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Comme nous l'avons dit plus haut, la société actuelle peut être considérée comme un environnement invalidant, générant ainsi des troubles de la personnalité du cluster B à savoir des personnalités narcissiques, histrioniques, antisociales, et borderline.

C. Melman et J.P. Lebrun, psychanalystes lacaniens, ont mis en avant les mutations des troubles psychiques au fil de l'évolution sociétale.

En effet la société occidentale a été profondément remodelée au cours du siècle dernier, passant progressivement d'une société « conservatrice, rigoriste, traditionnelle et de transmission » à une société « libérale plus permissive, progressive et se revendiquant d'un auto-déterminisme radical » (118). Ces remaniements ont modifié le cadre et le contexte de vie des individus, et ont eu un impact sur leur mal-être. Le « conflit à la Loi », cher aux psychanalystes, a été substitué par « un conflit de Soi » face à soi-même (119).

La société occidentale traditionnelle se caractérise par le respect de la Loi. Du point de vue psychanalytique, une Loi trop stricte et trop dure se révèle « castratrice » pour certains membres de la société, castration à l’origine de leurs névroses. Cela peut rendre compte de la propension de notre société à générer des personnalités obsessionnelles-compulsives, dépendantes et évitantes, appartenant au cluster C des troubles de la personnalité du D.S.M.-5 (90,119).

Ainsi, face au cadre légal strict et inflexible générateur d'angoisse, les individus réagissent de manières multiples: acceptation totale et conformisme, ou au contraire fuite. Ces trois troubles de la personnalité semblent « caractériser les modalités de mal-être des individus au sein d'une société traditionnelle » (118).

La vague d'émancipation passée sur les sociétés occidentales dans les années 60, réactionnelle aux sensations d'oppression des populations, a affranchi les individus des poids de la tradition et a débridé les idées et les comportements qui n'étaient dès lors plus réduits à la dureté de la Loi (90,119).

L'individu peut ainsi s'ouvrir à l'autodétermination, bien que celle-ci soit très largement guidée par des logiques capitalistes. Ceci fait partie intégrante de la conception freudo-marxiste, selon laquelle « la libération des pulsions, jusqu'alors bridées par la tradition devait abolir le mal-être chez l'homme ». En d'autres termes, la logique de la conception est que la répression étant la cause de la névrose, sa suppression entrainera l'amenuisement de la névrose (120).

Cette nouvelle ère a eu un impact évident sur le psychisme des populations occidentales, comportant comme tout changement des avantages et des contre parties. En diminuant le poids des traditions dans la société, les hommes sont moins exposés à des conceptions moralisatrices et culpabilisantes et on peut observer un amenuisement des troubles connexes, à savoir l'angoisse face à la Loi, qui n'occupe dès lors plus de place centrale. En revanche parallèlement, on supprime à tout un groupe d’individus un mode psychique de protection particulièrement efficace (90,119).

Ainsi, l'angoisse ne concerne plus le même objet: ce n'est dès lors plus la contrainte de se conformer à la règle qui est source d'angoisse pour l'individu, cette angoisse étant en lien avec la négation de cette règle et l'absence de cadre réglementaire contenant. Ce défaut de cadre crée une lacune obligeant l’individu à trouver par lui-même, dans une angoissante recherche, les limites de son propre vide.

Dans ce contexte, les troubles de la personnalité du cluster C dont l'émergence est favorisée par le cadre d'une société traditionnelle ne répondent pas de la même dynamique, et diminuent massivement en nombre et en intensité. Apparaissent alors d'autres types d'organisations psychiques pathologiques, dont font partie les troubles de la personnalité du cluster B du D.S.M.-5 (Personnalité anti-sociale, personnalité borderline, personnalité histrionique, personnalité narcissique).

Sans cadre ni limite, l'homme « peut nier l'autre, se perdre dans les relations interpersonnelles, surjouer pour s’offrir une place ou se gonfler pour se donner une consistance » (118). En témoignent les modèles populaires en vogue dans société actuelle, pin-up instables dont l'archétype est la poupée Barbie, célébrités de la télé-réalité, influenceurs des réseaux sociaux, exhibant leurs vies privées et leurs corps et répondant parfaitement, de manière tendancielle (le critère de gêne ou souffrance cliniquement significative n'étant pas rempli chez ces individus dont le fonctionnement est approprié à leur contexte et mode de vie), aux critères diagnostics des troubles de personnalité du cluster B précédemment cités.

Le déplacement des troubles de la personnalité principalement retrouvés dans la population du cluster C vers le cluster B du DSM-5 témoigne ainsi de l'évolution parallèle entre pathologies psychiatriques et société.

Ainsi, cela pose la question de la fonction des limites individuelles (le rapport à la Loi des psychanalystes) au sein de la société humaine. Comme l'explique G. Bataille, « l'humanité est avant tout une expérience limite » : « ce n'est qu'à travers le respect de la Loi et, simultanément, la

transgression de cette dernière que l'homme se revêt de son humanité » (121).

Ainsi d'après de nombreux auteurs, la société contemporaine accordant à l'individu un excès de liberté individuelle et un cadre insuffisamment contenant entrave « la profonde dynamique qui anime l'Homme » (119) . Tout individu est limité et restreint par nature, et doit accepter cette limitation pour pouvoir s'améliorer, être confronté à la Loi pour mieux la transgresser et accroître ses capacités. C'est aussi la signification de la pensée grecque de l'Hybris et de la Némésis.

B- Critères diagnostiques actuels