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1.2 Neurophysiologie

1.2.3 Adaptation dynamique

Cette section se penche plus particuli`erement sur la question de l’adaptation dynamique dans le cerveau. Ce point est central `a notre expos´e, c’est pourquoi l’on s’´etendra un peu plus longuement sur les hypoth`eses en pr´esence, et les observations neurophysiologiques.

Le terme d’adaptation dynamique (ou adaptation `a court terme) signifie, comme on l’a vu plus haut, que la dynamique des neurones est capable de chan-ger qualitativement au cours du temps, sans aucune modification physiologique

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(ou `a des ´echelles de temps trop courtes pour que des processus de modification synaptique interviennent de fa¸con significative). Dans le langage des syst`emes dynamiques, on peut dire que l’adaptation dynamique repose sur le caract`ere non-stationnaire des dynamiques neuronales.

Activit´e ´electrique globale

Jusqu’`a r´ecemment, on envisageait le cerveau comme un organe poss´edant un grand nombre d’aires, associ´ees chacune `a des fonctionnalit´es sp´ecifiques, ayant `

a peu pr`es la mˆeme localisation d’un individu `a l’autre. Il ´etait donc possible de tracer une carte fonctionnelle qui associait une fonction `a chaque aire du cerveau. Cette connaissance, essentiellement fond´ee sur l’´etude des l´esions, ne permettait pas de mettre en ´evidence les relations de coop´eration entre les diff´erentes aires. Elle donnait du cerveau une vision statique et parcellaire.

Les moyens modernes d’observation (EEG, MEG) fournissent `a pr´esent une description dynamique de l’activit´e du cerveau. En mesurant l’´evolution du champ ´electro-magn´etique `a la surface du crˆane, on met en ´evidence de v´eritables chemins de communication qui relient et conditionnent l’activit´e de grands ensembles de neurones. Combin´ee avec une connaissance anatomique des aires fonctionnelles, connaissance apport´ee maintenant par les m´ethodes tomographiques (PET Scan, IRM fonctionnelle), il est possible d’´elucider le comportement de communica-tion `a grande ´echelle entre ces diff´erentes aires, par des mesures de propagation d’activit´es corr´el´ees [19]. Il apparaˆıt en particulier que le traitement d’une infor-mation sensorielle est rapidement distribu´e vers de nombreuses aires sp´ecialis´ees qui prennent en charge les diff´erentes modalit´es du signal.

Cette approche dynamique de l’activit´e c´er´ebrale permet par ailleurs de mettre en ´evidence de nouvelles fonctionnalit´es qui reposent exclusivement sur l’activit´e dynamique. On peut en particulier citer les travaux de Kelso [20] qui montrent que la vitesse et la direction d’un mouvement peuvent ˆetre mises en relation avec le comportement du champ magn´etique au niveau des aires pari´etales.

Bien sˆur, toutes ces approches ont un niveau de pr´ecision de l’ordre du centi-m`etre, ou du millim`etre dans le meilleur des cas, et ne permettent, loin s’en faut, d’acc´eder aux caract´eristiques des petites unit´es neuronales. Toutes ces m´ethodes ne permettent qu’un aper¸cu lointain de ce qui se passe r´eellement lors de la r´ eali-sation d’une tˆache cognitive. On ne connaˆıt pour l’instant pas la nature du code, et encore moins la nature de ce qui est cod´e lorsque des ensembles de neurones ´echangent des informations.

Synchronisation

On dit que des signaux sont synchronis´es lorsqu’ils pr´esentent des corr´elations non nulles. En neurophysiologie, la notion de synchronisation est souvent associ´ee `

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tions de fr´equence comprise entre 8 et 12 Hz, appel´ees α. Un champ de recherche actif concerne des oscillations de beaucoup plus faible amplitude dans la bande des 40 `a 80 Hz (γ).

Au niveau de l’ensemble de neurones, la pr´esence d’une fr´equence dominante identique pour tous correspond au fait que les neurones tendent `a tirer en phase. Synchronisation et oscillations p´eriodiques marquent le fait qu’un groupe de neu-rones (par exemple une colonne corticale) est en train de “travailler”. Cette activit´e forte est souvent transitoire, et se maintient sur quelques dixi`emes de secondes avant de se propager `a d’autres r´egions.

De nombreuses hypoth`eses existent sur le rˆole fonctionnel de la synchronisa-tion. Ces hypoth`eses reposent `a la fois sur des faits exp´erimentaux et sur des simulations num´eriques :

– Codage temporel d’une stimulation sensorielle. Beaucoup de ph´ eno-m`enes de synchronisation ont ´et´e mesur´es au niveau des aires sensorielles (vision, olfaction). La synchronisation semble impliqu´ee dans le filtrage et le codage de l’information sensorielle.

– Dans les aires visuelles primaires, la synchronisation de colonne `a colonne participe `a la d´etection du contour des objets du champ visuel [21]. Cette information sur le contour poss`ede la mˆeme topologie que le signal initial. En ce sens, c’est une op´eration de filtrage.

– La synchronisation tend `a produire des motifs d’activit´e coh´erents dans le temps et dans l’espace, ce qui permet de penser qu’il existe des formes de codage qui incluent la dimension temporelle. Les travaux d’Abeles [22] mettent en ´evidence des figures de tir pr´ecises et reproductibles. Dans le lobe antennaire du criquet (l’´equivalent du bulbe olfactif chez les mammi-f`eres), G. Laurent montre que la pr´ecision dans la reconnaissance d’une odeur d´epend d’un motif de tir spatio-temporel complexe, qui apparaˆıt de fa¸con transitoire [23]. En particulier, la d´esactivaion des influences inhibitrices abolit les oscillations synchrones, ce qui produit une baisse importante dans la pr´ecision de la reconnaissance des odeurs. Les inhi-biteurs ont un rˆole crucial dans la synchronisation du signal global et permettent d’obtenir un motif spatio-temporel n´ecessaire `a la mise en œuvre des processus de traitement ult´erieurs.

Quelques mod`eles th´eoriques mettant en jeu la synchronisation ont r´ ecem-ment ´et´e propos´es [24, 25], et sont l’objet d’un int´erˆet grandissant dans le domaine des r´eseaux de neurones.

– Liage de donn´ees. L’hypoth`ese du liage de donn´ees est la suivante : lors-qu’un stimulus poss´edant plusieurs modalit´es sensorielles atteint les aires sensorielles r´eceptrices correspondantes, il provoque au sein de chacune une activit´e synchronis´ee. Pendant le court instant o`u les aires stimul´ees sont ac-tives simultan´ement, le reste du r´eseau, qui ne poss`ede pas cette activit´e co-h´erente, est en quelque sorte d´esactiv´e. L’activit´e c´er´ebrale est donc r´eduite aux aires stimul´ees, qui se retrouvent li´ees dynamiquement, au cours d’un

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traitement parall`ele global. Elles participent ainsi `a un processus unique. Cette conjecture sur le fonctionnement du cortex est celle du processeur ”cocktail-party”, o`u l’information importante est celle qui ressort du brou-haha [26]. Bien sˆur, ce paradigme ne se limite pas aux aires sensorielles, et, dans une approche dynamique de l’activit´e c´er´ebrale, les zones de synchro-nisation se d´eplacent, donnant acc`es `a des traitements plus abstraits, `a des associations d’id´ees ou `a la reconstruction d’un souvenir (la madeleine de Proust reconstruit tout un univers oubli´e).

Certains travaux, qui reconnaissent l’importance du codage temporel, montrent n´eanmoins que l’hypoth`ese de la synchronisation n’est pas n´ecessaire pour expli-quer certaines capacit´es cognitives. Par exemple, dans le cadre d’une tˆache de classification des entr´ees visuelles, la vitesse du traitement effectu´e ne permet pas la mis en place d’une dynamique synchronis´ee. L’ordre d’arriv´ee des spikes semble d’une importance cruciale pour ce type de traitement [27].

Un rˆole cognitif pour le chaos ?

On vient de voir qu’un r´egime dynamique synchronis´e et localis´e poss`ede un caract`ere saillant au sein de l’activit´e globale du cerveau. Ce r´egime synchronis´e se d´efinit par opposition `a un autre r´egime dynamique, que l’on peut qualifier de r´egime d´esynchronis´e ou de r´egime chaotique. Ces deux r´egimes sont bien sˆur associ´es fonctionnellement, dans la mesure o`u le passage d’un r´egime synchronis´e `

a un r´egime chaotique autorise pr´ecis´ement l’adaptation dynamique.

L’existence du chaos d´eterministe dans le cerveau est l’objet d’un d´ebat chez les neurophysiologistes [28]. Des ´etudes sur l’EEG humain [29, 30] sugg`erent qu’une activit´e chaotique correspond `a l’´etat ´eveill´e normal. Des dynamiques de plus faible complexit´e (sur l’ensemble de l’enc´ephale) indiquent des ´etats patho-logiques, de type ´epileptique. Au contraire, une mesure du chaos plus ´elev´ee que la normale pourrait ˆetre la signature d’´etats d´epressifs [31]. On voit de fa¸con g´ e-n´erale que la simplification de la dynamique n’a pas du tout le mˆeme sens suivant qu’elle concerne la dynamique globale de l’enc´ephale (une r´egularisation globale de la dynamique semble indiquer une pathologie) ou un ensemble fonctionnel lo-cal (auquel cas une r´egularisation dynamique indique que cet ensemble reconnaˆıt quelque chose, ou effectue un calcul).

Les arguments les plus convaincants en faveur du rˆole du chaos pour la cogni-tion se trouve dans un article de Skarda et Freeman [32] . Cet article se fonde sur des observations physiologiques. En implantant une soixantaine d’´electrodes sur le bulbe olfactif du lapin, Freeman cherche `a mettre en ´evidence un changement de r´egime lorsque le lapin est en pr´esence d’une odeur connue. En l’absence de stimulation, la dynamique est fortement chaotique. Lorsqu’une odeur connue est pr´esent´ee, il y a une simplification significative de la dynamique : la dynamique se rapproche d’un r´egime cyclique.

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etat d’attente active. En l’absence de motif connu, le syst`eme explore une grande r´egion de son espace d’´etats. D`es qu’une odeur connue apparaˆıt, il y a r´eduction de la trajectoire sur une r´egion plus petite de l’espace d’´etats, qui conduit `a une activit´e r´eguli`ere associ´ee `a l’odeur reconnue. L’attracteur atteint correspondrait au niveau de chaque neurone `a une activit´e dynamique plus r´eguli`ere, qui serait alors prise en compte par les couches ult´erieures de traitement. Si l’odeur n’est pas connue, la dynamique reste chaotique, et le syst`eme se maintient dans une attitude d’attente active. On a donc l`a une propri´et´e suppl´ementaire par rapport au mod`ele classique de la synchronisation : la capacit´e de synchronisation est d´ependante d’une pr´e-repr´esentation existante. Pour que la dynamique converge vers un attracteur plus simple, il faut que celui-ci ait ´et´e auparavant inscrit par l’exp´erience2.

Ainsi, une activit´e de fond chaotique permet un comportement dynamique diff´erenci´e selon l’entr´ee sensorielle. En ´etendant l’hypoth`ese de Skarda et Free-man `a l’ensemble de l’activit´e corticale, on peut concevoir de petits modules, de type colonne corticale, dont la dynamique chaotique “cherche” constamment `a se r´eduire. Cette r´eduction est possible si ses signaux aff´erents correspondent `a quelque chose de connu. Le syst`eme converge alors vers un r´egime plus simple, p´eriodique et synchronis´ee, et transmet cette r´egularit´e `a ses eff´erents.

Plus g´en´eralement, chaque module cherche `a se mettre en coh´erence avec ses aff´erents. Lorsque cette coh´erence n’est pas bonne, l’activit´e est fortement chaotique. Lorsque cette coh´erence est bonne, le syst`eme produit un signal r´egulier qui traduit `a la fois la reconnaissance et la capacit´e `a effectuer un traitement sur l’information entrante. En r´eduisant sa dynamique, le module participe `a une ´

etape d’une fonction cognitive plus globale.

Dans cette perspective, l’exercice d’une fonction cognitive par le sujet cor-respond `a la r´egularisation dynamique d’un ensemble de modules, qui tend `a augmenter la coh´erence entre le signal pr´esent sur les entr´ees sensorielles et la dynamique interne. Le syst`eme choisit son ´etat dynamique en fonction `a la fois des contraintes internes et des sollicitations de l’environnement.