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Partie 3. Le développement par la rente dans les économies insulaires

3.2 Quelles économies de rente pour les îles du Pacifique ?

En fonction de leur statut constitutionnel, le soutien financier extérieur nécessaire

aux PEI prend différentes formes. Par conséquent, le développement par la rente

(administrative, aide internationale, militaire, naturelle, envois de travailleurs émigrés)

fait partie intégrante de la structure économique des îles d’Océanie : nous tenterons

de définir si ce modèle est viable.

Tout d’abord, les îles qui bénéficient des rentes publiques les plus conséquentes

sont les territoires français ainsi que les îles associées à la Nouvelle-Zélande. En

Nouvelle-Calédonie, les transferts financiers de l’Etat n’ont cessé d’augmenter

depuis la fin des années quatre-vingt-dix. En 2007, le total des crédits en provenance

de métropole dans le budget annuel calédonien a atteint 16 % du PIB soit 121,498

milliards33 de francs Pacifiques (IEOM, 2012). En Polynésie, les transferts publics

sont proportionnellement tout aussi vitaux dans la balance des paiements, ils ont

également connu une progression constante depuis les années 2000 pour atteindre

34 % du PIB soit 179 milliards de francs Pacifiques en 2010 (IEOM, 2012).

De même, les îles de Niue, Tokelau, Cook et Tuvalu reçoivent de la

Nouvelle-Zélande une aide publique qui représente plus de la moitié des budgets des

gouvernements. Comme pour les territoires français on note deux types de

transferts, ceux destinés aux collectivités locales, et les transferts financiers

directement versés dans l’économie sous forme de salaires, pensions, achats de

biens et services (Ministère des Affaires étrangères de Nouvelle-Zélande).

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Pour une analyse détaillée des budgets annuels sur la dernière décennie, se référer à la

note de l’IEOM de juin 2014, La balance des paiements de la Nouvelle-Calédonie et de la

Polynésie française, 2000 – 2012, principaux enseignements.

En outre, la redistribution de l’aide internationale prend différentes formes en fonction

du lien avec le partenaire de développement. Du reste, 90 % de l’aide pour les îles

du Pacifique provient de cinq pays (Australie, Etats-Unis, France, Japon,

Nouvelle-Zélande) et de l’UE. Les transferts se concrétisent soit par une participation au

budget soit par le financement de projets à vocation humanitaire (voir annexe 4 : aide

par habitant dans le Pacifique sud – 2000/2011). Rappelons que depuis le Plan

d’action d’Accra (2008) et le Pacte de Cairns (2009)34

les projets d’aide au

développement sont appelés à être supervisés par le Forum pour renforcer la

coordination de l’aide.

Par ailleurs, l’exportation de services militaires a permis aux PEI d’offrir aux grandes

puissances des avantages géostratégiques avec pour seule contrepartie le

versement de rentes considérables. Pour les îles associées aux Etats-Unis et à la

France, les investissements militaires de la métropole ont représenté jusqu’à 70 %

du PIB.

Ainsi, l’île de Guam joue le rôle d’une porte d’entrée sur l’Asie-Pacifique, véritable clé

de voûte de la politique de « containment »35 chinoise. L’armée américaine possède

ainsi 50 % du territoire et 60 % des recettes de l’économie de l’île proviennent du

gouvernement des Etats-Unis. Hawaï abrite également le siège du haut

commandement des forces armées des Etats-Unis dans le Pacifique. En 2013, ces

investissements représentent 18 % du PIB ; plus de 50 000 militaires résident sur l’île

et 20 000 emplois civils dépendent du secteur (United States Census Bureau, 2014).

En Polynésie française, de 1965 à 1995, les investissements liés au Centre

d’Expérimentation du Pacifique ont permis une forte croissance économique

induisant en quelques années un niveau de vie identique à celui de la métropole.

L'arrêt des essais nucléaires en 1995 a fait prendre conscience de la dépendance

locale à la « rente atomique » ; d’importantes réformes pour moderniser l’économie

34

Le Plan d’action d’Accra (2008) et le Pacte de Cairns (2008) ont pour but d’améliorer la

qualité de l'aide et son impact sur le développement. Ils établissent un système de suivi pour

évaluer les progrès et garantir que les donneurs et receveurs se tiennent des comptes afin

d'atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement.

35

Le renforcement des relations politiques et économiques en Asie-Pacifique est au cœur de

la stratégie des Etats-Unis. La Chine apparaît comme la principale puissance militaire dont

l’influence grandissante doit être contrôlée. La présence militaire américaine à Guam et

Hawaï offre une facilité d’intervention dans une région où les risques de conflits

géopolitiques sont réels ; en Corée du Nord, à Taiwan.

sont à l’étude36

. Soulignons que la Polynésie française connait une spirale récessive

depuis la crise économique de 2008 (IEOM, 2013).

D’autre part, le Pacifique insulaire n’est pas richement doté en ressources

naturelles ; seuls quelques territoires ont pu exploiter commercialement phosphate et

nickel. Dans le cas des Républiques de Kiribati et Nauru, les gisements sont épuisés

depuis 1979 et 1990. En effet, les importantes rentes « phosphatières » ont été

gaspillées après l’obtention de l’indépendance en 1979 (Kiribati) et 1968 (Nauru)37

,

et n’ont pas permis de développer l‘économie38

. De son côté la Nouvelle-Calédonie

possède 30 % des réserves mondiales de nickel, si l’exploitation constitue une

activité historique de l’île les activités minières et métallurgiques représentent moins

de 9 % du PIB en moyenne sur la période 2000-2010 (ISEE)39.

Enfin, la rente fournie par les travailleurs émigrés à leur famille peut représenter

jusqu’à 80 % du PIB dans certaines économies insulaires. La part de la population

36

Le livre de Bernard Poirine, Tahiti: stratégie pour l'après-nucléaire: de la rente atomique au

développement, 1996, présente les possibilités de développement économique pour le long

terme en Polynésie.

37

Après l’indépendance en 1968, l'exploitation des mines de phosphate, principale ressource

de l’ile, est nationalisée. Le PIB par habitant est alors trois fois plus élevé à Nauru qu'aux

Etats-Unis. Mais des investissements démesurés (compagnie aérienne, immobilier) et une

gestion aléatoire de la rente ont fait basculer le pays dans une faillite sans précédent dès

que les gisements de phosphate se sont taris dans les années 90.

38

L’analyse des erreurs commises par les gouvernements et les populations des PEI de

Kiribati et Nauru est décrite par Luc Folliet, 2010 : Nauru, l'île dévastée comment la

civilisation capitaliste a détruit le pays le plus riche du monde. Ce reportage justifie ces

déséquilibres par la présence d’un « syndrome hollandais », caractéristique des économies

de rente énergétique.

39

Dans un contexte de transfert de compétences au gouvernement de la

Nouvelle-Calédonie, les conditions d’exploitation du nickel font l’objet d’une réflexion de la part de tous

les acteurs institutionnels locaux. Pour une analyse des enjeux pour le long terme se référer

au Schéma de mise en valeur des richesses minières de la Nouvelle-Calédonie adopté par

le Congrès en 2009. En outre, le quatrième chapitre de cette thèse traite de la réallocation

des ressources du nickel dans une optique de développement durable.

occupant un emploi à l’étranger est en constante augmentation en Océanie et

dépasse dans certains cas celle des habitants de l’île40

(Connell, 2006). Assurément,

les grands pays développés tels que l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont achevé

leur transition démographique et manquent de travailleurs. Les populations jeunes

des îles du Pacifique s’expatrient et trouvent ainsi des emplois qualifiés ou non. Si la

rente des employés de l’étranger procure aux économies insulaires une source de

revenus indispensable, la viabilité de ce modèle peut être remise en question.

Notons que la mauvaise gestion des flux migratoires renforce la « fuite des

cerveaux » (médecins, enseignants, techniciens, financiers...) et alimente une spirale

perverse de développement du sous-développement (Bedford, 2012).

L’émancipation économique et politique des territoires d’Océanie reste l’objectif

affiché des institutions internationales41. Cependant, après la décolonisation, la

majorité des PEI ont accru leur dépendance à l’aide internationale et aux revenus de

travailleurs émigrés. Pour certains auteurs (Bedford, 2012, Sudrie, 2011) le

développement de l’économie par la rente n’est pas viable car il freine le

développement des secteurs productifs. Pour d’autres, (Bertram, Watters, 1985,

Poirine, 1993) ce modèle est durable et obéit à la théorie de l’avantage comparatif.