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Au pied du versant en rive gauche du Skaftafellsjökull se développent de grands cônes au débouché des ravines. Au vu de leur profil et de leurs caractéris- tiques sédimentologiques (légère conca- vité, présence de levées, décroissance de la taille des matériaux de l’amont vers l’aval), la formation de ces cônes semble liée aux processus de coulées de débris et, secondairement, d’avalanches qui mobilisent le matériel accumulé dans les ravines. Les cônes viennent recouvrir les cordons morainiques du Skaftafellsjökull, remarquablement conservés dans ce sec- teur, du fait de l’absence d’écoulements proglaciaires sur cette rive. La datation des appareils morainiques par lichéno- métrie offre donc un calage chronologique de l’amorce de ces accumulations.

Cinq cônes, choisis parce qu’ils n’étaient pas coalescents, ont fait l’objet de mesu-

res (FIG. 63): leur volume a été estimé au

moyen d’un télémètre laser (cf. chapitre 3), puis rapporté à la superficie de leur bassin versant. Grâce au calage chronolo- gique, le taux de dénudation de la paroi lié aux processus de coulées de débris et, secondairement, d’avalanches est estimé depuis la fin du Petit Âge Glaciaire.

1.3.1.

Estimation de taux de retrait de paroi depuis la fin du Petit Âge Glaciaire

Les résultats sont présentés dans le

TABLEAU 21.

Cinq cônes ont donc fait l’objet de mesu- res au pied du versant situé en rive gauche du Skaftafellsjökull. Ces cônes n’ont pu se

FIGURE63 – Localisation des cônes mesurés au pied du versant en

rive gauche du Skaftafellsjökull (photo aérienne B2961, août 1968).

La plupart des cônes sont coalescents, du fait de la proximité des ravines entre elles. Seuls cinq cônes, non coalescents, ont donc fait l’objet de mesures individuelles au télémètre laser afin de modéliser numériquement leur volume.

de tarissement de la production paragla- ciaire de sédiments par écroulement. Les dépôts A, C et D se situent au pied de versants déglacés depuis environ 40 ans, selon les datations lichénométriques des cordons morainiques. Au sein de ces dépôts, des blocs sont en place depuis 20 à 30 ans. Les processus d’écroulement se déclenchent donc relativement rapide- ment après le départ du glacier, après une période de latence d’environ 10 ans. Ces conclusions doivent être nuancées : quel- ques blocs écroulés peuvent provenir du haut de la paroi, déglacé depuis une plus longue période.

Les amas de blocs ne sont pas le résultat d’un événement brutal et unique dans le temps. Ils se sont constitués après des événements successifs d’écroulements, résultant d’une mise en place “bloc à bloc”. L’hétérogénéité des datations au sein de chaque dépôt confirme cette hypo- thèse. Toutefois, il est possible que plu- sieurs blocs soient issus d’écroulements synchrones. Nous avons pu identifier un certain nombre d’épisodes d’écroule- ments : un épisode il y a environ 30 ans (dépôts C, D et J), un épisode il y a environ 25 ans (dépôts C, D, G, J, K et L), un autre il y a environ 20 ans (dépôts A, J, L et M), etc. Ceci reste largement dans le domaine de l’approximation car les marges d’er- reur des datations lichénométriques sont trop importantes pour effectuer une étude à une échelle annuelle.

L’étude des volumes des blocs écroulés n’a pas révélé de corrélation avec les dates de mise en place des blocs et le temps de déglaciation. Etant donné le rôle que nous avons attribué au gel dans le démantèlement des polis et dans l’évolu- tion secondaire des blocs écroulés, nous aurions pu nous attendre à ce que les blocs les plus anciennement écroulés présentent des signes d’amenuisement

sous l’effet d’une gélifraction secondaire et d’une météorisation. Cette hypothèse ne se vérifie pas dans nos mesures. Ceci s’explique par le fait que les pans de paroi qui s’écroulent sont de tailles très diver- ses car leur dimension est commandée par la fracturation en grand de la roche. Le rôle du gel s’en trouve minimisé. En découle une nécessaire remise en question de la méthodologie employée ici. À travers l’utilisation de la lichénométrie sur les blocs écroulés, que date-t-on ? Les lichens mesurés se développent sur des surfaces stabilisées, on évalue donc le temps écoulé depuis la stabilisation du bloc. Mais la stabilisation des surfaces ne se fait pas toujours immédiatement après l’écroulement. Ceci se confirme en obser- vant les blocs des dépôts les plus éloignés du front glaciaire (dépôts K à M). La plu- part des blocs ne présentent pas de lichens mesurables, mais présentent d’autres marques du “temps” : blocs à l’aspect émoussé recouverts d’un cortex cristallisé blanc qui se desquame, “cada- vres” de lichens, couvertures de mousses, surfaces rajeunies sur lesquelles se déve- loppent de nouveaux thalles de lichens. Ces blocs ont donc été mis en place anté- rieurement à la datation obtenue par lichénométrie et ils ont connu des évolu- tions secondaires. Ainsi, certains gros blocs sont recouverts par de petits blocs éboulés ultérieurement. Ces fragments provoquent des impacts sur les plus gros blocs et forment des surfaces de rajeunis- sement. La lichénométrie enregistre donc le dernier épisode “subi” par le bloc (impacts de blocs, gélifraction, desquama- tion) et non pas le processus de mise en place. Il faut donc manipuler avec précau- tion la lichénométrie pour dater des pro- cessus évolutifs comme les écroulements et considérer les résultats comme un âge minimal de mise en place. L’utilisation de

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pent. La présence de dyke est donc un fac- teur majeur de déstabilisation lithologique propice à un fort ravinement et à une forte production de petits matériaux. On peut donc largement attribuer à la présence des nombreux dykes la forte production de sédiments qui caractérise le versant en rive gauche du Skaftafellsjökull.

(2) Nous avons souligné la remarquable

conservation des édifices morainiques en rive gauche du Skaftafellsjökull, ainsi que des celle des cônes qui les recouvrent. Cette bonne conservation est due à l’ab- sence d’écoulements proglaciaires dans ce secteur. Cela n’est pas le cas dans la vallée de la Morsá, où les écoulements proglaciaires viennent saper la base des cônes. Nous avons donc ici des accumula- tions mieux conservées, qui n’ont pas ou peu subi de remaniement secondaire, même si la majorité des fines ont été éva- cuées par le ruissellement (entre chaque cône et cordon morainique, des accumu- lations de fines sont recouvertes d’une épaisse pelouse herbeuse qui constituent de véritables zones humides).

(3) Enfin, l’effet du réenglacement, même

partiel, du versant au Petit Âge Glaciaire a pu provoquer une déstabilisation entière du versant. Dans ce cas, le démantèle- ment de la paroi a été renforcé, induisant une plus forte concentration de matériel en fond de ravine, matériel ensuite mobi- lisable par les écoulements torrentiels. Ceci pourrait expliquer les très forts taux de recul de paroi depuis la fin du Petit Âge Glaciaire. Il serait tentant de les rapporter au modèle de production sédimentaire paraglaciaire proposé par C. Ballantyne (2002) qui identifie une période de très forts taux de transferts sédimentaires immédiatement après le départ du glacier de la paroi, puis un tarissement progressif de la production sédimentaire. Mais cette hypothèse est difficilement transposable

ici, dans la mesure où l’on n’observe pas de gradient de production des matériaux par la paroi en fonction de la date de déglaciation. Or, la durée d’effet de la détente post-glaciaire a précédemment été évaluée à 70 ans en marge du Skafta- fellsjökull, d’après les mesures effec- tuées sur les éboulis et les écroulements. Si la détente post-glaciaire joue un rôle sur le rythme de démantèlement de tout le versant, son rôle aurait dû se répercu- ter sur les valeurs obtenues. Le rôle de la détente post-glaciaire dans la production de matériaux mobilisables par les coulées de débris peut donc être ici écarté.

Même si ces observations apportent des informations importantes, elles doivent être manipulées avec précaution. En effet, nous comparons ici des mesures effec- tuées sur des accumulations de sédi- ments qui ont évolué à des pas de temps extrêmement différents. La construction des cônes de la vallée de la Morsá a débuté il y a 10 000 ans, tandis que ceux présentés ici sont actifs depuis au maxi- mum 73 ans. La pertinence de comparer ces deux systèmes de versant est donc limitée. Les taux de production de maté- riel ont pu fréquemment varier en 10 000 ans. De plus, nous calculons des vitesses moyennes de retrait de paroi à partir de volumes de sédiments accumu- lés. Or, nous avons précédemment évoqué le fait que ces accumulations ont fait l’ob- jet de remaniements nombreux : dans la vallée de la Morsá, le ruissellement, le vent et les cours d’eau proglaciaires sont autant d’agents de démantèlement des cônes. Leur action n’a pu autant s’expri- mer en 70 ans sur le versant en rive gau- che du Skaftafellsjökull. Il est donc diffi- cile de comparer des accumulations anciennes de 10 000 ans avec des accu- mulations vieilles de 70 ans. Il serait plus former qu’après le départ du glacier qui

recouvrait le bas du versant. Les cônes étudiés ici se sont donc formés sur une période allant de 46 ans (cône C1) à 73 ans (cône C5), selon la datation des cordons morainiques sur lesquels les cônes pren- nent appui.

Le volume des sédiments, calculé selon la méthode décrite au chapitre 3 (en m3), a été rapporté à la taille du bassin d’alimen- tation (en m2) et à l’âge des moraines, afin d’obtenir des taux de dénudation de la paroi (en mm.an-1). Les résultats varient de 1,5 mm.an-1 (cône C5) à 5,8 mm.an-1 (cône C2). On observe donc des écarts de vitesse de retrait de paroi entre les sec- teurs, puisque ces vitesses varient selon un rapport de 1 à 4.

On n’observe pas de logique chronologique dans la distribution de ces taux de retrait.

Même si le cône le plus éloigné du front glaciaire, et donc le plus ancien, est celui qui correspond à une plus faible vitesse de dénudation, il n’y a pas de corrélation entre le taux de retrait de paroi et le temps écoulé depuis la déprise glaciaire. Ceci écarte l’hypothèse d’une influence du retrait glaciaire sur le taux de production de sédiments issus des processus de cou- lées de débris. Ceci semble logique dans la mesure où les coulées de débris charrient du matériel issus de la totalité de la paroi, alors que seul la partie inférieure (environ 1/4 de la paroi) a été englacée.

1.3.2. Discussion

Si l’on compare les résultats obtenus dans la vallée de la Morsá (déglacée depuis environ 10 000 ans) et les taux de dénuda- tion calculés pour le versant de la rive gauche du Skaftafellsjökull, ces derniers sont très élevés. Nous avions, en effet, obtenu, avec la même méthode, des valeurs comprises entre 0,000 01 et 0,001 19 mm.an-1contre 1,4 à 5,8 mm.an-1 ici. Si l’on considère que les conditions cli- matiques sont les mêmes dans ces deux vallées mitoyennes, les lames d’eau qui tombent et s’écoulent sur les versants doivent être les mêmes, mais le volume de matériel mobilisé peut varier. Plu- sieurs facteurs d’explications peuvent être proposés.

(1) La structure même du versant en rive

gauche du Skaftafellsjökull est propice à un fort démantèlement et à une accumu- lation des matériaux dans le fond des ravi- nes du fait de son hétérogénéité. Ce ver- sant basaltique, aux fortes pentes, se caractérise par un réseau très dense de dykes. Les roches encaissantes se trou- vent fragilisées aux épontes du dyke et des réseaux de micro-fissuration se dévelop-

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TABLEAU21 – Taux de retrait de la paroi en rive gauche

du Skaftafellsjökull depuis la fin du Petit Âge Glaciaire.

Les taux de retrait des parois sont calculés à partir du volume de sédiments accumulés dans les cônes. Ces volumes sont rapportés à la superficie des bassins versants et au temps écoulé depuis le désenglacement de la paroi.

Cône Volume (m3) Superficie du bassin versant (m2) Date de début d’accu- mulation Taux de retrait de paroi depuis le début de l’accu- mulation (mm.an-1) C1 8659 54797 1962 3,5 C2 27425 75975 1945 5,8 C3 5763 39601 1945 2,2 C4 7004 29339 1941 3,6 C5 1803 16937 1935 1,5

retrait glaciaire à partir des photos aériennes et de la datation lichénomé- trique des moraines nous donne une indication de l’évolution temporelle de ces pentes depuis la fin du Petit Âge Glaciaire (TAB. 22).

Quatre portions de paroi, de part et d’au- tre du Morsárjökull et du Skaftafellsjö- kull, ont fait l’objet d’une cartographie en trois dimensions (MNT). Pour chacune de ces parois, quatre à sept profils ont été levés et les pentes correspondant à une évolution post-PAG (pentes sous trim- line) et à une évolution post-weichse- lienne (pentes au-dessus de la trimline) ont été distinguées.

Les pentes n’évoluent pas de la même façon sur toutes les parois. On observe une baisse dans le temps des pentes sous la trimline pour les versants en rive gauche du Morsárjökull et du Skaf- tafellsjökull. Cette baisse est moins nette sur le versant en rive droite du Morsárjökull et absente sur le versant en rive droite du Skaftafellsjökull. Sur ce dernier, le raidissement basal reste accusé, même sur les parties les plus anciennement déglacées de la paroi. Sur les trois autres sites, le raidissement L’analyse des dépôts de pente post-Petit

Âge Glaciaire doit maintenant être com- plétée par une analyse de l’évolution morphologique des versants. Cela passe, d’une part, par l’étude des pentes et d’au- tre part, par l’étude du couvert végétal.

2.1.

L’ÉVOLUTION DE LA