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Chapitre introductif

2. Forêts, Climat et Albédo : état de l’art

2.2. Observation et modélisation de l’albédo

2.2.1. Algorithmes d’estimation de l’albédo à partir de données satellitaires

L’albédo est une grandeur physique représentant la quantité de lumière solaire incidente réfléchie par une surface. Cette grandeur est un rapport entre la quantité de lumière réfléchie et la quantité de lumière incidente. Dans le cas idéal d’une surface lambertienne, également dite isotrope, la partie du rayonnement solaire incident réfléchie l’est dans toutes les directions et avec une amplitude égale. Ainsi, la surface apparaît avec la même intensité quelle que soit la direction d’observation. L’albédo s’apparente donc à une constante. Cependant les surfaces naturelles que l’on trouve sur la Terre ne sont pas lambertiennes et ont des propriétés de réflectivité différente en fonction des conditions d'illumination ou d'observation. Ainsi, une même surface peut être perçue de différentes manières selon la position du soleil dans le ciel. Comme le montre la Figure I-10 une forêt va pouvoir paraître très brillante ou très sombre selon la position du soleil. Ces surfaces non- lambertiennes sont dites anisotropes. Cette dépendance de l’albédo aux effets directionnels est exprimée au travers d’une fonction de distribution de réflectance bidirectionnelle (BRDF pour « Bidirectional Reflectance Distribution Function » en anglais).

Figure I-10 : Exemple d’effet directionnel des surfaces. Observation d’une forêt d’épicéa avec (a) le

soleil de dos et (b) le soleil de face. Source :

https://www.umb.edu/spectralmass/terra_aqua_modis/modis

Depuis les années 70 de nombreux travaux ont été menés afin de représenter l’albédo de la manière la plus correcte possible (Schaepman-Strub et al., 2006 ; Qu et al., 2015). Nicodemus et al. (1977) ont établi une approche commune de caractérisation de la réflectance qui s’intéresse à la fois à la géométrie du rayonnement incident et du rayonnement réfléchi. Neufs catégories de géométrie du rayonnement ont été décrites, basées sur une combinaison de trois types de géométrie du rayonnement incident et de trois types de rayonnement réfléchi. (Tableau I-3).

Tableau I-3: Neuf types de réflectance basés sur trois types de géométrie du rayonnement incident et trois types de géométrie du rayonnement réfléchi. En rouge sont représenté les trois types de géométries le plus fréquemment rencontrés : le facteur de réflectance bidirectionnelle (BRF), la réflectance directionnelle-hémisphérique (DHR) et la réflectance bi-hémisphérique (BHR).

Réfléchi

Incident Directionnel Conique Hémisphérique

Directionnel

Conique

Hémisphérique

Au cours de cette étude, Nicodemus et al. ont défini la nomenclature permettant, aujourd’hui encore, de décrire la géométrie des rayonnements. En 1978, Kriebel et al. ont proposé une méthode d’estimation de l’albédo de surface dans la canopée. Cette estimation de l’albédo a été faite au travers de mesures terrain du facteur de réflectance bidirectionnelle (BRF pour « bidirectionnal reflectance factor » en anglais, voir Tableau I-3). Dans la même lignée, Kimes et al. (1983 ; 1985) et Deering et Leone (1986) ont également présenté des estimations de réflectance de la surface à partir de séries de mesures du BRF. En 1987, Kimes et al. ont mis en évidence qu’il était nécessaire d’utiliser des observations multi-angulaires afin d’estimer correctement l’albédo de surface. A partir de cette même période, une multiplication des missions spatiales pour l’observation de la surface de la Terre a eu lieu. Dès lors, la communauté scientifique a cherché à représenter des paramètres biophysiques des surfaces, tel que l’albédo, depuis les signaux reçus dans le domaine optique des

DHR

BHR BRF

courtes longueurs d'onde par des capteurs passifs depuis l'espace. Des propositions d’algorithmes pour le calcul de réflectances hémisphériques, ou albédo, (DHR et BHR, voir Tableau I-3) ont alors débuté afin d’intégrer les propriétés anisotropes des surfaces terrestres (Ranson et al., 1991 ; Starks et al. 1991). Dans l’optique de pouvoir traiter de grands volumes de données et de représenter les propriétés anisotropes des surfaces, Roujean et al. (1992), par exemple, ont proposé un modèle semi-empirique qui permet de normaliser les observations satellitaires en les corrigeant des effets bidirectionnels dus aux changements constants de direction du soleil et du point d’observation. Ce modèle est une représentation linéaire de la réflectance basée sur trois paramètres : un paramètre isotrope, un noyau géométrique et un noyau volumique, voir Eq. I-3.

𝑅(𝜃, 𝜈, 𝜙, 𝜆) = 𝑓𝑖𝑠𝑜(𝜆) + 𝑓𝑣𝑜𝑙(𝜆)𝐾𝑣𝑜𝑙(𝜃, 𝜈, 𝜙) + 𝑓𝑔𝑒𝑜(𝜆)𝐾𝑔𝑒𝑜(𝜃, 𝜈, 𝜙) Eq. I-3

où θ, ν, φ, λ sont respectivement l’angle solaire zénithal, l’angle d’observation zénithal, la différence entre les angles azimutaux solaires et d’observation, et la longueur d’onde. 𝑅(𝜃, 𝜈, 𝜙, 𝜆) représente la réflectance bidirectionnelle de la surface, avec 𝑓𝑘 un paramètre dépendant de la longueur d’onde

et 𝐾𝑘 un noyau du modèle BRDF. Le facteur k désignant la part isotrope, volumique ou géométrique

du modèle BRDF, voir Roujean et al. (1992) pour plus de détails sur ces trois noyaux.

Depuis le début des années 80, de nombreuses études ont cherché à développer des modèles de BRDF afin d’estimer au mieux les propriétés anisotropes des surfaces (Ross, 1981 ; Li et Strahler, 1986 ; Roujean et al., 1992 ; Li et Strahler, 1992 ; Wanner et al., 1995). Mais ce n’est que dans les années 2000, que la première fonction BRDF opérationnelle est développée pour les produits satellitaires albédo du capteur MODIS (Moderate Resolution Imaging Spectroradiometer). Cette fonction opérationnelle utilise le modèle RossThick-LiSparse-R qui s’appuie sur les travaux de Roujean et al. (1992) et de Wanner et al. (1995). Le modèle RossThick-LiSparse-R prend la même forme que celle détaillée Eq. I-3, où le noyau volumique est le 𝐾𝑣𝑜𝑙 issu de Roujean et al. (1992) et le

noyau géométrique (𝐾𝑔𝑒𝑜) est une forme réciproque du noyau géométrique LiSparse développé par

Wanner et al. en 1995 (Lucht et al., 2000 ; Schaaf et al., 2002). Aujourd’hui les différents modèles de BRDF proposés par la communauté scientifique tendent à converger vers le modèle proposé par l’équipe MODIS. De telle manière que les travaux menés par Schaaf et al. (2002) sur l’albédo MODIS sont devenus une référence, et parmi les travaux les plus cités dans le domaine de la télédétection de l’albédo.

Afin de représenter les albédos de surface (TOC pour « top of canopy » en anglais) à partir du capteur satellitaire MODIS, une chaîne de production composée de plusieurs étapes est nécessaire (voir Figure I-11). Une fois le masque nuage appliqué, la première étape consiste en la correction

atmosphérique des réflectances fournies par le capteur MODIS afin de restituer les réflectances TOC à partir de réflectances TOA (pour « top of atmosphere » en anglais). Après avoir estimé les réflectances TOC, les albédos de surface vont pouvoir être restitués. Pour cela, la fonction BRDF est intégrée une première fois dans l’hémisphère d’observation pour obtenir un produit DHR (« directional-hemispherical reflectance »), dit aussi albédo « black-sky ». L’albédo « black-sky » correspond à l’albédo théorique en condition de ciel clair sans présence de rayonnement diffus. Cet albédo dépend de l’angle du rayonnement et va donc évoluer tout au long de la journée en fonction de la position du soleil dans le ciel. Une forme typique de « u » est observée sur les surfaces végétalisées au cours de la journée, voir Figure I-12. Le produit satellitaire d’albédo « black-sky » MODIS est fourni pour un rayonnement solaire au midi local. Afin de représenter l’albédo en condition d’illumination diffuse, la BRDF est intégrée une seconde fois dans l’hémisphère de rayonnement incident afin d’obtenir le produit BHR (« bi-hemispherical reflectance »), également appelé albédo « white sky ». Contrairement à l’albédo « black-sky », l’albédo « white-sky » va être indépendant des configurations d’angle d’illumination. En effet, en condition diffuse parfaite le rayonnement arrive de toutes directions. Quels que soient le moment de la journée et la position du soleil dans le ciel, le rayonnement solaire arrive à la surface selon tous les angles possibles d’illumination avec la même intensité. Ainsi, l’albédo « white-sky » reste constant tout au long de la journée, voir Figure I-12. Les albédos « white-sky » et « black-sky » sont marqués les conditions extrêmes d’illumination, respectivement totalement diffuses et totalement directes. Les conditions naturelles d’illumination sont un mélange de rayonnement direct et diffus, pondéré par une fraction de rayonnement diffus. Le poids attribué au rayonnement diffus par rapport au rayonnement direct dépend des conditions atmosphériques, et notamment de l’épaisseur optique en aérosols (Lewis et Barnsley, 1994 ; Lucht et al., 2000 ; Schaaf et al., 2002 ; Roman et al., 2010). L’albédo observé dans les conditions naturelles est appelé albédo « blue-sky ». Finalement, à l’issue de ces étapes d’intégration les albédos obtenus sont des albédos spectraux, par longueur d’onde (λ). Dans diverses applications, comme les études climatiques par exemple, l’albédo utilisé n’est pas l’albédo spectral calculé à partir d'une des bandes natives du capteur mais l’albédo large-bande (ex : visible, infra- rouge proche). Afin d’obtenir ces produits d’albédo nécessaires aux modèles de climat (GCM) et fournis en temps quasi-réel à partir de données satellitaires, la chaîne de production consiste en une dernière étape d’intégration des albédos spectraux sur la large-bande d’intérêt (Figure I-11).

Figure I-11: Chaîne de traitement pour l’obtention d’un albédo satellitaire de surface à partir des réflectances détectées en haut de l’atmosphère (TOA pour « top of atmosphere »)

Figure I-12 : Exemple d’évolution des albédos « black-sky », « white-sky » et « blue-sky » sur une surface végétalisée. Source : Wang et al. (2016)

La conversion de bandes spectrales en bandes larges nécessite l’utilisation de capteurs pouvant échantillonner les surfaces avec une large palette d’angles d’observation. Les capteurs embarqués sur satellite comme MODIS, MISR (« Multiangle Imaging Spectrometer »), POLDER (« Polarization and Directionality of Earth Reflectances »), MERIS (« Medium Resolution Imaging Spectrometer »), AVHRR (« Advanced Very High Resolution Spectrometer »), etc, permettent ce type d’observation. La conversion des albédos spectraux en albédos large-bandes fait appel à des coefficients qui sont estimés par confrontation de spectres observés avec des simulations numériques. De nombreux travaux ont permis d’estimer ces coefficients pour les bandes spectrales de divers satellites (Wydick et al., 1987 ; Brest et Goward, 1987 ; Gutman, 1988 ; Li et Leighton, 1992 ; Liang et al., 1999 ; Liang et al., 2000). Les travaux de Liang et al. (1999) ont permis de déterminer les coefficients de conversion pour les capteurs MODIS et MISR. Il est important de noter que la valeur de ces coefficients est sensible aux conditions atmosphériques (ex : épaisseur optique en aérosols, conditions d’illumination, etc.). Toutefois, dans des conditions atmosphériques moyennes, les coefficients présentés Tableau I-4 ont pu être estimés pour le capteur MODIS (Liang et al., 1999 ; Lucht et al., 2000). Ces coefficients sont estimés de manière empirique à partir de

Réflectance TOA Réflectance

de surface Albédo spectral Albédo en bandes

Correction

atmosphérique Modèle BRDF

Conversion spectre-bandes

simulations numériques s’appuyant sur une base d’une centaine de spectres de végétation, de sol et de neige (Liang et al., 1999 ; Lucht et al., 2000). Ainsi l’albédo large bande est estimé de la manière suivante :

𝛼𝐵𝐵= 𝑏 + ∑ ϲ𝑖

𝑖

𝛼𝑖 Eq. I-4

où, 𝛼𝐵𝐵 est l’albédo large bande (VIS, NIR ou SW), ϲ𝑖 le coefficient de conversion de la bande spectrale i vers la bande large BB (voir Tableau I-4), 𝛼𝑖 l’albédo spectral dans la bande i, et 𝑏 le facteur d’ordonnée à l’origine.

Tableau I-4 : Coefficients de conversion des sept bandes spectrales MODIS en bandes larges dans le domaine du visible (VIS), de l’infrarouge proche (NIR) et dans l’ensemble du domaine du rayonnement solaire (SW).

Bandes Spectrales MODIS Longueur d’onde (μm) Bande large VIS Bande large NIR Bande large SW 1 0.62-0.67 0.3265 --- 0.3973 2 0.84-0.87 --- 0.5447 0.2382 3 0.46-0.48 0.4364 --- 0.3489 4 0.54-0.56 0.2366 --- -0.2655 5 1.23-1.25 --- 0.1363 0.1604 6 1.63-1.65 --- 0.0469 -0.0138 7 2.11-2.16 --- 0.2536 0.0682 Ordonnée --- -0.0019 -0.0068 0.0036

La précision des produits satellitaires d'albédo de surface dépend de la performance de chacune des étapes définies ci-dessus. Ainsi des erreurs peuvent s’accumuler tout au long de la chaîne de production (masque nuage, correction atmosphérique, modèle BRDF, fusion de bandes spectrales). L’une des étapes les plus délicates est la correction atmosphérique. Afin de corriger parfaitement le produit des effets atmosphériques il est nécessaire de connaître le contenu exact en vapeur d’eau de l’atmosphère ainsi que le type et la quantité d’aérosols en chaque point du globe. Lors de changements brutaux de la surface (déforestation par exemple), l’étape de correction par le modèle BRDF peut amener à des erreurs dans l’estimation de l’albédo de surface. Pour essayer de limiter ces erreurs lors de l’étape de correction atmosphérique, Liang (2003) a proposé une méthode d’estimation directe de l’albédo de surface à partir de la réflectance observée en haut de l’atmosphère (réflectance TOA). Cette méthode se base sur l’apprentissage statistique simultané de réflectances TOA simulées et d’albédo de surface simulés à partir d’une bibliothèque de réflectances spectrales. Outre le fait que la méthode ne nécessite pas de correction atmosphérique en amont,

l’un des avantages d’une telle approche est qu’elle permet l’estimation de l’albédo de surface à partir d’une seule observation angulaire, contrairement à la méthode BRDF. La méthode appliquée aux réflectances TOA MODIS a montré des résultats similaires à ceux obtenus par la méthode BRDF. Sur les zones non végétalisées ou les zones végétalisées subissant de fortes modifications, la méthode d’estimation directe de l’albédo de surface a été estimée plus performante que la méthode BRDF. Cependant la méthode d’estimation directe de l’albédo développée par Liang (2003) présente également des désavantages. En effet, contrairement à la méthode BRDF, la méthode directe nécessite des connaissances a priori des réflectances TOA et albédos de surface pour la construction de bibliothèques d’apprentissage. De plus, cette méthode fait l’hypothèse forte de surfaces lambertiennes alors que les surfaces naturelles sont anisotropes.

Dans ce manuscrit, j’ai choisi de travailler à partir de données MODIS BRDF/Albedo avec une série temporelle complète et hors couvert neigeux (Sun et al., 2014 ; Sun et al., 2017). Le produit BRDF/Albedo MODIS a une longue histoire et a montré sa robustesse au travers de nombreuses publications dans le domaine de la télédétection de la végétation. Il permet grâce à la combinaison de deux satellites, Terra et Aqua, d’observer la surface avec une résolution temporelle de 8 jours et une résolution spatiale de 1 km. Toutefois, l’une des principales faiblesses du modèle BRDF est l’erreur d’estimation de l’albédo sur les zones enneigées. Afin de s’affranchir de ce problème nous utiliserons un produit albédo MODIS sans neige et le produit de qualité associé au produit albédo a été utilisé.