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CHAPITRE 5 Expérience climatique dans les travaux d’avant-garde artistique et

5.4 État de l’avancement des projets

Le corpus des travaux d’avant-garde artistique et architecturale des années 1960-70 comprend les visions théoriques et utopiques, caractérisées par différents niveaux d’élaboration et d’avancement dans la réalisation qui prennent la forme des représentations visuelles, des prototypes, des événe-ments ou des démonstrations du type « happening »64.

Le projet théorique « New Babylon » développé par le peintre néerlandais Constant Nieuwenhuys durant dix-huit ans est un projet architectural, mais aussi politique, social et culturel qui vise à instau-rer une nouvelle société auto-organisée, post-révolutionnaire et égalitaire a contrario des structures hiérarchiques existantes durant des millénaires. C’est une vision de l’avenir dans laquelle Constant croyait fortement et il travaillait systématiquement à la médiatisation du concept qu’il considérait non pas utopique, mais pratique et réalisable (Westenburg, 1962). Pourtant, le concept avancé ne comprend pas un ensemble d’instructions indispensables pour la construction spatiale. Comme le remarque Wigley65, c’est peut-être par la communication du projet et par l’appropriation des notions clés de la part du public que la « Nouvelle Babylone » sera en effet réalisée. Cette idée repose sur le potentiel de la mémoire collective d’un futur possible pour alterner la perception de la réalité et de la vie quotidienne et pour influer les évolutions urbaines.

Le projet théorique « Fun Palace » est considéré comme le projet le plus influent de l’architecte bri-tannique Cedric Price. Développé durant 13 années à travers les études menées par des groupes interdisciplinaires il était mis au point lorsque l’obtention du financement et du site a échoué dû à l’opposition politique. Comme le note Banham (1977), ce projet a inspiré la conception du Centre Georges Pompidou à Paris par les architectes Richard Rogers et Renzo Piano au début des années 1970 :

« Le concept d'un empilement de plan libres qui puisse être adapté à une variété de fonctions culturelles et récréationnelles semble rappeler le... Fun Palace de Cedric Price and Joan Little-wood, bien que le projet n'ait jamais été aussi radical que le Fun Palace sans planchers, ou aussi nonchalamment innovateur que l'Inter-Action Centre de Price. »66

64 Le terme introduit par l’artiste Allan Karpow dans les années 1950 désigne les événements non structurés qui permettent aux concepteurs et au public d’expérimenter une œuvre d’art. Ainsi, l’idée des spectateurs est abolie, toutes les personnes sont engagées dans le processus créatif qui est une forme d’art. 65 « Panel talk » entre l’architecte et théoricien de l’architecture Mark Wigley, le curateur artistique Ludo van Halem et le critique d’art Hans den Hartog Jager, tenu au sein de manifestation d’art contemporain “Art Basel” à Bale en 2015. La vidéo intitulée « Salon | Architect Talk | Constant's New Babylon » est disponible sur le lien https://youtu.be/Bgv4cL77n38 (consulté en octobre, 2016).

66 Traduction libre : « The concept of a stack of clear floors that can be adapted to a variety of cultural and recreational functions seems to recal the … Fun Palace of Cedric Price and Joan Littlewood, even if the project

Le concept adapté est celui de plan ouvert et d’un espace adaptable en termes de programme et de forme. Néanmoins, le centre Pompidou est géré de manière centralisée et institutionnalisée tandis que l’espace et le programme dans le Fun Palace sont arrangés par les habitants. Par ailleurs, dans le projet « InterAction Centre » construit en 1976 et démoli en 2003, Price réalisera en partie certaines notions du « Fun Palace » à l’échelle réduite.

Avec l’architecte Werner Ruhnau, Yves Klein développe et expérimente les prototypes à petite échelle sur les toits d’immeubles et dans l’espace extérieur d’un musée (Figure 29 à gauche). Ainsi une vision utopique à l’échelle planétaire devient en partie concrétisée avec ces expérimentations démontrant leur caractère réalisable.

Figure 29 Les prototypes à petite échelle. À gauche : À l’occasion de l’exposition « Yves Klein : Monochrome und Feuer » le 14 janvier 1961 dans le jardin du Museum Haus Lange, Krefeld, en Allemagne, les prototypes de Mur de feu et de la colonne de feu (« La sculpture de feu ») sont réalisés dans l’espace extérieur du jardin du musée. Les couleurs décomposées de la flamme – bleu, or et rose, sont visibles dans l’obscurité. Source : http://www.yveskleinarchives.org/documents/bio_fr.html À droite : Prototypes pour le projet « Le Immersioni » par Ugo La Pietra exposés dans l’espace de la galerie de Triennale Design Museum à Milan en 2014/2015. Source : http://www.artapartofculture.net/2015/02/16/ugo-la-pietra-progetto-disequilibrante/ (consultés en juin, 2016).

Les prototypes des structures gonflables à petite échelle conçus et réalisés par l’artiste britannique Graham Stevens et par les architectes autrichiens Coop Himmelb(l)au et Hans Hollein sont exposés dans l’espace extérieur sous forme d’un événement dont témoignent uniquement les enregistre-ments photographiques et vidéographiques. C’est une démonstration de faisabilité donnant à voir et à imaginer leurs potentiels et limites dans une perspective de production en série ou multiplication à l’échelle urbaine.

was never as radical as the floorless Fun Palace, or as casually innovatory as Price’s Inter-Action Centre. » Reyner Banham, « Pompidou cannot be perceived as anything but a monument », Architectural Review 161, Mai 1977, p. 270-294.

Les prototypes d’une série des installations du projet « Immersioni » conçues par l’artiste et archi-tecte italien Ugo La Pietra (1967-72) ont été reproduit dans l’espace de la galerie (Figure 29 à droite). Ces installations proposent des effets sensoriels déstabilisants déclenchés par les visiteurs (habitants) mêmes. Dans notre corpus, « Immersioni » représente un exemple unique d’un projet construit (sous forme de prototype) qui met en relation le contrôle cognitif et comportemental avec le choc physio-logique.

Le projet pour le pavillon « Pepsi » (EAT, 1970) fut réalisé à l’échelle du bâtiment et pour toute la durée de l’Exposition Universelle, tandis que quelques éléments semi-fonctionnels du projet « Media line » construit à Munich en 1972 à l’échelle de plusieurs îlots d’une zone urbaine existent toujours. Créé par l'architecte et designer viennois Hans Hollein et réalisé en 1972, c'est un projet lauréat du concours International pour la revitalisation du Forum dans le Village Olympique à Munich. Il s'agit d'un réseau, une structure de tuyaux et pergolas qui traverse le village sur une longueur de 16 km et qui s’agglomère à des nœuds clés. Le réseau de tuyaux met en œuvre un système multifonctionnel d’ambiances. Ce système a été étendu sur une surface beaucoup plus large que prévue au départ à cause de son aspect pratique, fonctionnel et ludique. Aujourd’hui la structure offre uniquement l’éclairage (Figure 30 à gauche).

La « Maison à cloisons invisibles » créée par le sculpteur et plasticien hongrois Nicolas Schöffer en collaboration avec les sociétés Philips et Saint-Gobain a été réalisée et détruite à la fin de l’exposition en 1957 au Salon International BATIMAT des Travaux Publics et du Bâtiment à Paris (Figure 30 à droite).

Figure 30 Projets à l’échelle du quartier et de la maison. A gauche : « Media line » par Hans Hollein, 1972. Source : http://www.hiddenarchitecture.net/2016/03/media-line-olympic-village.html (consulté en mars, 2017). À droite : « Maison à cloisons invisibles » par Nicolas Schöffer, 1955. Source : Darò, 2007.