Si l’on se penche désormais non plus sur l’interface syntaxe/sémantique mais sur l’interface langage/pensée, alors le tabou de la sémantique traductionnelle tombe. En effet, dans le système linguistique tel que révélé dans le paradigme générativiste, il n’y a pas de place pour des représentations encodant du sens. Il faut donc trouver le moyen de faire le lien entre les représentations syntaxiques et les représentations sémantiques. Nous avions proposé le schéma suivant pour résumer l’architecture cognitive posée dans le cadre minimaliste :
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Dans cette architecture, les formules en LF étaient utilisées par le module sémantique pour fournir les conditions de vérité des énoncés. Du coup, on pouvait accepter l’indépendance de la syntaxe sans trop s’occuper de la nature ou de la question de la nécessité de la sémantique proposée par les tenants de la sémantique formelle. De ce fait, la nécessité d’une sémantique traductionnelle ne se voit pas dans l’architecture de la cognition linguistique proposée par les linguistes générativistes y compris les plus orthodoxe. Pour voir que la position conciliante consistant à dériver des formules en LF et à laisser le sémanticien formel faire la jonction est intenable, il suffit de se demander sur quoi s’appliqueraient les transformations qui mènent à la production de formules en LF. Une réponse possible aurait été que ce sont les représentations phonologiques qui sont traitées par la syntaxe avant d’être envoyées au module sémantique de l’esprit. Cette réponse est bien évidemment inacceptable pour au moins deux raisons. D’abord, dans cette architecture, nous voyons que ce sont des processus différents qui son responsables du passage de SS à PF et LF. Il y a certes un traitement générativiste de la phonologie (cf. par exemple Chomsky & Halle 1968) mais justement, ce que ces travaux ont montré, c’est que les règles phonologiques sont indépendantes des règles grammaticales. Une seconde raison de ne pas faire des représentations phonologiques l’objet de la syntaxe est que certaines catégories syntaxiques sont phonologiquement inertes quoique perceptibles par le module syntaxique de notre esprit/cerveau. Ce qui se passe quand nous interprétons une phrase contenant des traces silencieuses, c’est que
185 nous tenons compte de ces traces sans en avoir conscience. Cela se voit par exemple quand nous respectons la contrainte ECP qui nous enjoint de veiller à ce que les traces que nous laissons soient proprement gouvernées lors même que nous n’avons pas connaissance de l’existence de cette contrainte. Pour voir cette contrainte à l’œuvre, il faut se demander pourquoi (b) est une phrase grammaticalement acceptable alors que (a) ne l’est pas. Si nous appliquons la règle de montée des quantificateurs (QR) nous nous rendons compte que le pronom personnel qui a dans la phrase (b) pour fonction de gouverner la trace t. Dans (a) c’est notre incapacité à gouverner proprement cette trace qui fait que la phrase est agrammaticale. (a) *Quel est l’homme a frappé à la porte ? (b) Quel est l’homme qui a frappé à la porte ? (a’) [quel1 [l’homme2 [t1 est t2] [t a frappé à la porte]]]] (b’) [quel1 [l’homme2 [t1 est t2] [qui2 [t2 a frappé à la porte]]]
Mais si le traitement syntaxique ne s’applique pas à des représentations phonologiques, s’applique‐t‐il pour autant à des représentations spécifiquement syntaxiques ? Pour répondre à cette question, il faut se demander ce que pourraient être des représentations mentales spécifiquement syntaxiques. Il y a deux possibilités : soit ce sont les règles syntaxiques qui sont mentalement représentées, soit ce sont les entités que manipulent ces règles qui sont représentées. Lors de notre discussion de l’objection de Devitt, nous avions vu qu’il n’était pas nécessaire de postuler que les règles syntaxiques sont représentées. Ces dernières sont réalisées à travers le fonctionnement de l’esprit/cerveau sans qu’on ait besoin de postuler un niveau de représentation supplémentaire qui encoderait les règles et donnerait des instructions sur leur suivi. Postuler un tel niveau, ce serait potentiellement ouvrir la voie à une régression infinie. Les règles syntaxiques sont des idéalisations posées par le linguiste pour rendre compte du fonctionnement de notre esprit/cerveau. Il n’est pas besoin pour cet esprit/cerveau de les représenter pour les suivre adéquatement.
Reste la possibilité maintenant que ce soient non pas les règles syntaxiques qui sont représentées par notre esprit/cerveau mais les objets sur lesquels s’appliquent ces règles de manipulation. Si l’on est physicaliste, il est inévitable de poser que ces règles manipulent effectivement des représentations mentales. La question qui se pose est celle de la nature de ces représentations mentales. Sont‐elles spécifiquement syntaxiques ? Pour le voir, considérons quelques exemples de règles syntaxiques. Dans le paradigme syntaxique actuel, nous avons par exemple les règles suivantes :
Wh‐Movement : Déplacer NP en tête de phrase en laissant une trace. Principe A : Une anaphore doit être liée à l’intérieur de sa catégorie gouvernante
Principe B : un pronom ne doit pas être lié à l’intérieur de sa catégorie gouvernante
Principe C : une R‐expression (i.e. expression directement référentielle comme les noms) doit être libre
Ces règles s’appliquent clairement à des entités jouant un rôle syntaxique. Par exemple, les principes A et B s’appliquent à des anaphores et à des pronoms. Les R‐expressions quant à eux sont des mots du lexique qui ont été encodés pour
186 référer à des objets du monde. Cela signifie‐t‐il pour autant que nous encodons dans notre esprit des représentations mentales spécifiquement syntaxiques et qu’il y aurait d’abord une analyse syntaxique de ces représentations mentales pour fournir des formules en LF avant que ne se mettent en branle les procédures d’analyse sémantique ? A cette question, nous ne pouvons répondre sans l’aide la psycholinguistique voire des neurosciences cognitives. Edith Kaan et Tamara Swaab ont publié dans la revue Trends in Cognitive Science129 en 2002 un article dans lequel elles passent en revue nos connaissances actuelles sur la circuiterie cérébrale responsable du traitement syntaxique. Un autre article de Grodzinsky et Friederici130 (2006) s’intéresse à la neuro‐imagerie de la syntaxe et du traitement syntaxique. Nous allons nous appuyer sur ces deux articles de review pour répondre à la question de savoir si les représentations que manipulent les règles syntaxiques sont spécifiquement syntaxiques ou non.
Pendant longtemps, les recherches sur les aphasiques semblaient révéler que la réponse à cette question était positive. Il avait en effet été montré que les aires de Broca et de Wernicke du cerveau étaient spécialisées dans le traitement linguistique. Un accident vasculaire cérébral affectant l’aire de Wernicke laissait intacte la syntaxe que ce soit en production ou en compréhension mais affectait le traitement sémantique. A l’inverse, quand c’était l’aire de Broca qui était endommagée, les patients étaient asyntaxiques. De tels patients omettent « les inflexions et les mots ayant une fonction syntaxique comme ‘le’, ‘de’ ou ‘est’. De plus, ils sont handicapés quand ils doivent comprendre les phrases dites passives réversibles comme : ‘Le chien a été pourchassé par le chat’ que l’on ne peut interpréter correctement qu’en se fiant aux informations syntaxiques. » [Kaan et Swaab (2002 :351)] Cependant, des études plus soigneuses ont montré que l’aire de Broca n’est pas vraiment spécialisée sur le traitement syntaxique. En fait, tout semble indiquer que cette aire s’active plutôt quand il y a un traitement syntaxique complexe nécessitant une importante mémoire de travail (Fiebach and alii 2005) mais que plus généralement le traitement syntaxique est corrélé à l’activation d’autres aires cérébrales (Grodzinsky 2000 BBS N°23 :pp. 1‐21). Selon Kaan et Swaab, il y a au moins quatre raisons de cesser de considérer que l’aire de Broca est une aire spécifique à la syntaxe. D’abord, les déficits morphosyntaxiques chez les aphasiques ne sont ni exclusivement, ni toujours corrélés à une atteinte à l’aire de Broca. Ensuite, les patients ayant une lésion de l’aire de Broca ne sont pas totalement asyntaxiques. S’ils ont des problèmes de traitement et de production de certaines phrases syntaxiquement complexes, ils arrivent cependant à en traiter correctement d’autres. De plus, chez les patients Broca des déficits sémantiques s’ajoutent aux déficits syntaxiques ce qui tendrait à confirmer que l’aire de Broca n’est pas spécifiquement syntaxique mais aurait un rôle dans tout traitement linguistique nécessitant une importante mémoire travail131. Enfin, d’après certains chercheurs, l’aphasie « pourrait ne pas être un
129 Vol 6 N° 8 Aout 2002 pp. 350‐356
130 Current Opinion in Neurobiology 2006, 16:240–246. Nous citerons l’article comme G&F (2006 : p. X)
131 Notons que si l’on admet notre thèse selon laquelle la différence entre les règles formelles classifiées comme syntaxiques et celles qui sont classifiées comme sémantiques n’est pas une différence de nature alors il n’est plus étonnant que le déficit d’une aire linguistique affecte tout à la fois le traitement syntaxique et le traitement sémantique.
187 déficit de connaissance mais un déficit de traitement. » Ils entendent par là que : « les problèmes des aphasiques Broca avec la syntaxe sont le résultat d’un déficit de traitement temporel dans l’activation ou l’intégration de l’information, ou d’une limitation des ressources nécessaires pour ces processus. La zone du cerveau endommagée chez les aphasiques de Broca n’a pas besoin, par conséquent d’être l’aire où la connaissance syntaxique est stockée. » (K&S 2002 :352) Un tel constat est plutôt en phase avec notre idée selon laquelle il n’y a pas vraiment de connaissances syntaxiques qui seraient stockées mais uniquement un traitement syntaxique incorporant les règles syntaxiques découvertes par le linguiste. Ce traitement n’est pas seulement localisé dans les zones du cerveau qui étaient réputées contribuer au traitement linguistique. Ainsi alors qu’il est généralement accepté qu’il y a une latéralisation du traitement linguistique qui serait effectué dans l’hémisphère gauche du cerveau, il a été montré que même l’hémisphère droit du cerveau est recruté lors la détection d’erreurs (cf. Indefrey et alii 2001) ou de la résolution de certaines ambigüités syntaxiques (cf. Swaab et alii 1998) par exemple. Grodzinsky et ses collaborateurs étudient cette distribution de la syntaxe dans le cerveau en essayant de mettre en parallèle les règles de la syntaxe générative et les activations neurales lors du traitement syntaxique. Selon Grodzinsky (in G&F 2006), il n’y a pas à proprement parler d’aire de la syntaxe dans le cerveau mais plutôt une distribution du traitement syntaxique qui fait que des aires différentes peuvent prendre en charge la réalisation de règles spécifiques. Il pose « qu’il y a une relation régulière entre les sous‐composants de la théorie syntaxique et des localisations cérébrales. » G&F (2006 :240) et cherche donc à établir une cartographie cérébrale de la syntaxe formelle (Formal Syntax Map d’où le nom FSM que porte son programme de recherche.) Cette cartographie nécessite un certain nombre d’éléments. D’abord un lexique mental (LEX) qui est composé d’unités qui mettent en relation des sons et des significations mais encodent également de l’information sur les opérations syntaxiques qui s’y appliquent. Ensuite trois opérations : MERGE, MOVE et BIND. Ces opérations correspondent aux universaux de la linguistique générative. MERGE par exemple permet de voir quelles contraintes s’appliquent à la dérivation des phrases du langage à partir de LEX. Pour MOVE, on a deux sous opérations : MOVEXP et MOVEV. L’opération MOVEXP lie une branche XP créée par MERGE à une (ou des) trace(s) phonologiquement inerte(s). MOVEV fait la même chose avec les verbes et BIND détermine le liage des pronoms et autres anaphores aux NP. Notons que ces opérations suffisent à réaliser la syntaxe générative telle que développée dans ses paradigmes les plus récents.
Les recherches menées dans le cadre de la FSM ont permis de voir que seule MOVEXP est touchée par une lésion de l’aire de Broca. Dans G&S (2006 : 243), nous trouvons le tableau suivant qui résume les différentes localisations associées à ces opérations :
188 Table 2
The neurological distribution of formal syntactic operations Syntactic operation Impaired in Broca’s aphasia? Main loci of activation in fMRI LEX No ? MERGE No ?
MOVEXP Yes L-IFG, R-STS, L-STS
MOVEV No L-SFG, L-MFG
BIND No R-MFG, L-SFG, L-OG
Notons que dans la FSM, le postulat est que c’est la connaissance syntaxique elle‐ même qui est stockée dans les différentes zones ainsi identifiées. Cette manière de concevoir la cartographie ne nous paraît cependant pas indispensable. Tout ce que les données montrent en effet, c’est que ces zones là sont nécessaires à la manifestation desdites règles. Nous nous en tenons donc à notre idée selon laquelle ce n’est que par abus de langage que l’on peut dire que nous « connaissons » les règles de syntaxe. Le cerveau manifeste ces règles et cette manifestation est sous le contrôle de certaines parties du cerveau. Une chose qui nous paraît intéressante dans ce tableau, c’est qu’il n’y a pas de localisation privilégiée pour LEX. Si les règles syntaxiques sont distribuées dans le cerveau, ce caractère distribué est encore plus fort concernant ce à quoi s’appliquent ces règles i.e. LEX.
Il est donc impossible d’identifier un objet spécifique de l’analyse syntaxique. Nous pensons que cela renforce notre vision de l’interface langage/pensée. Les règles linguistiques, qui se réduisent à des règles de manipulation syntaxique comme MERGE ou MOVE s’appliquent indifféremment à nos représentations mentales. Il n’y a pas d’objet spécifique auquel s’appliqueraient ces règles linguistiques. Elles pourraient s’appliquer à toutes nos représentations mentales quelles qu’elles soient. Si nous prenons au sérieux l’hypothèse qu’il y a une dissociation entre la phonologie et la syntaxe et l’idée Grodzinsky selon laquelle LEX est composé d’entités qui encodent différentes propriétés comme des traits phonologiques, une signification, la référence et des informations sur les opérations syntaxiques qui s’y appliquent, alors on peut considérer que LEX n’est rien d’autre que les représentations mentales que nous encodons que ce soit grâce à nos organes des sens ou via d’autres canaux. Les règles linguistiques s’y appliquent de manière automatique et ce qui fait leur universalité, c’est qu’elles sont les mêmes pour tous les humains, dépendant de notre structure cognitive plutôt que de la langue que nous parlons. Certains éléments de LEX encodent des traits phonologiques alors que d’autres n’en encodent pas. C’est ce qui distingue la syntaxe apparente (overt) de la syntaxe cachée (covert). Quid de la sémantique dans un tel cadre ? Nous avons dit que LEX encodait des significations. La sémantique formelle actuelle pose l’existence de règles spécifiquement sémantiques. Si l’on accepte comme critère premier la plausibilité cognitive, la question que l’on doit se poser est celle de savoir si ces règles spécifiquement sémantiques sont nécessaires. En effet, on peut
189 décomposer la sémantique formelle en règles compositionnelles s’appliquant sur un lexique qui réfère à des entités du monde. Nous avions dit que nous n’étions pas convaincus par le jeu purement mathématique consistant à dire que les règles de la sémantique formelle sont les règles mathématiques de tout ce qui mérite le nom de langage. Il nous semble que l’on peut trier les règles de la sémantique formelles entre celles qui sont cognitivement plausibles et les autres. Celles qui sont cognitivement plausibles sont des règles formelles de manipulation de nos représentations mentales. A priori, elles s’appliquent donc à LEX. Si tel est le cas, est‐il vraiment nécessaire de les opposer aux règles syntaxiques ? Ne sont‐elles pas, comme MERGE, MOVE et BIND des règles syntaxiques ? Les règles syntaxiques et les règles sémantiques ont le même fonctionnement i.e. qu’elles déplacent des objets mentaux vers leur position thématique et s’assurent que les variables sont correctement gouvernées. On peut maintenant récupérer la critique de Jacobson selon laquelle il y a une certaine redondance à postuler des jeux de règles différentes. Cela nous semble d’autant plus vrai que nous ne posons pas132 un lexique spécifique à chaque jeu de règles. La différence entre syntaxe et sémantique nous paraît donc être une différenciation commode de théoricien mais n’ayant aucune base cognitive.
Telle que nous la voyons, l’architecture de la cognition linguistique contient uniquement des règles de transformation qui manipulent directement des représentations mentales. Ces règles de manipulation englobent celles de la syntaxe et celles de la sémantique et les représentations mentales sont encodées avec un certain nombre d’instructions sur leurs possibilités de manipulation et sur leur réalisation phonologique. L’activité de notre esprit/cerveau en rapport avec ces représentations mentales manifeste des règles qui sont tantôt vues comme syntaxiques, tantôt comme sémantiques mais dont nous proposons qu’on les considère comme tout simplement linguistiques. Dans une telle théorie, nous entendons par linguistique, tout ce qui relève de règles formelles de manipulation représentées dans notre esprit/cerveau et qui interviennent dans la compréhension et la production d’énoncés linguistiques. Comment soutenir en même temps l’autonomie de la syntaxe et ce continuum de règles englobant la syntaxe et la sémantique ? Il nous semble que notre discussion sur la nature syntaxique ou sémantique du niveau LF nous montre ce qu’il en est. Il y a beaucoup de règles transformationnelles qui aboutissent à LF. Il y a également des règles d’interprétation qui s’appliquent à LF et qui étaient considérées comme sémantiques. Cependant, de même que les différentes règles syntaxiques s’appliquent parfois de manière séquentielle avec par exemple la montée des quantificateurs qui précède nécessairement la saturation des traces, de la même manière unifier aspects formels de la syntaxe et de la sémantique ne nous obligera pas à abandonner toute notion d’ordre dans le traitement linguistique. Les données neuropsychologiques (cf. Hahne & Friederici 2002) montrent que certains traitements syntaxiques sont très précoces et que leur échec fait que nous cessons de considérer l’énoncé linguistique comme digne d’intérêt. A l’inverse, d’autres traitements syntaxiques sont plus tardifs et peuvent même survenir concomitamment au traitement sémantique voire plus tardivement que ce dernier. Cela accrédite selon nous l’idée d’un continuum linguistique dans
190 lequel la distinction entre syntaxe et sémantique est certes parfois utile au théoricien, mais guère pertinente sur le cognitif. Dans ce qui suit, nous allons nous intéresser à un certain nombre d’autres travaux de neuropsychologie centrée sur la sémantique pour renforcer notre vision de l’interface langage/pensée.
Le problème qui se pose à notre approche est de savoir s’il n’y a vraiment pas de règles spécifiquement sémantiques, en plus des règles syntaxiques. Nous soutenons que dans la plupart des cas, le choix d’étiqueter une règle comme syntaxique ou comme sémantique est largement arbitraire. Par exemple, dans leurs travaux de neurolinguistique, une question préliminaire que se posent Liina Pylkkänen et ses collègues133 est celle du choix de règles qui seraient spécifiquement sémantiques. Ils s’appuient sur le travail de Marchand (1969), Dowty (1979), Covington (1981) et Horn (2008) pour identifier de telles règles. Ces derniers montrent que le fonctionnement du préfixe privatif un134 en anglais obéit à des contraintes sémantiques quand il s’agit de former des verbes. Une telle préfixation n’est admissible que si la racine utilisée dénote l’accomplissement ou si le verbe auquel on accole ce préfixe signifie à peu près ordonner, organiser de sorte que la préfixation de un a pour effet selon l’expression de Horn (2008) « de prêter assistance à l’entropie. » Nous constatons qu’il en est effectivement ainsi dans les verbes suivant donnés par Pylkkänen, Oliveri & Smart (2009) : Racine dénotant l’accomplissement : Unbend, uncoil, uncurl, undress, unfold, unravel, unwind vs. *uneat,*ungo,*unplay,*unsmoke,*unsnore,*unswim,*unwalk Retour au désordre : button the shirt vs. unbutton the shirt uncross one’s arms vs. *uncross the street Nous ne nions pas que cette règle de préfixation fasse appel au sens des verbes. Il ne nous semble cependant pas que cela soit suffisant pour que l’on parle spécifiquement de règles sémantiques distinctes par nature des règles syntaxiques. Après tout, on n’a aucun problème à admettre dans la syntaxe des