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À l’interface Langage/Pensée

Dans le document L'interface Langage/Pensée (Page 185-200)

Si l’on se penche désormais non plus sur l’interface syntaxe/sémantique mais sur  l’interface  langage/pensée,  alors  le  tabou  de  la  sémantique  traductionnelle  tombe.  En  effet,  dans  le  système  linguistique  tel  que  révélé  dans  le  paradigme  générativiste, il n’y a pas de place pour des représentations encodant du sens. Il  faut donc trouver le moyen de faire le lien entre les représentations syntaxiques  et les représentations sémantiques. Nous avions proposé le schéma suivant pour  résumer l’architecture cognitive posée dans le cadre minimaliste :   

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Dans  cette  architecture,  les  formules  en  LF  étaient  utilisées  par  le  module  sémantique  pour  fournir  les  conditions  de  vérité  des  énoncés.  Du  coup,  on  pouvait  accepter  l’indépendance  de  la  syntaxe  sans  trop  s’occuper  de  la  nature  ou de la question de la nécessité de la sémantique proposée par les tenants de la  sémantique formelle. De ce fait, la nécessité d’une sémantique traductionnelle ne  se  voit  pas  dans  l’architecture  de  la  cognition  linguistique  proposée  par  les  linguistes générativistes y compris les plus orthodoxe. Pour voir que la position  conciliante  consistant  à  dériver  des  formules  en  LF  et  à  laisser  le  sémanticien  formel  faire  la  jonction  est  intenable,  il  suffit  de  se  demander  sur  quoi  s’appliqueraient les transformations qui mènent à la production de formules en  LF.  Une  réponse  possible  aurait  été  que  ce  sont  les  représentations  phonologiques qui sont traitées par la syntaxe avant d’être envoyées au module  sémantique de l’esprit. Cette réponse est bien évidemment inacceptable pour au  moins  deux  raisons.  D’abord,  dans  cette  architecture,  nous  voyons  que  ce  sont  des processus différents qui son responsables du passage de SS à PF et LF. Il y a  certes un traitement générativiste de la phonologie (cf. par exemple Chomsky &  Halle 1968) mais justement, ce que ces travaux ont montré, c’est que les règles  phonologiques  sont  indépendantes  des  règles  grammaticales.  Une  seconde  raison de ne pas faire des représentations phonologiques l’objet de la syntaxe est  que  certaines  catégories  syntaxiques  sont  phonologiquement  inertes  quoique  perceptibles par le module syntaxique de notre esprit/cerveau. Ce qui se passe  quand nous interprétons une phrase contenant des traces silencieuses, c’est que 

  185  nous  tenons  compte  de  ces  traces  sans  en  avoir  conscience.  Cela  se  voit  par  exemple quand nous respectons la contrainte ECP qui nous enjoint de veiller à ce  que les traces que nous laissons soient proprement gouvernées lors même que  nous n’avons pas connaissance de l’existence de cette contrainte. Pour voir cette  contrainte  à  l’œuvre,  il  faut  se  demander  pourquoi  (b)  est  une  phrase  grammaticalement  acceptable  alors  que  (a)  ne  l’est  pas.  Si  nous  appliquons  la  règle  de  montée  des  quantificateurs  (QR)  nous  nous  rendons  compte  que  le  pronom personnel qui a dans la phrase (b) pour fonction de gouverner la trace t.  Dans (a) c’est notre incapacité à gouverner proprement cette trace qui fait que la  phrase est agrammaticale.   (a) *Quel est l’homme a frappé à la porte ?  (b) Quel est l’homme qui a frappé à la porte ?  (a’) [quel1 [l’homme2 [t1 est t2] [t a frappé à la porte]]]]  (b’) [quel1 [l’homme2 [t1 est t2] [qui2 [t2 a frappé à la porte]]] 

Mais  si  le  traitement  syntaxique  ne  s’applique  pas  à  des  représentations  phonologiques, s’applique‐t‐il pour autant à des représentations spécifiquement  syntaxiques ?  Pour  répondre  à  cette  question,  il  faut  se  demander  ce  que  pourraient être des représentations mentales spécifiquement syntaxiques. Il y a  deux  possibilités :  soit  ce  sont  les  règles  syntaxiques  qui  sont  mentalement  représentées,  soit  ce  sont  les  entités  que  manipulent  ces  règles  qui  sont  représentées.  Lors  de  notre  discussion  de  l’objection  de  Devitt,  nous  avions  vu  qu’il  n’était  pas  nécessaire  de  postuler  que  les  règles  syntaxiques  sont  représentées.  Ces  dernières  sont  réalisées  à  travers  le  fonctionnement  de  l’esprit/cerveau  sans  qu’on  ait  besoin  de  postuler  un  niveau  de  représentation  supplémentaire  qui  encoderait  les  règles  et  donnerait  des  instructions  sur  leur  suivi.  Postuler  un  tel  niveau,  ce  serait  potentiellement  ouvrir  la  voie  à  une  régression  infinie.  Les  règles  syntaxiques  sont  des  idéalisations  posées  par  le  linguiste pour rendre compte du fonctionnement de notre esprit/cerveau. Il n’est  pas  besoin  pour  cet  esprit/cerveau  de  les  représenter  pour  les  suivre  adéquatement.  

Reste la possibilité maintenant que ce soient non pas les règles syntaxiques qui  sont  représentées  par  notre  esprit/cerveau  mais  les  objets  sur  lesquels  s’appliquent ces règles de manipulation. Si l’on est physicaliste, il est inévitable  de poser que ces règles manipulent effectivement des représentations mentales.  La  question  qui  se  pose  est  celle  de  la  nature  de  ces  représentations  mentales.  Sont‐elles  spécifiquement  syntaxiques ?  Pour  le  voir,  considérons  quelques  exemples  de  règles  syntaxiques.  Dans  le  paradigme  syntaxique  actuel,  nous  avons par exemple les règles suivantes :  

Wh‐Movement : Déplacer NP en tête de phrase en laissant une trace.  Principe  A :  Une  anaphore  doit  être  liée  à  l’intérieur  de  sa  catégorie  gouvernante 

Principe  B :  un  pronom  ne  doit  pas  être  lié  à  l’intérieur  de  sa  catégorie  gouvernante 

Principe  C :  une  R‐expression  (i.e.  expression  directement  référentielle  comme les noms) doit être libre 

  

Ces  règles  s’appliquent  clairement  à  des  entités  jouant  un  rôle  syntaxique.  Par  exemple, les principes A et B s’appliquent à des anaphores et à des pronoms. Les  R‐expressions  quant  à  eux  sont  des  mots  du  lexique  qui  ont  été  encodés  pour 

  186  référer à des objets du monde. Cela signifie‐t‐il pour autant que nous encodons  dans  notre  esprit  des  représentations  mentales  spécifiquement  syntaxiques  et  qu’il  y  aurait  d’abord  une  analyse  syntaxique  de  ces  représentations  mentales  pour  fournir  des  formules  en  LF  avant  que  ne  se  mettent  en  branle  les  procédures d’analyse sémantique ? A cette question, nous ne pouvons répondre  sans l’aide la psycholinguistique voire des neurosciences cognitives. Edith Kaan  et Tamara Swaab ont publié dans la revue Trends in Cognitive Science129 en 2002  un article dans lequel elles passent en revue nos connaissances actuelles sur la  circuiterie  cérébrale  responsable  du  traitement  syntaxique.  Un  autre  article  de  Grodzinsky et Friederici130 (2006) s’intéresse à la neuro‐imagerie de la syntaxe  et du traitement syntaxique. Nous allons nous appuyer sur ces deux articles de  review  pour  répondre  à  la  question  de  savoir  si  les  représentations  que  manipulent les règles syntaxiques sont spécifiquement syntaxiques ou non.    

Pendant longtemps, les recherches sur les aphasiques semblaient révéler que la  réponse à cette question était positive. Il avait en effet été montré que les aires  de  Broca  et  de  Wernicke  du  cerveau  étaient  spécialisées  dans  le  traitement  linguistique. Un accident vasculaire cérébral affectant l’aire de Wernicke laissait  intacte la syntaxe que ce soit en production ou en compréhension mais affectait  le  traitement  sémantique.  A  l’inverse,  quand  c’était  l’aire  de  Broca  qui  était  endommagée,  les  patients  étaient  asyntaxiques.  De  tels  patients  omettent  « les  inflexions et les mots ayant une fonction syntaxique comme ‘le’, ‘de’ ou ‘est’. De  plus, ils sont handicapés quand ils doivent comprendre les phrases dites passives  réversibles  comme :  ‘Le  chien  a  été  pourchassé  par  le  chat’  que  l’on  ne  peut  interpréter correctement qu’en se fiant aux informations syntaxiques. » [Kaan et  Swaab (2002 :351)] Cependant, des études plus soigneuses ont montré que l’aire  de Broca n’est pas vraiment spécialisée sur le traitement syntaxique. En fait, tout  semble  indiquer  que  cette  aire  s’active  plutôt  quand  il  y  a  un  traitement  syntaxique  complexe  nécessitant  une  importante  mémoire  de  travail  (Fiebach  and alii 2005) mais que plus généralement le traitement syntaxique est corrélé à  l’activation  d’autres  aires  cérébrales  (Grodzinsky  2000  BBS  N°23 :pp.  1‐21).  Selon Kaan et Swaab, il y a au moins quatre raisons de cesser de considérer que  l’aire  de  Broca  est  une  aire  spécifique  à  la  syntaxe.  D’abord,  les  déficits  morphosyntaxiques  chez  les  aphasiques  ne  sont  ni  exclusivement,  ni  toujours  corrélés à une atteinte à l’aire de Broca. Ensuite, les patients ayant une lésion de  l’aire de Broca ne sont pas totalement asyntaxiques. S’ils ont des problèmes de  traitement et de production de certaines phrases syntaxiquement complexes, ils  arrivent cependant à en traiter correctement d’autres. De plus, chez les patients  Broca des déficits sémantiques s’ajoutent aux déficits syntaxiques ce qui tendrait  à confirmer que l’aire de Broca n’est pas spécifiquement syntaxique mais aurait  un  rôle  dans  tout  traitement  linguistique  nécessitant  une  importante  mémoire  travail131. Enfin, d’après certains chercheurs, l’aphasie « pourrait ne pas être un        

129 Vol 6 N° 8 Aout 2002 pp. 350‐356 

130 Current Opinion in Neurobiology 2006, 16:240–246. Nous citerons l’article comme G&F (2006 :  p. X) 

131 Notons  que  si  l’on  admet  notre  thèse  selon  laquelle  la  différence  entre  les  règles  formelles  classifiées  comme  syntaxiques  et  celles  qui  sont  classifiées  comme  sémantiques  n’est  pas  une  différence de nature alors il n’est plus étonnant que le déficit d’une aire linguistique affecte tout à  la fois le traitement syntaxique et le traitement sémantique.  

  187  déficit de connaissance mais un déficit de traitement. » Ils entendent par là que :  « les problèmes des aphasiques Broca avec la syntaxe sont le résultat d’un déficit  de  traitement  temporel  dans  l’activation  ou  l’intégration  de  l’information,  ou  d’une  limitation  des  ressources  nécessaires  pour  ces  processus.  La  zone  du  cerveau  endommagée  chez  les  aphasiques  de  Broca  n’a  pas  besoin,  par  conséquent  d’être  l’aire  où  la  connaissance  syntaxique  est  stockée. »  (K&S  2002 :352) Un tel constat est plutôt en phase avec notre idée selon laquelle il n’y  a  pas  vraiment  de  connaissances  syntaxiques  qui  seraient  stockées  mais  uniquement  un  traitement  syntaxique  incorporant  les  règles  syntaxiques  découvertes par le linguiste. Ce traitement n’est pas seulement localisé dans les  zones  du  cerveau  qui  étaient  réputées  contribuer  au  traitement  linguistique.  Ainsi  alors  qu’il  est  généralement  accepté  qu’il  y  a  une  latéralisation  du  traitement linguistique qui serait effectué dans l’hémisphère gauche du cerveau,  il  a  été  montré  que  même  l’hémisphère  droit  du  cerveau  est  recruté  lors  la  détection  d’erreurs  (cf.  Indefrey  et  alii  2001)  ou  de  la  résolution  de  certaines  ambigüités syntaxiques (cf. Swaab et alii 1998) par exemple.     Grodzinsky et ses collaborateurs étudient cette distribution de la syntaxe dans le  cerveau en essayant de mettre en parallèle les règles de la syntaxe générative et  les activations neurales lors du traitement syntaxique. Selon Grodzinsky (in G&F  2006), il n’y a pas à proprement parler d’aire de la syntaxe dans le cerveau mais  plutôt  une  distribution  du  traitement  syntaxique  qui  fait  que  des  aires  différentes peuvent prendre en charge la réalisation de règles spécifiques. Il pose  « qu’il  y  a  une  relation  régulière  entre  les  sous‐composants  de  la  théorie  syntaxique et des localisations cérébrales. » G&F (2006 :240) et cherche donc à  établir  une  cartographie  cérébrale  de  la  syntaxe  formelle  (Formal  Syntax  Map  d’où  le  nom  FSM  que  porte  son  programme  de  recherche.)  Cette  cartographie  nécessite un certain nombre d’éléments. D’abord un lexique mental (LEX) qui est  composé  d’unités  qui  mettent  en  relation  des  sons  et  des  significations  mais  encodent  également  de  l’information  sur  les  opérations  syntaxiques  qui  s’y  appliquent.  Ensuite  trois  opérations :  MERGE,  MOVE  et  BIND.  Ces  opérations  correspondent aux universaux de la linguistique générative. MERGE par exemple  permet  de  voir  quelles  contraintes  s’appliquent  à  la  dérivation  des  phrases  du  langage  à  partir  de  LEX.  Pour  MOVE,  on  a  deux  sous  opérations :  MOVEXP  et  MOVEV. L’opération MOVEXP lie une branche XP créée par MERGE à une (ou des)  trace(s) phonologiquement inerte(s). MOVEV fait la même chose avec les verbes  et BIND détermine le liage des pronoms et autres anaphores aux NP. Notons que  ces  opérations  suffisent  à  réaliser  la  syntaxe  générative  telle  que  développée  dans ses paradigmes les plus récents.  

Les  recherches  menées  dans  le  cadre  de  la  FSM  ont  permis  de  voir  que  seule  MOVEXP  est  touchée  par  une  lésion  de  l’aire  de  Broca.  Dans  G&S  (2006 :  243),  nous  trouvons  le  tableau  suivant  qui  résume  les  différentes  localisations  associées à ces opérations : 

  188  Table 2

The neurological distribution of formal syntactic operations Syntactic operation Impaired in Broca’s aphasia? Main loci of activation in fMRI LEX No ? MERGE No ?

MOVEXP Yes L-IFG, R-STS, L-STS

MOVEV No L-SFG, L-MFG

BIND No R-MFG, L-SFG, L-OG

  Notons que dans la FSM, le postulat est que c’est la connaissance syntaxique elle‐ même qui est stockée dans les différentes zones ainsi identifiées. Cette manière  de  concevoir  la  cartographie  ne  nous  paraît  cependant  pas  indispensable.  Tout  ce que les données montrent en effet, c’est que ces zones là sont nécessaires à la  manifestation  desdites  règles.  Nous  nous  en  tenons  donc  à  notre  idée  selon  laquelle  ce  n’est  que  par  abus  de  langage  que  l’on  peut  dire  que  nous  « connaissons »  les  règles  de  syntaxe.  Le  cerveau  manifeste  ces  règles  et  cette  manifestation est sous le contrôle de certaines parties du cerveau. Une chose qui  nous  paraît  intéressante  dans  ce  tableau,  c’est  qu’il  n’y  a  pas  de  localisation  privilégiée pour LEX. Si les règles syntaxiques sont distribuées dans le cerveau,  ce caractère distribué est encore plus fort concernant ce à quoi s’appliquent ces  règles i.e. LEX.  

Il  est  donc  impossible  d’identifier  un  objet  spécifique  de  l’analyse  syntaxique.  Nous pensons que cela renforce notre vision de l’interface langage/pensée. Les  règles  linguistiques,  qui  se  réduisent  à  des  règles  de  manipulation  syntaxique  comme  MERGE  ou  MOVE  s’appliquent  indifféremment  à  nos  représentations  mentales.  Il  n’y  a  pas  d’objet  spécifique  auquel  s’appliqueraient  ces  règles  linguistiques. Elles pourraient s’appliquer à toutes nos représentations mentales  quelles  qu’elles  soient.  Si  nous  prenons  au  sérieux  l’hypothèse  qu’il  y  a  une  dissociation entre la phonologie et la syntaxe et l’idée Grodzinsky selon laquelle  LEX est composé d’entités qui encodent différentes propriétés comme des traits  phonologiques,  une  signification,  la  référence  et  des  informations  sur  les  opérations syntaxiques qui s’y appliquent, alors on peut considérer que LEX n’est  rien  d’autre  que  les  représentations  mentales  que  nous  encodons  que  ce  soit  grâce à nos organes des sens ou via d’autres canaux. Les règles linguistiques s’y  appliquent de manière automatique et ce qui fait leur universalité, c’est qu’elles  sont  les  mêmes  pour  tous  les  humains,  dépendant  de  notre  structure  cognitive  plutôt que de la langue que nous parlons. Certains éléments de LEX encodent des  traits phonologiques alors que d’autres n’en encodent pas. C’est ce qui distingue  la  syntaxe  apparente  (overt)  de  la  syntaxe  cachée  (covert).  Quid  de  la  sémantique  dans  un  tel  cadre ?  Nous  avons  dit  que  LEX  encodait  des  significations.  La  sémantique  formelle  actuelle  pose  l’existence  de  règles  spécifiquement  sémantiques.  Si  l’on  accepte  comme  critère  premier  la  plausibilité cognitive, la question que l’on doit se poser est celle de savoir si ces  règles  spécifiquement  sémantiques  sont  nécessaires.  En  effet,  on  peut 

  189  décomposer la sémantique formelle en règles compositionnelles s’appliquant sur  un lexique qui réfère à des entités du monde. Nous avions dit que nous n’étions  pas  convaincus  par  le  jeu  purement  mathématique  consistant  à  dire  que  les  règles  de  la  sémantique  formelle  sont  les  règles  mathématiques  de  tout  ce  qui  mérite  le  nom  de  langage.  Il  nous  semble  que  l’on  peut  trier  les  règles  de  la  sémantique formelles entre celles qui sont cognitivement plausibles et les autres.  Celles  qui  sont  cognitivement  plausibles  sont  des  règles  formelles  de  manipulation de nos représentations mentales. A priori, elles s’appliquent donc à  LEX.  Si  tel  est  le  cas,  est‐il  vraiment  nécessaire  de  les  opposer  aux  règles  syntaxiques ?  Ne  sont‐elles  pas,  comme  MERGE,  MOVE  et  BIND  des  règles  syntaxiques ?  Les  règles  syntaxiques  et  les  règles  sémantiques  ont  le  même  fonctionnement  i.e.  qu’elles  déplacent  des  objets  mentaux  vers  leur  position  thématique  et  s’assurent  que  les  variables  sont  correctement  gouvernées.  On  peut  maintenant  récupérer  la  critique  de  Jacobson  selon  laquelle  il  y  a  une  certaine redondance à postuler des jeux de règles différentes. Cela nous semble  d’autant plus vrai que nous ne posons pas132 un lexique spécifique à chaque jeu  de  règles.  La  différence  entre  syntaxe  et  sémantique  nous  paraît  donc  être  une  différenciation commode de théoricien mais n’ayant aucune base cognitive.    

Telle  que  nous  la  voyons,  l’architecture  de  la  cognition  linguistique  contient  uniquement  des  règles  de  transformation  qui  manipulent  directement  des  représentations  mentales.  Ces  règles  de  manipulation  englobent  celles  de  la  syntaxe et celles de la sémantique et les représentations mentales sont encodées  avec un certain nombre d’instructions sur leurs possibilités de manipulation et  sur leur réalisation phonologique. L’activité de notre esprit/cerveau en rapport  avec  ces  représentations  mentales  manifeste  des  règles  qui  sont  tantôt  vues  comme syntaxiques, tantôt comme sémantiques mais dont nous proposons qu’on  les considère comme tout simplement linguistiques. Dans une telle théorie, nous  entendons  par  linguistique,  tout  ce  qui  relève  de  règles  formelles  de  manipulation représentées dans notre esprit/cerveau et qui interviennent dans la  compréhension  et  la  production  d’énoncés  linguistiques.  Comment  soutenir  en  même  temps  l’autonomie  de  la  syntaxe  et  ce  continuum  de  règles  englobant  la  syntaxe  et  la  sémantique ?  Il  nous  semble  que  notre  discussion  sur  la  nature  syntaxique  ou  sémantique  du  niveau  LF  nous  montre  ce  qu’il  en  est.  Il  y  a  beaucoup  de  règles  transformationnelles  qui  aboutissent  à  LF.  Il  y  a  également  des  règles  d’interprétation  qui  s’appliquent  à  LF  et  qui  étaient  considérées  comme sémantiques. Cependant, de même que les différentes règles syntaxiques  s’appliquent  parfois  de  manière  séquentielle  avec  par  exemple  la  montée  des  quantificateurs qui précède nécessairement la saturation des traces, de la même  manière  unifier  aspects  formels  de  la  syntaxe  et  de  la  sémantique  ne  nous  obligera pas à abandonner toute notion d’ordre dans le traitement linguistique.  Les  données  neuropsychologiques  (cf.  Hahne  &  Friederici  2002)  montrent  que  certains  traitements  syntaxiques  sont  très  précoces  et  que  leur  échec  fait  que  nous  cessons  de  considérer  l’énoncé  linguistique  comme  digne  d’intérêt.  A  l’inverse,  d’autres  traitements  syntaxiques  sont  plus  tardifs  et  peuvent  même  survenir concomitamment au traitement sémantique voire plus tardivement que  ce  dernier.  Cela  accrédite  selon  nous  l’idée  d’un  continuum  linguistique  dans        

  190  lequel  la  distinction  entre  syntaxe  et  sémantique  est  certes  parfois  utile  au  théoricien,  mais  guère  pertinente  sur  le  cognitif.  Dans  ce  qui  suit,  nous  allons  nous  intéresser  à  un  certain  nombre  d’autres  travaux  de  neuropsychologie  centrée  sur  la  sémantique  pour  renforcer  notre  vision  de  l’interface  langage/pensée. 

 

Le problème qui se pose à notre approche est de savoir s’il n’y a vraiment pas de  règles  spécifiquement  sémantiques,  en  plus  des  règles  syntaxiques.  Nous  soutenons  que  dans  la  plupart  des  cas,  le  choix  d’étiqueter  une  règle  comme  syntaxique  ou  comme  sémantique  est  largement  arbitraire.  Par  exemple,  dans  leurs  travaux  de  neurolinguistique,  une  question  préliminaire  que  se  posent  Liina  Pylkkänen  et  ses  collègues133 est  celle  du  choix  de  règles  qui  seraient  spécifiquement  sémantiques.  Ils  s’appuient  sur  le  travail  de  Marchand  (1969),  Dowty (1979), Covington (1981) et Horn (2008) pour identifier de telles règles.  Ces derniers montrent que le fonctionnement du préfixe privatif un134 en anglais  obéit  à  des  contraintes  sémantiques  quand  il  s’agit  de  former  des  verbes.  Une  telle  préfixation  n’est  admissible  que  si  la  racine  utilisée  dénote  l’accomplissement ou si le verbe auquel on accole ce préfixe signifie à peu près  ordonner,  organiser  de  sorte  que  la  préfixation  de  un  a  pour  effet  selon  l’expression  de  Horn  (2008)  « de  prêter  assistance  à  l’entropie. »  Nous  constatons  qu’il  en  est  effectivement  ainsi  dans  les  verbes  suivant  donnés  par  Pylkkänen, Oliveri & Smart (2009) :  Racine dénotant l’accomplissement :   Unbend, uncoil, uncurl, undress, unfold, unravel, unwind  vs.   *uneat,*ungo,*unplay,*unsmoke,*unsnore,*unswim,*unwalk  Retour au désordre :  button the shirt vs. unbutton the shirt   uncross one’s arms vs. *uncross the street    Nous ne nions pas que cette règle de préfixation fasse appel au sens des verbes. Il  ne  nous  semble  cependant  pas  que  cela  soit  suffisant  pour  que  l’on  parle  spécifiquement  de  règles  sémantiques  distinctes  par  nature  des  règles  syntaxiques. Après tout, on n’a aucun problème à admettre dans la syntaxe des 

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