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Définition du DSM-

1.3 Épidémiologie et comorbidités

Dans la population générale, les données épidémiologiques font état d'une prévalence d'environ 2% pour l'état limite (15), avec un sex ratio femmes/hommes compris entre 2 et 3 (16).

Il est à noter que le trouble limite est le plus fréquent des troubles de personnalité retrouvés en population générale.

Dans la population psychiatrique, la proportion d'individus état limite est également très importante. Bien que les chiffres de prévalence varient en fonction des études, la majorité des travaux retrouvent une prévalence de 15 à 50% de patients état-limite parmi les patients psychiatriques qu'ils soient hospitalisés ou suivis en ambulatoire (16).

Les données sociodémographiques indiquent que le patient borderline vit souvent seul (célibataire ou divorcé), a un niveau de fonctionnement social plus faible que la moyenne avec « une importante incapacité fonctionnelle liée au trouble » comme en témoignent l'interruption fréquente des études, les pertes d'emploi multiples, la mise en invalidité...(163).

L'étude de M. Stone, portant sur plus de 200 patients borderline suivis sur près de 20 ans mentionne une grande hétérogénéité évolutive des patients (36).

L'étude de suivi de T.H. Mc Glashan portant sur 81 patients borderline suivis, fait mention d'un taux de mortalité prématurée important chez les patients état limite (environ 13%) (36).

Ce taux important résulte d'un risque élevé de décès par suicide (de l'ordre de 10%), constituant un des risques suicidaires les plus hauts de l'ensemble des pathologies du champ psychiatrique. Celui- ci est de surcroît majoré en cas de trouble de l'humeur ou de consommation de toxique comorbide. Par ailleurs, l'état limite est très fréquemment comorbide d'un trouble psychiatrique de l'axe I et notamment d'un trouble de l'humeur, qu'il s'agisse d'un trouble bipolaire de type 1 ou 2, d'un épisode dépressif majeur, d'un trouble dépressif récurrent ou d'une dysthymie (167). Il est à noter que la présence d'un trouble de la personnalité comorbide tendra à complexifier la prise en charge du trouble de l'axe 1 et à en aggraver le pronostic.

Certains auteurs retrouvent dans leurs travaux des chiffres pouvant aller jusqu'à une prévalence de 83% d'épisodes dépressifs majeurs vie entière et 39% de dysthymies vie entière chez ces sujets (168).

Les patients état limite présentent également très régulièrement des comorbidités addictives avec nombreuses consommations de toxiques (abus d’alcool (23,5%) et abus de substance (8,2%)), ou

encore un trouble du comportement alimentaire associé (anorexie (40,2%), boulimie (32,9%)) (168).

D'autres travaux mentionnent des taux de prévalence sur la vie entière d'individus état limite de l'ordre de 96,9 % de troubles de l’humeur, 89 % de troubles anxieux, 62,5 % d’addictions, 58,3 % de troubles post-traumatiques et 53,8 % de troubles du comportement alimentaires (156).

L'état limite est en outre fréquemment comorbide d’autres troubles de la personnalité, et plus particulièrement de personnalités antisociale (22,3%) et évitante (21,2%) (170).

Nonobstant le fait que les critères diagnostiques de la personnalité borderline aient été ajustés dans le DSM IV afin de diminuer les chevauchements diagnostiques, il perdure encore communément une association (dans plus de 50% des cas) avec au moins un autre trouble de la personnalité chez les patients état limite. Ce chevauchement diagnostique concerne principalement les troubles de la personnalité du cluster B (antisociale, histrionique, narcissique), mais également dans une moindre mesure des clusters A et C (évitante, schizotypique, schizoïde) (168,170).

1.4 Clinique

Il existe un polymorphisme dans la présentation clinique des patients état limite, mettant fréquemment les praticiens en difficultés quant à la question diagnostique (80). En effet, « tout symptôme psychiatrique peut être présent » chez ce type d'individus (35,68,173)et il est impératif que le psychiatre soit précis et rigoureux sur le plan clinique, s'astreignant à rechercher chacun des neufs critères constitutifs de la personnalité borderline, à savoir (18):

• perturbations affectives: fluctuations thymiques, sentiment de vide intérieur chronique, émotion de colère fréquemment ressentie

• perturbations cognitives: trouble de l'identité et de l'image de soi, méfiance et suspicion, symptômes dissociatifs transitoires

• perturbations relationnelles avec autrui: instabilité des relations interpersonnelles, efforts importants pour éviter l'abandon

• impulsivité: auto-agressivité à type d'automutilation, ou de tentative de suicide

L’angoisse fréquemment présente est flottante, fluctuante sur le nycthémère et marquée par la célérité avec laquelle elle envahit le patient. JD. Guelfi rapporte ainsi que « l'angoisse est constante mais d'intensité variable, allant de la crise aiguë à un sentiment de malaise existentiel diffus » (36).

Elle se manifeste de manière paroxystique et est souvent accompagnée d'expériences de déréalisation, « de sensation de perte du sens de la vie et de la cohérence interne », ainsi que de « craintes d'impulsion, d'échec » (72).

Les symptômes d’allure névrotique sont présents de façon variable dans le temps (72).

Ils comprennent les symptômes d’allure phobique, fréquemment retrouvés dans le tableau état limite et concernant « le corps ou le regard de l’autre » à type de « phobie du regard, éreutophobie, phobie sociale », ou encore des « phobies à la limite des troubles obsessionnels compulsifs » (phobie de la saleté).

Les symptômes d’allure obsessionnelle consistent en des idées obsédantes et des rituels rationalisés par l'individu état limite, dont l'insight est très faible.

Les symptômes hypocondriaques concernent essentiellement des angoisses « envahissantes rationalisées, d’allure persécutive, stéréotypées (l’air, la pollution, les aliments) » (72).

Concernant les troubles thymiques, la prévalence des troubles dépressifs est considérable, de l'ordre de 83% d'épisodes dépressifs majeurs vie entière et 39% de dysthymies vie entière (168). Bergeret voit d'ailleurs dans la dépression la composante fondamentale de la structure de l'état limite (73).

Le syndrome dépressif est d'intensité variable, le risque suicidaire étant très important chez ces patients du fait de leur grande impulsivité. Il est caractérisé par la rareté du ralentissement psychomoteur et des sentiments de culpabilité, l’importance de la douleur psychique.

A noter également « une émotionnalité négative », des « tendances agressives et destructrices », ainsi qu'une désinhibition. Les émotions de l'individu borderline sont « associées à une dysrégulation cognitive », dont témoignent les jugements sous le mode « tout ou rien » ou en « noir et blanc », les avis tranchés sans position intermédiaire possible (36).

Un des traits caractéristique du sujet borderline est le sentiment de vide intérieur chronique. Ces individus se plaignent fréquemment de sensations de « d'ennui, de lassitude, d'incomplétude »,de perte du sens et de l'intérêt à poursuivre leur existence, d’anesthésie affective (18). Il est intimement lié aux comportements d’abus de substances et aux actes auto-agressifs (auto-mutilation, gestes suicidaires) auxquels le sujet s'adonne afin de mettre un terme à ce vide vécu comme insupportable. En effet, les prises de toxiques leur permettent de ne plus ressentir le vide tandis que les scarifications sont l'expression de leur mal-être et leur offrent un soulagement en leur permettant de se concentrer sur les sensations ressenties au moment présent (82).

Ce vide intérieur est accompagné d'émotions négatives réactionnelles à type d'irritabilité et de sentiment de rage ou de colère, la tension interne quasi continue est émaillée d'épisodes de pics de colère inadaptés à la situation et difficilement contenus et maîtrisés par le sujet.

Il existe également un trouble de l'identité avec une image de soi « vague, très imprécise, pouvant varier d'un extrême à l'autre » (18).

Un stress aigu et de forte intensité peut faire émerger un épisode psychotique avec présence de symptômes transitoires à type de symptômes délirants de thématique persécutoire, de mécanisme intuitif et interprétatif, méfiance, hostilité avec hétéro-agressivité, syndrome de référence, ou encore dépersonnalisation et déréalisation (18).

L'individu borderline n'a pas conscience des « limites de soi et de l'autre » impactant ses relations interpersonnelles, relations instables souvent « chaotiques et conflictuelles » marquées par une « alternance entre idéalisation et dévalorisation, voire haine envers autrui ».

Il existe habituellement une oscillation entre demande excessive de considération et d'attention, de grande proximité et une attitude d'éloignement, d'isolement, voire de fuite (18).

Un autre trait central du trouble de personnalité borderline est la relation de dépendance de type anaclitique mise en place par le sujet, qui « attend de façon passive et avide » qu'un membre de son entourage résolve ses difficultés ou réponde à ses attentes. Si le proche ne répond pas à son attente de façon satisfaisante, « son angoisse d'abandon est réactivée » (18).

L'individu instaure avec son entourage une relation de soumission, quasi enfantine avec une vision manichéenne et pouvant être comparée à la relation parent-enfant. Il existe ainsi une alternance entre deux positions extrêmes avec idéalisation du proche et de ses capacités ne reflétant pas la réalité puis dévalorisation de celui-ci lorsqu'il n’a pas répondu correctement à ses attentes.

En outre, l’état de bien-être et de plaisir résultant de la consommation de toxiques ou de comportements compulsifs (boulimie, jeu pathologique, achats compulsifs) est idéalisé alors qu'il est délétère pour l'individu (72).

Les individus borderline décrivent souvent des relations où ils contrôlent, régissent tout, pour signifier qu'ils sont entourés. Il existe un important besoin de l'autre, de s'appuyer sur lui, « l'autre ayant une fonction anti-dépressive permettant de combler une faille narcissique ancienne » (55). Ce besoin de l'autre coexiste avec la crainte d'une trop grande intrusion. André Green évoque d'ailleurs la présence de craintes archaïques renvoyant à une alternance entre angoisse de séparation et d'intrusion (153).

Les troubles du comportement de type impulsif ont un impact sur l’ensemble des champs de la vie du sujet (instabilité affective, sociale, professionnelle...).

L'impulsivité souvent considérable engendre de multiples passa ges à l'acte autoagressifs (tentative de suicide, automutilations avec scarifications des membres, ivresses aiguës, surdosage de toxiques ou de médicaments, accès boulimiques, accidents de la voie publique ou autres conduites à risque...) e t hétéroagressifs (agressions physiques, bagarres, maniement d'armes blanche ou d'armes à feu, violences, vols...).

J.G. Gunderson considère que les automutilations (définies comme « un acte de se faire du mal de manière délibérée, répétée, de manière physique, sans intention consciente de se suicider ou ne menaçant pas directement le pronostic vital » (18)) sont un trait pathognomonique du trouble borderline. Cet auteur ajoute que la répétition des tentatives de suicide est la « spécialité comportementale du borderline » (80).

La grande impulsivité de ces sujets favorise en outre les conduites addictives avec consommations de toxiques (retrouvées chez plus de 50% des patients borderline, s'agissant aussi bien d'alcool que d'une autre drogue) ainsi que les conduites à risques pouvant être qualifiées d'équivalents suicidaires (sexualité désinhibée avec rapports sexuels non protégés, mise en danger durant la conduite automobile) et d'autres types de conduites pathologiques (vols, délits, destruction de biens, achats compulsifs, boulimie...) traduisant une absence de contrôle (18).

Les multiples passages à l’acte impulsifs affectent tous les champs de l'existence du sujet, engendrant ruptures sentimentales et professionnelles à répétition en dépit de la forte implication du sujet dans ces relations.

Kernberg a décrit le passage à l’acte comme étant « égosyntonique » (69) en ce sens qu’au moment du passage à l'acte, l'individu est récompensé par un apaisement du fait d'« une satisfaction pulsionnelle », mais critiquera violemment son geste à distance. L'individu ne tire aucune conséquence dans les suites du passage à l'acte du fait d'une absence d'élaboration en intercritique, entretenant ainsi les répétitions (35).

Le groupe de travail en charge de la mise au point de la partie troubles de la personnalité dans le nouveau DSM-5 fonde ainsi sa réflexion sur « le double aspect du trouble borderline », à savoir d'une part une « altération du sens de l'identité de soi » et d'autre part « l'altération du fonctionnement » global se manifestant par une « instabilité des émotions », une « hyperréactivité émotionnelle » et un comportement imprévisible et inconstant selon les situations.

Les relations interpersonnelles sont marquées du sceau de la dépendance anaclitique à autrui, avec présence d'un attachement insécure, vécu abandonnique et peur de la solitude (18). Ces perturbations sur le plan émotionnel sont sous-tendues par des grilles de lecture de l'environnement selon un mode manichéen, en « tout ou rien » ou « noir et blanc ».

Du fait de la grande variabilité clinique du trouble limite, son diagnostic est un des plus difficiles de la nosographie psychiatrique. En témoigne une fidélité inter-juges (accord diagnostique entre deux praticiens examinant le même patient) médiocre (18).

Afin d'améliorer la validité de ce diagnostic peuvent être utilisés certains instruments standardisés, comme le DIB-R mis au point par Zanarini en 1989 (172).

En ce qui concerne la délimitation des états limites, seront développés ci-après les éléments sur lesquels se fait la différence avec les principaux diagnostics différentiels permettant ainsi de limiter les chevauchements diagnostiques.

Comme nous l'avons abordé plus haut dans ce chapitre, les individus état-limite sont très fréquemment en proie à des troubles thymiques, notamment dépressifs, pouvant parfois entrainer une confusion avec un épisode dépressif majeur.

Aussi le tableau suivant permet de faire la part des choses, mettant en exergue les divergences entre les symptômes présents dans le cadre d'une dépression unipolaire et ceux présents chez un état- limite :

Dépression unipolaire Caractères communs aux deux Trouble de la personnalité état-limite

-culpabilité -remords

-affect dépressif

-sentiment d’absence de valeur personnelle

-absence d’espoir

-vide -solitude

-ralentissement psychomoteur -tristesse, retrait/ agitation

-absence de ralentissement psychomoteur

-colère, besoin -idéations suicidaires sans

passage à l’acte systématique

-gestes suicidaires répétés

-relations stables -avidité de l’objet

-dépendance -relations exigeantes -hostilité -dépendance -préoccupations de défaites et d’échecs -fragilité de l’estime de soi -préoccupation de pertes interpersonnelles -séparation -bon accueil de l’aide (avec histoire d’indépendance)

-Autosuffisance illusoire (avec histoire de dépendance)

Tableau 2: comparatif des éléments cliniques du syndrome dépressif majeur et des éléments dépressifs retrouvés chez les patients états limites (72

)

D'autre part, certains traits de la personnalité limite comme l'irritabilité, les sentiments de rage ou de colère ou encore les troubles du comportement de type impulsif engendrant des passages à l'acte auto et hétéroagressifs peuvent constituer un tableau clinique dont les frontières avec la psychopathie sont parfois minces.

Le tableau suivant fait état d'un comparatif entre ces deux entités cliniques souvent source de méprise:

Etat limite Psychopathie

symptômes -dépression

-mise en acte

-appétences morbides -états psychotiques aigus

-mise en acte hétéro-agressive répétitive -désinsertion sociale -absence d’affects -utilité immédiate angoisse - d e p e r t e d ’ o b j e t , d e dépendance ou d’intrusion -de vide, de solitude, non élaborée -peu d’angoisse -angoisse de surface relation d’objet -anaclitique -dépendante -ambivalente -incomplétude narcissique

-ne parvient pas à réparer l’objet

-introjection conservatrice impossible

Moi -un secteur adaptatif et un

secteur anaclitique -double secteur Mécanismes de défense -clivage -déni -régression prégénitale -identification-projection -manipulation agressive de l’autre -clivage Conflits et instances -stades intermédiaires -prégnance de fantasmes de différents niveaux

-conflit Moi/Idéal du Moi

-idéal du Moi archaïque

- S u r m o i i n s u f f i s a m m e n t intériorisé avec carence

Tableau 3: Comparaison état limite, psych

opathie (72 )

Enfin la structure de personnalité limite, de par son polymorphisme clinique, peut présenter des traits similaires à ceux d'autres troubles de la personnalité, pouvant amener le clinicien à poser un diagnostic inexact.

Le tableau suivant liste ainsi les caractéristiques communes à l'état-limite et aux autres troubles de la personnalité, ainsi que celles qui les distinguent:

Troubles de la personnalité Etat-limite

Histrionique traits communs

-recherche d’attention

-comportement manipulateur -affects labiles

traits divergents

-côté autodestructeur du patient borderline -rupture violente des relations proches -sentiment de vide profond et de solitude

Schizotypique traits communs

-idées persécutoires -illusions

traits divergents

-symptômes transitoires dans les états limites -réactivité interpersonnelle

- r é p o n d e n t à l ’ e f f e t s t r u c t u r a n t d e l’environnement

Narcissique et paranoïaque traits communs

-réactions coléreuses à des stimuli mineurs

traits divergents

-instabilité de l’image de soi -aspect autodestructeur

-impulsivité et crainte de l’abandon

Antisociale traits communs

-comportement manipulateur

traits divergents

-pas de recherche de profit, ni pouvoir, ni avantage matériel

-défaut moins étendu du contrôle pulsionnel -recherche de l’attention de l’entourage

Dépendante traits communs

-peur d’être abandonné

traits divergents

-réaction à l’abandon par un sentiment de vide affectif, de rage et par des revendications chez le patient borderline

-relations intenses et instables chez le patient borderline

-personne dépendante réagit par attitude de soumission et recherche une relation de substitution

Tableau 4: Critères distinctifs entre personnalité borderline et autres troubles de la personnalité d’après le DSM-IV