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Chapitre 2 : Analyse dendroécologique de la pruche (Tsuga canadensis) et du pin blanc (Pinus

2.4. Discussion

2.4.2 Activités de coupe forestière et données dendroécologiques

Les historiens qui se sont penchés sur l’exploitation de la forêt en Mauricie ont distingué plusieurs phases d’exploitation de la forêt qu’on peut déceler et en partie nuancer à la lumière de nos données dendroécologiques.

2.4.2.1 Le pin blanc

L’exploitation forestière en Mauricie aurait débuté en 1832, année correspondant à l’émission des premiers droits de coupe dans la région (Caron, 1889 ; Lafleur, 1970). Nos données dendrochronologiques montrent que le pin blanc a fait l’objet de prélèvement dès

les années 1800-1820 (Figure 2.4 A-B). Il s’agissait sans doute de coupes effectuées par des particuliers et le bois était surtout destiné à la construction de bâtiments (Lower, 1938). Cette période préindustrielle du début du 19e siècle était essentiellement axée sur une exploitation domestique qui avait peu d’impact sur la structure de la forêt.

À partir de 1832, l’exploitation industrielle du pin blanc s’amorce dans la région, d’abord à proximité de la rivière Saint-Maurice où Edward Grieve aurait été le premier exploitant (Boucher, 1952 ; Gélinas, 1984) (Figure 2.4. C). À cette époque, les troncs de pin pouvaient être équarris sur place, dans les parterres de coupe (Curtis, 1981) (Figure 2.6. A), ou être transformés dans des scieries locales comme celle d’E. Grieve qui était située proche de la rivière Cachée, ou plus tard, au poste des Grès (Boucher, 1952).

En 1852, des glissoires à bois ont été mises en place le long du Saint-Maurice, à l’emplacement des chutes des Grès, de Shawinigan et de Grand-Mère. En permettant le franchissement des obstacles à la descente des billes de bois sur la rivière (Figure 2.6. B), la construction de ces glissoires a mené à une intensification des activités de coupe et a constitué un des éléments clés de l’essor de l’industrie forestière dans la région (Boucher, 1952).

Par ailleurs, la construction d’infrastructures sur les plus petits cours d’eau aurait commencé vers 1850, comme en témoigne le barrage érigé à la décharge du lac aux Chevaux, que nous avons pu dater par l’interdatation dendrochronologique de pièces de pin blanc. Cette structure pourrait avoir été mise en place par la compagnie Norcros and Phillips ou par la compagnie George Baptist and Sons (Gélinas 1984) (Figure 2.4. C). Ces deux entreprises ont été les plus actives dans la région entre 1852 et 1890. Georges Baptist and sons serait la première compagnie à avoir étendu ses activités à des espèces exploitées pour le bois de sciage, à savoir les épinettes et la pruche (Gélinas, 1984).

Figure 2.6. A) Équarrissage à la hache d’un gros tronc de pin blanc (CIEQ http://mauricie.cieq.ca DIAPO_GRM_165). B) À l’avant-plan, glissoire en travers de la pente, en contrebas d’un site industriel à Shawinigan (CIEQ http://mauricie.cieq.ca N60-38). C) Scène hivernale prise à l’occasion de la construction de la voie ferrée entre Shawinigan et Trois-Rivières, 1906 (CIEQ http://mauricie.cieq.ca DIAPO_GRM_58). D) Scierie à l’usine de la Laurentide Paper à Grand-Mère, vers 1900 (Musée McCord http://www.musee-mccord.qc.ca VIEW-3503. E) Usine de papier de la Laurentide Paper à Grand-Mère et centrale hydroélectrique, 1900 (DIAPO_GRM_007). F) Draveurs piquant les billes de bois dans un rapide en Mauricie, vers 1940 (CIEQ http://mauricie.cieq.ca N 60-69).

Bien que quelques auteurs (Caron, 1889 ; Hardy et Séguin, 1984 ; 2004 ; Gaudreau, 1988) fassent mention de la disparition des pinèdes dans la Mauricie dès 1880, les années d’abattage obtenues dans le secteur du lac Houle (Figures 2.1. et 2.4. B) indiquent que

l’exploitation du pin blanc s’est poursuivie jusqu’au milieu du 20e siècle. Les activités s’étaient alors étendues vers le nord-ouest, à des secteurs moins accessibles et plus éloignés du Saint-Maurice. La présence de nombreuses billes abandonnées sur les parterres de coupe, en particulier les tiges dont le bois est partiellement carié, semble indiquer que les exploitants ne rapportaient que les sections de grande valeur, vraisemblablement en raison des coûts de transport de plus en plus élevés. En effet, à partir des années 1930-1940, les camions assurent le transport du bois depuis les sites trop éloignés des cours d’eau ou des billes dont le flottage n’est pas efficace (St-Amand, 1969).

2.4.2.2. La pruche

Durant la seconde moitié du 19e siècle, la Mauricie était la région forestière la plus importante du Québec. Vers 1860-1870, en période de grande richesse industrielle, cette région fournissait entre 14 % et 20 % des revenus forestiers de toute la province (Hardy et Séguin, 1984), dont une bonne partie venait du bois de sciage. Dans la présente étude, ce sont des billes de pruche extraites du lac Solitaire qui ont donné les années d’abattage les plus anciennes, vers 1870, au moment où l’industrie du bois de sciage était à son apogée (Figure 2.4. A-B). Cette industrie a ensuite été touchée par une crise économique et, en 1887, elle en était à son niveau le plus bas (Lower, 1933 ; Hardy et Séguin, 1984 ; Gaudreau, 1988 ; 1999). Les pruches exploitées au cours du 19e siècle étaient destinées à

plusieurs usages. Le plus ancien a trait à l’utilisation de l’écorce dans l’industrie de la tannerie (Caron, 1889 ; Boucher, 1952 ; Hardy et Séguin, 2004). Au moment de l’abattage de la pruche en Mauricie, vers la fin du 19e siècle, le tanin contenu dans l’écorce avait déjà été remplacé par des produits chimiques depuis plus de 20 ans, de sorte que ce type de récolte ne s’est jamais fait sur une base industrielle en Mauricie (Caron, 1889 ; Boucher, 1952). Le bois de pruche était surtout utilisé dans la fabrication de papier brun, comme matériau de construction bon marché et comme dormants ou traverses de chemins de fer (Brisbin, 1970). Dans la région, une ligne de chemin de fer construite en 1880 reliait l’actuelle ville de Grand-Mère à la ligne Québec-Montréal (Boucher, 1952). Une ligne reliait aussi l’usine de la Laurentide au réseau du Canadien Pacifique en 1891 (Niosi, 1975), et une autre, construite en 1906, reliait Shawinigan et Trois-Rivières (CIEQ 2011, en ligne) (Figure 2.6. C).

À partir de 1898, la Laurentide Paper Company (LP) est la seule compagnie à exploiter le territoire correspondant au PNM (Niosi, 1975 ; Gélinas, 1984) (Figure 2.4. C). De nombreuses billes extraites du lac Isaïe en témoignent, car elles portent les marques de poinçon LP (Figure 2.2. C). Cette compagnie exploita la forêt surtout à des fins de production de bois de pâtes et papiers, mais aussi de bois de sciage, bien qu’en proportion moins grande (Niosi, 1975). Elle possédait une scierie à Grand-Mère qui était en activité en 1900 (Musée McCord, page consultée le 5 septembre 2011) (Figure 2.6 D-E).

Avec le temps, l’exploitation de la forêt devint de moins en moins sélective, misant davantage sur la quantité de bois que sur sa qualité (St-Amand, 1969). Malgré la crise économique qui avait touché le secteur forestier entre 1870 et 1890 (Lower, 1933 ; Hardy et Séguin, 1984 ; Gaudreau, 1988 ; 1999), les activités de coupe ont été importantes dans le bassin versant du lac Isaïe entre 1895 et 1915, comme en témoignent les nombreuses billes de pruche extraites de ce lac (Figure 2.4. A-B). L’abondance des billes de pruche (un bois qui flotte peu) au fond des lacs du PNM serait attribuable, du moins en partie, au faible débit des cours d’eau, en particulier au cours des hivers 1870, 1901, 1904 et 1905, qui aurait contrevenu au transport des billes de bois (Hardy et Séguin, 1984). Certaines de ces billes, retenues depuis 5, 6 ou 10 ans, pouvaient être entraînées lors de précipitations abondantes (Hardy et Séguin, 1984), mais plusieurs se sont déposées sur les berges ou ont coulé en eaux peu profondes pour se retrouver plus tard au fond des cours d’eau et des lacs. La pruche dont le bois a une densité plus élevée (0,43 g/cm3) que celui du pin blanc (0,37 g/cm3)coule en effet plus rapidement que ce dernier (Oliver, 1998, consulté le 12 décembre 2011 ; Boucher et al., 2004).

Par ailleurs, il est possible que les épidémies de la TBÉ qui ont sévi dans la région aient causé une mortalité élevée des arbres matures chez les espèces hôtes principales de la TBÉ (sapin et épinettes), ce qui a pu inciter les exploitants à récolter une plus grande quantité de pruche, une espèce hôte secondaire de la TBÉ qui est plus résistante à la défoliation (Kenefic et Seymour, 2000).

En somme, entre 1850 et jusque vers 1910, on assiste à une exploitation industrielle et sélective de la forêt : d’abord du pin blanc équarri entre 1850 et 1870, puis à celle des épinettes et de la pruche, surtout à des fins de production de bois de sciage, jusque vers

1910 (Figure 2.6 A, D, E et F). Entre 1910 et 1970, l’exploitation intensive de la forêt, d’abord par la Laurentide Pulp Compagny Limited, puis par la Consolidated Paper entre 1932 et 1970, ciblait le sapin baumier et les épinettes à des fins de production de pâtes et papiers. Après 1970, avec la création du PNM, toutes les activités de coupe industrielle ont cessé.

2.4.3. Liens entre la coupe forestière sélective et la croissance radiale des conifères