CHAPITRE I : LE DEVELOPPEMENT PRECOCE DES LYMPHOCYTES T 35
II. Acquisition du lignage T définitif au sein du thymus 37
Les éléments génétiques du lignage T sont acquis au sein de la moelle osseuse suite à la différenciation des CSH en TSP, mais des processus supplémentaires sont mis en jeu dans le thymus pour stabiliser le lignage. En effet, en absence de signaux adéquats, les DN peuvent se différencier en d’autres cellules lymphoïdes ou myéloïdes. C’est au cours des stades DN que le lignage T est définitivement adopté. La population DN se caractérise par quatre sous populations DN en fonction de l’expression de CD25, qui est la chaine du récepteur à l’IL-2, et de CD44, une glycoprotéine impliquée dans l’adhésion et la migration des cellules. La première sous population DN provient directement de la moelle osseuse et est appelée DN1 (CD44+ CD25-) ou ETP. Les cellules DN1/ETP expriment CD25 et
progressent vers le stade DN2 (CD44+ CD25+). La diminution d’expression de CD44 conduit
à la population DN3 (CD44- CD25+). Au cours du stade DN3 s’effectue la -sélection, un
événement indispensable dans le développement des LT, abordé plus en détail dans la suite de cette partie. Le passage de la -sélection conduit à la survie et à la prolifération des cellules. La perte de l’expression de CD25 caractérise la population DN4 (CD44- CD25-) qui
se développera ensuite en cellules DP. Les populations DN1 et DN2 sont encore capables de se différencier en cellules NK, en cellules dendritiques et en LB, contrairement aux cellules DN3 et DN4 qui sont engagées irréversiblement dans le lignage lymphocytaire T (193) (Fig. 9).
1. Les mécanismes d’entrée au niveau de la jonction cortico-médullaire du thymus
Les cellules ayant acquis le profil TSP sortent de la moelle osseuse et rejoignent le thymus en quelques minutes, par la circulation sanguine, au niveau de la jonction cortico-médullaire. L’expression de CXCR4 conduit au maintien des cellules au sein de la moelle osseuse suggérant que CXCR4 doit être inactivée ou moins exprimée pour la sortie des cellules. Le blocage de CXCR4 par un antagoniste AMD3100 entraine l’enrichissement des progéniteurs lymphoïdes au sein de la circulation sanguine (194). Une fois dans les vaisseaux sanguins, les TSP expriment les récepteurs aux chimiokines CCR9, CCR7 et CXCR4. Les cellules stromales thymiques de la jonction cortico-médullaire, sécrètent des chimiokines CCL25, CCL21, CCL19 et CXCL12 spécifiques de ces récepteurs (195). Les intégrines VCAM1 et ICAM1, à la surface des cellules stromales thymiques, sont importantes pour l’introduction des cellules au niveau la jonction cortico-médullaire. L’inactivation de ces intégrines à l’aide d’anticorps anti-VCAM1 ou anti-ICAM1 compromet fortement la colonisation du thymus par
les TSP (196). L’entrée des cellules au sein du thymus se fait par vague en fonction de la disponibilité des niches au sein de l’organe. L‘expression de P-sélectine par les cellules endothéliales au niveau du parenchyme thymique, conduit à l’association des TSP exprimant PSGL1 aux cellules endothéliales thymiques et est fortement régulée par la disponibilité des niches (197, 198). CD44 est exprimée à la surface des TSP et est importante pour l’entrée des cellules au sein du thymus (199). Les cellules entrant ainsi dans le thymus se différencient en ETP/DN1 par la perte du marqueur FLT-3 et séjournent une dizaine de jours près de la jonction cortico-médullaire où elles réalisent de nombreux cycles de prolifération (200).
Figure 9 : Différenciation des cellules souches hématopoïétiques en lymphocytes T
Les CSH se différencient à partir d’hémangioblastes au sein de la moelle osseuse. Les CSH se différencient en LMPP qui sont à l’origine des CMP et CLP. Les CMP se différencient en cellules de l’immunité innée alors que les CLP se différencient en LT, LB et NK. L’interaction d’une cellule stromale de la moelle osseuse exprimant le ligand DLL-4 conduit à la spécification des CLP en TSP. Les TSP peuvent provenir de la différenciation directe des LMPP. Les TSP entrent dans le thymus grâce à PSGL et se différencient en ETP/DN1 qui progressent au sein du thymus vers les stades DP et SP.
2. La signalisation NOTCH est essentielle dans l’établissement du lignage T
La signalisation des récepteurs NOTCH est particulièrement importante au cours des stades précoces du développement des LT. Comme vu précédemment, elle est essentielle au sein de la moelle osseuse afin de conduire à la formation de cellules progénitrices des LT. Mais la signalisation par NOTCH est aussi importante dans le maintien du lignage T au sein du thymus. La déficience en NOTCH1 chez la souris, entraine la diminution importante du nombre de thymocytes totaux accompagnée de l’augmentation de la proportion de DN. L’accumulation des cellules au stade DN1 révèle l’augmentation de la différenciation en cellules B220+ représentatives de LB au sein du thymus (201). Il en est de même de la
déficience conditionnelle pour la protéine MAML, un coactivateur transcriptionnel de la voie NOTCH, dans le modèle Vav1Cre (202). Par ailleurs, des cellules DN1 et DN2 mises en
culture sur des cellules stromales OP9 se différencient en cellules DP en présence du ligand du récepteur NOTCH : DLL-1. En absence de ce ligand, les cellules DN2 et DN1 sont incapables d’atteindre le stade DP et se différencient principalement en cellules NK (203). Ces données illustrent l’importance de la signalisation NOTCH dans l’établissement du lignage T.
La signalisation NOTCH entre en compétition avec le facteur de transcription PU.1 qui favorise le développement des lignées myéloïdes (204). Par conséquent, la signalisation NOTCH est essentielle au maintien des caractères lymphoïdes en prévenant l’action du facteur de transcription PU.1 (205, 206). L’expression de PU.1 est détectable au cours du stade DN1 et DN2a, une sous population DN2 exprimant un niveau élevé de c-kit. En revanche, l’expression de PU.1 diminue au cours du stade DN2b, une sous population DN2 dont le niveau de c-kit est intermédiaire. Au cours du stade DN3, PU.1 n’est plus exprimé (193). La surexpression de PU.1 chez la souris, conduit au blocage du développement précoce au cours du stade DN2. L’analyse des cellules DN1 et DN2 démontre qu’il s’agit de cellules différenciées en cellules CD11c+ caractéristiques des cellules dendritiques (207,
208). La répression de l’expression de PU.1 est donc indispensable dans l’acquisition du lignage T. L’expression de PU.1 pourrait être réprimée par le facteur de transcription BCL11b (209). De manière intéressante, la déficience en BCL11b entraîne l’augmentation d’expression de PU.1. Le gène bcl11b est régulé positivement par TCF-1 lui-même induit par la signalisation NOTCH (210). La déficience en BCL11b conduit à un phénotype similaire à celui observé dans le cas de surexpression de PU.1 (211). Par ailleurs, la signalisation NOTCH conduit à la mise en jeu d’autres facteurs de transcription essentiels à
l’établissement du lignage T comme GATA-3. GATA-3 est important lors du développement précoce des LT car il réprime la différenciation en LB et en NK (212, 213) (Fig. 10).
III. La -sélection : l’étape initiale dans l’élaboration d’un répertoire T
Une fois dans la zone subcapsullaire du thymus, les cellules perdent l’expression de CD44 et constituent la population DN3 (CD44- CD25+). Les cellules DN3a caractérisent la
population DN3 pré--sélection. Celles-ci arrêtent de proliférer puis réarrangent les gènes codant pour la chaine du TCR qui s’associe à une chaine invariante pT. Le bon arrangement de la chaine du TCR ainsi que son association avec le pT, déclenche des signaux intracellulaires entrainant l’expression de protéines, favorisant la survie cellulaire et induisant la prolifération des cellules DN3b, post--sélection. La prolifération des cellules conduit à l’expansion des cellules exprimant une chaine du TCR fonctionnelle, c’est-à-dire capable d’adopter une conformation favorable à la signalisation. La prolifération s’accompagne de la perte d’expression de CD25 caractéristique de la population DN4 (CD44-
CD25-).
1. Expression du pre-TCR
1.1. Déclenchement de la recombinaison du TCR
Les cellules DN1 et DN2 réalisent de nombreux cycles de prolifération dans le thymus mais cette prolifération cesse au début du stade DN3 avant le réarrangement de la chaine du TCR. Les facteurs de transcription E2A et HEB sont nécessaires à l’arrêt des cycles prolifératifs. En effet, la déficience en E2A et HEB dans un modèle LCKCre conduit à un
blocage majeur du développement des LT entre les stades DN et DP. De manière intéressante, la déficience pour ces protéines n’entraîne pas l’accumulation d’une sous population particulière de cellules doubles négatives. La prolifération des cellules DN3 est néanmoins augmentée en absence de ces protéines lors de l’analyse de la dilution du BrdU. E2A et HEB favorise l’expression de la protéine p18 et la répression de la protéine p27. La déficience en p18, conduit à l’augmentation de la prolifération des cellules DN. Contrairement à la déficience en E2A et HEB (214), la déficience en p18 ne bloque pas le développement des LT (215). La surexpression de p27, en revanche, entraîne un blocage de la transition DN-DP (216). Ces données suggèrent que l’expression de E2A et HEB, induit par la signalisation NOTCH, conduit à la répression de p27 et à l’expression de p18. Ces deux