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35 Tout d'abord, alors que notre étude antérieure s'était fortement inspirée des figures de la

Dans le document tel-00397901, version 1 - 23 Jun 2009 (Page 29-33)

Capital spatial et identité sociale

35 Tout d'abord, alors que notre étude antérieure s'était fortement inspirée des figures de la

ville émergente5, qui d'ailleurs recoupaient en partie les principes de distinction identifiés par J. Lévy, nous avons refusé dans ce présent travail de poser des principes d'urbanité a priori et délibérément choisi une démarche à la fois plus empirique et plus inductive, donc plus expérimentale, visant à comparer les individus à partir de leurs pratiques concrètes, dans la perspective de faire remonter, ex posl, des principes pertinents de différenciation, de hiérarchisation et de classement, et ce à partir de l'analyse de deux principaux volets de la pratique spatiale : le choix résidentiel et la mobilité urbaine . Ainsi, motivé doublement par la volonté d'accorder plus de poids aux pratiques spatiales concrètes et d'en proposer une approche plus exhaustive, nous nous sommes donné pour principal objectif, en parallèle d'ailleurs des recherches menées dans le cadre du programme de recherche SCALAB7, de restituer - y compris dans ses insuffisances et ses défauts - un vrai travail d'expérimentation méthodologique. Or, il faut bien le dire, cette démarche a produit des résultats assez inattendus. Alors que nous espérions, plus ou moins consciemment, pouvoir articuler les différents aspects de la pratique spatiale, repérer un modèle d'urbanité dominant et aboutir à une typologie synthétique distinguant des grands types d'identités urbaines, la découverte - et la prise en compte - du foisonnement, de l'hétérogénéité et parfois de la discordance des critères d'analyse, a rendu difficile, sinon vain, le travail final d'intégration, de synthèse et de classement. De la sorte, nous avons pris conscience combien la tendance intégratrice, unificatrice et disons le homogénéisante avec laquelle on aborde généralement la question de l'identité spatiale - qui, sans doute inscrite durablement dans notre inconscient disciplinaire, s'impose naturellement lorsque l'on part de l'identité narrative, qui elle-même invite à prolonger les lignes de cohérence esquissées par l'individu -, se trouve fragilisée lorsque l'on part des pratiques spatiales concrètes et que, sans chercher à gommer à tout prix l'hétérogénéité qui se donne à voir, l'on prend au sérieux leurs caractères tantôt convergents, tantôt divergents et bien souvent disparates.

En second lieu, alors que nos travaux antérieurs occultaient entièrement la question de la relation entre identité spatiale et identité sociale, et donc celle du lien entre le capital urbain et les autres formes de capitaux ; alors que ceux de J. Lévy n'abordent que furtivement cette question, en se contentant de remarquer que le capital culturel prédispose à un fort capital urbain - mais sans explorer toutefois véritablement la nature de cette relation -, la présente entreprise a pour projet d'étudier plus systématiquement les relations qu'entretient ce dernier avec l'ensemble des autres propriétés individuelles qui entrent habituellement dans la définition de l'identité sociale (capital économique, culturel, âge, sexe, etc.). Sans remettre en cause son indépendance relative - car celui-ci n'apparaît jamais comme le double d'un autre et surtout bénéficie d'une efficience singulière -, nous formons l'hypothèse que le capital urbain se trouve lié et dépend d'un faisceau d'autres propriétés sociales avec lesquelles il forme un système multidimensionnel, interactionncl et

5 Chalas Y., Dubois-Taine G, (1997), La ville émergente, L'Aube.

6 Initialement, un troisième volet de l'enquête concernait l'usage des outils de télécommunication qui constituent, avec la mobilité et la co-présence, une des trois modalités de maîtrise de la distance. Devant la lourdeur de l'investigation des deux premiers volets, et face à l'absence de matériaux qualitatifs (discours, descriptions, justifications) pour ce dernier, nous avons renoncé à prendre en compte cette dimension.

7 Nous avons participé, entre 2000 et 2004, au programme de recherche : « SCALAB, Echelles de l'habiter », (Convention A01-09, PUCA, Ministère de l'Equipement, des transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer) et, principalement, au module 1 : « Les voisinages de l'individu : lieux et liens». A partir d'enquêtes relativement apparentes - portant sur les pratiques spatiales individuelles réalisées sur un an -, les choix épistémologiques et méthodologiques que nous avons opérés, ainsi que les outils que nous avons mis en œuvre ont produit, nous le verrons, des résultats à bien des titres très différents.

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potentiellement hiérarchique . L'analyse de ce faisceau de dépendances, et notamment de la relation entre l'identité urbaine et les propriétés centrales que constituent le capital économique et culturel, a d'autant plus d'importance à nos yeux que, sous prétexte de vouloir autonomiser le capital urbain, l'idée même qu'il puisse exister entre ceux-ci des liens structurés et structurants - donc des régularités - a bien souvent été écartée, entre autre en faisant valoir le régime d'hyper-choix et les marges de manœuvre croissante que l'on prête à l'individu. Si, à contre-pied, nous attachons une valeur heuristique à ce système de dépendances, sans pourtant préjuger de la force ni de la systématicité des liens, il n'est toutefois pas question ici d'en rester à de simples correspondances statistiques qui n'offrent toujours qu'une semi-compréhension du social. L'enjeu est plutôt, en utilisant les ressorts d'une méthodologie qualitative, d'essayer de comprendre les significations diverses et profondes que cache ce système de relations, en recourant principalement à la généalogie des schèmes qui structurent l'action, c'est-à-dire à l'analyse de leurs conditions biographiques et sociales.

Enfin, nous avons voulu, dans ce présent travail, systématiser l'analyse du rapport entre la position résidentielle et le système de mobilité, dans la perspective de tester - et surtout de discuter - l'hypothèse d'un effet de lieu, et de la cohabitation de plusieurs modèles d'urbanités et d'identités citadines, les unes attachées à la ville dense, les autres à la périphérie. Cette problématique a pris d'autant plus d'importance pour nous que nous l'avions abordée en maîtrise - où nous avancions, sans réellement avoir les moyens de le démontrer, que l'urbanité périurbaine préfigurait un modèle commun à l'ensemble de la ville, mais qu'au sein de chaque géotype, les identités urbaines étaient fortement différenciées ; et que, à contrepied, certains auteurs tendaient à affirmer et à durcir -l'opposition entre un modèle d'urbanité central et un modèle d'urbanité périphérique, non d'ailleurs sans arrière plan moral, l'un étant porteur d'une logique de l'interaction et présentant tous les bienfaits d'un individualisme fort, l'autre exprimant au contraire une logique de l'écart et incarnant un individualisme défensif. Or, précisément, les premières enquêtes semblaient conforter notre pressentiment : par delà quelques effets de lieu indiscutables, nous trouvions à la périphérie comme au centre des « Enclavés » et des

« Mobiles », des « Villageois » et des « Métropolitains », des « Enracinés » et des

« Cosmopolites », donc des individus à faible comme à fort capital urbain. Ce constat nous a amené progressivement à faire l'hypothèse d'une indépendance partielle entre la position

8 Ce système de dispositions individuelles est multidimensionnel, car il contient autant de dispositions qu'il y a d'ordres de classement potentiellement pertinents dans la société, c'est-à-dire un nombre pour le moins infini. On trouve parmi les plus communes et les plus efficientes le capital économique, le capital culturel, l'âge, le sexe, le statut matrimonial, le capital symbolique (la notoriété), le capital spatial, le capital social (taille des réseaux de sociabilités), les attributs corporels, de caractères, ou encore, les attributs psychologiques. Celui-ci est inter actionnai, au sens où chaque disposition n'est jamais totalement indépendante mais traverse, en plan de coupe, les autres dispositions. P. Bourdieu ne dit rien d'autre quand il affirme que « La plus indépendante des variables indépendantes cache tout un réseau de relations statistiques qui sont présentes souterrainement, dans la relation qu'elle entretient avec telle ou telle pratique » et montre que les variables « pertinentes » sont toujours parasitées par des variables « secondaires » qui sont introduites en contrebande dans le modèle explicatif, (Bourdieu P. (1979), La distinction, Minuit). Enfin, le système de dispositions est potentiellement hiérarchique au sens où, selon le point de vue que l'on prend - soit le point de vue très général sur l'ensemble de l'espace social, soit le point de vue particulier relatif à des champs spécialisés - certaines propriétés apparaissent comme surdéterminantes. Dans les années 1970, le travail sur la distinction a montré que les propriétés économiques et culturelles surdéterminaient en partie les autres propriétés, comme celles du rapport à la culture légitime, à la nourriture ou au sport. Outre qu'il faudrait discuter, au niveau sociétal, la véritable domination de ces deux espèces de capitaux, et montrer la pertinence et l'autonomie (relative) du capital spatial, à l'échelle d'un champ spécialisé, la nature et la structure des capitaux efficients est potentiellement reconfiguré : en clair, chaque champ impose son ou ses ordres de classement et organise, dans le système de dispositions, une certaine hiérarchie.

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37 résidentielle et le système de mobilité, c'est-à-dire entre les deux volets de l'identité urbaine, ce qui introduisait, defacto, un important facteur de variété.

Pour explorer ces trois problèmes, nous avions initialement envisagé de croiser une méthodologie quantitative et qualitative, l'une permettant de mettre en exergue des structures, l'autre d'en approfondir le sens et d'en poser les limites, bref de les « faire parler ». Si nous avons pu disposer de données quantitatives pour l'analyse des pratiques résidentielles, pour le reste, nous nous sommes contentés d'un échantillon non représentatif, composé de vingt-trois individus. Cette restriction, qui s'explique par l'incapacité de mener seul un grand nombre d'enquêtes, au vu du protocole « lourd » que nous avions choisi, est bien sûr déplorable : ce qui nous est apparu comme des régularités -si tant est que l'on puisse parler ain-si pour un échantillon aus-si exigu - seront davantage présentées ici comme des hypothèses de travail que comme des certitudes : bien entendu, une enquête quantitative devrait les confirmer. Toutefois, même amputée, et d'une certaine manière grâce à cette amputation, cette méthodologie nous est apparue innovante dans sa capacité à prendre les individus au sérieux, pour leur valeur d'exemple et de contre-exemple, en cherchant à instaurer un dialogue - rarement possible dans le cadre de méthodologies « pures » - entre régularité et singularité. Ainsi, tout en accordant une valeur heuristique à l'existence de règles d'organisation collectives, mais sans écraser l'individu derrière de simples corrélations statistiques, nous nous sommes efforcés d'accorder une importance aux cas observés afin de remonter la chaîne causale (ou

« exégétique ») et comprendre la nature et la genèse de ces relations.

Outre l'élaboration d'une théorie du capital et de l'identité spatiale qui, par son caractère d'expérimentation méthodologique, a constitué un objet d'investigation en soi, ce travail permet d'avancer deux principales hypothèses. En premier lieu, les identités urbaines, parce qu'elles semblent liées pour partie à la position sociale, et dans une moindre mesure à la position résidentielle, resteraient marquées par certaines régularités collectives.

Toutefois, d'une part nous verrons que ces relations ne sont jamais absolues, et rarement hégémoniques ; d'autre part, elles n'expriment jamais une détermination simple, mais une faisceau de relations complexes, médiatisées par des schèmes, que seule peut éclairer l'analyse généalogique. En second lieu, tout en étant affectées par ces régularités collectives, les identités urbaines ne semblent pas échapper à un puissant mouvement d'individualisation. Parce qu'elles sont de plus en plus composites et hétérogènes, parce que les facteurs de variation inter et intra-individuels sont de plus en plus nombreux, elles semblent de moins en moins intégrées et cohérentes, ce qui a pour conséquence, entre autre, de renvoyer à l'état de mythe l'idée d'une identité spatiale unifiée, stabilisée, classable et hiérarchisable selon un seul ou un petit nombre d'ordres de classement, a fortiori à partir d'un modèle d'urbanité dominant et unique.

En prenant successivement pour objet les choix résidentiels et les systèmes de mobilité, et en considérant ceux-ci comme deux éléments constitutifs du capital urbain, nous allons tenter de valider les précédentes hypothèses.

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Chapitre 1

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