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6. Présentation des résultats

6.2 Analyse intra-individuelle d’Alain

6.2.1 Analyse inductive

Synthèse du parcours de vie

Alain est issu d’une lignée de médecins mais a décidé de suivre une autre orientation, comme il le dit, il est « le seul depuis trois générations à ne pas avoir suivi cette voie ». Il a fréquenté une école primaire publique jusqu’en 5ème année. En raison du divorce de ses parents survenu à cette période, il a continué ses études obligatoires dans une école privée avant de poursuivre dans le domaine du public au Collège. Il a suivi un parcours linéaire, sans redoublement, en obtenant sa maturité en 2008.

Alain nous apprend qu’il apprécie étudier et a décidé, à la sortie du collège, de poursuivre des études universitaires en s’orientant en HEC. Les principales raisons de ce choix étaient, d’une part, de rester en contact avec des amis proches, d’autre part, il était intéressé par l’économie au collège et voulait poursuivre des études dans ce domaine. Par la suite, il s’est rendu compte que les matières dispensées par la formation ne correspondaient pas à ses attentes et il ne se voyait pas dans l’exercice du métier trop contraignant selon lui. Il a décidé d’arrêter ses études en HEC au cours de la seconde année.

A la suite de son abandon de la filière HEC, il a consulté une conseillère d’orientation afin qu’elle lui propose une autre filière de formation académique puisqu’il désirait poursuivre des études universitaires mais ne savait pas vers quelle voie se diriger. En relevant ses qualités personnelles telles que : la créativité, la communication, l’écoute, la compréhension et en les rapprochant des qualités qu’un enseignant devrait posséder, il s’est enthousiasmé pour l’enseignement primaire qui lui a été conseillé. Attiré par cette nouvelle orientation et afin d’optimiser ses chances de réussite, Alain a entrepris six mois de stage, en tant que responsable du parascolaire dans une école primaire, et a également travaillé en crèche.

3 Prénom fictif. Se référer à l’annexe 1 et 3 utilisées pour l’analyse.

45 Au moment de l’entretien, son objectif principal était l’admission en LME et il admet qu’en cas d’échec, il ne saurait pas vraiment ce qu’il ferait ; « peut-être me lancer dans la recherche en sciences de l’éducation ». En envisageant une autre filière, il précise que l’éducation, en tant que domaine disciplinaire, l’intéresse et qu’il souhaite y rester.

A côté de ses études, Alain exerce la musique. Il a commencé par jouer de la guitare, tout en exerçant sa voix, puis il a composé un groupe de musiciens avec des amis. L’évolution ascendante du groupe a amené Alain à nourrir le rêve d’entamer une carrière d’artiste. Ce rêve a été, par la suite, abandonné en raison du manque de soutien de sa famille et de l’instabilité du métier : « Ils m’ont tous découragé…bon d’un côté ils n’ont pas tort…tu ne peux plus te lancer dans une vie d’artiste aujourd’hui ». Il continue aujourd’hui à créer des morceaux et les interprète au sein du groupe qui est amené occasionnellement à se produire sur scène.

Nous présenterons tout d’abord les éléments descriptifs qui ont orientés les choix de l’étudiant avant de montrer leur étroite relation lors de la partie analytique. L’ordre de présentation de ces derniers correspond à leur ordre d’importance en rapport avec les questionnements identitaires.

La famille

Alain est issu d’un milieu socio-économique élevé. Ses parents ont suivi des études supérieures et sont tous deux médecins. La famille d’Alain s’est orientée vers la médecine depuis trois générations. Ce métier rempli leurs journées en laissant peu de place au temps libre pour les loisirs ce qu’il relève quand il parle de sa mère : « quand je vois les horaires qu’elle doit faire…ces horaires de dingue ». Par ailleurs, la situation économique confortable de la famille leur a toujours permis de vivre sans réelle restriction budgétaire. La stabilité de l’emploi, la sécurité financière, couplés à des horaires chargés caractérisent la profession exercée par ses parents.

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La musique

Alain est chanteur guitariste dans un groupe de musique. Pour Alain, ce qu’il définit comme sa passion occupe une grande place au quotidien, en lui procurant des moments de détente puisqu’elle lui permet de « se libérer l’esprit » et de « se défouler ». Alain n’a pas suivi de cours de solfège, il a appris à jouer de la guitare en s’exerçant régulièrement de manière autodidacte et en décryptant les albums (travail sur les paroles et leur sens). A côté de ses études, il garde une place pour la musique afin de pouvoir répéter avec le groupe et mentionne son désir de pouvoir bénéficier de temps libre à côté de ses études comme de son futur métier : « je suis vraiment à fond là-dedans…c’est ma passion depuis longtemps,…je veux garder du temps pour ça ». Comme il le souligne, il en a besoin pour s’épanouir et la place qu’il réserve à la musique en parallèle de ses études est « un minimum vital » : « j’essaie de faire les deux parce que si j’enlève le côté musique, pour mon épanouissement personnel ça n’irait pas ». Les membres du groupe sont des amis de longue date et cette collaboration rapprochée favorise l’évolution positive du groupe puisque ce sont des personnes « sur qui il (je) peut compter ». Cette communauté de musiciens le met en contact avec des valeurs telles que le soutien, l’entraide qui sont importantes pour lui (« je trouve que c’est important ce côté entraide ») et qu’il désire retrouver dans ses études et dans la vie. Alain avait envisagé d’entamer une carrière d’artiste mais il a abandonné ce rêve en raison de l’instabilité du métier et de la dissuasion de sa famille : « il y a trop de concurrence, c’est beaucoup trop instable, tu peux te retrouver à la rue du jour au lendemain », « mes parents, mes grands-parents, ils m’ont tous découragé ».

L’orientation musicale d’Alain est survenue à la suite d’un événement marquant pour lui puisque c’est au moment du divorce de ses parents qu’il s’est tourné vers la musique. Nous supposons que la musique a été un espace d’épanouissement dans un moment difficile de sa vie. En tant qu’enfant, nous pouvons supposer qu’il a été affecté par cetévénement qui l’a conduit également à devoir changer d’école. C’est à travers la musique qu’il a pu retrouver des moments privilégiés d’évasion qui lui ont permis de se sentir mieux dans une période difficile : « Il fallait que je trouve quelque chose…c’est apparu comme ça mais en fait je n’ai pas de formation musicale ».

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Les expériences de formation

Alain a passé sa Maturité en 2008 en section économie. Il admet avoir eu de la facilité dans ses études et aime apprendre (« j’aime bien étudier »), c’est une des raisons pour lesquelles il a décidé de poursuivre des études supérieures. Par ailleurs, son expérience de formation en HEC ne correspondait pas entièrement à ses attentes. Bien qu’il apprécie le domaine de l’économie, il trouvait que « le côté communicationnel manquait » dans cette faculté en se référant à la communication entre les étudiants ou avec les enseignants, ce qu’il retrouve à présent en sciences de l’éducation : « On fait des trucs en petits groupes, c’est plus une ambiance de classe », «…avec les enseignants aussi c’est différent, on peut plus facilement aller vers eux ». Il n’a pas retrouvé le soutien, la collaboration et n’a pas été satisfait de cette orientation : « Je trouve que c’est important ce côté entraide, soutien, c’est d’ailleurs ce qui manquait en HEC, les gens étaient très perso ». En outre, il a toujours voulu garder du temps libre à côté de ses études, or, en HEC son emploi du temps devenait trop chargé et il ne se voyait pas laisser tomber cet aspect : « A côté d’HEC je n’arrivais pas à suivre, à faire autre chose, c’était impossible ». En s’imaginant dans l’exercice de la profession, il a constaté que ce métier était trop contraignant pour lui et qu’il ne pourrait pas dégager suffisamment de temps pour les loisirs : « C’est un job où tu peux être appelé 24h/24h, où tu dois voyager…il me fallait un job stable mais où je peux quand même avoir aussi du temps pour moi ». Ce sont les principales raisons qu’Alain a évoquées au sujet de son choix d’arrêter de suivre la formation en HEC.

Les expériences rattachées au domaine pédagogique

Son rendez-vous avec la conseillère d’orientation a permis à Alain de trouver un domaine qui lui corresponde. Il a spontanément accueilli la proposition de se tourner vers l’enseignement avec enthousiasme puisqu’il garde de bons souvenirs de l’école : « Quand elle m’a dit ça, ça a été le flash ; je me suis dit : ah ouai, enseignant primaire pourquoi pas, excellent, retrouver l’école, les enfants et tout ça ». Il a choisi d’entreprendre un stage, en tant que surveillant dans une école, pour acquérir un peu d’expérience dans le domaine, pour voir si cela lui

48 correspondait, lui plaisait, et « effectivement cela lui (m’a) plu ». De même, il ressent une certaine satisfaction à pouvoir dorénavant pénétrer dans la salle des maîtres : « se retrouver de l’autre côté de la salle des maîtres, passer de l’autre côté de la barrière, je trouve ça excellent » et apprécie le côté relationnel du métier qui lui a plu lors de son stage ou des camps qu’il a fait : « le lien avec les élèves, la relation avec eux c’est important ».

Les projets

Alain désire poursuivre la formation entamée en sciences de l’éducation puisqu’il avoue retrouver, à travers celle-ci, ce qu’il recherche au niveau des études : « en sciences de l’éducation il y a plus de contact entre les gens, plus de collaboration…ça aide aussi pour les études parce qu’on s’entraide pour travailler, on passe du temps ensemble ». De plus, il apprécie suivre les cours dispensés par la faculté parce qu’ils permettent d’atteindre le but opératoire ou par intérêt intrinsèque : « c’est important pour moi que les cours soient en lien avec ce que je vais faire plus tard », « …ce n’est pas forcément le cours qui va m’être utile plus tard mais j’adore la matière et la façon dont le prof donne son cours… ». Alain accorde une importance à l’exercice d’un métier stable qui lui permette d’assurer son avenir mais qui lui laisse également du temps libre. En ce sens, le métier d’enseignant semble lui correspondre : « la profession m’attire beaucoup. Un job stable qui me laisse quand même un minimum de temps à côté pour faire ce que je veux donc là c’est vraiment le tout donc pour moi c’est juste parfait ». Au moment de l’entretien, Alain était enthousiaste à l’idée de suivre cette formation (« je me réjouis de suivre cette formation ») et même s’il n’avait pas encore prévu d’alternative en cas de refus de son dossier LME, il envisageait de poursuivre ses études dans cette faculté : « je veux rester dans le domaine de l’éducation de toutes manières ».

49 6.2.2 La dynamique identitaire

Ces différents éléments nous permettent de faire ressortir les raisons qui ont conduit Alain à s’engager en sciences de l’éducation. Nous tenterons de mettre en lumière les sources de sa motivation et ce qu’il recherche à travers cette formation

A travers la lecture de l’entretien, nous pouvons relever un accent particulier sur le domaine de la musique et sur celui de son futur métier. Alain parle à plusieurs reprises de l’importance que la musique revêt pour lui et de sa volonté à vouloir garder du temps libre à côté de ses études et de son métier. En abordant le sujet de sa future profession, il met en avant la recherche de la sécurité de l’emploi qui lui permet d’assurer son avenir. Alain poursuit deux désirs en parallèles ; celui d’obtenir un job stable procurant une situation économique confortable et celui de continuer à exercer la musique en tant que passion.

Nous retrouvons ici, la présence du soi visé. En effet, actuellement Alain est un étudiant-musicien issus d’un milieu socio-économique élevé (Soi actuel). Ses parents exercent tous deux un emploi qui leur permet d’assurer leur quotidien. En ce sens, Alain poursuit, de manière intégrée, la recherche de la sécurité de l’emploi en prolongeant la lignée familiale.

Nous retrouvons cet aspect à plusieurs reprises dans son discours : « un job qui permette de vivre », « un job stable », « c’est beaucoup trop instable ». Nous retrouvons, ici le soi idéal qui est d’être un salarié ayant une situation économique confortable.

Par ailleurs, Alain souligne qu’il souhaite consacrer des moments aux loisirs : « je veux avoir du temps à côté pour moi », « un job qui me laisse quand même un minimum de temps à côté pour faire ce que je veux ». Nous retrouvons ici, le rapprochement avec le métier de ses parents qu’Alain trouve contraignant, un aspect dont il cherche à se distancer : « je pense que cela m’a bloqué de voir le quotidien de ma mère et ne m’a pas donné envie de rentrer là-dedans par la suite ». Cela est une des raisons qui a conduit Alain à s’écarter de l’orientation familiale en choisissant d’entreprendre des études autre que la médecine.

C’est une des raisons pour lesquelles il a entamé une formation en HEC, afin de se distancer du vécu parental et d’un soi non souhaité (salarié contraint par son métier). Nous retrouvons, ici, une tension identitaire entre un soi actuel (étudiant-musicien issus d’un

50 milieu social élevé) et un soi Idéal (être un salarié ayant une situation économique confortable) en opposition avec une image de soi qu’il cherche à éviter (salarié contraint par son métier). Alain poursuit donc un deuxième soi idéal : être un salarié épanoui exerçant un métier non contraignant. Toutefois, au cours de sa formation, Alain a constaté que les horaires imposés par les cours dispensés en HEC et ceux de sa future profession ne lui auraient pas permis de retrouver ce qu’il recherchait ; il se voyait reproduire le vécu parental : « c’était un job ou tu pouvais être appelé 24h sur 24 ». La formation HEC n’ayant pas permis à Alain de réguler ses tensions identitaires entre un soi actuel (étudiant-musicien issus d’un milieu social élevé) et ses deux soi idéal (salarié exerçant un métier non contraignant et ayant une situation économique confortable), il a décidé d’abandonner la formation.

Ce sont ses expériences positives rattachées au domaine de la pédagogie qui l’ont conforté dans son choix d’orientation, que ce soit lorsqu’il parle de ces expériences passées ou de la formation actuelle : « retrouver, les enfants, l’école, c’est génial », « j’aimais beaucoup l’ambiance des écoles », « je me réjouis de suivre cette formation ». De plus, les stages récemment effectués lui ont plu et ont renforcé son intérêt pour le domaine de l’éducation :

« je vais continuer à préparer ce dossier pour la LME…partir vraiment dans ce que je veux faire, pas faire de détour… », « Je veux rester dans le domaine de l’éducation ». La formation en pédagogie semble renforcer l’image de soi de manière positive en lui procurant une attache avec des expériences agréables et en soutenant son sentiment de compétence. De même, les valeurs rattachées à son identité acquise qui proviennent, en partie, du groupe de musique (entraide collaboration), il les retrouve à travers la formation actuelle. En ce sens, elle correspond à ce qu’il recherchait.

Comme nous l’avons vu, Alain réserve une place primordiale à la musique à côté de ses études et désire garder cet aspect en parallèle de son métier. La musique fait partie de son identité acquise et il désire la conserver. Nous faisons référence, ici, à l’événement biographique important (le divorce de ses parents), qui l’a amené à se tourner vers la musique. En se référent à son discours, nous pouvons supposer que celle-ci lui a permis de trouver des moments d’évasion, où il se sentait bien, à travers lesquels il a retrouvé des repères: « je suis tombé en plein divorce de mes parents…il fallait que je trouve quelque

51 chose », « la musique me permet de me libérer l’esprit ». Depuis ce jour, la musique fait partie de son identité individuelle et donc de son soi actuel (étudiant-musicien issus d’un milieu social élevé) en constituant un élément central dans son bien-être qu’il désire préserver: « …si j’enlève le côté musique pour mon épanouissement personnel ça n’irait pas », « la musique me prend pas mal de temps…avec les études je n’arrive pas à faire plus mais c’est le minimum vital ». Par le passé, Alain avait envisagé d’entamer une carrière de musicien qui pouvait représenter un moyen d’atteindre son deuxième soi idéal (salarié épanouit exerçant un job non contraignant) en opposition à l’image de soi non souhaitée.

Cependant, ce projet ne correspondait pas à son soi idéal rattaché à la sécurité de l’emploi qu’il poursuit de manière intériorisée (être un salarié ayant une situation économique confortable). La carrière d’artiste ne représentait pas un moyen de résolution des tensions identitaires entre le soi actuel et les deux soi idéal, c’est une des raisons qui a conduit Alain à abandonner ce projet.

Au moment de l’entretien, la formation semble permettre à Alain de résoudre sa tension identitaire par l’approche des deux soi idéal (être un salarié épanoui exerçant un métier non contraignant et ayant une situation économique confortable).

A travers la formation en sciences de l’éducation, Alain retrouve les aspects qu’il recherche : « Il me fallait un job stable qui me laissait quand même du temps pour moi…le job d’enseignant réunissait tout ». Il se place donc dans un mode de régulation par approche qui se reflète dans les sentiments positifs relevés tout au long de l’entretien et qui sont le moteur de l’engagement du sujet. Alain se place dans une dynamique de transformation identitaire s’orientant vers les deux soi idéal en choisissant d’associer l’enseignement et la musique pour l’atteindre.

La formation est investie en tant que moyen lui permettant d’atteindre le but identitaire visé.

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