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1. Application du modèle d’étude aux analogues cobalt-fer

Comme nous l’avons souligné précédemment, les ABP constituent un excellent modèle d’étude pour les composés construits autour de l’enchaînement M-N≡C-M’. Au sein d’une famille donnée d’ABP AxMM’, seule la composition chimique de la sphère de coordination du cation M varie : la quantité x de cations alcalins insérés dans une maille élémentaire de composé détermine le rapport entre les nombres de ligands isocyanure et de molécules d’eau coordinés au cation M. Afin d’étudier le rôle de la seule liaison M-N dans les propriétés de l’enchaînement M-N≡C-M’, nous avons donc inspecté l’évolution des propriétés électroniques d’une famille donnée AxMM’ en fonction de la quantité x de cations alcalins.

Les ABP AxCoFe, décrits dans le Chapitre d’introduction générale, peuvent présenter une bistabilité électronique impliquant les états CoIIFeIII et CoIIIFeII. Cette bistabilité ayant déjà été discutée de manière qualitative lors du Chapitre I, nous avons souhaité appliquer à ces systèmes le modèle d’étude ab initio présenté dans ce chapitre afin d’apporter un éclairage quantitatif à l’étude de cette bistabilité électronique.

Les ABP AxCoFe sont obtenus en solution à partir des précurseurs [Co(OH2)6]2+ (k = 2) et [Fe(CN)6]3- (j = 3). La formule des ABP AxMM’ proposée dans le Chapitre d’introduction générale peut donc être simplifiée en tenant compte de la valeur des paramètres de synthèse k et j : la formule chimique des ABP AxCoFe est alors donnée par AxCo4[Fe(CN)6](8+x)/3·nH2O (x déterminant totalement la stœchiométrie de l’ABP AxCoFe). Dans les ABP AxCoFe, la quantité x de cations alcalins par maille élémentaire peut varier de 0 (pas de cations alcalins) à 4 (pas de lacunes). Comme précisé dans le Chapitre I, la position relative en énergie des états CoIIFeIII et CoIIIFeII est très sensible au taux de cations alcalins insérés dans les ABP AxCoFe :

- Pour de faibles taux de cations alcalins (x ≈ 0), les systèmes expérimentaux (tels que K0,1CoFe) présentent un état fondamental CoIIFeIII.[56, 63]

- Pour de forts taux de cations alcalins (x ≈ 4), les systèmes expérimentaux (tels que Cs3,9CoFe) présentent un état fondamental CoIIIFeII.[56, 63]

Il est intéressant de noter que pour des taux intermédiaires, les deux états électroniques CoIIFeIII et CoIIIFeII peuvent entrer en compétition, comme, par exemple, pour l’analogue Na2CoFe (celui-ci présentant une transition thermiquement activée CoIIIFeII → CoIIFeIII).[31, 64]

L’application du modèle monomérique aux ABP AxCoFe conduit à la paire de monomères [Co(NCH)y(OH2)(6-y)]k+ (k = 2 ou 3) et [Fe(CN)6]j- (j = 3 ou 4), où y = ½(x+8). y peut ainsi varier entre 4 (x = 0) et 6 (x = 4) au sein des ABP AxCoFe. Les monomères [Fe(CN)6]4- et [Fe(CN)6]3- sont connus et caractérisés dans la littérature, aussi bien structurellement[100-101, 148] que d’un point de vue électrochimique.[149] Le potentiel rédox du couple FeIII/FeII au sein du monomère [Fe(CN)6]j- vaut environ 0,4 V/ESH (cette valeur peut varier selon les conditions de mesure lors de la détermination de E°(FeIII/FeII)).[149]

2. Résultats obtenus à partir de la série [Co(NCH)

y

(OH

2

)

(6-y)

]

k+

1. Structure

La structure des monomères [Co(NCH)y(OH2)(6-y)]k+ a été déterminée par optimisation des distances d(Co-O) (resp. d(Co-N)) dans les monomères [Co(OH2)6]k+ (y = 0) (resp. [Co(NCH)6]k+ (y = 6)). Les résultats obtenus lors de l’optimisation des distances d(Co-O) ont déjà été présentés lors de l’étude de la série [M(OH2)6]k+ (Figure 25). Les résultats obtenus lors de l’optimisation des distances d(Co-N) sont présentés à la Figure 27. Les distances d’équilibre d(Co-N) déterminées par ces calculs (d(CoII-N) = 2,10 Å ; d(CoIII-N) = 1,86 Å) sont en excellent accord avec les données expérimentales concernant les ABP AxCoFe (d(CoII-N) = 2,08 Å ; d(CoIII-N) = 1,91 Å),[61, 150] ce qui confirme non seulement la qualité de la démarche ab

initio, mais également la pertinence de la modélisation de l’enchaînement M-N≡C-M’ par M-N≡C-H au sein

du monomère [M(NCH)y(OH2)(6-y)]k+. Ce résultat est en accord avec le caractère fortement covalent de la liaison Fe-C au sein de l’entité {M’(CN)6}, ce qui explique la faible sensibilité de l’entité {M’(CN)6} à son environnement. Cette observation est confirmée expérimentalement par la comparaison des distances d(Fe-C) au sein de l’entité {Fe(CN)6} observées d’une part pour le monomère libre [Fe(CN)6]j- (d(FeII-C) = 1,89 Å ; d(FeIII-C) = 1,91 Å)[100-101] et d’autre part au sein des ABP AxCoFe (d(FeII-C) = 1,92 Å ; d(FeIII-C) = 1,94 Å).[61]

2. États de spin

La position relative en énergie des états de spin HS et BS des monomères [Co(NCH)y(OH2)(6-y)]k+ a été estimée à partir de la différence adiabatique d’énergie EHS–EBS (Figure 28). Dans la série [Co(NCH)y(OH2)(6-y)]2+, le cation CoII présente toujours un état HS (S = 3/2), quel que soit le rapport entre les nombres de ligands isocyanure et aqua dans sa sphère de coordination. Dans la série [Co(NCH)y(OH2)(6-y)]3+, le cation CoIII présente une transition de spin depuis l’état HS (S = 2) vers l’état BS (S = 0) lors de la substitution de molécules d’eau par des ligands isocyanure. Cette transition a lieu pour un faible taux de substitution y (compris entre 2 et 3). De manière notable, aucune transition de spin n’est attendue dans le domaine d’existence des ABP AxCoFe (0 ≤ x ≤ 4, soit 4 ≤ y ≤ 6) : sur cette gamme, le cation CoII est toujours dans un état HS, tandis que le cation CoIII présente toujours un état BS. Ces états de spin, prédits par le calcul

ab initio pour le cation cobalt aux degrés d’oxydation +II et +III, sont en accord avec ceux observés

expérimentalement pour les ABP AxCoFe.[151] 3. Potentiel rédox du couple CoIII/CoII

Le potentiel rédox du couple CoIII/CoII a été calculé dans la série [Co(NCH)y(OH2)(6-y)]k+ (Figure 29). Le potentiel rédox E°(CoIII/CoII) se révèle très sensible au taux de substitution y des molécules d’eau par des ligands isocyanure dans cette série : une variation monotone et quasi-linéaire de cette valeur est observée entre le monomère [Co(OH2)6]k+ (y = 0 ; E°(CoIII/CoII) ≈ 2 V/ESH) et le monomère [Co(NCH)6]k+ (y = 6 ; E°(CoIII/CoII) ≈ 0 V/ESH). En supposant que le potentiel rédox du couple FeIII/FeII dans l’entité {Fe(CN)6} reste constant (et proche de sa valeur au sein du monomère [Fe(CN)6]j-) pour tout ABP AxCoFe, un croisement entre les potentiels rédox des couples CoIII/CoII et FeIII/FeII est attendu pour y ≈ 5. En conséquence, deux états redox, proches en énergie, sont attendus pour la paire Co/Fe dans les ABP AxCoFe, à savoir les couples CoII-FeIII et CoIII-FeII, en accord avec la littérature.[151]

Figure 27 – Évolution de l’énergie relative des états HS () et BS () de plus basse énergie en

fonction de la distance d(Co-N) dans les monomères [Co(NCH)6]k+. Les énergies relatives sont données par rapport à la structure la plus stable. (a) k = 2 ; (b) k = 3.

Figure 28 – Évolution de la différence d’énergie EHS–EBS dans la série [Co(NCH)y(OH2)(6-y)]k+ pour les états d’oxydation CoII

() et CoIII ().

Figure 29 – Évolution du potentiel rédox calculé pour le couple CoIII/CoII en fonction de y dans la série [Co(NCH)y(OH2)(6-y)]k+. Le potentiel rédox du couple FeIII/FeII, supposé invariant dans la série AxCoFe,

4. États électroniques des ABP AxCoFe

En combinant les résultats obtenus pour les états de spin du cation cobalt et le potentiel rédox du couple CoIII/CoII dans la série [Co(NCH)y(OH2)(6-y)]k+, plusieurs prédictions peuvent être formulées :

(1) Pour de faibles taux de cations alcalins (x ≈ 0, soit y ≈ 4) : l’état électronique fondamental attendu pour l’enchaînement Co-N≡C-Fe est l’état CoII

(HS)-N≡C-FeIII(BS) ;

(2) Pour de forts taux de cations alcalins (x ≈ 4, soit y ≈ 6) : l’état électronique fondamental attendu pour l’enchaînement Co-N≡C-Fe est l’état CoIII

(BS)-N≡C-FeII(BS) ;

(3) Pour des taux de cations alcalins intermédiaires, proches de x ≈ 2 (soit y ≈ 5) : une faible différence d’énergie entre les deux états CoII(HS)-N≡C-FeIII(BS) et CoIII(BS)-N≡C-FeII(BS) est anticipée. En conséquence, des propriétés de commutations reposant sur la transition électronique CoII(HS)-N≡C-FeIII(BS) ↔ CoIII(BS)-N≡C-FeII(BS) sont attendues.

Toutes ces prédictions sont en parfait accord avec les données expérimentales indiquant une bistabilité électronique entre les états CoIIFeIII et CoIIIFeII dans les ABP AxCoFe (par exemple, sur la série CsxCoFe).[63] Cette étude ab initio de la série [Co(NCH)y(OH2)(6-y)]k+ permet donc non seulement de reproduire, mais également d’expliquer l’origine de la bistabilité électronique observée pour certains analogues AxCoFe.

Enfin, cette étude permet également d’apporter un éclairage nouveau aux propriétés de commutation des ABP AxCoFe. La transition électronique CoIIFeIII ↔ CoIIIFeII mettant en jeu à la fois un TC entre les centres métalliques et une TS localisée sur le cation cobalt, la question de la chronologie de ces deux évènements électroniques au sein de cette transition a été soulevé dans la littérature.[124, 130, 152] Deux cas peuvent intuitivement être envisagés : soit le TC entre les centres métalliques déclenche la TS localisée sur le cation cobalt ; soit la TS localisée sur le cation cobalt provoque le TC entre les centres métalliques de l’enchaînement Co-N≡C-Fe. Au vu de la stabilité de l’état de spin mise en évidence par le calcul aussi bien pour les cations CoII que CoIII dans les ABP AxCoFe (Figure 28), il semble peu probable qu’une TS puisse être à l’origine de la transition électronique dans ces systèmes. A contrario, la forte variation du potentiel rédox E°(CoIII/CoII) semble indiquer que le TC entre les centres métalliques est bien à l’origine de la transition électronique CoIIFeIII ↔ CoIIIFeII, la TS du cation cobalt étant une conséquence de ce TC (ce type de transition est souvent qualifié de « Charge Transfer Induced Spin Transition » – CTIST).[31] La démarche de modélisation ab initio utilisée dans ce travail a ainsi non seulement permis de caractériser les états (méta)stables des ABP AxCoFe, mais a également servi à préciser (en partie) les mécanismes impliqués dans la transition électronique au sein de ces systèmes.

Extension du modèle aux analogues du bleu de Prusse