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ÉVOLUTION DE LA GESTION INTÉGRÉE DES RESSOURCES

GeSTIoN INTéGRée DeS ReSSouRCeS eN eAu

3.4 ÉVOLUTION DE LA GESTION INTÉGRÉE DES RESSOURCES

EN EAU

La gestion intégrée des ressources en eau n’est pas un concept nouveau. Elle existe sous une forme ou une autre depuis plus d’un demi-siècle dans les déclarations et les écrits d’éminents spécialistes de l’eau comme Gilbert White. Lors de la Conférence des Nations Unies sur l’eau qui s’est tenue en 1977 à Mar del Plata, une résolution en faveur de ce concept a été adoptée. Quelques années plus tard, ce type de gestion a été considérée comme un prin-cipe directeur de la Déclaration de Dublin sur l’eau dans la perspective d’un développement durable (Conférence internationale sur l’eau et l’environne-ment, 1992). Plus réceml’environne-ment, le programme du Partenariat mondial pour l’eau s’est appuyé sur cette notion (Tortajada, 2003). Dans divers pays et régions, des initiatives ont été prises pour gérer l’eau selon cette méthode, même si le terme n’a pas été employé. La présente section passe en revue l’expérience acquise au terme d’une série d’ap-proches de la gestion intégrée des ressources en eau.

3.4.1 États-Unis d’Amérique: Ohio Conservancy Districts (districts de conservation de l’Ohio), Tennessee Valley Authority (Autorité de la vallée du Tennessee)

En 1993, la Tennessee Valley Authority a été créée afin de gérer de façon coordonnée et intégrée les initia-tives liées au développement de l’hydroélectricité, à la navigation et à la maîtrise des crues dans le bassin du Tennessee. Sans la création de cette autorité, les divers organismes responsables de l’approvisionne-ment en énergie, de la navigation et de la maîtrise des crues auraient vraisemblablement agi de manière indépendante et donc manqué une occa-sion de concevoir et mener leur action de façon complémentaire. De plus, la Tennessee Valley Authority a participé à d’autres initiatives dans les domaines de la planification rurale, du logement, des soins, des bibliothèques et des loisirs, car aucun organisme ne fournissait ces services ou ces équipements.

3.4.2 Canada: offices de protection de

la nature

En 1946, une législation portant création d’offices de protection de la nature a été adoptée en Ontario; ces offices sont des organismes correspondant à des bassins versants, qui ont été constitués grâce à un partenariat entre un certain nombre de municipa-lités et le gouvernement provincial (Richardson, 1974; Mitchell et Shrubsole, 1992). Le projet a été lancé lorsqu’on s’est rendu compte que les munici-palités ne disposaient ni des ressources ni du pouvoir nécessaires pour prendre des initiatives telles que la construction et l’exploitation de barrages et de réser-voirs en amont pour la protection contre les crues, alors que de telles initiatives auraient pu bénéficier aux municipalités et aux autres collectivités en aval. En 2005, on dénombrait 36 offices de protec-tion de la nature en Ontario, qui couvraient des zones abritant 90 % de la population.

Ces offices ont été fondés sur les principes ci-après, dont la valeur ne s’est toujours pas démentie:

a) L’unité de gestion optimale est le bassin versant: la plupart des activités économiques de la province, comme l’agriculture et l’exploi-tation forestière, dépendent de l’eau et de ressources terrestres, soulignant la nécessité d’une approche intégrée;

b) L’initiative à l’échelon local est indispensable:

un office de protection n’est établi que lorsqu’au moins deux municipalités d’un même bassin versant conviennent de collaborer entre elles et avec l’administration provinciale;

c) Le partenariat provincial-municipal est essen-tiel: s’il ne doit pas imposer la création d’un office de protection, le gouvernement provin-cial y participe en tant que partenaire. Cepen-dant, cette façon de procéder signifie aussi que des zones peu densément peuplées ou dont l’assiette fiscale est modeste ne sont pas en mesure de créer un office de protection, car les fonds nécessaires ne peuvent être levés à l’échelon local;

d) Une perspective globale est nécessaire: de nombreux problèmes liés à l’utilisation des terres sont causés par un excès ou une pénurie d’eau, tandis que des problèmes liés à l’eau sont souvent influencés par des activités terrestres.

Une démarche globale a donc été favorisée, selon laquelle l’eau et les ressources terrestres connexes sont examinées ensemble;

e) La coordination et la coopération sont impor-tantes: tout nouvel office de protection est tenu de créer des liens avec les organismes provin-ciaux et municipaux responsables des autres ressources naturelles, de l’environnement et de la planification.

3.4.3 États-Unis d’Amérique et Canada:

les Grands Lacs

Le bassin des Grands Lacs, partagé par les États-Unis d’Amérique et le Canada, s’étend, jusqu’à l’embouchure du lac Ontario, sur une superficie de 765 990 km2, soit 521 830 km2 de terres et 244 160 km2 d’eau. Il contient environ 20 % des réserves mondiales d’eau douce de surface et compte plus de 40 millions d’habitants, soit 14 % de la population des États-Unis et 30 % de celle du Canada. Le bassin est administré par deux pays, huit États, deux provinces et des centaines de municipalités.

Les deux gouvernements nationaux ont signé le Traité des eaux limitrophes en 1909, en vertu duquel a été établie la Commission mixte interna-tionale. Cette dernière est composée de six commis-saires, trois de nationalité américaine et trois de nationalité canadienne. Il s’agit d’un organe et d’un forum binational permanent pour la coopération internationale et la résolution des conflits en matière de pollution de l’air, de qualité de l’eau et de régulation des niveaux d’eau et des débits entre le Canada et les États-Unis le long de leur frontière commune. La Commission dispose d’un pouvoir quasi judiciaire, d’enquête et de surveillance ainsi que de deux instruments opérationnels: le Conseil de la qualité de l’eau des Grands Lacs et le Conseil consultatif scientifique des Grands Lacs. La Commission a élaboré deux accords importants, les

accords de 1972 et 1978 relatifs à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs, qui comportent des amen-dements adoptés en 1987. L’accord de 1978 a fait office de catalyseur pour l’application d’une démarche écosystémique.

3.4.4 Australie: gestion de bassins entiers Le développement de la gestion de bassins hydro-graphiques entiers en Australie peut être porté au crédit de Burton (1986). En 1947, le gouvernement de l’État de Nouvelle-Galles du Sud a créé un minis-tère de la protection de la nature, chargé de coor-donner la gestion des ressources en eau, des sols et des forêts de l’État. En 1950, une loi a été adoptée en vue de créer le Hunter Valley Conservation Trust, chargé de la gestion coordonnée des ressources aquatiques et terrestres de cette vallée, qui remonte à l’intérieur des terres depuis Newcastle, sur la côte de la Nouvelle-Galles du Sud. Au niveau de l’État, le Premier ministre a approuvé, en 1984, la création d’un comité interministériel pour la gestion globale du bassin versant et annoncé par la suite qu’un plan de gestion de l’ensemble du bassin versant serait élaboré pour chacune des principales vallées fluviales de la Nouvelle-Galles du Sud.

3.4.5 Nouvelle-Zélande: loi sur la gestion des ressources

L’expérience de la Nouvelle-Zélande en matière de gestion intégrée des ressources en eau remonte aux années 40 (Memon, 2000). Ensuite, à partir des années 60, des plans de contrôle des bassins versants pour la conservation des sols et la régulation des cours d’eau ont été lancés, lesquels ont été suivis, dans les années 70, d’inventaires des ressources à l’échelle des bassins et de plans informels de répartition des ressources en eau.

La loi sur la gestion des ressources (Resource Management Act) de 1991, qui constitue un jalon important, s’est distinguée dans la mesure où elle a fourni «la base législative d’une approche relative-ment intégrée de la planification environnemen-tale» (Memon, 2000). En outre, cette loi a remplacé un grand nombre de lois distinctes, parfois contra-dictoires et faisant double emploi, liées à l’utilisa-tion des terres, de l’eau, de l’air et des ressources géothermiques. En vertu de cette loi, les attribu-tions sont réparties en trois niveaux. Le gouverne-ment central est chargé de l’élaboration des politiques et de la surveillance. Au niveau infrana-tional, les tâches de gestion de l’eau, des autres ressources et de l’environnement sont accomplies dans le cadre d’un système à deux niveaux mobili-sant des conseils régionaux polyvalents directement

élus et des autorités territoriales locales: conseils municipaux et de district. Les 12 conseils régionaux correspondent aux grands bassins fluviaux du pays.

3.4.6 Afrique du Sud

La loi sur l’eau de 1956 a été adoptée pour parvenir à une répartition équitable de l’eau entre le secteur agricole et le secteur industriel. Un aspect essentiel de la loi a été de donner des droits à l’eau aux propriétaires riverains, en les autorisant à édifier des barrages ou d’autres ouvrages de retenue. Vers le milieu des années 90, cependant, on s’est rendu compte que la loi de 1956 présentait d’importantes lacunes. Premièrement, les préoccupations concer-nant la qualité de l’eau n’avaient pas été systémati-quement prises en considération dans les décisions de gestion, qui portaient généralement sur la répar-tition de l’eau en termes quantitatifs. Cela avait abouti à une pollution organique et une eutrophi-sation de plus en plus importantes. Deuxièmement, les besoins en eau à des fins environnementales n’avaient pas été suffisamment reconnus. Troisiè-mement, du moins dans de nombreuses zones rurales, l’accès à l’eau était estimé inéquitable.

Enfin, plusieurs analyses réalisées au cours des années 90 avaient souligné la nécessité d’une approche plus intégrée de la gestion de l’eau (Ministère sud-africain des eaux et forêts (Department of Water Affairs and Forestry) et Commission des ressources en eau (Water Resources Commission), 1996; Lazarus, 1997; Gorgens et al., 1998). Cela a abouti à l’élaboration, en 1995, d’un livre blanc sur une politique nationale de l’eau en Afrique du Sud, qui a donné lieu à des consultations qui se sont poursuivies sur deux ans (Department of Water Affairs and Forestry, 1997).

L’Afrique du Sud a adopté une nouvelle loi sur les services de distribution d’eau (Water Services Act) en 1997 et la loi nationale sur l’eau (National Water Act) en 1998, en vue de modifier le mode de gestion de cette ressource. Un aspect essentiel de cette nouvelle démarche a été la mise en place d’une gestion intégrée des ressources en eau. La loi natio-nale sur l’eau énonce que l’eau est une ressource rare, irrégulièrement répartie à l’échelle nationale, mais aussi qu’elle appartient à tous, et pas seule-ment aux propriétaires riverains. La pérennité et l’équité ont été reconnues comme des principes fondamentaux, et la satisfaction des besoins essen-tiels des générations actuelles et futures devient un objectif primordial, au même titre que la protec-tion de l’environnement et le respect des obliga-tions internationales pour les ressources en eau partagées. Le développement social et économique doit également être favorisé par des politiques

appropriées en matière de répartition et d’utilisa-tion de l’eau.

La loi nationale sur l’eau met l’accent sur la décen-tralisation. Au nombre des nouvelles institutions essentielles figurent les agences de bassin, par le biais desquelles la responsabilité de la gestion de l’eau est déléguée au niveau régional ou du bassin versant, en concertation avec les collectivités locales. Chaque agence de bassin est chargée d’éla-borer une stratégie de gestion à l’échelle du bassin, qui lui donne la capacité de gérer, surveiller, préserver et protéger les ressources en eau, d’en réglementer l’utilisation, d’exiger la mise en place de systèmes de gestion, mais aussi de contrôler, limiter ou interdire temporairement l’utilisation de l’eau pendant les périodes de pénurie. Des associa-tions d’usagers se sont également constituées en vertu de la législation, avec pour objectif principal d’aider les usagers individuels et de faciliter leur coordination.

En s’appuyant sur l’expérience de l’Afrique du Sud, Van Zyl (1999) en conclut qu’une gestion intégrée efficace des ressources en eau passe par les éléments suivants:

a) C’est une affaire d’équipe. Dans une équipe, il faut une compréhension commune, des aptitudes individuelles et collectives, des règles du jeu et une bonne organisation. Il faut également un encadrement, une coordination, des politiques ainsi que des stratégies et une planification intégrées;

b) Il s’agit de gagner et d’atteindre des objectifs.

Cela exige de l’engagement et de la passion pour le jeu, une motivation individuelle et collective, un esprit d’équipe, une confiance réciproque et le respect des règles du jeu, de l’équipe elle-même et de ceux qui la soutiennent;

c) Il s’agit de stratégies de haut niveau. Cela requiert une connaissance des enjeux concrets, un engagement des bons, voire des meilleurs éléments de l’équipe, une analyse des systèmes de valeurs, une organisation tactique, l’esprit d’entreprise, une ouverture d’esprit, le sens de l’innovation et l’adoption d’une culture de la réussite;

d) Il s’agit de champions, de personnes dotées d’une vision, d’esprit d’initiative et de passion et d’un leadership d’exception;

e) C’est aussi un exercice d’administration publique et de science politique. Il faut soutenir le programme pour éviter qu’il n’échoue.

Les points soulevés ci-dessus sont pertinents au-delà du cas de l’Afrique du Sud et méritent d’être pris en compte au stade de la conception, de la création ou

de la mise en œuvre des stratégies de gestion inté-grée des ressources en eau.

3.5 PERSPECTIVES POUR LA GESTION