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II. Synthèse de la polémique Marchand-Des Maizeaux

3.3 Les éditions de Des Maizeaux et l’ultime réchauffement de la polémique

3-3a 1720 éd. Marchand DHC, 3

e édition

- « Avertissement du libraire au lecteur » Böhm

3-4 1729 éd. Des

Maizeaux

Lettres de Mr. Bayle, Publiées sur les Originaux, avec des Remarques

- « Preface »

Compagnie des Libraires d’Amsterdam 3-5 1729 Marchand « Réponse de M. Marchand a M. Des Maizeaux, touchant leurs

Editions des Lettres de Mr. Bayle » JL

3-6 1730 [Des Maizeaux] Extrait des Lettres de Mr. Bayle de 1729 BR

3-7 1730 éd. Des Maizeaux Des Maizeaux Des Maizeaux DHC, 4e édition - « Avertissement »

- « Lettre de Mr. Des Maizeaux à Mr. de la Motte » [Préface] - « La Vie de Mr. Bayle »

Compagnie des Libraires d’Amsterdam 3-8 1731 Marchand « Réponse de M. Marchand aux Accusations de M. des Maiseaux,

nouvellement réitérées, tant dans la nouvelle Edition du Dictionaire

de M. Bayle, que dans la Bibliothèque raisonnée, Tome V, page

406, & suiv. »

JL

3-9 1739 [Des

Maizeaux?]365

« Lettre écrite de Berlin aux Auteurs de cette Bibliotheque » BF

3-10 --- Marchand « Réponse aux Articles VI & VII de la II Partie du Tome XXVIII de la Bibliotheque Françoise »366

---

3-11 1740 éd. Des

Maizeaux DHC, 5

e édition

- « Avertissement sur cette cinquiéme Edition » Compagnie des Libraires d’Amsterdam

363 Nous soulignons en gras les formes courtes par lesquelles nous faisons référence à ces éléments.

364 Malgré que l’auteur ne soit signalé que par l’auto-désignation générale et plurielle « [l]es Amis de M. Bayle » (3-1, p. 233) et que jusqu’à maintenant il n’ait pas été formellement identifié par la critique, le style et les propos de ce texte correspondent parfaitement aux écrits précédents de Des Maizeaux, d’ailleurs incorporés ici. Plus encore, nous avons découvert de nombreux indices dans la correspondance de Des Maizeaux qui permettent de l’identifier comme l’auteur de cette pièce, notamment dans ses échanges avec Albert-Henri de Sallengre et Henri Du Sauzet, respectivement éditeur et imprimeur des Mémoires de

littérature, journal dans lequel parut l’article.

365 L’attribution de cette pièce à Des Maizeaux est basée sur le fait qu’elle répète des expressions et phrases entières ayant figuré dans ses écrits antécédents, ainsi que l’a souligné Berkvens-Stevelinck (PMHL, p. 99). 366 UBL MAR 52 ff. 189-195.

3.1 Reprises et interprétations de discours adverses

La diffusion de la Déclaration authentique dans les nouvelles littéraires à travers l’Europe amena Des Maizeaux à répondre à celle-ci en même temps qu’à deux textes qui l’avaient commentée. La « Lettre à Messieurs Le Clerc & Bernard » (3-1), comme le suggère son titre complet, devient une sorte de résumé de l’affrontement entre Marchand et Des Maizeaux par un jeu d’emboîtement discursif. En tant que lettre destinée à Le Clerc et à Bernard (voir fig. 1.1), ce texte (3-1, A) répond à deux écrits extra-polémiques (B+C367) qui avaient porté sur la Déclaration authentique (2-14, D) de Marchand et

mentionné l’Avis Important (2-11/2-12b, E) de Des Maizeaux en raison de son commentaire sur l’édition en cours du DHC (3-3, F). En tant que « Réponse à ce qu’on trouve sur le même sujet dans le Tome VIII. du Journal Literaire » (voir fig. 1.2), A est aussi une réplique à D et à la Défense de Marchand (2-13, G), pour ce que ces textes disaient de E, concernant F. Toutes mentionnées dans l’intitulé de l’article, ces manifestations de l’affaire sont ensuite intégrées dans le corps du texte et créent un véritable effet de poupées gigognes.

367 Dans les Nouvelles de la République des Lettres, la Déclaration authentique avait été précédée non pas de la lettre de Marchand, mais d’un avis de son « éditeur » (Jacques Bernard), dénonçant les critiques qui s’étaient acharnés sur lui (« Avis sur la nouvelle Edition du Dictionnaire de Mr. Bayle, qui est sous la presse a Rotterdam », p. 630-631). De manière semblable, Jean Le Clerc avait brièvement rapporté dans la

Bibliothèque ancienne et moderne que l’on avait imprimé la Déclaration authentique dans le JL,

récapitulant avec concision son contenu et jugeant de son efficacité probable, de la bonne foi de Marchand et de la trop grande passion avec laquelle il avait été attaqué (« Livres françois », p. 233-234).

Des Maizeaux s’adresse à Le Clerc et à Bernard et propose de les éclairer sur le Factum et les répliques de Marchand, puisqu’il considère qu’ils les ont mal présentés à leurs lecteurs. Pour ce faire, Des Maizeaux répète tour à tour les principaux reproches du Factum, parfois résumant et reformulant ses propos précédents, ou les citant tout simplement368. Les jugements répétés sont souvent des commentaires sur la clarté de

l’argument original de l’Avis Important (Factum) et de la plainte contre l’édition proposée du DHC369, suivis d’un résumé, d’une paraphrase ou d’une citation de la

réaction de Marchand. Après avoir rappelé la réprimande et la réplique, la dernière étape consiste en la réfutation de la défense de Marchand, en la démonstration de son inefficacité par l’exposé de sa mauvaise interprétation du reproche original ou de sa

368 Les cinq grands reproches suivent l’ordre de ceux présentés dans le Factum qui sont : I) la réforme de la mise en page du texte et des notes, II) les modifications de la ponctuation et de l’orthographe originale, III) les changements faits aux citations, dont on note encore une fois cinq sous-catégories, IV) les altérations du style de l’écriture de Bayle, et V) les additions supposées de la main de Marchand.

369 Par exemple : « on a fait voir » (3-1, p. 235, 237 et 240) « on a montré » (ibid., p. 238 et 242). Figure 1.1 : Emboîtement discursif de 3-1

comme la lettre à Le Clerc et Bernard Figure 1.2 : Emboîtement discursif de 3-1 comme la réponse à la Déclaration authentique

réponse insatisfaisante370. Ces étapes sont répétées jusqu’à ce que les répliques de

Marchand dans la Défense paraissent avoir été systématiquement désamorcées; Des Maizeaux passe alors à l’examen de la Déclaration authentique, qui représente un contre- argument au Factum. Pour le neutraliser, le Londonien cherche à minimiser, voire à détourner, l’effet d’appui que le témoignage public des signataires avait apporté à sa cible. La structure argumentative demeure celle de la répétition du reproche, du résumé de la réponse et de son commentaire, afin de guider l’interprétation du public en modulant le discours de l’adversaire.

Cet article marque un tournant dans le discours attaquant l’édition du DHC préparée par Marchand. Dans le Factum, Fritsch et Böhm avaient été exhortés à rejeter le travail de Marchand et à confier le supplément de Bayle à « une personne habile, savante, & d’une probité reconnuë », alors que dorénavant, le message est exprimé d’une façon qui suggère que Des Maizeaux accepte la probabilité que le DHC paraisse sous la forme que lui donnera Marchand371. Les libraires sont maintenant sommés

de conserver soigneusement l’EXEMPLAIRE corrigé de la propre main de M. Bayle [ainsi que les manuscrits du supplément], & de le déposer en tel lieu, où il puisse être facilement consulté par tous ceux qui voudront s’assurer par eux- mêmes, ou par leurs amis, que le Texte de M. Bayle n’a point été altéré, ni corrompu.372

Ce qui demeure généralement inchangé depuis le Factum est la suggestion « qu’une conduite opposée rendroit leur édition suspecte de fourberie, & la ruineroit infailliblement », ce qui constitue un appel à l’intérêt commercial des libraires pour les

370 Des Maizeaux écrit par exemple : « Ce pauvre Libraire […] est si ignorant, qu’il ne peut pas comprendre que sa citation presente un sens tout différent [que celui qu’il lui prête] » (3-1, p. 244).

371 2-11, p. 265 et 3-1, p. 270. 372 3-1, p. 261.

inciter à prendre la menace au sérieux373. Étant donné que Marchand avait proposé de

faire voir les manuscrits originaux à toute personne qui le voudrait374, Des Maizeaux

réclame ce qui a déjà été offert. Cependant, l’ultimatum et le langage autoritaire dans lequel il est exprimé insinuent que la charge de la preuve incombe à Marchand, Fritsch et Böhm et impliquent que ceux-ci cachent la vérité. Ce n’est donc point la nouveauté de l’idée qui importe mais son appropriation par l’attaquant. En effet, à ce tournant dans la polémique vers une atténuation de l’attaque, Des Maizeaux se veut toujours aussi agressif qu’auparavant. En maintenant ce ton, il évite que la mitigation de ses propos puisse être interprétée comme une cession de terrain, malgré le fait qu’il abandonne l’édition du

DHC à son adversaire et vise dès lors un enjeu adapté.

À ce stade de leur affrontement où les polémistes reprennent et reformulent les éléments discursifs déjà déployés, leurs correspondants les encouragent tous deux à laisser choir la polémique et à ne plus répondre aux invectives de leur opposant. Malgré ces incitations, la publication de la « Lettre à Messieurs Le Clerc & Bernard » montre que Des Maizeaux ne se laissa pas convaincre375. Pareillement, lorsque Marchand fut invité à

mettre fin à l’échange en dédaignant son critique, il ne put apparemment s’y résoudre entièrement et rédigea la « Lettre de Mr. Marchand à Monsieur ***, touchant le IX. Article de la II. Partie du II. Tome des Memoires de Littérature de Mr. de Sallengre » (3-

373 3-1, p. 261.

374 2-13, p. 112 (voir supra, p. 140).

375 Samuel Masson avait voulu faire comprendre à Des Maizeaux que la Déclaration authentique « ne signifi[ait] pas grand-chose » et ne méritait pas de réponse, que ce serait préférable de se taire. D’après Masson « [i]l fa[llait], enfin, finir ce combat; et desormais ne plus entrer dans aucune de ces querelles, qui certainement sont peu honorables pour l’Histre. Critique. » (BL Add. Mss. 4285 f. 179, S. Masson à P. Des Maizeaux, 1716-11-17) Michel Marais et Charles de la Motte exprimeront des sentiments similaires (BL Add. Mss. 4285 ff. 98-99, M. Marais à P. Des Maizeaux 1716-11-09; BL Add. Mss. 4287 ff. 65-66 et f. 68, C. de la Motte à P. Des Maizeaux, 1729-07-08 et [1729]-08-09).

2)376. Le poids de l’enjeu symbolique de leur honneur respectif est trop important pour

qu’ils fassent un pas en arrière. C’est du moins ce que suggère leur préoccupation constante quant à la manière dont ils sont l’un et l’autre présentés sur le plan éthique.

Adoptant la forme d’une lettre, l’article de Marchand semble reconnaître la recommandation de son correspondant lorsqu’il rassure son destinataire fictif : « Ne craignez point que je m’amuse à y répondre [à la “Lettre à Messieurs Le Clerc & Bernard”] : il ne contient rien que je n’aie déja sufisamment réfuté dans ma Defense »377.

Comme il l’avait fait auparavant lors de la parution de l’Histoire de Mr. Bayle, Marchand réplique aux arguments répétés contre lui en renvoyant au texte central de sa défense. Il souligne ce choix, par lequel il se distancie de son adversaire, avec la remarque qu’« en n’offrant au Public que de vaines & inutiles redites, [il] abuseroi[t] de son loisir & de sa patience avec aussi peu de ménagement que le fait mon Adversaire. »378 Marchand

dénonce ainsi la posture de Des Maizeaux. Ayant formulé son éthos de polémiste respectueux du public, Marchand note qu’un seul élément de l’article de son éreinteur mérite d’être commenté : la présentation contradictoire de sa personne, incompatible avec celle des textes précédents qui le visaient. Marchand signale avoir jusque-là été peint en

376 Mathurin Veyssière de la Croze lui écrit par rapport à la « Lettre à Messieurs Le Clerc & Bernard » : « Tous vos amis seront sans doute d’avis que vous n’y répondiez point. Quand vos ennemis verront que vous vous joignez au public pour mépriser leurs invectives, ils seront forcez de se taire. » (UBL MAR 2, Veyssière de la Croze à Marchand, 1718-01-14).

Les archives permettent de supposer que la parution de la lettre de Des Maizeaux dans le journal « de Mr. de Sallengre » a en partie motivé la réaction de Marchand. Celui-ci aurait été fortement blessé par le fait que Sallengre, qui avait été un ami et collaborateur au JL, publiait l’invective de Des Maizeaux. Telle que publiée, la réponse de Marchand ne porte plus les traces d’une telle amertume, à part la mention de Sallengre dans son titre, mais il s’est plus tard plaint que l’article publié ne contenait qu’une partie de ce qu’il avait écrit (3-5, p. 432, n.1; 3-10, f. 192r.). La correspondance de Des Maizeaux confirme que l’article de Marchand a été censuré. On y lit : « Le S.r Marchand avoit fait inserer un article violent contre M.r de Sallengre dans le Journal des Savans du mois de Mars; mais il a été supprimé avant la publication » (BL Add. Mss. 4288 f. 12r., H. Du Sauzet à P. Des Maizeaux, 1718-04-12. Voir aussi BL Add. Mss. 4286 f. 228r., C. de la Motte à P. Des Maizeaux, 1718-03-25).

377 3-2, p. 291. 378 Ibid.

« pauvre Garçon, si simple & si novice qu’à peine [lui] accordoit-[on] de savoir lire », alors que dans le dernier texte, son zoïle le décrit comme étant « un Homme assez fin & assez délié pour en imposer tout seul à dix Personnes intéressées à se défier de [s]es prétendues Subtilitez »379. L’incohérence comme il la relève repose sur la supposition que

les diverses attaques contre l’édition de Marchand proviennent d’une seule plume. Sans être explicitement identifié, l’homme qu’il soupçonne aurait été reconnaissable pour ses contemporains, puisque – outre le fait que Des Maizeaux avait signé la « Lettre […] à Mr. Coste », triplement éditée – Marchand associe son critique au débat sur l’Avis aux

Réfugiez dans lequel Des Maizeaux était ouvertement impliqué380. En rassemblant en une

personne les voix critiques des diverses publications qui l’avaient attaqué, Marchand diminue la force du nombre qu’elles auraient pu revendiquer. De plus, cette concentration accentue la nature répétitive du contenu des divers textes et facilite leur explication par les motivations d’un seul individu.

Que ce soit le résultat d’un choix librement exercé ou d’une limite qu’on lui aurait imposée, après à peine trois pages et demie, Marchand déclare qu’il « n’en dir[a] pas davantage sur ce sujet » et respecte ainsi la brièveté qu’il avait promise au lecteur381. Des

Maizeaux ne dut pas considérer souhaitable de répliquer, car il s’avère que la « Lettre de Mr. Marchand à Monsieur *** » fut le dernier article de leur polémique à paraître avant la troisième édition du DHC. Deux ans de silence précédèrent la publication si attendue de l’édition posthume du grand ouvrage de Bayle.

379 3-2, p. 292. Marchand fait bien sûr allusion aux signataires de la Déclaration authentique. 380 Ibid., p. 294.

381 Signalons le contraste de cette concision avec les 60 pages de l’écrit auquel celui-ci répond. L’article de Marchand fait quelques pages de plus, mais il en consacre les derniers deux tiers à une critique de l’extrait qu’il avait préparé de « la nouvelle Edition des Eloges des Hommes Savans de Mr. de Thou, avec les

3.2 Le Dictionaire historique et critique de 1720

La troisième édition officielle du Dictionaire historique et critique de Bayle sort des presses de Michel Böhm à Rotterdam en avril 1720 (3-3) avec une page de titre qui annonce qu’elle a été « Revue, corrigée, et augmentée par l’auteur »382. Sa table des

matières n’est pas aussi détaillée que celle des LC, mais autrement, l’édition correspond grosso modo à ce qu’avait annoncé le Projet en 1714. Le Supplément de Bayle y est intégré, les nouveaux articles figurent dans l’ordre alphabétique et les contributions d’autrui sont reléguées à la fin du dernier tome. « [L]e texte des articles n’est plus uniformément en haut des pages, mais à la suite des notes du précédent article » et les remarques et références sont renumérotées383. Le tout est précédé d’un avertissement du

libraire qui fait état de ces modifications (3-3a)384.

Dans ce bref texte liminaire, Böhm présente en condensé l’histoire de la provenance des corrections et suppléments laissés par Bayle et défend Marchand contre l’accusation que les additions seraient de sa main. Le libraire soutient d’abord que le style inimitable de Bayle sera reconnu par ses lecteurs dans les éléments nouveaux et, de plus, il cite Jacques Basnage – l’« Amy illustre » de Bayle – et d’autres comme garants de leur authenticité. Plus encore, Böhm annonce qu’il « conserver[a] prétieusement les Manuscrits, afin de pouvoir en convaincre les Incredules, ou ceux qui se feront peut-être un honneur de soutenir avec opiniatreté ce qu’ils ont avancé sans raison. »385 Le libraire

382 Après l’édition originale de 1697, celle de 1702 était la première à porter cette remarque. À partir de la quatrième édition (1730), la qualification sera plus vague : « Revue, corrigée, et augmentée », ne donnant plus d’indication du ou des responsables.

383 P. Rétat, Le Dictionnaire de Bayle, p. 476. D’ailleurs, comme le note Rétat, « [c]’est à partir de cette édition que les remarques sont dans leur ordre définitif. »

384 Une préface additionnelle avait été rédigée par Marchand, mais celle-ci demeura inédite (MAR 44:15 ff. 3-14).

relève ainsi le défi de la « Lettre à Messieurs Le Clerc & Bernard » et honore la promesse de Marchand d’assurer l’accès aux manuscrits originaux pour comparaison. D’après Böhm, les « Incredules » seraient ceux qui avaient faussement accusé Marchand pour « donner plus de relief » à l’édition illicite de Genève et il rejette sur eux la responsabilité du fait qu’il n’a pas pu respecter l’intention de Bayle de publier les suppléments dans un volume à part. Par ces quelques remarques, Böhm se met à l’abri des reproches les plus prévisibles contre son édition.

Pour ce qui est de la dimension publicitaire de son texte, Böhm suggère que les additions, « l’Arrangement des Articles » et les symboles utilisés pour distinguer les changements apportés, rendent « [s]on Edition beaucoup plus correcte & plus ample », « plus utile & plus belle » que toutes les éditions précédentes – officielles et contrefaites. Chantant les louanges de « [s]on » édition, Böhm se met lui-même de l’avant comme responsable plutôt que de souligner le travail de Marchand. De cette façon, l’avertissement évite de personnaliser le travail éditorial, ce qui aurait pu rappeler la controverse sur les capacités de son éditeur. Ce choix est d’autant plus net que la préface additionnelle rédigée par Marchand demeura inédite, alors qu’elle rappelait « les Accusations injustes de quelques Personnes envieuses & mal intentionnées » contre lesquelles il avait dû défendre l’authenticité des suppléments et des additions386. En se

restreignant à l’avertissement du libraire pour tout texte liminaire et en évitant de réveiller la polémique, Böhm et Marchand confient l’édition de 1720 au jugement de la postérité plutôt que d’en faire l’objet d’une dispute qu’ils espéraient aussitôt oubliée que scellée par la parution de leur édition.

En effet, la réception de la troisième édition dans la presse savante était remarquablement discrète après les échanges qui l’avaient précédée. En guise d’explication, il suffit de remarquer qu’il s’agissait de la réédition d’un ouvrage dont la réputation était établie et que le marché était prêt à recevoir. Si l’on pouvait discuter des choix de l’éditeur avant sa réalisation, dès qu’elle fut parue, le succès commercial de l’ouvrage rendait futile toute manifestation d’entêtement contraire387. Ainsi, cette édition

a pu représenter un enjeu majeur entre Marchand et Des Maizeaux lorsqu’ils s’en disputaient le droit éditorial, mais son résultat ne participe guère à leur querelle.

Pas plus que la nouvelle édition de Rotterdam, le volume contrefait, tel que promis par Fabri et Barrillot, avec les articles du supplément intégrés à la troisième édition, ne ralluma la polémique en 1722388. Le plagiat ne suscita aucun commentaire

public de Marchand malgré que la reproduction des additions par ces anciens alliés de Des Maizeaux signifiât qu’ils en acceptaient l’authenticité. Le calme fut si complet que lorsque Jean Pierre Nicéron fit l’inventaire des éditions de Bayle en 1728, il put raisonnablement considérer que le débat était révolu389. Or, si Marchand garda le silence

à l’égard du Supplément de Genève, tout comme Des Maizeaux se tut par rapport à la parution du DHC de 1720, cette apparente cessation des hostilités ne fut qu’une trêve. La génération suivante d’éditions de Bayle fournit à Des Maizeaux l’occasion de s’exercer et de s’exprimer à sa guise, ce qui renouvela la comparaison avec les éditions de Marchand.

387 L’un des rares textes publiés en réaction à la parution de l’édition de 1720 fut l’extrait qu’en prépara