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Interactions avec les substrats donneurs

3. Amélioration et modification des propriétés des enzymes

3.1. Introduction sur l’évolution dirigée

Ces dernières années, les enzymes ont été de plus en plus utilisées pour leur pouvoir catalytique dans de nombreux domaines, notamment dans ceux de la chimie fine, de la pharmacie et de l’environnement. Cependant, si grâce à l’évolution, les enzymes sont optimisées et hautement spécialisées pour leurs fonctions au sein d’un organisme vivant, c’est parfois loin d’être le cas pour les applications à des réactions à larges échelles. Conséquence de leurs rôles in vivo, les enzymes sont spécifiques des substrats proches de leurs substrats naturels, peuvent être inhibées par des hautes concentrations en substrat ou produit et ne sont généralement stables qu’en milieu physiologique, sur une courte durée. Ces paramètres peuvent être autant de facteurs limitant leur utilisation dans les bioprocédés, qui requiert des enzymes qui acceptent une large gamme de substrats, qui soient stables et actives sur de longues périodes et dans des conditions non-physiologiques (solvants non aqueux, températures et pH extrêmes).

Il est possible d’optimiser une enzyme pour les propriétés recherchées grâce à une méthode reproduisant in vitro et de façon accélérée l’évolution et la sélection naturelle μ l’évolution dirigée. Cette technologie, créée au début des années 1990 par le Pr. F. Arnold (Etats-Unis)[71] et le Pr. W. Stemmer (Etats-Unis)[72] s’est révélée être un outil puissant pour façonner une enzyme. L’échelle de temps du processus d’évolution est alors réduite du million d’années à quelques mois seulement.

L'évolution dirigée comporte typiquement trois grandes étapes successives : 1) la création d’une diversité génétique, 2) un test de criblage ou de sélection, et 3) l’amplification de la nouvelle propriété par itération des deux premières étapes (Figure 25).

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Figure 25 : Principe de l’évolution dirigée

La première étape consiste à créer une diversité génétique à partir du gène parental. Il existe un ensemble de techniques permettant de créer des banques de gènes mutés, comme par exemple les techniques de mutagenèse ou de recombinaison entre gènes d’une même famille (ex : « DNA shuffling »). Les enzymes mutées sont ensuite exprimées dans une cellule hôte approriée à partir des gènes mutés correspondants. La seconde étape permet de mettre en évidence les enzymes mutées qui présentent les propriétés recherchées, soit par un test de sélection ou soit par un test de criblage. L’ensemble est un processus itératif : les enzymes mutées retenues après sélection ou criblage peuvent être à leur tour soumises à de nouveaux cycles jusqu’à l’obtention d’une protéine optimisée pour les propriétés recherchées.

Gène parent Banque de gènes

mutés enzyme sélectionnée Gène sélectionné enzyme améliorée CRÉATION D’UNE DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE EXPRESSION DES PROTEINES CRIBLAGE OU SELECTION n cycles 1 2 Banque d’enzymes mutées AMPLIFICATION 3

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3.2. Création de la diversité au niveau des gènes

Au cours des trente dernières années, de nombreuses techniques ont été développées afin de créer une diversité génétique au niveau du gène codant la protéine d’intérêt. Pour obtenir un ensemble de gènes modifiés, trois stratégies principales peuvent être envisagées :

 Par mutagenèse à partir du gène initial

 Par recombinaison des différentes séquences de gènes issus d’une même famille  Par sélection des séquences naturelles du gène d’intérêt parmi la biodiversité

(métagénomique).

Seules les deux premières stratégies seront décrites ici. Elles seront envisagées chacune selon une approche aléatoire ou dirigée.

3.2.1. Approche aléatoire

Cette approche est envisagée lorsqu’il existe peu ou pas d’information sur la structure et la fonction d’une protéine. Des mutations sont introduites à des endroits non définis dans la séquence nucléotidique. Cette stratégie est souvent utilisée comme première étape d'investigation et génère des banques d’enzymes mutées de grande taille. Deux techniques très distinctes sont principalement utilisées pour l’approche aléatoire : la mutagenèse aléatoire et la recombinaison génétique (« DNA shuffling »).

3.2.1.1. Mutagenèse aléatoire

La mutagenèse aléatoire consiste à introduire des mutations à des endroits non définis sur le gène. La technique la plus ancienne et la plus communément utilisée est appelée «PCR mutagène » ou « error-prone PCR ».[73-75] La réaction en chaine par polymérase (PCR) est une technique permettant de dupliquer un gène en un grand nombre de copies. La PCR mutagène repose sur l’utilisation d’une ADN polymérase de Thermus aquaticus, la Taq polymérase (EC 2.7.7.7), dont la fidélité est plus faible que les autres ADN polymérases en raison d’une activité 3’5’ exonucléase moins efficace (0,001 à 0,002% d’erreur par nucléotide et par cycle d’amplification).[76] Différentes Taq polymérases sont commerciales et leurs

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caractéristiques varient en fonction du taux d’erreur généré et de la taille des séquences d’ADN à amplifier (de 0,8 à 3 kb). En fonction de la taille du gène d’intérêt, certains auteurs utilisent la PCR mutagène en présence de gènes entiers ou de fragments de gènes.[77, 78]

3.2.1.2. DNA shuffling

Le « DNA shuffling » (de l’anglais « shuffle » : brasser) est une technique mimant la recombinaison se produisant dans l’évolution naturelle. Elle a pour rôle de couper l’ADN provenant d’un ou plusieurs gènes(s) parental(aux) en plusieurs fragments et de les recombiner entre eux pour conduire à des gènes chimériques. La première méthode de DNA shuffling a été développée par Stemmer en 1994.[72] D’autres méthodes basées sur le même principe ont été proposées dans le but d’augmenter la part des gènes chimériques.[79]

3.2.2. Approche rationnelle

L’approche aléatoire conduit à un très grand nombre d’enzymes mutées et nécessite donc de disposer de méthodes permettant de cribler ces très larges banques. Ainsi, une autre approche a été développée, permettant de cibler les mutations sur quelques positions clé soigneusement choisies μ c’est l’approche rationnelle.

Cette approche requiert une bonne connaissance de la structure, de la fonction et du mécanisme de la protéine. De nombreuses techniques ont été mises au point, permettant de muter un seul acide aminé ponctuel, plusieurs acides aminés ou une séquence entière.

3.2.2.1. Mutagenèse dirigée

La mutagénèse dirigée a pour but de substituer un acide aminé par un autre en une position précise au niveau de la séquence d’ADN. Plusieurs méthodes, basées sur la PCR, ont été développées afin d’obtenir ce type de mutation. La méthode la plus utilisée est la méthode « QuickChange® site-directed mutagenesis » brevetée par la firme Stratagene[80] car elle est simple et rapide. Les mutations sont introduites directement à partir du plasmide contenant déjà le gène d’intérêt et de deux amorces ADN complémentaires contenant la

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mutation désirée, qui peut être soit un échange de bases, soit une insertion ou une délétion (Figure 26).

Figure 26 : Principe de la méthode QuickChange® (traduit du manuel « QuikChange II Site-Directed Mutagenesis Kit »)

La première étape consiste à concevoir et synthétiser les amorces, qui sont des petites séquences d’ADN (de 25 à 45 paires de bases) et qui peuvent s’hybrider à l’ADN du gène d’intérêt, à l’endroit où l’on souhaite introduire la mutation. Chacune des amorces est ensuite allongée par une ADN polymérase qui copie le reste du gène. Ainsi le gène copié comporte la mutation. Une étape de digestion permet d’éliminer sélectivement l’ADN parental par la

DpnI. Le plasmide muté est ensuite transformé dans une cellule hôte et cloné.

La mutagenèse dirigée permet donc d’introduire une mutation dans une position donnée, mais peut également être utilisée pour l’introduction de mutations en plusieurs positions, sur une courte séquence, voire sur un gène entier.[81]

3.2.2.2. Mutagenèse par saturation de site

Cette méthode de mutagenèse consiste à remplacer de façon systématique un résidu d’une protéine par les 19 autres acides aminés. Ces substitutions sont réalisées à partir de codons dégénérés introduits dans la position désirée lors de la synthèse des oligonucléotides utilisés comme amorces. La dégénérescence est introduite grâce aux différentes proportions de chaque nucléotides constituant les codons désignés par les lettres NNN, où N est égal à 25 %

Synthèse du brin mutant

Appliquer un cycle thermique pour : 1) Denaturerl’ADN at i e 2) Apparier les amorces

mutagéniques contenant la mutation souhaitée 3) Etendre les amorces grâce à

l’ADN pol ase PfuUltra

Digestio de l’ADN atri e par la Dpn I

Digestio de l’ADN pa e tal méthylé et hémiméthylé par la Dpn I

Transformation

Les molécules mutées sont transformée dans des cellules compétentes

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de chaque nucléotides A,T,G,C. On obtient ainsi un pool d’amorces différentes. Un protocole similaire à la mutagénèse dirigée peut être alors suivi, à partir du plasmide contenant le gène d’intérêt et du mélange d’amorces.

Par ailleurs, il est possible de réduire les biais dus à la redondance du code génétique (voir

Annexe 2) et diminuer le nombre de codons correspondants à un même acide aminé, en

utilisant des codons type NNK, où K représente 50 % G et 50 % T, ou bien de type NNS, où S représente 50 % de C ou G. Par exemple, un codon de type NNN conduira à 64 codons possibles correspondants aux 20 acides aminés, alors qu’un codon NNK, quant à lui, conduira à seulement 32 codons, couvrant les 20 acides aminés.

Cette méthode a été appliquée avec succès pour l’amélioration des propriétés des enzymes, comme la stabilité, la spécificité de substrat ou encore la stéréospécificité.[82]