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FEMMES ET LES HOMMES

ACTE PREMIER DU GENDER MAINSTREAMING

Avant d’aborder directement la manière dont la question de l’égalité entre hommes et femmes a été traitée au niveau des politiques communautaires de l’emploi - Stratégie européenne pour l’emploi et Fonds social européen -, nous voudrions revenir succinctement sur l’émergence du « gender mainstreaming », et faire ressortir les traits saillants qui permettent d’éclairer aussi la réussite de son introduction dans le champ de l’emploi.

Nous l’avons dit, la diffusion de cette norme dans les enceintes communautaires peut être analysée de manière fructueuse à partir de l’articulation des facteurs institutionnel, cognitif et stratégique. De façon synthétique, nous avons vu qu’au milieu des années 90, la plus forte structuration de la coalition de cause favorable aux femmes et l’ouverture de la structure des opportunités au niveau de la Communauté, avaient coïncidé avec un cadrage stratégique, ajustant le nouveau référentiel d’égalité entre hommes et femmes à la matrice globale inspirée du néo-libéralisme. A l’enseigne de cette analyse, l’incorporation de la nouvelle matrice d’égalité des chances au niveau de la politique de l’emploi s’explique par le fait que, dans ce secteur spécifique, la coalition de cause a su tirer parti d’opportunités favorables et d’un réseau d’acteurs fortement structuré, et qu’elle a été en mesure de requalifier stratégiquement cette matrice en résonance avec le cadre normatif propre à l’action communautaire de l’emploi. Nous l’avons par ailleurs évoqué, au cours des années 90, la structure des opportunités a fourni de multiples points d’appui aux défenseurs de l’égalité entre hommes et femmes pour imposer leur « vision du monde » au sein des arènes de l’Union. De ce point de vue, les nouvelles dispositions du Traité d’Amsterdam constituent à la fois l’aboutissement de la mobilisation de cette coalition mais aussi un élément majeur de promotion du nouveau référentiel d’égalité des chances. En ce sens, « The Union’s new approach to equal

opportunities was both reflected and strengthened by the terms of 1997 Treaty of Amsterdam »1. Le nouveau Traité a notamment consacré juridiquement - à travers les articles

2, 3 et le Titre VIII - le lien entre politique de l’emploi et égalité entre hommes et femmes. A

1

ce contexte général, s’ajoutent des éléments particuliers aux deux sous-systèmes constitués d’un côté par la Stratégie européenne pour l’emploi, et de l’autre par les fonds structurels (le Fonds social européen particulièrement), éléments qui ont facilité également l’incorporation en leur sein de la dimension d’égalité entre hommes et femmes. Pour ces deux modes d’intervention distincts, la coalition de cause a profité de l’ouverture de « fenêtres d’opportunité » (windows of opportunity) - le processus de Luxembourg et « l’Agenda 2000 » - et a pu s’appuyer à la fois sur des « alliés » de haut niveau participant au processus d’élaboration de la politique et un réseau solide d’activistes et d’experts en matière d’égalité entre hommes et femmes. En outre, au sein de la Commission, ce sont quasiment les mêmes protagonistes, impliqués notamment dans les différents groupes interservices mis en place à partir de 1995, qui ont formalisé la double approche de l’égalité des chances et qui l’ont introduite au sein de la politique de l’emploi. Ils ont donc pu réutiliser aisément les schèmes cognitifs et normatifs définis et diffusés à l’intérieur de ce que Mark A. Pollack et Emilie Hafner-Burton appellent le « multi-tiered system of mainstreaming officials »1. Le secteur de

l’emploi au niveau communautaire a depuis longtemps été favorable à l’action volontariste en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes puisque l’essentiel des politiques d’actions spécifiques relevaient jusqu’ici de ce secteur.

Cependant, afin d’assurer la diffusion de la nouvelle matrice d’égalité dans le champ de l’emploi, que ce soit auprès de la bureaucratie supranationale de la Commission que des acteurs intergouvernementaux du Conseil, la coalition de cause a été amenée à conformer celle-ci au « référentiel de marché », devenu dominant dans ce secteur. En effet, à l’instar d’autres secteurs publics, un changement de paradigme est intervenu dans les politiques européennes de l’emploi, à partir du début des années 90, qui a vu s’imposer le modèle néo- libéral. De ce fait, les « gender advocates »2 ont privilégié d’un point de vue stratégique un

argumentaire centré sur l’efficacité économique plutôt que sur l’égalité et la justice sociale. Ainsi, on peut considérer avec Mark A. Pollack et Emilie Hafner-Burton que « The advocates

of gender mainstreaming have proven adept in strategically framing the issue in order to fit with the dominant frame of a given DG, most often by emphasizing the gain in efficiency

1

Ibid., p. 13.

2

[souligné par les auteurs] (as opposed to equality) that are likely to be realized if and when

gender is taken into account across the policy process »1.

Nous aborderons dans ce chapitre, en premier lieu, l’évolution au niveau communautaire de la politique de l’emploi. Quand bien même l’emploi reste encore très largement une prérogative des Etats membres, nous verrons que le développement récent de la Stratégie européenne pour l’emploi (et de la Méthode ouverte de coordination lui servant de support) s’est traduit par une affirmation importante de la compétence de l’Union en la matière. Nous nous attacherons à décrire aussi, dans ce cadre, l’évolution des fonds structurels en portant un intérêt tout particulier à la dernière « réforme » de mars 1999 qui a institué le Fonds social européen comme instrument financier principal de la Stratégie européenne pour l’emploi. Nous focaliserons notre attention par ailleurs sur la transformation du référentiel communautaire d’action publique de l’emploi, évoquée précédemment, pour pouvoir saisir plus finement comment l’égalité des chances entre les hommes et les femmes y a été intégrée par les défenseurs de la cause des femmes. L’analyse préalable des changements opérés au niveau des instruments et des référents normatifs de la politique de l’emploi nous permettra, en second lieu, de rendre compte d’abord sous un angle global de la manière dont la nouvelle matrice d’égalité des chances a été traduite dans le secteur de l’emploi. Et ensuite sous un angle plus spécifique, nous pourrons aborder sa traduction dans les lignes directrices de la Stratégie européenne pour l’emploi ainsi que dans les règlements des fonds structurels et du Fonds social européen.

SECTION1- LES DEVELOPPEMENTS RECENTS DE L’ACTION DE L’UNION EUROPEENNE EN MATIERE