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ÉDUCATION ET DÉVELOPPEMENT DE LA PERSONNE

Dans le document Méandres d’éducation (Page 108-112)

J

E VOUDRAIS témoigner dans ce texte d’une re-

marquable rencontre, du bouleversement qu’elle a provoqué en moi, ainsi que du soulagement que j’ai ressenti à la lecture du livre de Carl Rogers, Le Développement de la personne.

J’avais de cet auteur une vague idée, j’associais son nom à la non-directivité, à la thérapie de groupe. Je l’avais quelque peu approché en lisant L’École mode d’emploi de Philippe Meirieu et Quinze pédagogues de Jean Houssaye. Les théories de Rogers présentées dans ces deux ouvrages m’avaient intéressée, certes, mais elles faisaient partie d’un ensemble de théories, malgré l’heureuse tentative de Philippe Meirieu pour rendre plus humains et plus présents ces « péda- gogues », et même si j’y avais alors relevé quelque chose de différent, je n’avais pas envisagé de lire di- rectement ses écrits.

Ce fut donc une véritable découverte lorsque je lus les propres textes de Rogers.

Je présenterai ici quelques-unes des réflexions que

cette lecture a suscitées en moi en tant qu’ensei- gnante, puis, d’une manière plus globale, ce que ces théories impliquent dans les relations qu’un adulte se doit d’instaurer lorsqu’il est confronté à la lourde tâche d’accompagner un enfant dans son développe- ment.

Je commençai par choisir dans la table des ma- tières le chapitre X, « Enseigner et Apprendre », qui correspondait le plus à mon questionnement du mo- ment. Ses réflexions personnelles me touchèrent d’emblée.

Tout d’abord, cette manière de s’exprimer à la pre- mière personne créa immédiatement une relation de proximité, je me sentis prise à témoin, interpellée par cette parole singulière. Je me sentais bien loin de ces théories impersonnelles qui ne font que s’ajouter aux autres ! Je trouvai sa démarche extrêmement perti- nente et, en tant qu’enseignante, je m’imaginais sans peine le trouble et l’émotion que sa façon de procéder avait pu susciter dans l’assemblée à laquelle s’adressait

Chemins de formation au fil du temps…

son intervention !

J’avoue que ses douze réflexions personnelles me bousculèrent et me firent réagir instantanément.

Ayant pris une certaine distance par rapport à ma pratique grâce à un congé de formation, je m’inter- roge depuis plusieurs mois sur mon métier d’ensei- gnante et j’étais donc prête à entendre ce genre de propos. Cette lecture me donna à penser et je me prê- tai aussitôt au « jeu » proposé par Rogers.

Je tentai donc de lui répondre point par point et créai ainsi des liens, des associations entre son expé- rience professionnelle et la mienne. J’étais entraînée dans cette démarche aussi sûrement que si j’avais par- ticipé au débat en question. Peu de livres m’ont à ce point engagée aussi longuement dans une réflexion.

Je ne rapporterai pas ici toutes mes réflexions, telles qu’elles se sont développées et inscrites sur les nombreuses feuilles que j’ai noircies ; je vais plutôt parler de ce qui me paraît le plus important à exploi- ter et à mettre en place à l’école aujourd’hui.

« Un incident me fit prendre conscience des possi- bilités d’erreur de la part des maîtres dont le savoir faisait autorité. »

Cette réflexion résonna en moi à double titre : il m’est encore difficile aujourd’hui de m’opposer à l’au- torité que les théories de certains penseurs exercent sur mon esprit. Ce respect des maîtres et de la chose écrite dans lequel l’école m’a éduquée m’imprègne encore. Inversement, ai-je toujours résisté au pouvoir que j’ai la possibilité d’exercer sur les élèves dont j’ai la charge ? Je détiens des connaissances et mon rôle n’est-il pas de les transmettre ? C’est bien ainsi que

l’on m’a appris à enseigner, l’illusion est tenace ! Le récent mot d’ordre de l’institution, « Mettre l’enfant au centre du dispositif », ressemble fort à un slogan dépourvu de sens : qu’a été véritablement mis en place dans les écoles pour réellement prendre en compte la personne de l’élève ? Quel accompagne- ment a été proposé aux enseignants ?

La demande de résultats, de progressions, de pro- grammes à respecter, d’évaluations, se fait de plus en plus pressante, les professeurs des collèges se plai- gnent des mauvais résultats des élèves qui arrivent du primaire ; l’opinion publique, entraînée par les mises en garde de quelques intellectuels, répète à l’envie que le niveau baisse !

À ma connaissance, aucune « conférence pédago- gique » n’a encore mis les enseignants dans une situa- tion similaire à celle proposée par Rogers. Il me semble cependant que les débats qui pourraient s’amorcer seraient d’une grande richesse.

En formation initiale, dans les IUFM, c’est tou- jours les cours magistraux qui dominent.

Finalement, ce mot d’ordre ne recouvre aucune réalité.

Seuls, quelques individus, dans leur grande soli- tude, tentent de reconsidérer leur fonction d’ensei- gnant et s’attachent à devenir des facilitateurs, nouent des rencontres individuelles avec les élèves, se respectent et respectent les enfants, partagent les res- ponsabilités dans le processus d’apprentissage. Leur engagement n’est guère reconnu par l’institution, les pressions et les critiques ne sont pas rares. Reste que pour les enfants qui passent dans leurs classes, les bé- néfices sont certainement immenses et c’est ce qui

compte.

Rogers formule trois hypothèses à propos de sa dé- marche centrée sur le client, en tant que psychothéra- peute. Je me permets de les adapter à la relation maître/élève, en imaginant qu’elles pourraient don- ner une réalité au projet de centration sur l’enfant prôné par l’Éducation nationale :

– L’acceptation de l’élève par le maître mène à l’ac- croissement de l’acceptation de l’élève par lui-même. – Plus le maître perçoit l’élève comme personne plutôt que comme objet, plus l’élève en viendra à se percevoir lui-même comme personne plutôt que comme objet.

– Au cours de sa scolarité, il s’effectue chez l’élève un type de découverte de soi expérientiel et agissant.

Il me paraît tout aussi intéressant de pratiquer une nouvelle transposition qui consisterait à remplacer « élève et maître » par « maître et institution » ; cela pourrait devenir un fil conducteur des politiques édu- catives qui permettrait aux enseignants de retrouver « l’estime de soi ».

Et puisqu’il s’agissait, dans ce cours, du développe- ment de la personne dans sa globalité, ces trois hypo- thèses s’appliquent, à mon sens, tout à fait, à la rela- tion parents/enfants. Là encore, la transposition fonctionne et il n’est pas difficile de vérifier ces hypo- thèses.

Si, dans un premier temps, j’ai réagi à ce livre en tant qu’enseignante, c’est par la suite toute ma per- sonne qui « tilte », convoquée, provoquée dans toutes ses dimensions en tant que femme, en tant que mère, et ma première émotion fut un immense soulage- ment. Chaque récit des émotions personnelles de

Rogers provoqua en moi un retentissement considé- rable. J’y retrouvai des questionnements qui me ta- raudaient depuis des années, et une sorte de dialogue entre lui et moi s’instaura.

Une phrase de Mireille Cifali prit alors toute sa

mesure : « Avouer ses sentiments, c’est faire place à l’autre. »

Je trouvai effectivement ma place dans cette conversation et éprouvai que ce qui est le plus person- nel est aussi ce qu’il y a de plus général.

Rogers défend le principe d’une éducation fondée sur la compréhension. Mais cela consiste à se com- prendre soi-même d’abord, à savoir qui l’on est, à s’accepter, préalable indispensable, selon lui, pour établir de vraies relations avec autrui.

Nous devons faire confiance à nos réactions totales (organismatiques) et laisser apparaître toutes nos émotions, nos sentiments. Prendre conscience, en tant qu’enseignant, en tant que parent, de nos réac- tions, même les plus négatives, à l’encontre des

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autres, pour ne pas les juger et faciliter en retour leur croissance, les rendre capables de se développer de manière créatrice, avec toutes leurs potentialités.

Il ne s’agit pas de chercher le changement, ni de tenter d’arranger les choses de force, mais de partager sa personne avec l’autre.

« Cette possibilité offerte à l’autre de se développer est à la mesure du développement que j’ai atteint moi-même. » Quelle surprise, mais aussi quelle an- goisse de découvrir parfois dans nos propres enfants de parfaits inconnus ; il nous faut alors nous adapter à eux et se refuser de les contraindre à ressembler à l’enfant idéal dont nous avions rêvé !

Dans le même temps, en réagissant totalement, avec amour comme avec colère, en reconnaissant nos limites et nos faiblesses, nous pouvons offrir à nos en- fants la possibilité de se construire, non pas en leur proposant un modèle d’adulte parfait, achevé, mais en leur offrant une palette riche de toutes les possibi- lités de comportements humains dans lesquels ils pourront se servir.

Ces textes de Rogers rejoignent les théories d’autres auteurs qui considèrent que le développe- ment de la personne est un processus de formation tout au long de la vie et qui ne dissocient pas l’intel- lect de l’affectif, considèrent, comme Wallon par exemple, que c’est par l’émotion que se constitue quelque chose de l’ordre du psychisme.

Rogers propose de considérer l’être humain comme un « organisme total toujours en mouvement, ne connaissant jamais de résultat fixe, de niveau de bonheur, de satisfaction atteint ».

Je retiendrai de cette lecture qu’être soi-même im- plique fluidité, changement, et que l’éducation doit permettre le développement de toutes les possibilités de l’être, doit l’accepter comme un processus en deve- nir.

Je terminerai par cette phrase de Rogers :

« Se jeter en plein dans le courant de la vie im- plique le courage d’exister. »

Ayons ce courage, donnons-le aux enfants. NADIA POTET-BIRE1

LA FORMATION,

DU NARRATEUR AU NARRATAIRE

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