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1.2 Rappels sur la turbulence en aérodynamique

1.2.1 Équations RANS

L’approche typiquement employée pour l’étude de la turbulence dans la pratique repose sur le concept de moyenne statistique. Cela permet d’exprimer l’évolution des quantités physiques en une partie moyenne plus une partie fluctuante. Cette opération est nommée décomposition en moyenne de Reynolds (1.30) : 𝜓 = 𝜓 ⏟⏟⏟ partie moyenne + 𝜓 ⏟⏟⏟ partie fluctuante (1.30) Plusieurs types de moyennes statistiques peuvent être employées : temporelle, spatiale, d’ensemble, conditionnelle, inconditionnelle, pondérée... le choix est très large. Du fait de la nature aléatoire de la turbulence, on s’intéresse particulièrement à la moyenne d’ensemble. Conceptuellement, la moyenne d’ensemble d’une quantité 𝜓 (notée 𝜓𝐸) à un point spatial 𝑥𝑖et à un temps 𝑡 depuis le début de l’expérience est la moyenne statistique d’un nombre 𝑁 → ∞ de réalisations dans lesquelles les conditions aux limites et initiales varient très peu (i.e. de façon infinitésimale) :

𝜓𝐸(𝑥𝑖, 𝑡) = lim 𝑁→∞ 1 𝑁 𝑁𝑛=1 𝜓𝑛(𝑥𝑖, 𝑡) (1.31)

Ce qui donne la décomposition en moyenne de Reynolds suivante :

𝜓(𝑥𝑖, 𝑡) = 𝜓𝐸(𝑥𝑖, 𝑡) + 𝜓(𝑥𝑖, 𝑡) (1.32)

3. Le nombre de Reynolds, 𝑅𝑒 = 𝜌𝑈𝐿∕𝜇, où 𝑈 et 𝐿 sont les échelles caractéristiques de vitesse et de longueur respectivement, exprime le rapport entre les efforts convectifs sur les efforts diffusifs

12 1 - Rappels sur la mécanique des fluides

L’équation (1.31) signifie que, afin d’établir la moyenne d’ensemble lors de, par exemple, un essai en soufflerie, il faudrait réaliser un ensemble 𝑁 très large d’essais afin d’avoir une collection de 𝜓 dans les endroits 𝑥𝑖et à l’instant 𝑡 d’intérêt. Le coût d’une telle campagne d’essais serait formidablement élevé, car on ne peut pas en pratique faire 𝑁 essais quasi-identiques. C’est pour cela qu’en pratique on a recours à la moyenne temporelle, car sous certaines conditions elle peut être assimilée à la moyenne d’ensemble (hypothèse d’ergodicité). La moyenne temporelle de la quantité 𝜓(𝑥𝑖, 𝑡), notée 𝜓𝑇, s’écrit : 𝜓𝑇(𝑥𝑖) = lim 𝑇 →∞ 1 𝑇 ˆ 𝑡+𝑇 𝑡 𝜓(𝑥𝑖, 𝑡) 𝑑𝑡 (1.33)

Ce qui donne la décomposition en moyenne de Reynolds suivante :

𝜓(𝑥𝑖, 𝑡) = 𝜓𝑇(𝑥𝑖) + 𝜓(𝑥𝑖, 𝑡) (1.34) En effet, lors d’un essai (expérimental ou DNS), typiquement on enregistre le signal 𝜓(𝑥𝑖, 𝑡) pendant

un temps 𝑇 suffisamment long afin de déterminer (1.33), au lieu de faire 𝑁 réalisations afin de déterminer (1.31). Or, en général 𝜓𝐸(𝑥𝑖, 𝑡) ≠ 𝜓𝑇(𝑥𝑖), sauf pour les écoulements dits statistiquement

stationnaires.

Un écoulement avec des parois fixes et des conditions aux limites stationnaires (seulement avec des variations infinitésimales), est dit statistiquement stationnaire, dans le sens où, pour des temps d’échantillonage suffisamment élevés des quantités physiques, la moyenne temporelle à un point 𝑥𝑖 tend vers une constante. Dans cette condition, la moyenne d’ensemble ne dépend plus du temps, et elle se confond avec la moyenne temporelle 𝜓𝐸(𝑥𝑖) = 𝜓𝑇(𝑥𝑖).

Notons que l’implication majeure de l’utilisation de la moyenne temporelle est qu’elle n’est appli-cable qu’aux problèmes statistiquement stationnaires car

𝜓𝑇(𝑥𝑖) = 𝑐𝑡𝑒 ⇔ 𝜕𝜓𝑇(𝑥𝑖)

𝜕𝑡 = 0 . (1.35)

Toutefois, de nombreuses applications existent où les conditions aux limites varient très lentement par rapport aux échelles de la turbulence : un récipient sous pression qui libère son contenu jusqu’à la détente totale, l’aérodynamique autour des pales d’hélicoptères ou encore le battement des ailes des oiseaux. Pour aborder ces problèmes, l’aspect instationnaire doit impérativement être pris en compte. Pour remédier à cette apparente contradiction, en pratique on exploite le concept de sépa-ration d’échelles. On admet que le temps caractéristique le plus long de la turbulence 𝑇𝑡 est très inférieur au temps caractéristique de l’instationnarité 𝑇𝑖induite par les conditions aux limites ou les mouvements des parois solides :

1.2 - Rappels sur la turbulence en aérodynamique 13 De cette manière, on admet que la variation par rapport au temps de la moyenne basée sur 𝑡 < 𝑇𝑡est nulle alors que la moyenne basée sur 𝑡 ≥ 𝑇𝑖n’est pas forcément nulle. Ainsi, l’étude des moyennes statistiques d’écoulements turbulents d’un point de vue instationnaire peut être abordée. Notons cependant que pour cela il faut que la séparation d’échelles (1.36) puisse être clairement identifiée, ce qui n’est pas souvent évident.

Après cette clarification, pour la suite de ce manuscrit nous admettrons que le terme moyen de la décomposition de Reynolds (1.30) peut être vu indistinctement comme une moyenne d’ensemble, ou bien comme une moyenne temporelle sur un temps turbulent très petit face aux instationnairités des conditions aux limites. Les deux conceptions autorisent le traitement instationnaire des quantités moyennes, et nous les considérerons par la suite équivalents. Par conséquent, dans ce qui suit la partie moyenne sera simplement notée avec une barre : 𝜓.

Pour exprimer les équations de Navier-Stokes (1.29) dans le sens de moyenne de Reynolds, il suffit alors d’appliquer la décomposition (1.30) à chaque grandeur physique : 𝜓 = 𝜌, 𝑢𝑖, 𝑝, 𝑇 . Cette

opération engendre un nombre important de nouveaux termes dans les équations, notamment de type couplage entre champs moyens et fluctuants. Afin d’alléger le résultat (non présenté ici), il est préférable d’employer une moyenne pondérée par la masse volumique moyenne. Cette moyenne est connue sous le nom de moyenne de Favre :

̃𝜓 = 1

𝜌 lim 𝑇 →∞

ˆ 𝑡+𝑇

𝑡 𝜌(𝑥𝑖, 𝑡)𝜓(𝑥𝑖, 𝑡) 𝑑𝑡 (1.37) Cette moyenne est employée afin d’effectuer une décomposition d’une quantité 𝜓 en une partie moyenne pondérée par la masse volumique moyenne et une partie fluctuante :

𝜓 = ̃𝜓 + 𝜓′′ (1.38)

Afin de simplifier le résultat, il est alors convenable d’appliquer une décomposition de Favre (1.38) à la vitesse 𝑢𝑖et à la température 𝑇 (ou de façon analogue, l’énergie interne 𝑒𝑖ou encore l’enthalpie

ℎ). Les grandeurs physiques restantes sont décomposées en suivant une décomposition classique de

Reynolds (1.30). Après quelques opérations algébriques, on obtient les équations RANS

compres-sibles avec moyenne de Favre[209, Ch.5,p.248] :

𝜕𝜌 𝜕𝑡 + 𝜕 𝜕𝑥𝑖(𝜌̃𝑢𝑖) = 0 (1.39a) 𝜕 𝜕𝑡(𝜌̃𝑢𝑖) + 𝜕 𝜕𝑥𝑗(𝜌̃𝑢𝑗̃𝑢𝑖) = − 𝜕𝑝 𝜕𝑥𝑖 + 𝜕 𝜕𝑥𝑗[𝜏𝑖𝑗 + 𝜌𝑟𝑖𝑗] (1.39b) 𝜕 𝜕𝑡(𝜌𝐸) + 𝜕 𝜕𝑥𝑗(𝜌̃𝑢𝑗𝐻) = 𝜕 𝜕𝑥𝑗 [ −𝑞𝑗− 𝑞𝑇 𝑗+ 𝜏𝑖𝑗𝑢′′𝑖 − 𝜌𝑢′′ 𝑗 1 2𝑢′′𝑖𝑢′′𝑖 + ̃𝑢𝑖(𝜏𝑖𝑗+ 𝜌𝑟𝑖𝑗)] (1.39c)

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Nous soulignons que dans le système (1.39) de nouveaux termes sont apparus, qui n’étaient pas présents dans l’équation (1.29). Aucun nouveau terme n’apparaît dans l’équation de conservation de la masse (1.39a), qui reste formellement identique à l’équation (1.29a). L’équation de transport de la quantité de mouvement (1.39b) est formellement similaire à (1.29b), à une différence près : le nouveau terme 𝜌𝑟𝑖𝑗 est apparu dans la diffusion. Ce nouveau terme est connu sous le nom de

tensions de Reynolds:

𝑟𝑖𝑗 = −𝜌𝑢′′

𝑖𝑢′′𝑗∕ 𝜌 (1.40)

Le tenseur de Reynolds (1.40) est un moment statistique d’ordre 2 qui apparaît mathématiquement lors de la décomposition de Reynolds et de Favre. Il est donc une conséquence du traitement sta-tistique des équations de Navier-Stokes. Par ailleurs, la demie-trace du tenseur de Reynolds est l’énergie cinétique de la turbulence, 𝑘 :

𝑘 = 1

2𝜌𝑢′′𝑖𝑢′′𝑖∕ 𝜌 (1.41)

L’équation RANS de l’énergie totale (1.39c) diffère assez de sa contrepartie non-statistique (1.29c). Pour commencer, les quantités transportées sont 𝐸 (énergie totale moyenne) et 𝐻 (enthalpie totale moyenne) au lieu de la température :

𝐸 = ̃𝑒𝑖+ 1

2̃𝑢𝑖̃𝑢𝑖+ 𝑘, 𝐻 = ̃ℎ + 12̃𝑢𝑖̃𝑢𝑖+ 𝑘 (1.42) Ce choix de variables est convenable non-seulement parce que cela simplifie grandement l’écriture des équations, mais aussi parce qu’il devient explicite que la quantité transportée dans (1.39c) est composée d’une contribution moyenne liée à l’énergie interne ou à l’enthalpie (liée à la tempé-rature), plus l’énergie cinétique du champ moyen 1

2̃𝑢𝑖̃𝑢𝑖, plus l’énergie cinétique de la turbulence

𝑘.

Les nouveaux termes qui apparaissent dans l’équation de l’énergie sont : — 𝑞𝑇𝑗 : Le flux de chaleur turbulent

— 𝜏𝑖𝑗𝑢′′𝑖 : La diffusion moléculaire de la turbulence — 𝜌𝑢′′

𝑗 1

2𝑢′′𝑖𝑢′′𝑖 : Le transport turbulent de l’énergie cinétique de la turbulence.

En résumé, du fait du traitement statistique des équations compressibles de Navier-Stokes, 4 nou-velles quantités (inconnues) ont fait leur apparition : les tensions de Reynolds (et donc l’énergie cinétique de la turbulence), le flux de chaleur turbulent, la diffusion moléculaire de la turbulence et le transport turbulent de l’énergie cinétique de la turbulence. Ces nouveaux termes font des équations (1.39) un système ouvert et doivent donc être modélisés. Le rôle des modèles de turbulence, comme ceux présentés dans le Ch. 3, est précisément d’approcher ces nouveaux termes. Sans prétendre détailler à ce stade du manuscrit les spécificités des modèles de turbulence, esquissons cependant l’une des approches les plus utilisées en ingénierie aérodynamique, afin d’expliciter un peu plus les

1.2 - Rappels sur la turbulence en aérodynamique 15 nouveaux termes de la turbulence. Cette approche consiste à modéliser les tensions de Reynolds en utilisant la relation constitutive de Boussinesq :

𝜌𝑟𝑖𝑗 ∶= −𝜌𝑢′′ 𝑖𝑢′′𝑗 = 2𝜇𝑡(𝑆̃𝑖𝑗 − 1 3𝜕 ̃𝑢𝜕𝑥𝑘𝑘𝛿𝑖𝑗 ) − 2 3𝜌𝑘𝛿𝑖𝑗 (1.43)

L’équation (1.43) montre que les tensions de Reynolds sont modélisées à l’aide 3 contributions. La première contribution est simplement une échelle du tenseur moyen de déformation (2𝜇𝑡𝑆̃𝑖𝑗). Le facteur d’échelle est 2𝜇𝑡, qui fait apparaître le concept de viscosité de la turbulence, 𝜇𝑡. Cette quantité scalaire est sensée représenter la forte diffusion apparente dans le fluide (au sens moyen) provoquée par le mouvement turbulent. Elle varie donc d’un point à l’autre dans l’espace. L’un des rôles des modèles de turbulence basés sur la relation constitutive de Boussinesq (Ch. 3) est d’expliciter 𝜇𝑡 en fonction de quantités physiques connues, transportées ou approchées. La deuxième contribution aux tensions de Reynolds via la relation de Boussinesq est liée à la dilatation (compressibilité) du champ moyen. Notons que cette contribution est négligeable pour les faibles nombre de Mach, où

𝛁 ⋅ 𝒖 ≈ 0. Enfin, la dernière contribution est isotrope et proportionnelle à l’énergie cinétique de la

turbulence 𝑘, qui doit être modélisée par le modèle de turbulence.

La modélisation du terme de flux de chaleur, 𝑞𝑇𝑖 fait souvent appel aussi au concept de viscosité de la turbulence 𝜇𝑡. Ce terme est donc modélisé comme l’équation (1.44) :

𝑞𝑇𝑗 ∶= 𝜌𝑢′′

𝑗′′ = −𝜇𝑡𝑐𝑝

𝑃 𝑟𝑇 𝜕𝑥𝜕 ̃𝑇𝑗, (1.44)

où 𝑃 𝑟𝑇 est le nombre de Prandtl de la turbulence, par analogie au nombre de Prandtl classique (1.26). La valeur constante de 0.9 est souvent utilisée et est une bonne approximation pour des écoulements subsoniques ([209, p.250]). Par ailleurs, la valeur 𝑃 𝑟𝑡= 0.9 sera utilisée pour tous les cas étudiés dans cette thèse.

Enfin, les termes de diffusion moléculaire de la turbulence et de transport turbulent de l’énergie cinétique de la turbulence se modélisent souvent ensemble sous la forme (1.45) :

𝜏𝑖𝑗𝑢′′𝑖 − 𝜌𝑢′′ 𝑗 1 2𝑢′′𝑖𝑢′′𝑖 =(𝜇 + 𝜇𝑡 𝜎𝑘 ) 𝜕𝑘 𝜕𝑥𝑗 (1.45)

Où 𝜎𝑘 est le coefficient de diffusivité turbulent associé à l’énergie cinétique de la turbulence, qu’il faut soigneusement déterminer par les hypothèses de construction du modèle de turbulence. Cepen-dant, il faut noter que les termes (1.45) sont négligeables dans le régime subsonique.

En résumé, dans cette section il a été rappelé que le traitement statistique des équations de Navier-Stokes donne lieu à des nouveaux termes qui nécessitent d’être modélisés. Le plus important d’entre eux est le tenseur de Reynolds, qui provoque de la diffusion dans la quantité de mouvement moyenne. Un début de modélisation des tensions des Reynolds consiste à établir un lien direct entre les tensions des Reynolds et le tenseur de déformation moyen, via le concept de viscosité de la turbulence,

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qui représente la diffusivité très importante liée au mouvement turbulent. Ce concept de viscosité turbulente est également utilisé pour modéliser les termes de flux de chaleur turbulent et de diffusion moléculaire et turbulente de l’énergie.