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10. Projet de thèse

1.3 Analogues de nucléosides

En dehors de ces groupements photoactivables utilisables pour de nombreuses applications, d’autres groupements ont été développés pour étudier les interactions mettant en jeu l’ADN. Ce sont des analogues de nucléosides naturels qui possèdent des propriétés photochimiques utilisables dans le contexte du photomarquage d’affinité.

1.3.1 Analogues thiolés d’acides nucléiques

La 4-Thiothymidine (4ST), la 4-Thiouridine (4SU) et la 6-Thio-2’-desoxyguanosine (6SdG) sont des analogues des acides nucléiques dans lesquels un atome d’oxygène du cycle purique ou pyrimidique est remplacé par un atome de soufre (Figure 96). Cette substitution leur apporte une des propriétés importantes, mentionnée auparavant pour les sondes photoactivables : leur spectre d’absorption diffère de ceux des bases classiques, avec un

maximum autour de 330 nm ce qui permet de les activer avec des rayonnements qui ne vont pas endommager les acides aminés et les acides nucléiques (Figure 95).

Figure 95. Spectres d’absorption de la 4ST et de la Thymidine (T). Tiré de 215.

La 4SU est un nucléoside rare, présente naturellement en un seul exemplaire dans les ARN de transfert (ARNt) d’E. coli216,216. Cette occurrence naturelle a permis l’une des premières utilisations de la 4SU dans du photomarquage d’affinité. L’irradiation d’un ARNt d’E. coli a permis d’obtenir des informations sur la structure de celui-ci en utilisant la 4SU présente à la position 8 comme sonde structurale intrinsèque217. Elle n’est pas présente dans les ARNt des cellules eucaryotes. La 4ST et la 6SdG ne sont pas des nucléosides naturels mais peuvent être obtenus par synthèse chimique. L’une des méthodes consiste à former le dérivé triazolo qui, après réaction en présence d’acide thiolacétique, conduit au nucléoside en version thiolée218.

Figure 96. Analogues thiolés des bases de l’ADN. a) 4-Thiouridine ; b) 4-Thiothymidine c)

6-Thio-2’-désoxyguanosine.

La 4ST, 4SU et la 6SdG ont des comportements photochimiques similaires. L’absorption d’un photon permet de passer de l’état fondamental S0 à un état excité singulet, S2. En quelques picosecondes, cet état singulet va se transformer de manière quasi-totale en état triplet T1 par un mécanisme de conversion intersystème219. C’est cet état triplet, avec un temps de vie compris entre 0.1 et 1 µs, qui est l’espèce réactive et va établir des liaisons covalentes avec les molécules présentes à proximité. La photochimie des dérivés thiolés est moins

maitrisée que celle des groupements photoactivables présentés précédemment. Le mécanisme par lequel la 4ST établit des liaisons covalentes n’est pas entièrement élucidé, mais elle est capable de former des photoadduits avec tous les acides nucléiques standards220. La 4ST a été utilisée dans de nombreuses applications de photomarquage d’affinité sur des protéines, mais la nature des adduits et des acides aminés impliqués n’est pas connue. Le seul adduit caractérisé en solution entre les dérivés thiolés et un acide aminé est celui entre la 1,3-diméthyl-4-thiouridine et la L-lysine. L’irradiation conduit à une addition nucléophile de l’azote de la lysine sur position 6 du cycle purique du dérivé thiolé221.

L’analogie structurale des dérivés thiolés avec les bases auxquelles ils correspondent leur permet de s’apparier avec les bases complémentaires via les liaisons hydrogènes classiques de Watson-Crick. Des études cristallographiques ont montré que la longueur de la liaison C4 = S et le rayon de Van der Waals de l’atome de soufre sont plus importants que ceux observés pour la liaison C4=O de la base non thiolée222. Le remplacement de la thymidine par son analogue thiolé semble n’avoir qu’un effet limité sur la stabilité des oligonucléotides lorsque le taux de substitution est faible223. La substitution de la désoxyguanosine a des effets déstabilisateurs plus prononcés et influe sur la structure des duplex formés224. De plus, un taux élevé de substitution par la 4ST altère fortement les propriétés de l’oligonucléotide225.

Concernant les avantages des dérivés soufrés dans le cadre du photomarquage d’affinité, on peut citer l’analogie structurale, qui permet de les incorporer dans l’ADN sans perturbations majeures des interactions à étudier. De plus, cela permet d’assurer le photomarquage de résidus directement en contact avec l’acide nucléique : on dit qu’il s’agit de sondes « zero-length ». Les oligonucléotides contenant la 4ST sont stables pendant des années s’ils sont conservés à l’abri de la lumière et à -80°C. L’irradiation a lieu à des longueurs d’ondes supérieures à 300 nm, ce qui évite d’endommager les protéines et les acides nucléiques. Enfin, la durée de vie de leur état excité est inférieure à la microseconde et il a une forte capacité à former des adduits covalents avec des acides aminés. Toutes ces raisons font des analogues thiolés d’acides nucléiques et plus particulièrement de la 4ST une bonne sonde photoactivable.

Parmi les inconvénients, on observe expérimentalement que la 4ST est sensible à l’introduction d’un isotope radioactif à des fins d’analyse. On remarque en effet que le rendement de photomarquage des sondes contenant la 4ST marquées au phosphore radioactif

diminue de manière continue après le marquage radioactif pour devenir quasiment nul après 3 semaines, ce qui est problématique si on veut utiliser la radioactivité comme méthode de détection.

1.3.2 Dérivés halogénés de l’uridine

La 5-Bromouridine (5BrU), la 5-Iodouridine (5IU), la 5-Bromo-2’-desoxyuridine (5BrdU) et la 5-Iodo-2’-desoxyuridine (5IdU) sont des analogues de l’uridine utilisés pour le photomarquage d’affinité (Figure 97). L’irradiation à des longueurs d’ondes comprises entre 300 et 325 nm leur permet de se lier de façon covalente avec les protéines présentes à proximité. Les dérivés bromés de l’uridine sont utilisés depuis les années 70 et ont ensuite été remplacés par les dérivés iodés, plus efficaces, à partir des années 1990. Ainsi, l’utilisation d’une séquence d’ADN contenant l’opéron lactose où les thymidines étaient remplacées par des 5BrU a ainsi permis l’identification de points de contacts avec le répresseur de l’opéron lactose226. La 5IU a également été utilisée pour identifier le site d’interaction entre une séquence d’ARN en « épingle à cheveux » et le domaine N-terminal de la protéine U1A227.

Figure 97. Dérivés halogénés de l’uridine ; a) Iodo-2’-désoxyuridine b) Iodouridine c)

5-Bromo-2’-désoxyuridine d) 5-Bromouridine.

Deux mécanismes différents sont à l’origine de la formation d’adduits covalent selon la nature de l’halogène en position 5. Dans le cas de la 5BrU, l’irradiation à 308 nm donne lieu à un état singulet qui va se convertir en état triplet par croisement intersystème. C’est cet état triplet qui va réagir par des mécanismes de transfert d’électrons228. Un autre mécanisme possible, mis en évidence dans une étude avec un analogue de la Tyrosine, met en jeu l’excitation de la tyrosine à une longueur d’onde de 325 nm puis la réaction avec l’uridine, plutôt que le mécanisme inverse228. Pour la 5IU, c’est un état singulet qui va être responsable de la formation de la liaison covalente. L’absorption d’un photon va entrainer la rupture homolytique de la liaison C-I et la formation de liaisons covalentes avec les protéines

présentes à proximité229. La comparaison entre l’efficacité de photomarquage de la 5IU et la

5BU indique que la 5IU est entre deux et cinq fois plus efficace que la seconde227,230.

Le photomarquage de nombreux acides aminés a été rapporté : Tryptophane, Histidine, Tyrosine, Phénylalanine et Alanine pour les dérivés bromés; Tyrosine, Histidine et Phénylalanine pour les dérivés iodés. Il est à noter que d’autres mécanismes que ceux observé en solution peuvent intervenir dans le photomarquage de protéines : pour la 5IdU, il a été observé des rendements de photomarquage de 90% alors que les études en solutions indiquent un rendement maximal de 66%. L’explication fait intervenir des interactions de type empilement  favorisées par la structure de la protéine qui augmenterait l’efficacité de photomarquage229.

L’analogie structurale de la 5IdU et de la 5BrU avec la thymidine sont un des avantages de ces groupements photoactivables. En effet, les rayons de Van der Waals des atomes de brome et d’iode (respectivement 1.95 Å et 2.15 Å) sont proches de celui du groupement méthyle (2.0 Å)231. De manière similaire à la 4ST, cela permet de ne pas perturber l’interaction entre les sondes photoactivables et les protéines d’intérêt. Un des désavantages sont les longueurs d’ondes spécifiques nécessaires à l’activation des dérivés halogénés. L’excitation à 308 ou 325 nm nécessite souvent l’utilisation de lasers qui ne sont pas des matériels accessibles facilement.

Nous avons donc vu qu’il existe de nombreux groupements photoactivables, certains spécifiques à l’étude des interactions mettant en jeu les acides nucléiques. Chacun possède des avantages et des inconvénients qui lui sont propres dans le cadre du photomarquage d’affinité. Le chapitre suivant sera consacré aux différentes méthodes de synthèse de sondes oligonucléotiques photoactivables.

1.4 Introduction des groupements photoactivables dans des sondes