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CHAPITRE IV Contexte historique et situation actuelle de l’enseignement du FLE et de la littérature française en Chine

A. OBSERVATION GÉNÉRALE Séquence observée

2. Analyse des paramètres d’entretiens

Nous avons parlé dans le point 1.3.2 du chapitre V de la méthode et la fonction de nos entretiens durant les observations en classes. Nos trois entretiens se sont effectués le 06/11/2013 auprès de Madame CHE Lin, le 12/11/2013 pour Madame WEI Keling et le 03/06/2014 avec Madame ZHANG Yingxuan 81 . Sous forme de « questionnaires oraux », nous proposons une interview à la fois « dirigée » et

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« ouverte » (De Ketele et Roegiers, 2009 : 14) pour faire émerger nos hypothèses sur l’enseignement du français et de la littérature française en classe de FLE en Chine. Cette discussion avec les enseignantes après leur intervention nous permet d’examiner plus précisément les intentions et les comportements des enseignantes. Elle complète aussi nos analyses des observations en classe au niveau du choix des textes, la création du manuel, la méthode d’enseignement et la question de culture.

2.1 Critères de choix des textes

L’analyse des critères de choix pour les textes et les écrivains en classe de FLE est une question importante permettant de voir les objectifs et les méthodes que l’enseignant conçoit pour son public étranger. Dans le point 2.2.2 du chapitre IV, nous avons évoqué cette question dans sa généralité en regardant les critères de choix des textes et des écrivains dans les manuels de littérature pour le public chinois de FLE. Il nous semble intéressant de nous appuyer sur une situation concrète pour examiner cette question.

Les trois enseignantes développent beaucoup sur la question des critères de choix lors de l’entretien. Nous remarquons qu’elles ont toutes les trois mentionné l’aspect « représentatif » et ont quasiment toutes placé ce critère en première place :

P-Che je pense que c’est un texte qui représente + un texte très représentatif de la pensée de Montaigne

P-Wei c’est important de choisir quels sont les plus importants + les plus essentiels mais qui couvrent aussi la diversité

[...]

je pense pas que j’ai trop de liberté là-dessus + sur la communauté comme ça bon je vais prendre les plus réputés + les plus importants + c’est vraiment le critère général

P-Zhang les auteurs et leurs œuvres sont représentatifs d’abord

Les enseignantes choisissent le terme « représentatif » ou les expressions similaires comme « les plus importants » ou « les plus essentiels » pour décrire ce critère. Mais que signifie exactement un écrivain ou un texte « représentatif » et « important » ?

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Pour Madame Che, le choix du texte doit symboliser la pensée de cet écrivain, comme Les essais et Montaigne ; tandis que pour Madame Wei, le texte représentatif joue un rôle très important dans le courant du siècle :

P-Wei je pense que le plus important est qu’en général les plus importants les plus représentatifs de la littérature de ce courant de ce siècle

Mme Zhang a choisi d’expliciter d’avantage cette question sur le « représentatif » :

P-Zhang euh représentatif c’est-à-dire que ces auteurs ont déjà laissé une trace très importante dans l’histoire euh littéraire de la France + c’est déjà mentionné dans le manuel littéraire de euh en France c’est-à-dire selon les manuels euh FRANÇAIS de la littérature + c’est déjà mentionné c’est pas MOI-même qui a(i) euh comment dit-on qui a(i) la liberté de choisir c’est déjà choisi par les Français

« Représentatif » se réfère donc à un classement « officiel » dans les manuels de littérature mais édités en France pour les élèves en Français Langue Maternelle. Cela revient donc à notre analyse dans le chapitre IV sur la question de représentatif dans les manuels de littérature de FLE en Chine. D’une part, la prise en compte des œuvres les plus réputées et les plus lues implique davantage le rôle de « lecteur » ; d’autre part, le fait que les enseignantes s’obligent à prendre les textes issus des ouvrages de FLM montre le statut de « suprématie » des manuels de FLM, car l’enseignement de la littérature française en Chine est probablement dépourvu de manuels destinés aux étudiants chinois en FLE. Nous développerons ce point dans la discussion suivante sur l’utilisation du manuel dans les classes observées.

Le deuxième critère est le niveau de langue. Toutes les enseignantes ont souligné l’importance du niveau de langue dans leur choix de textes.

P-Che HUM + il faut aussi qu’on compte des difficultés de la langue + je choisis les moins difficiles

P-Wei Au niveau de langue + c’est-à-dire que si c’est trop difficile + je ne le présente pas aux étudiants + comme leur niveau de langue est pas très très avancé en troisième année

P-Zhang ET :: de l’autre côté il vaut mieux aussi penser à leur niveau de langue c’est pour ça que ces auteurs dans l’ensemble ne sont pas très difficiles à lire pour euh pour ces étudiants je crois de troisième année + mais certainement pour les chercheurs je

172 devrais chercher des comment dit-on des documents plus comment dire plus durs plus difficiles à lire donc c’est la deuxième raison pour laquelle je choisis ces documents et ces auteurs

Dans notre analyse sur le programme pédagogique national pour les étudiants chinois de FLE en Chine, nous avons compris que la compétence linguistique est placée en première place avec les quatre sous-compétences « écouter », « parler », « lire » et « écrire ». Le programme national les classe comme les compétences de « base » qui doivent être travaillées au cours des deux premières années et être approfondies durant les deux dernières années universitaires. Les heures importantes consacrées à l’apprentissage linguistique en première et en deuxième années présentent aussi une place essentielle de la compétence linguistique dans les universités chinoises. Nous voyons vraisemblablement là, l’influence prépondérante de la méthode traditionnelle dans l’enseignement de la littérature française en Chine, mais les discours suivants nous amènent peut-être à une réflexion divergente :

P-Che je pense que le choix d’un texte littéraire peut aussi concerner la vie des étudiants + c’est-à-dire que j’aimerais éveiller ou susciter l’intérêt + leur intérêt à partir d’une question avec un texte littéraire + c’est-à-dire pour eux à partir d’un texte de Montaigne sur l’amitié + pourront peut-être réfléchir un peu sur leur propre culture + leurs euh + leurs amis + leurs propres expériences

P-Wei Au niveau de langue + c’est-à-dire que si c’est trop difficile + je ne le présente pas aux étudiants + comme leur niveau de langue est pas très très avancé en troisième année + et puis euh le contenu est trop dur trop difficile trop loin de leur culture + je pense que je ne vais pas choisir + et puis comme j’ai dit tout à l’heure ces auteurs sont très importants + c’est leur premier cours de littérature + je ne veux pas choisir des auteurs comme ça

Nous remarquons, dans ces deux passages transcrits, le soulignement de l’intérêt du texte et le lien avec la culture des apprenants après l’explication du critère « niveau de langue » par les enseignantes. En effet, les éléments linguistiques sont pris en compte à la première place non seulement parce que les enseignantes souhaitent travailler un texte correspondant à la compétence linguistique des apprenants, mais aussi parce qu’elles se rendent compte de l’éventuelle difficulté culturelle apportée par la langue. Il ne faut pas que le niveau de langue dans le texte crée autant de décalage entre le contexte de l’écrivain et la vie des étudiants. Dans leur sélection des textes, les enseignantes s’attachent à trouver des rapprochements entre écrivains et apprenants, afin d’établir des

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connivences au niveau linguistique et culturel. Cela pourrait évoquer ou susciter l’intérêt chez les apprenants. Nous voyons donc, à travers ces passages, un travail non seulement sur la compétence linguistique proprement dite, mais aussi une prise en compte importante de la culture des apprenants chinois et des éléments interculturels dans l’enseignement de la littérature française en classe de FLE.

2.2 Manuels de littérature

Dans les paragraphes précédents, nous avons mentionné la problématique des manuels de littérature française en Chine. Si les enseignantes choisissent de composer leur propre corpus comme support pédagogique, c’est parce que le panel de manuel de littérature française pour le public FLE en Chine n’est pas très développé.

Notre recherche dans le point 2.2 du chapitre IV présente les lacunes des manuels de littérature en Chine. Ces derniers sont actuellement majoritairement composés de « livres d’histoire littéraire », comme ce que nous confirme l’enseignante Zhang :

P-Zhang on a la la liberté hum et on pensera aussi à RÉDIGER aussi un manuel de littérature française à NOUS-mêmes dans l’avenir

I82 vous pensez que pour l’instant il n’y pas beaucoup de manuels euh :: P-Zhang de littérature française ↑

I oui pour les étudiants chinois

P-Zhang oui oui il y a seulement des des ouvrages entièrement techniques + mais mais en ce qui concerne le manuel il n’y en a pas beaucoup

Cette pénurie de manuels pour les étudiants chinois de FLE pousse les enseignantes à réaliser leur propre création de manuel. Lors des entretiens, elles avouent que les textes sont le fruit de leur recherche, s’appuyant sur différents supports pédagogiques (ouvrages, multimédia...). Néanmoins, cette recherche est inspirée des manuels ou des ouvrages de Français Langue Maternelle édités en France et destinés aux élèves français :

P-Che oui + c’est une méthode propre à NOUS (rires) +++ en fait c’est une méthode que les adolescents français apprennent adoptent dans leur école secondaire + ADOLESCENTS + tamen de zhongxuesheng (leurs adolescents) + tamen zai faguo

174 xuexiao xuede zhongxue yuwen keben (les manuels du français qu’ils utilisent dans leurs écoles secondaires en France)

I shuming shi ↑ (les noms de manuels sont ↑)

P-Che jiushi français (le nom est juste Le français) + yeyou littérature première + seconde (il y a aussi ceux qui s’appellent Littérature première + Littérature

seconde) +++

P-Zhang hum il y a des manuels français de littérature française ou bien il y a des :: des documents euh sur Internet les :: au sujet de l’enseignement littéraire ou bien des documents littéraires ou bien des documents pour les :: Français des Français de passer le BAC hum c’est ça ces documents + c’est peut-être nécessaire même pour les Chinois

I donc c’est un recueil de plusieurs de divers euh :: P-Zhang ah oui un multiple choix

Notre discussion dans le chapitre IV sur le programme national de l’enseignement du français en Chine présente un manque de précision pour la partie « littérature ». Ce vide dans les références chinoises inscite les enseignants chinois à une quête de références dans les ouvrages édités par les chercheurs français en France. Les manuels pour les adolescents français à l’école secondaire ou pour les élèves qui vont passer le baccalauréat en France sont donc considérés comme des références nécessaires et officielles qui pourront compléter les carences du marché chinois.

Mais cette inspiration ne signifie pas un pastiche total de méthodes françaises, car les discours des enseignantes nous ont révélé leur vrai objectif :

P-Che mais je ne vais pas tout prendre donc je prends les textes qui nous paraissent par exemple plus pertinents + et puis je fais une sélection selon les fonctions + puis comment dire des commentaires en chinois + ou bien une traduction en français + ça c’est un travail de préparation

P-Zhang il faut pas faut pas euh comment dire être fidèle il ne faut pas être FIDÈLE à seulement UN manuel + on a la la liberté hum

[...]

de toute façon en même temps les auteurs choisis par les Français sont nombreux parmi lesquels je devrais euh comment dit-on faire un TRI faire un choix hum suivant le niveau de mes étudiants et suivant la RÉCEPTION ah hum de la société chinoise hum

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Nous voyons donc la stratégie des enseignantes dans leur création de manuels. D’une part, elles se réfèrent aux ouvrages de littérature « officiels » en France comme le noyau d’inspiration ; d’autre part, les enseignantes n’oublient pas de tenir compte de l’identité, du contexte et de la culture de leur public chinois. La « suprématie » des références françaises n’est donc pas une hégémonie totale. La prise en compte des éléments interculturels en classe de FLE chinoise y joue un rôle encore plus important.

2.3 Méthodes

Souhaitant comprendre davantage les méthodes et les stratégies enseignantes en cours de littérature de FLE, nous invitons les enseignantes à exprimer leurs difficultés éventuelles dans l’enseignement de la littérature française pour les étudiants universitaires chinois.

Si nous parcourons les trois entretiens, nous trouvons un soulignement omniprésent du manque de « connaissances de base » qui semble une entrave dans l’enseignement et l’apprentissage de la littérature française en FLE :

P-Che il leur manque une bonne base de la connaissance + c’est-à-dire qu’ils ne sont pas bien préparés pour un cours très très spécialisé

I c’est quoi la raison qui entraîne ce manque de connaissance ↑

P-Che hum :: c’est peut-être à cause de leur répertoire insuffisant déjà dans le passé + mais aussi peut-être un manque dans l’enseignement dans les deux premières années

P-Wei P la plupart des étudiants n’ont pas de base + pour comprendre l’ensemble euh

P-Zhang la deuxième difficulté c’est euh la compréhension du texte littéraire + il faut le situer dans le contexte social et politique DE l’époque + il faut connaître l’histoire et la politique hum pour encadrer ce texte cet extrait

Madame Che et Madame Wei ont choisi de décrire cette difficulté comme un manque de connaissance de base. Ceci est ensuite explicité par Madame Zhang : ce manque concerne l’encadrement et la compréhension du contexte social, politique et historique de différentes époques en France et en Europe. Ces connaissances permettent de « comprendre l’ensemble » du texte et de l’écrivain.

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Cette explication revient donc à notre discussion dans les chapitres I et II sur la construction des connivences culturelles. Le décalage entre la culture des apprenants chinois et le contexte social/historique/politique de l’écrivain pourra aboutir à des entraves importantes pour l’appréhension des œuvres littéraires. Cela crée encore plus d’impacts pour un apprenant chinois de la société moderne qui fait sa lecture sur une société européenne n’appartenant pas à son époque. Cet écart sur les horizons spatial et temporel devient la première préoccupation pour les enseignants chinois qui cherchent donc des méthodes pour établir d’éventuelles connivences entre la culture des apprenants et ce monde étranger.

Cette prise en compte de l’identité des apprenants et de l’interculturel dans leur apprentissage est repérable dans l’entretien enseignant. Madame Che a expliqué de manière plus explicite son point de vue sur l’interculturel :

P-Che pour la partie culturelle + c’est plutôt interculturel + en fait j’insiste toujours pour apporter un regard interculturel dans la littérature + parce que moyennement + moyennement + notre langue maternelle et notre culture maternelle pourront peut- être accéder plus facilement une autre culture + une autre littérature ++ je trouve qu’il y a toujours les concordances et les différences dans la littérature et la culture [...]

d’ailleurs c’est pas une simple question de connaissance + je pense que pour les étudiants de langue étrangère + une chose très importante + c’est de euh + comment dire + c’est de euh ++ qui leur euh ++ c’est aussi leur permettre d’acquérir le concept interculturel + c’est-à-dire c’est observer ces phénomènes à l’échelle mondiale + il faut pas avoir toujours ++ trop de euh:: emprisonnement + trop de euh ++ trop de divergence dans mon esprit

I il faut ouvrir l’esprit sur le monde + il ne faut pas fixer sur UNE culture P-Che il faut pas euh + comment dire euh + s’enfermer dans un seul système

Pour l’enseignante chinoise, elle ne souhaite pas que les apprenants s’enferment dans leur esprit et leur culture. Malgré les possibles différences entre l’univers des apprenants et la culture française, l’enseignante choisit de les encourager pour observer les éléments étrangers « à l’échelle mondiale », car il existe toujours « les concordances et les différences » entre les cultures et les littératures. Un recours à leur langue et leur culture maternelles peut, selon elle, donner un accès plus facile à une autre culture et une autre littérature étrangère.

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Cette réflexion sur l’interculturel en FLE et le contexte identitaire des apprenants pousse les enseignantes à construire leur méthode d’enseignement :

P-Che je vais pas commencer par ma propre explication + je vais commencer par poser une question + d’après vous pourquoi les jongleurs + jiushi nage suowei de youyin shiren (c’est ce qu’on appelle un jongleur) + comment est-ce qu’ils arrivent à retenir quatre milles vers d’un poème + ni juede tamen zenme neng jizhu Luo Lan

Zhi Ge de siqian ju shi ne (d’après vous comment ils arrivent à retenir les quatre

milles vers de La Chanson de Roland ) + donc ils doivent réfléchir à la forme + par exemple la musique + ça permet de répéter + comme dans une chanson + on doit expliquer la chanson de geste + c’est d’abord une chanson + il y a la musique à l’intérieur de chaque poème + ni yao xian qifa tamen ran hou zai qu jiang (on doit d’abord les inspirer puis on leur explique)

P-Zhang il est important pour les étudiants de de toute façon de connaître AU MOINS les NOMS c’est-à-dire les appellations de euh les noms de ces auteurs + comme ça ça pourrait leur ouvrir une PORTE ils pourront faire la lecture plus approfondie ou bien plus étendue + dans leur euh le reste de leur vie

[...]

j’aimerais bien leur euh de toute façon donner des renseignements auprès de l’histoire ou bien de la philosophie même de L’ART classique de cette époque-là + c’est pour leur donner une idée pour mieux comprendre les courants littéraires hum + par exemple le symbolisme il y a les peintures hum le surréalisme aussi des peintures hum du même courant hum + le romantisme aussi la peinture ou bien hum la musique des morpho-musical euh des morpho-musicaux par exemple euh Debussy c’est un grand musicien euh on pourrait dire euh symbolique symbolique

P-Wei non + en fait je ne demande pas de faire des activités comme très euh structurées + en fait parce que je pense que la littérature est quelque chose assez euh euh personnelle + je pense pas qu’on peut faire la littérature par les jeux par les activités comme ça + c’est pour ça que je demanderais de euh d’écrire un essai d’écrire un texte + et puis je je pose des questions en classe + en lisant le texte ensemble + je pense que le plus important c’est la lecture + la lecture la relecture et leur propre lecture leur propre relecture toujours + c’est pourquoi je veux encourager euh je les encourage à lire un livre intégral + un roman un livre ensemble + pas comme des extraits + j’espère que à partir de ces extraits de ces morceaux ils peuvent avoir l’intérêt de lire tout le livre + alors si j’arrive à à susciter ou à inciter cet intérêt + je pense que c’est déjà très bien + donc euh j’ai pas fait exprès pour euh pour créer ces activités juste pour animer la classe + la littérature c’est quelque chose d’intime + donc la lecture c’est plus important [...]

le rôle de ce cours est d’essayer de leur montrer que bon on a la littérature + même si ça n’a euh c’est inutile mais euh mais ça nous ça nous fait réfléchir + ça nous fait penser + ça nous fait euh peut-être mener une vie plus euh plus intéressante et plus