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Analyse dessin n°12 _ Lucie 12 ans, diabétique depuis 2 ans

4.1 Analyse des dessins

4.1.12 Analyse dessin n°12 _ Lucie 12 ans, diabétique depuis 2 ans

Lucie commence par dessiner une branche de chocolat dans lequel, elle écrit « chocolat » et à côté, elle esquisse un carré où elle inscrit « sucre ». Ensuite, elle reproduit un emballage dans lequel elle note « bonbon ». Elle dessine une sucette et pour finir, elle fait un gâteau d’anniversaire à plusieurs étages avec des bougies. Au crayon rouge, elle fait un grand rond barré pour représenter un signe « interdit » ! Après cela, elle dessine une pompe à insuline qu’elle identifie en l’inscrivant dessous. Puis, à côté de cette dernière, elle reproduit une seringue à insuline et indique à l’intérieur « Humalog® » (un type d’insuline à action rapide). Après avoir dessiné, elle écrit sur le côté d’une feuille : « on ne peut pas manger n’importe quoi sans s’injecter de l’insuline ou autres ! Mais on peut quand même tout manger avec modération » selon Lucie (communication personnelle [entretien], 10 juillet 2012).

Pour terminer son dessin, elle le colorie avec des couleurs (rouge, brun, jaune, violet, rose, bleu, orange et bleu-vert). Elle ajoute un personnage féminin, proportionnellement petit par rapport aux autres éléments du dessin, reliée depuis le ventre à la pompe à insuline. Elle (communication personnelle [entretien], 10 juillet 2012) a voulu nous montrer « qu’on [les enfants diabétiques] peut tout manger, mais faut faire attention. … Tandis que les autres enfants, qui ont pas le diabète, eux peuvent tout manger sans rien faire. Nous, on a besoin

de faire attention. Mais, c’est pas parce qu’on a le diabète et qu’il faut faire attention qu’on peut rien manger. Tout comme les autres enfants, on peut tout faire ».

En effet, il est possible de voir avec le diabétologue comment régler l’insulinothérapie pour qu’elle se calque au mieux à la façon de vivre de l’enfant. De plus, Delcroix (2009) a écrit que « les progrès pharmaceutiques, avec l’apparition de nouvelles insulines (analogues), permettent de se rapprocher de plus en plus de la sécrétion physiologique d’insuline et d’adapter le traitement au rythme de vie du patient » (p.21). Nous demandons à Lucie de nous expliquer pourquoi elle a dessiné à grand signe « interdit », qui occupe une place prépondérante sur le dessin. Lucie (communication personnelle [entretien], 10 juillet 2012) nous répond que c’est « parce que c’est le truc que moi et les autres on pense le plus souvent quand on pense au diabète. Tout ce qui est sucrerie, bonbons, gâteaux et tout. Mais aussi, y a pleins d’autres, j’ai pas mis le riz, les pommes de terre, tous les trucs comme ça. C’est ça qu’on voit le plus normalement quand on parle du diabète ».

À cet âge, l’aspect social est très important, Lucie est en préadolescence et les copines deviennent importantes. Erikson le développe dans la quatrième étape de développement psychoaffectif (travail versus infériorité). Durant cette période, l’enfant a besoin de la reconnaissance de ses pairs, il a besoin d’être valorisé dans ses actes et ses savoirs. L’alimentation est un élément capital dans la relation sociale : se rendre au restaurant, aller chez une copine ou inviter des amis à la maison et manger la même chose que les autres ou être invité pour un repas, sans compter les repas ou goûters d’anniversaire… À cet âge, les enfants n’aiment pas se sentir différents des autres, ils s’identifient à un groupe et ont envie de faire les mêmes activités que le groupe (manger, faire du sport, etc.).

À cet âge « le processus d’individualisation étant plus avancé, la souffrance peut naître du sentiment d’être différent des autres » (Wiss et al., 2000, p.20). Il est important de garder à l’esprit que la maladie peut affaiblir l’estime de soi et que durant cette période, l’affect a une influence sur la cognition, selon Piaget. Plus l’enfant sera déstabilisé par la maladie, plus l’estime de soi sera basse. Par conséquent, il sera moins apte à avoir recours à sa cognition et à son intelligence. « L’enfant perd donc souvent confiance en lui-même jusqu’à basculer parfois dans un vacillement de son identité, ce qui le conduit au désespoir et à la dépression » (Bouquinet et al., 2008, p.465).

Nous voyons que Lucie a fait un dessin d’une fillette. Cependant, la fillette est petite par rapport aux autres éléments du dessin. Lowenfeld (1939) dit que « l’enfant augmente la taille du personnage dessiné pour marquer son importance » (Picard & Baldy, 2011, p.50). Selon la taille des personnages ou des objets dessinés, ils relèvent l’importance que ces derniers

traitements prennent une place importante dans la vie de Lucie. À plusieurs reprises, elle nous dit que le mode d’injection (seringue ou pompe à insuline) a une importance pour elle, surtout du point de vue social. « En été, je préfère la seringue, autrement je préfère quand même un peu plus la pompe parce qu’en été c’est quand même un peu plus pratique. Parce qu’avec le cathéter, il se décolle et tout. … Puis, c’est pas très joli à voir quand tu es en maillot de bain. Et les autres, la pompe, c’est quand même beaucoup plus pratique en hiver » d’après les dire de Lucie (communication personnelle [entretien], 10 juillet 2012). Nous constatons que Lucie a mis en place des facteurs de coping et de résilience face au stress que génère le traitement du diabète sur sa vie sociale (pompe/injections). Avoir une pompe à insuline est dérangeant pour Lucie d’un point de vue esthétique lorsqu’elle se trouve en maillot de bain. Le fait que ses copines puissent voir qu’elle a une pompe à insuline, lui renvoie le fait qu’elle est malade. Comme l’explique Geoffrey et Gonthier (2012), « l’enfant déteste être différent des autres » (p.448). Ainsi, Lucie préfère changer de méthode et s’injecter l’insuline via un stylo durant l’été, car c’est plus discret, même si ce n’est pas aussi pratique que la pompe. Avec ce changement de stratégie d’injections, elle parvient à aller avec des copines à la piscine et n’est pas paralysée par l’aspect esthétique du traitement. Par contre, elle restera vigilante quant à son alimentation car, comme elle l’a dessiné et dit : « on ne peut pas manger n’importe quoi sans s’injecter de l’insuline ou autres ! Mais on peut quand même tout manger avec modération », selon Lucie (communication personnelle [entretien], 10 juillet 2012).

Le diabète ne prend pas le dessus dans la vie de Lucie, elle ne s’interdit pas la piscine avec ses copines ou autres sorties, elle trouve les moyens pour avoir du plaisir, que son diabète ne se voit pas et qu’elle ne soit pas identifiée par les autres comme diabétique avant d’être Lucie. « Lorsque les sujets arrivent à réguler la menace de désorganisation psychique et trouvent l’énergie de se construire malgré les blessures … on considère qu’ils relèvent d’un processus de résilience » (Anaut, 2004, p.11). Koleck et al. (2003) ont ajouté aussi que « le sujet ne subit pas passivement la situation aversive mais adopte, pour faire face à celle-ci, diverses stratégies perceptivo-cognitives, affectives, comportementales et psychosociales » (p.810).