprise franchit l’étape dite d’initiation de l’analyse des risques.

3.2 Définition des objectifs : interaction des valeurs et des modèles

Les règles et les valeurs de l’entreprise (et des institutions) vont en partie déterminer ses objectifs. Ceux-ci conduisent à l’analyse des risques en vue de protéger une ou plusieurs cibles potentielles du danger (l’homme, mais aussi l’environnement ou les installations). Une fois les objectifs à prendre en compte fixés, vient alors l’étape du choix de la méthode. Cette méthode ne va pas seulement imposer un modèle de représentation du processus d’apparition d’un accident mais elle va aussi avoir une influence notable sur la réalité ou non des objectifs.

Les objectifs définissent les cibles à protéger, et à partir de quel niveau de risque et comment il faut les protéger.

La méthode MOSAR est bâtie autour des concepts de la sûreté de fonctionnement qui définissent le risque en fonction de sa gravité et de la probabilité des accidents potentiels, par conséquent cette méthode est bien adaptée.

Le modèle probabiliste sur lequel repose la méthode MOSAR n’est pas celui adopté par la réglementation dans laquelle la notion de risque n’est d’ailleurs pas définie de manière très rigoureuse. Par ailleurs ce modèle était jusqu’alors inconnu dans notre entreprise test ; il ne faisait pas partie de sa culture.

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Nous sommes confrontés à une étape où il est nécessaire d’utiliser un modèle de risque pour permettre la mise en œuvre d’une analyse alors qu’aucun des acteurs principaux de l’analyse ne connaît ce modèle. Cette absence de connaissance du modèle est visible dans la phase expérimentale lors de l’étape d’évaluation des risques : l’entreprise a besoin d’un exemple pour comprendre les indicateurs de gravité et de probabilité, et a besoin de construire les échelles d’évaluation avant l’évaluation elle-même pour mieux visualiser ces indicateurs (voir Tableau IV.I.17). Au niveau des institutions, cette non utilisation du modèle est apparente dans l’article L 230-2 du code du travail dans lequel on impose l’évaluation des risques sans toutefois proposer d’indicateurs pour cette évaluation. Ceci est en revanche moins vrai pour les lois et règlements concernant les installations classées au titre de la protection de l’environnement (ICPE) [146] qui font intervenir la notion d’occurrence [147] mais surtout la gravité [148,149].

Les difficultés ne se limitent pas à l’intégration par les acteurs des notions de gravité et de probabilité. Ce modèle introduit aussi implicitement une notion d’acceptabilité pour la détermination des objectifs de prévention à atteindre. Dans la méthode MOSAR, l’étape de détermination des objectifs de cette limite est explicitée sans que les acteurs devant prendre part à sa détermination soient définis précisément. Pour que le processus de la mise en place de l’analyse des risques dans une entreprise ne soit pas interrompu, il est indispensable que l’entreprise participe à cette détermination. Pour que les institutions se satisfassent également des résultats de l’analyse, il est également indispensable qu’elles prennent part à cette fixation ce qui n’est en général pas le cas. Ce travail, idéalement conjoint, peut être l’occasion de voir se manifester à nouveau les conflits de valeurs mais aussi les difficultés liées à la compréhension du modèle par les deux acteurs.

Dans notre expérimentation, seule l’entreprise (acteur) participait à cette définition, ce qui n’a, naturellement, pas entraîné de conflit lors de la négociation (étape 4 de MOSAR). Cependant les institutions risquent de ne pas être satisfaites du résultat de l’analyse des risques lorsqu’elles en auront eu connaissance.