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L'histoire de l'expertise psychiatrique de responsabilité commence bien avant le premier paradigme précédemment décrit et précède donc la naissance de la psychiatrie. Elle débute au XVIIième siècle avec Zacchias, un médecin légiste de l'époque, réclamant « un examen médical pour chaque fou ainsi qu'une exonération de peine rendant possible les soins » (5,213). Son souhait ne sera guère pris en compte par les magistrats qui pensaient être à même de repérer les troubles mentaux et de prononcer sans avis médical « des acquittements pour cause d’aliénation mentale », alors exceptionnels à l'époque (214).

L'expertise psychiatrique pénale va connaître un réel développement sous l'impulsion des aliénistes, par le biais d'une réflexion portant à la fois sur la curabilité de l'aliénation mentale et sur discernement et le libre arbitre ayant un impact sur le droit pénal de l'époque.

Comme décrit précédemment, les aliénistes se rendaient dans les prisons, dépôts de mendicité et hôpitaux généraux de l'époque afin de récupérer les aliénés et de les placer dans les asiles où il leur sera proposé un traitement moral.

Une conception binaire se met progressivement en place, opposant diamétralement « l'aliéné, malade mental, irresponsable et relevant d'une prise en charge psychiatrique, et le criminel, responsable donc punissable » par la justice (1,4).

Cette vision est illustrée par les propos de Pinel, déclarant « Ces aliénés, loin d’être des coupables qu'il faut punir, sont des malades dont l'état pénible mérite tous les égards dus à l'humanité souffrante. Les aliénés, qui jusqu'alors ont été traités beaucoup plus en ennemis de la sécurité publique qu'en créatures déchues dignes de pitié, doivent être soignés dans des asiles spéciaux » (209).

Ce concept figurera grâce à l'influence des aliénistes dans l'article 64 du Code pénal de 1810, qui dispose: « Il n'y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ».

Cet article entérine donc deux grands cas de figure, d'une part « le criminelconscient de ses actes (...) alors déclaré coupable et responsable, et puni en conséquences » et d'autre part l'individu dont

l'« état de démence est reconnu » et qui « à la différence de ce qui prévalait sous l'Ancien régime, ne peut être jugé » (215).

Viendra ensuite compléter cet article la loi de 1838 dite « loi sur les aliénés » portée par Esquirol, fixant les règles juridiques de l'internement des malades mentaux dans les asiles au lieu de les incarcérer.

Georget, également élève de Pinel à l'instar d'Esquirol appuiera « la nécessité d'une expertise psychiatrique pour évaluer la responsabilité de l'accusé dans toute affaire criminelle », procédure automatiquement appliquée depuis (213).

A ce moment-là, les enjeux autour de l'expertise psychiatrique sont considérables pour l'accusé puisque de ses conclusions va dépendre son orientation dichotomique « entre guillotine et asile » selon qu'il soit considéré ou non comme aliéné, ce qui a motivé un grand perfectionnement de la clinique, gagnant en rigueur et fiabilité au fil du temps.

Cela se manifeste par les « nombreux traités consacrés à l'expertise », mais aussi par « le développement de l'enseignement de la psychiatrie médicolégale au XIXième siècle »(1,213). L'affinement de la clinique et l'essor des connaissances sémiologiques vont amener les cliniciens et les juristes à progressivement désavouer cette conception manichéenne.

En effet, Falret (appartenant au 2ième paradigme selon G. Lantéri-Laura) a différencié et individualisé les maladies mentales selon une clinique et une évolution qui leur est propre, comportant des phases d'évolution cyclique et des phases dénuées de symptômes, provoquant d'importantes modifications nosographiques (216).

Par ailleurs, l'essor de la psychanalyse a produit une véritable avancée dans le domaine de la psychocriminologie, s'intéressant à l'impact des conflits internes sur les comportements des individus (4). Les nouveaux travaux mettent ainsi en évidence une « gradation de la maladie mentale », pathologies pouvant se manifester par des cortèges de symptômes d'intensité et de retentissement variables (217) amenant par voie de conséquence le droit pénal français à « prendre en compte la situation des « demi-fous », également qualifiés d'« anormaux mentaux » » (215).

Emerge alors la difficulté de la manière de prendre en charge les « anormaux mentaux qui, sans être aliénés, ne peuvent pas pour autant être qualifiés de normaux » (219).

pas violation de l'article 64 du code pénal dans un arrêt qui condamne un prévenu, tout en constatant, pour justifier la modération de la peine, qu'il ne jouit pas de la somme ordinaire de jugement que caractérise un complet discernement des choses, et qu'il y a en lui un certain défaut d'équilibre qui, sans annuler sa responsabilité, permet cependant de la considérer comme limitée » (220), permettant de « poser explicitement le principe d'atténuation de la peine en cas d'altération du discernement » (215).

Par la suite, la circulaire Chaumié du 12 Décembre 1905 fut le premier texte impliquant les experts dans la procédure d'atténuation de la peine chez des sujets présentant un trouble mental avéré en leur confiant la mission d'évaluer leur degré de responsabilité: « à côté des aliénés proprement dit, on rencontre des dégénérés, des individus sujets à des impulsions morbides momentanées, ou atteints d'anomalies mentales assez marquées pour justifier à leur égard une certaine modération dans l'application des peines édictées par la loi. Il importe que l'expert soit mis en demeure d'indiquer, avec la plus grande netteté possible, dans quelle mesure l'inculpé était, au moment de l'infraction, responsable de l'acte qui lui est imputé ».

Le caractère partiel de la folie et le concept de responsabilité atténuée sont dès lors allègrement contestés, de même que le pouvoir donné à l'expert dans le cadre de ses missions. C'est dans ce contexte qu'en 1907, les médecins aliénistes réunis en congrès, demandent que « les magistrats dans leurs ordonnances, leurs jugements ou leurs arrêts s'en tiennent au texte de l'article 64 du Code Pénal et ne demandent pas au médecin expert de résoudre les dites questions qui excèdent sa compétence » (214).

La circulaire Chaumié donnera lieu dès sa mise en application à une majoration des peines prononcées, les psychiatres ayant notamment tendance à rédiger « des rapports responsabilisateurs par crainte que les individus dangereux obtiennent des réductions de peine » (208).

Les innovations thérapeutiques pharmacologiques des années 60 et l'émergence des traitements psychotropes et en particulier des neuroleptiques feront apparaître de nouveaux dilemmes et d'autres problématiques, par exemple dans la situation où la pathologie mentale est stabilisée au moment de l'infraction.

L'impact sur l'expertise psychiatrique sera notable puisque cela va amener les experts à se focaliser sur l'état mental au moment des faits reprochés, contrastant avec le dogme antérieur selon lequel « le simple fait que la personne soit porteuse d'une pathologie psychiatrique grave avait comme

corollaire la proposition d'une irresponsabilité pénale » (1,5).

L'article 64 du Code Pénal de 1810 est par la suite de plus en plus critiqué. En cause, son caractère manichéen, mais aussi le terme suranné de « démence » et sa formulation (« il n'y a ni crime, ni délit... »), discutant et mettant en doute la réalité des faits ce qui est à la fois source de confusion pour l'auteur mais aussi difficilement acceptable pour la victime et ses proches (221). Enfin, la question de l'état de démence n'était pas dissociée de celle de l'état de contrainte (216).

La prise en considération de ses critiques a conduit à substituer l'article 64 par l'article 122-1 (alinéa 1 et 2) traitant la question du discernement et du contrôle des actes dans le cas d'une pathologie psychiatrique, ainsi que par l'article 122-2 du nouveau Code Pénal de 1994, traitant de la notion de contrainte. La séparation entre ces deux notions est entérinée (222).

L'article 122-1 du code pénal de 1994 comprend deux alinéas, disposés comme suit:

Article 122-1:

Alinéa 1: N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

Cet alinéa reprend le fond de l'article 64 du code pénal de 1810, y incorporant une modification de la formulation, tenant compte des contestations de l'époque (216,221). Le terme de « démence » a en effet été abandonné au profit des termes de « trouble psychique ou neuropsychique », permettant de ne pas mettre en doute la réalité des faits tout en considérant de tels troubles comme une cause éventuelle d'irresponsabilité pénale. Les critères permettant de retenir cet alinéa sont énoncés en fin de texte, à savoir l'abolition du discernement ou du contrôle des actes.

Alinéa 2: La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime.

Les termes de cet alinéa conservent la dichotomie entre aliénés et anormaux mentaux inscrite dans la circulaire Chaumié mais modifient le rôle de l'expert qui doit dès lors évaluer la présence d'une altération du discernement et d'une entrave du contrôle des actes, l'évaluation du degré de responsabilité étant à la charge de la juridiction (216). La notion de responsabilité atténuée a en

revanche disparu du texte légal de 1994.

L'alinéa 2 a par la suite été modifié par la Loi n°2014-896 du 15 août 2014 - art. 17 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. La modification reprend ainsi les termes précédemment énoncés et y ajoute:

« Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni

de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine. Lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s'assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l'objet de soins adaptés à son état ».

Cette seconde mouture entérine le principe d’atténuation de la peine prononcée en cas d'altération du discernement ou d'entrave du contrôle des actes de l'auteur. Le législateur a ainsi fixé de manière claire une diminution du maximum légal de la peine encourue d’un tiers, contrastant avec la version antérieure de l'alinéa 2.

Le législateur a en outre tenu à préciser la marche à suivre lorsque, après avis médical psychiatrique, la juridiction considère que des soins médicaux sont nécessaires. Celle-ci doit alors faire en sorte que le sujet bénéficie de « soins adaptés à son état », par la mise en place par exemple d’un suivi-socio-judiciaire, d’une contrainte pénale avec injonction de soin, ou d’un sursis avec mise à l’épreuve comportant une obligation de soins.

La juridiction peut néanmoins refuser dans certains cas l'application de la diminution de la peine prononcée, les procédures étant différentes selon les tribunaux (Cf supra).

Cette nouvelle disposition de l'alinéa 2 constitue ainsi un progrès notable dans la prise en compte de l’altération du discernement et de l'entrave des actes de l’auteur d’une infraction, permettant une meilleure application du principe d’individualisation de la peine.

L'article 122-2 du Code Pénal de 1994 dispose:

Article 122-2:

N'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'emprise d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister.

C- Cadre et mission expertale présentencielle classique