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LA POLITIQUE DE DIVIDENDE DES SOCIETES

Chapitre 2 La politique de dividende des sociétés françaises: une approche

2.3. Catering incentives et les hypothèses concurrentes

2.4.4. Analyse multivariée de la propension à distribuer

Plusieurs facteurs pèsent sur le choix de politique de dividende. Fama et French (2001) ont déjà démontré que la taille, la profitabilité, et les opportunités de croissance influent sur la décision de paiement. Cependant, leur modèle n’explique que 50% de la diminution des payeurs aux Etats-Unis. Il convient donc, dans notre analyse de l’effet de la prime sur la propension à distribuer, de tenir compte des caractéristiques spécifiques de l’entreprise (dont les facteurs de Fama et French) susceptibles d’impacter le choix de politique de dividende.

a. Données de panel et modèles estimés

Nous proposons une régression Probit sur données de panel pour la période 1992-2010, qui estime la probabilité de distribution. La variable dépendante, de type dichotomique, prend la valeur 1 si l’entreprise verse un dividende durant l’année et 0 sinon. La prime de dividende est la variable indépendante d’intérêt ; elle est temporelle et ne varie qu’en fonction du temps. Les autres, explicatives, caractérisent les entreprises et varient aussi en fonction du temps. Elles ont été présentées précédemment.

L’estimation des données de panel pose un problème majeure celui de la dépendance des résidus transversalement (cross-sectionally) et dans le temps (serially). Cette forme double de corrélation des erreurs est inhérente à la structure même des données de panel qui se présentent sous la forme d’observations chronologiques d’un groupe d’individus (entreprises) sur une période de temps. Dans ce cas, l’hypothèse d’indépendance des erreurs qui conditionne l’utilisation d’un estimateur standard est vraisemblablement violée. En effet, la non-correction des écarts-types, bien qu’elle n’a pas d’effet sur l’estimateur (qui demeure sans biais et convergent) peut conduire à sous-estimer les écarts-types, à surestimer les statistiques associées aux tests d’hypothèses sur les coefficients estimés, et pour finir à biaiser les résultats et les inférences statistiques. Pourtant, comme le note Petersen (2009), un nombre considérable de travaux publiés ne tiennent pas compte de cette double forme de corrélation des erreurs ou, dans le meilleur des cas, appliquent la méthode de Fama et MacBeth (1973) qui pourtant ne résout qu’une partie du problème.

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Deux approches d’estimation conviennent, a priori, à la nature de nos données. La première approche consiste à estimer un Probit avec effets aléatoires qui permet de contrôler l’hétérogénéité des effets individuels inobservés et susceptibles d’impacter la probabilité de paiement (cf. annexe 1 pour une description du modèle Probit à effets aléatoires). Cette technique présente néanmoins deux inconvénients. D’abord, la présence d’une variable temporelle parmi les variables explicatives rend difficile l’inclusion de variables indicatrices pour les années (effet temps) en raison d’une forte colinéarité entre ces dernières et la prime de dividende. Ensuite, l’estimation d’un modèle à effets aléatoires en présence de variables dépendantes retardées parmi les variables exogènes est problématique car, il y a de forte chance qu’elles soient corrélées avec l’effet aléatoire des résidus (Hsiao 2003). Or, nous savons depuis Lintner (1956) que les dividendes sont stables et persistants dans le temps. Il serait donc judicieux d’en tenir compte par l’inclusion de la variable dépendante retardée dans le modèle de régression.

Par ailleurs, l’hypothèse des effets aléatoires suppose que les composantes du résidu (notamment les effets individuels) soient indépendantes et non corrélées aux variables explicatives. Or, un modèle Logit à effets fixes peut contrôler pour cette possible corrélation, puisque la forme de la fonction logistique convient à la modélisation des effets individuels. Néanmoins, la structure de nos données rend difficile le recours aux effets fixes, car les individus dont le statut (payeur ou non-payeur) est constant sur l’ensemble de la période ne contribuent pas à la vraisemblance. Ceci conduit, dans notre cas, à l’utilisation du tiers des observations totales, soit une perte d’informations non négligeable.

La deuxième technique d’estimation est un Probit sur données empilées (Pooled Probit) avec des écarts-types robustes aux clusters. En particulier, nous appliquons la méthode des doubles-clusters robuste à l’auto-corrélation des résidus au sein et entre les clusters (Thompson 2011, Petersen 2009, Cameron et al. 2011). Autrement dit, nous autorisons que les observations d’une même entreprise soient corrélées dans le temps (firm cluster) et que les observations entre plusieurs entreprises soient corrélées à une date donnée (time cluster). Ce choix est également motivé par la nature des variables explicatives dont certaines varient par entreprise et d’autres évoluent en fonction du temps (prime de dividende et indice de confiance) ; il est donc préférable de corriger pour les deux dimensions de clusters, à savoir l’entreprise et le temps (Thompson, 2011). (cf. annexe 2 pour une description de la méthode des doubles-clusters)

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Certes, il est possible de combiner la technique du cluster simple (cluster temps) avec les effets fixes individuels. Ceci permet d’une part de contrôler les effets individuels inobservés et autorise en même temps la dépendance des observations entre individus à une date donnée. Toutefois, le modèle à effets fixes nécessite d’introduire des variables muettes pour chaque individu (firm dummies) ce qui le rend coûteux en terme de degré de liberté. A ce titre, la méthode des clusters à deux dimensions améliore considérablement la technique d’estimation.

Avant de procéder aux estimations, une attention a été portée aux problèmes de colinéarité entre les variables explicatives en étudiant les indices de VIF (Variance Inflation Factor) de chaque variable et les coefficients de corrélation par paires (annexe 3). Ceci nous a permis de nous assurer de l’absence de problème de colinéarité dans les régressions que nous présentons ci-après.

b. Présentation et interprétation des résultats

Le tableau 5 présente les résultats des tests relatifs aux hypothèses H3 à H8, pour la période 1992-2010. Afin de tenir compte de la stabilité des politiques de dividende (Lintner 1956), une variable -Dividende précédent- faisant référence à la politique antérieure de l’entreprise est incluse dans tous les modèles spécifiés ; c’est une variable binaire qui prend la valeur 1 si l’entreprise a versé un dividende en t-1 et zéro sinon. Les régressions du Probit sont conduites suivant les deux approches d’estimation présentées ci-dessus, soit la technique des effets aléatoires (Panel A) et celle des doubles-clusters (Panel B). A l’exception des modèles (2) et (7), la variable Market-to-book a été exclue des régressions afin de s’assurer de la robustesse des résultats, car si le market-to-book est un bon proxy des opportunités de croissance, il n’est pas exclu qu’il puisse refléter une information trop bruitée causée par l’irrationalité des marchés61.

A partir du Panel A, les estimations des modèles (1) et (2) indiquent que la probabilité de distribution est fonction croissante de la taille et de la profitabilité et décroissante des opportunités de croissance. Ce résultat valide le modèle de Fama et French (2001) et par conséquent l’hypothèse H3. Notre hypothèse principale, à savoir l’effet de la prime de dividende sur la propension à payer, fait l’objet des régressions des

61 De même, nos soupçons d’endogénéité dans la relation dividende-dettes nous ont mené à reconduire les tests en excluant la variable Endettement. Les résultats demeurent inaltérés. Ils ne figurent pas dans le présent article, mais sont disponibles sur demande.

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modèles (3) à (7) que nous avons spécifiés de manière à cumuler progressivement les facteurs censés expliquer la politique de dividende. L’estimation du modèle (3) indique que la prime impacte positivement et significativement la décision de distribution, comme le prédit l’hypothèse H4. La prise en compte du risque (modèle 4) n’annule pas l’effet de la prime contrairement à Hoberg et Prabhala (2009). De plus, les entreprises qui ont un niveau de risque élevé (risque systématique et risque idiosyncratique) ont tendance à ne pas verser de dividendes (H5) 62. De même, l’endettement de la firme tend à diminuer la probabilité de paiement de dividende, conformément à l’hypothèse de substitution des dividendes par les dettes (H6)63. Pour ce qui est de la variable Réserves, son signe positif est conforme à l’hypothèse de cycle de vie (H7) selon laquelle les entreprises en fin du cycle ont tendance à distribuer la richesse accumulée, étant donné que les perspectives d’investissement se font de plus en plus rares. L’impact de la liquidité (Volume) est toutefois non-significatif (H8). Notons par ailleurs que le signe (positif) et la forte significativité de la variable Dividende précédent sont conformes à certaines pratiques largement répandues en matière de distribution, à savoir la stabilité des dividendes et la réticence à les supprimer (Lintner 1956). Enfin, l’ensemble des variables explicatives permettent d’expliquer 36 à 41% de la propension à distribuer, ont toutes (à l’exception de Variation actif et Volume) le signe attendu, et sont significatives aux seuils de 1 et 5%.

La méthode des doubles-clusters (Panel B) amène aux mêmes conclusions et présente des résultats similaires à ceux produits avec la technique des effets aléatoires. En somme, les résultats du tableau 5 constituent un soutien empirique à la catering theory ainsi qu’aux théories concurrentes. Ils sont par ailleurs robustes aux techniques de régression et à l’exclusion de la variable Market-to-book.

62 Le coefficient estimé du risque spécifique est négatif et significatif au seuil de 1%.

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Tableau 5 : Propension à distribuer et prime de dividende

Ce tableau présente les résultats des estimations Probit de la probabilité de paiement selon la méthode des effets aléatoires (Panel A) et celle de l’estimation des écarts-types robustes aux doubles-clusters (Panel B). Prime de dividende est la différence des logarithmes des moyennes du market-to-book entre payeurs et non-payeurs. Taille est le logarithme de l’actif total. Profitabilité est la performance économique mesurée par le ratio retour sur investissement. Market-to-book est le rapport entre la valeur de marché des capitaux propres et leur valeur comptable. Variation actif est l’accroissement annuel de l’actif. Dividende précédent (dummy) est égale à 1 si l’entreprise a payé un dividende en t-1 et 0 sinon. Endettement est le rapport des dettes à l’actif total. Beta est estimé à partir d’un modèle de marché au moyen de trois années de données hebdomadaires. Risque spécifique est la différence entre le risque total (variance des rendements) et le risque systématique estimé. Réserves est le rapport des réserves à l’actif total. Volume est le rapport entre la moyenne annuelle du nombre d’actions échangées hebdomadairement et le nombre total d’actions en circulation au 31 décembre.

Panel A : Probit avec effets aléatoires

Var. dép. (Payer=1) (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) Prime de dividende 1,090*** 0,858*** 0,788** 0,759** 0,759** Taille 0,282*** 0,265*** 0,290*** 0,267*** 0,302*** 0,284*** 0,283*** Profitabilité 12,539*** 12,662*** 12,618*** 11,717*** 11,232*** 9,344*** 8,437*** Variation actif 0,404* 0,434** 0,418* 0,309 0,366* 0,319 0,377* Market-to-book -0,046*** -0,033 Dividende précédent 2,035*** 2,065*** 2,058*** 1,905*** 1,884*** 1,903*** 1,924*** Beta -0,437*** -0,507*** -0,526*** -0,554*** Risque spécifique -11,936*** -12,208*** -11,180*** -10,575*** Endettement -1,382*** -1,336*** -1,604*** Volume -0,049 0,394 Réserves 1,445** 2,330** Constante -2,615*** -2,427*** -2,640*** -1,427*** -1,223*** -1,185*** -1,083*** N. obs. 2907 2869 2815 2572 2572 2403 2371 Pseudo R2 35,8% 35,9% 37,0% 39,7% 40,6% 40,5% 40,5% Seuil de significativité : *** (p<0,01), ** (p<0,05), * (p<0,1)

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Panel B : Probit empilé avec doubles-clusters

Var. dép. (Payer=1) (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) Prime de dividende 0,888*** 0,746** 0,678** 0,648** 0,654** Taille 0,216*** 0,207*** 0,214*** 0,207*** 0,233*** 0,224*** 0,221*** Profitabilité 10,413*** 10,899*** 10,393*** 10,100*** 9,558*** 8,077*** 7,410*** Variation actif 0,306* 0,362** 0,324** 0,252 0,297* 0,258* 0,317** Market-to-book -0,050*** -0,032** Dividende précédent 2,257*** 2,253*** 2,267*** 2,088*** 2,063*** 2,065*** 2,082*** Beta -0,300*** -0,369*** -0,390*** -0,416*** Risque spécifique -10,345*** -10,494*** -9,540*** -8,901*** Endettement -1,094*** -1,052*** -1,230*** Volume -0,052 0,351 Réserves 1,176*** 1,210*** Constante -2,425*** -2,251*** -2,380*** -1,421*** -1,230*** -1,227*** -1,134*** N. Obs. 2907 2869 2815 2572 2572 2403 2371 Seuil de significativité : *** (p<0,01), ** (p<0,05), * (p<0,1)

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