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Partie 4. Quels modèles économiques pour le Pacifique insulaire ?

4.3 Les îles du Pacifique à l’heure du tourisme de masse

Le développement du tourisme en Océanie est récent et inégalement réparti. En

2013, sur les 10 millions de touristes des îles du Pacifique, l’archipel d’Hawaï seul

compte 7 millions de visiteurs. Ces vingt dernières années, le nombre de touristes a

été multiplié par trois aux Fidji, à Guam, et aux Mariannes du Nord. Cependant dans

ce marché émergent, les territoires français, peu valorisés, apparaissent en retrait.

La militarisation de nombreux archipels du Pacifique par les Etats-Unis durant la

Seconde Guerre mondiale a favorisé la mise en place d’infrastructures modernes et

encouragé l’hôtellerie. Dans un second temps, la démocratisation de l’aviation

commerciale a favorisé les séjours de visiteurs pour une courte durée et achevé la

mise en place de la monétisation des échanges.

Par ailleurs, la contrainte des distances favorise l’émergence de trois foyers distincts

de visiteurs en Océanie. Au nord-est les îles Hawaï sont dominées par les flux

d’Amérique du Nord et nippon, au Nord-ouest (Guam, Mariannes du Nord et Palau)

ce sont les visiteurs asiatiques qui sont les plus nombreux. Dans le sud-ouest,

Australiens et Néo-zélandais sont les plus représentés. Les territoires français

constituent une exception en raison de la prédominance des Français d’origine

métropolitaine.

Les îles Hawaï ont pris conscience du potentiel touristique de leur archipel avec la

démocratisation des loisirs dans les années 70. À ce titre, elles ont été pionnières

dans l’abandon de l’industrie coloniale de la canne à sucre/ananas au profit d’une

reconversion vers le tourisme de masse décrite par le modèle SITE (Mc Elroy, 2009).

En outre, l’appartenance à la Fédération des Etats-Unis depuis le référendum de

1959 illustre les possibilités et la stabilité offerte aux petites économies insulaires

appartenant à de grands ensembles économiques. Les IDE, notamment Japonais50,

ont permis la construction de complexes hôteliers qui allient modernité et tradition.

Notons que la station balnéaire de Waikiki produit seule 8 % du PIB de Hawaï, soit

autant de richesse que la Nouvelle-Calédonie et plus que la Polynésie française

(Gay, 2013).

50

En 2013, plus de 65% des chambres hôtelières sont détenues par les capitaux japonais.

Si les controverses sur les conséquences de la présence japonaise à Hawaï sont

récurrentes, le tourisme assure aujourd’hui 175 000 emplois et plus de 50% des recettes de

l’Etat. In fine, le P.I.B/Hab. (US$ 29605) et l’I.D.H (0,929) sont parmi les plus élevés du

monde. Pour une étude sur la politique de développement du tourisme à Hawaï se référer au

rapport annuel de la Hawai Tourism Authority.

Dans le Pacifique Nord, l’île de Guam présente une économie très similaire à celle

d’Hawaï. Bien que disposant d'un statut particulier garanti par une loi organique, elle

bénéficie des mêmes avantages qu’un Etat américain (système de santé,

d’éducation, protection militaire…) Elle accueille chaque année plus d’un million de

touristes nippons alors que l’île ne compte que 154 000 habitants. Il est important de

souligner que son succès réside dans la concentration des activités touristiques dans

un seul point de l’ile, le district de Tamuning, où les centres commerciaux et les

activités culturelles répondent parfaitement aux attentes des visiteurs.

Dans le Pacifique Sud, Fidji souhaite compenser le déclin de son industrie sucrière

au profit du tourisme. Cependant, le parc hôtelier limité, les catastrophes naturelles

récurrentes, et les tensions politiques avec ses voisins océaniens sont autant

d’éléments qui freinent le développement du secteur. Notons que la tenue d'élections

démocratiques en septembre 2014 a mené à la pleine réintégration des Fidji dans le

Commonwealth et a contribué à pacifier les relations avec la communauté

internationale. Ainsi, les flux de visiteurs stagnent sur la dernière décennie à 600 000

par an, les îles privées de l’archipel restent cependant la référence internationale sur

le créneau du « très haut de gamme », particulièrement auprès des stars

hollywoodiennes. Néanmoins, les autorités ont pour objectif d’augmenter la part du

tourisme à 40 % du PIB en dix ans (Office du tourisme de Fidji). Une vaste

campagne de communication est menée pour fidéliser les visiteurs asiatiques et

nord-américains et réduire la dépendance aux flux touristiques océaniens. Avec une

nouvelle stratégie de communication au son de « Fidji : là où le bonheur vous

trouve » cette politique doit faire entrer le pays dans l’ère du tourisme de masse.

Alors que le tourisme connaît une croissance de 6,7 % par an en Océanie depuis

2000, les territoires français perdent des parts de marché. En Polynésie, le nombre

de visiteurs est passé de 252 000 en 2000 à 164 393 en 2013 (ISPF, 2013). De son

côté, la Nouvelle-Calédonie accueille environ 100 000 touristes par an (hors

croisiéristes) depuis vingt ans (ISEE, 2013).

Cette stagnation de l’activité reflète l’érosion d’une offre touristique obsolète mais

surtout une perte de compétitivité alarmante face aux PEI du Pacifique. En

Nouvelle-Calédonie, la baisse constante du nombre de visiteurs japonais (35000 en 1998,

18455 en 2012) (ISEE, 2013) illustre la perte d’intérêt des étrangers pour l’archipel

de la grande terre. Les touristes sont très majoritairement des métropolitains en visite

chez des proches et la famille. L’éloignement des grands centres urbain, le coût de la

vie, et la relative prospérité garantie par les revenus des transferts et du nickel ont

écarté le territoire des circuits internationaux51.

51

Pour une étude approfondie de la promotion du tourisme et la mise en valeur du parc

hôtelier en Nouvelle-Calédonie (complexe Douaro Deva à Bourail, rénovation du parc

Dans l’imaginaire collectif, la Polynésie a su développer son image de paradis

originel avec des archipels internationalement reconnus tels que Tahiti ou Bora Bora.

Pour pallier la baisse continue des touristes métropolitains, 32 946 en 2013, elle doit

prendre le virage de l’international. Un premier signe engageant, le nombre de

visiteurs nord-américains est en hausse constante depuis cinq ans pour atteindre

60 862 en 2013 (IEOM, 2014). Cela se traduit par une arrivée de 1 000 touristes en

plus par rapport à 2012 et 14 500 de plus qu’en 2010. Cependant, le tourisme

apparaît comme le seul moteur de l’économie et représente plus de 13 % du PIB en

2013 (IEOM 2014). Par conséquent, la crise que connaît cette branche est

extrêmement préoccupante pour l’avenir de l’île. Le groupement d’intérêt

économique Tahiti Tourisme a lancé en 2012 une campagne de restructuration du

secteur.

À l’heure du tourisme de masse, les petites économies du Pacifique sont entrées en

compétition pour attirer les voyageurs de la planète. Seules les îles qui auront su

s’adapter aux attentes des visiteurs pourront prétendre à développer le tourisme

comme colonne vertébrale de leur économie. À ce titre, les modèles insulaires

PROFIT et SITE (Baldacchino, 2006-b, Mc Elroy, 2009) prennent tout leur sens. À

l’image de Guam et Hawaï, la stabilité de l’environnement économique et social reste

la première condition pour attirer les flux d’IDE et développer le secteur. Dans tous

les cas les sociétés océaniennes seront transformées, après la colonisation et la

christianisation, de nombreuses îles du Pacifique semblent destinées à se réformer

pour accueillir les visiteurs du monde entier.

Conclusion intermédiaire

Suite à la décolonisation, on compte 34 petits Etats insulaires membres de l’ONU,

soit 1/5 des pays reconnus par le droit commun.

Ainsi, dans un contexte de mondialisation, l’insularité est devenue une composante

majeure des relations internationales. Mais les problématiques du développement

des îles de moins d’un million d’habitants ouvrent de nouveaux débats, et la

recherche d’un modèle économique standard ne semble pas faire consensus.

En conséquence, nous avons souligné que la multiplicité des réalités géographiques,

culturelles, et socio-économiques en Océanie ne permet pas une approche théorique

unique. Pour autant, tous ces territoires pâtissent de la taille de leur marché et des

coûts de transports excessifs qui limitent l’insertion dans les flux du commerce

international. D’autre part, nous avons constaté que le facteur coût/qualité et

hôtelier de Nouméa) se référer au schéma 2005 du Plan de Développement Touristique

Concerte de Nouvelle-Calédonie (PDTC-NC).

l’éloignement par rapport aux principaux foyers de consommation condamnent toutes

les îles du Pacifique au tourisme très haut de gamme ; une spécialisation autour de

cette seule activité semble donc utopique.

Dans ces conditions le modèle MIRAB a mis en place le cadre d’étude sur les

économies insulaires, mais il n’intègre ni la diversité des rentes, ni la réduction de

l’aide internationale (sauf pour les territoires français).

Au cœur de cet ensemble fragmenté et composite, la Nouvelle Calédonie et la

Polynésie française affichent un niveau de PIB et un IDH comparables aux pays

développés à économie de marché. Mais la forte dépendance aux transferts de la

métropole pose le problème de la viabilité du développement par la rente. Si le

modèle MIRAB a caractérisé ces deux territoires, il semblerait que la propension à

mettre en place un cadre juridique avantageux (modèle PROFIT) corresponde à une

réalité calédonienne imminente dans le contexte des transferts de compétences.

D’un autre côté, la Polynésie affiche un avantage comparatif dans le tourisme qui

doit être valorisé (modèle SITE). Dans les deux cas, ces îles présentent le paradoxe

d’être engagées dans un processus d’émancipation tout en bénéficiant d’un soutien

financier croissant de la France et de l’UE.

Si les territoires français ne parviennent pas à capitaliser leurs propres ressources

(minérales, touristiques), l’exportation publique non marchande (Poirine, 1993)

permettra-elle d’assurer un développement durable ?

Second c hapitre : perspectives de coopé ration régionale dans le

Pacifique : quels modèles pour l’export des territoires français ?

En Polynésie française les produits perliers représentent 9 milliards des 12,8

milliards de F CFP exportés en 2013. Sur les 113 milliards de FCFP exportés par la

Nouvelle-Calédonie, 100 milliards sont liés à l’industrie minière. Pour le reste, les

territoires français se positionnent de façon marginale sur des marchés de niches :

aquaculture, café, cerfs, coprah, huiles essentielles, monoï, santal, vanille.

Le taux de couverture du commerce extérieur est de 37 % en Nouvelle-Calédonie et

seulement 8% en Polynésie française (voir annexes 6 et 6 bis, balance commerciale

et taux de couverture en Nouvelle-Calédonie et Polynésie française, de 2004 à

2014). Le solde commercial présente donc un déséquilibre chronique qui questionne

les possibilités d’autorégulation.

Le développement du tissu économique et industriel dans les années 1980 avait

pour seul objectif de favoriser l’emploi au détriment de toute stratégie de long terme.

En admettant le postulat que les collectivités françaises présentent les symptômes

du « Dutch disease », l’une des causes de la désindustrialisation vient du surplus de

revenus causé par l’indexation des salaires de la fonction publique combiné aux

revenus de l’industrie minière. En conséquence, on observe une détérioration de la

valeur des biens exportables par rapport aux biens non exportables.

Ainsi, la transition d’une production de substitution aux importations, à une

production de conquête de parts de marchés, doit s’effectuer dans le cadre d’une

réflexion plus générale.

Dans une première partie, nous constaterons l’autonomie inédite des territoires

français dans le champ des politiques publiques, et plus particulièrement dans

l’exercice de la compétence fiscale (Bénéteau, 2015). Ainsi, la réforme engagée en

2014 n’est qu’une première étape dans la mise en place d’un régime commercial

viable et compatible aux règles du libre-échange de l’OMC.

Dans une seconde partie, nous verrons que la taille critique des marchés

calédoniens et polynésiens a toujours freiné le développement d’un réel tissu de

PME-PMI dédié aux industries lourdes (hors nickel) et aux biens d’équipements. En

conséquence, le peu d’activités de transformations ne sert qu’à adapter les imports

pour satisfaire les besoins des petits marchés intérieurs.

En sus, nous soulignerons dans une troisième partie que l’éloignement, le faible

degré d’ouverture et l’hétérogénéité des îles du Pacifique influent directement sur les

politiques commerciales.

En définitive, il semble nécessaire de s’interroger sur la capacité des entreprises des

collectivités françaises à gagner des parts de marché à l‘international, et plus

particulièrement sur les filières qui présentent des perspectives à l’export.

Partie 1. Analyse des handicaps au développement des échanges