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Les transformations des structures sociales

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Academic year: 2022

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Les transformations des structures sociales

Contents

1 Éléments de définitions et principaux concepts 3

1.1 Théories des classes sociales . . . 3

1.1.1 Karl Marx : classe en soi et classe pour soi . . . 3

1.1.2 L’approche nominaliste de Max Weber . . . 3

1.1.3 L’espace sociale, ou l’approche constructiviste de Pierre Bourdieu . . . 3

1.2 Les catégories sociales . . . 4

1.2.1 Les PCS . . . 4

1.2.1.1 Une approche descriptive de la société . . . 4

1.2.1.2 La nomenclature française . . . 4

1.2.1.3 Classement et lutte pour les classements . . . 5

1.2.1.4 Les principales catégories socioprofessionnelles . . . 5

1.2.1.5 Une trop forte hétérogénéité des PCS ? . . . 6

1.2.1.6 La réforme de 2020 . . . 6

1.2.2 L’évolution de classification . . . 7

1.2.2.1 Une classification sur la profession qui ne se confond pas avec les classes sociales 7 1.2.2.2 L’échec d’une classification européenne . . . 7

1.2.2.3 Utiliser des variables quantitatives plutôt que qualitatives . . . 7

1.2.2.4 Le style de vie . . . 8

1.2.2.5 La perception des catégorie sociales par les agents . . . 8

1.3 Le concept de classe sociale aujourd’hui . . . 8

1.3.1 Une disparation des classes sociale ? . . . 8

1.3.2 Le maintien des conditions de classe . . . 8

1.4 Les évolutions des grandes strates . . . 9

1.4.1 Les classes populaires : la fin du monde ouvrier ? . . . 9

1.4.1.1 Une classe ouvrière difficilement identifiable pendant les trois quarts du XIXe siècle . . . 9

1.4.1.2 L’émergence de la classe ouvrière : 1880-1930 . . . 9

1.4.1.3 L’apogée de la classe ouvrière : 1930-1974 . . . 10

1.4.1.4 L’effacement progressif de la classe ouvrière . . . 10

(2)

1.4.1.5 Une recomposition des classes populaires . . . 11

1.4.1.6 Des classes populaires toujours touchées par les inégalités . . . 11

1.4.2 Les classes moyennes : le mythe de la moyennisation ? . . . 12

1.4.2.1 L’émergence de la classe moyenne . . . 12

1.4.2.2 Qui sont les classes moyennes ? . . . 13

1.4.2.3 L’apogée des classes moyennes dans les années 1980 . . . 14

1.4.2.4 Les classes moyennes, une espèce menacée dans les pays développés ? . . . . 14

1.4.2.5 Une dérive contestée . . . 15

1.4.2.6 Une remise en cause du déclassement (intergénérationnel, professionnel, et scolaire) . . . 15

1.4.3 Les couches supérieures . . . 16

1.4.3.1 Une définition plurielle qui a évoluée au cours du temps . . . 16

1.4.3.2 Le passage d’une société de rentiers à une société de cadres . . . 17

1.4.3.3 L’enrichissement des plus riches depuis les années 1980 . . . 17

1.4.3.4 Le retour des rentiers est-il possible ? . . . 18

1.4.3.5 La sociologie de la bourgeoisie . . . 18

1.5 Des évolutions de catégories plus spécifiques . . . 19

1.5.1 La fin des paysans ? . . . 19

1.5.1.1 Un monde paysan jusqu’en 1945 . . . 19

1.5.1.2 De la fin des paysans à la naissance des agriculteurs depuis 1945 . . . 19

1.5.1.3 Les trois phases de l’exode rural en France . . . 20

1.5.1.4 Les tendances récentes du monde agricole français . . . 20

1.5.1.5 La PAC . . . 21

1.5.2 La fin du salariat ? . . . 21

1.5.2.1 Le salariat a longtemps été critiqué . . . 21

1.5.2.2 La société salariale . . . 22

1.5.2.3 Le contrat de travail s’adapte à un nouveau contexte économique . . . 23

1.5.2.4 Le regain de l’activité non salariée . . . 23

1.5.3 Le patronat, un groupe social influent ? . . . 24

1.5.3.1 Le patronat est-il un groupe social ? . . . 24

1.5.3.2 Le patronat est-il réellement influent ? . . . 26

1.5.3.3 Un capitalisme d’héritiers ? . . . 27

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1 Éléments de définitions et principaux concepts

1.1 Théories des classes sociales

Catégorie : ensemble d’éléments présentant des caractéristiques communiqués, réunis par l’observateur dans un but de classification.

Groupe social: un ensemble de personnes liées par une communauté de destin, des intérêts ou des senti- ments.

Groupe d’appartenance: groupe dont l’individu est membre

Groupe de référence : groupe dont l’individu n’est pas membre mais auquel il emprunte ses normes et ses valeurs.

Castes : C. Bouglé (Essai sur le régime des castes, 1935) retient trois critères principaux pour définir une caste : spécialisation héréditaire (profession dépend étroitement de l’origine sociale de l’individu), hiérarchie (appartenance à un statut conditionné à la naissance, hiérarchie), et répulsion (les membres des castes n’entretiennent que des relations avec leurs membres).

1.1.1 Karl Marx : classe en soi et classe pour soi

K. Marx : « L’histoire de toute société passée est l’histoire de la lutte des classes ».

Pour K. Marx (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852), les classes sociales sont des groupes réels en conflits. Dans une société capitaliste, les propriétaires des moyens de production et les prolétaires détenteurs seulement de leur force de travail ont des intérêts antagonistes.

Les classes se définissent par une place commune dans le processus de production, et par la conscience qu’elles prennent d’elles mêmes au travers des conflits avec les autres classes. Il distingue la classe en soi (des caractéristiques communes d’individus que l’on peut rassembler dans un groupe), et une classe pour soi (sentiment d’appartenance des individus à un groupe). K. Marx donne l’exemple des paysans parcellaires en France dans les années 1830 qui, en dépit d’intérêts communs, ne constituent pas une classe sociale car il n’existe pas entre eux de communauté ou d’organisation politique permettant un sentiment d’appartenance.

Pour Marx, l’appartenance à un groupe social dépend de la position dans le système de production, ce qui conduirait à classer les cadres parmi les « dominés » (ils ne possèdent pas les moyens de production). Or, la théorie sur l’entreprise a mis en évidence le pouvoir des cadres/managers dans l’entreprise, ce qui contredit pratiquement la définition d’une classe sur la base de la position dans le système de production.

1.1.2 L’approche nominaliste de Max Weber

Pour M. Weber (Économie et société, 1921), les classes sociales sont des constructions du sociologue, qui rassemblent des individus dans groupes en fonction de critères logiques. Pour lui, la classe correspond au rassemblement d’individus ayant des conditions économiques similaires. Il distingue la situation de classe (détention ou non des moyens de production), de la position de classe (rapport de la classe aux autres classes, avantages associés à la position), et la condition de classe (la probabilité des individus de manifester des intérêts communs dans une classe donnée). Il distingue également le statut social (le prestige social associé à une profession, qui peut être indépendant du revenu comme pour les professeurs), et le parti (l’adhésion pour les membres d’une classe à un parti pour défendre leurs intérêts).

1.1.3 L’espace sociale, ou l’approche constructiviste de Pierre Bourdieu

Pour P. Bourdieu (Conditions sociales et positions de classes, 1966), la définition d’une classe sociale n’est pas une opération de classement neutre. Par exemple, représenter la société comme polarisée en deux points

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(dominants, dominés) suggère un affrontement possible, alors qu’une représentation de la société comme une multiplicité de strates souligne une possible mobilité sociale.

E. P. Thompson (La formation de classe ouvrière anglaise, 1963) considère que l’usine ne suffit pas à produire la classe ouvrière : c’est par les organisations politiques, sociales et culturelles que des individus très différents (ouvriers qualifiés/non-qualifiés, ruraux ou urbain, femme ou homme) ont été unifié sous une même bannière.

P. Bourdieu considère que le sociologue peut confondre un groupe construit sur le papier avec un groupe réel, en essayant d’unifier de manière excessive un groupe.

Pour P. Bourdieu, il faut représenter la société sous la forme d’un espace social. L’espace social est structuré par un ensemble de positions sociales qui sont proches ou au contraire éloignées les unes des autres. La distance entre les positions sociales est fonction du volume et de la structure des capitaux possédés par un agent. P. Bourdieu distingue trois types de capitaux :

• le capital économique : il réunit l’ensemble des revenus et du patrimoine mais se différencie selon sa forme (liquide comme un compte en banque, ou une exploitation agricole qui l’est moins).

• le capital culturel : il existe sous trois formes : institutionnalisé (diplôme), objectivé (collection de peintures, de statue. . . ), intériorisé (l’intérêt que l’on manifeste pour l’art ou la culture)

• le capital social comprend l’étendue de la surface sociale (réseaux, relations). Il permet d’accroître le rendement des deux autres capitaux. Par exemple, deux diplômés d’une grande école peuvent avoir des carrière différentes selon leur capacité à mobiliser des relations sociales.

Pour P. Bourdieu, la structure des capitaux possédés par un individu les rapprochent (homologie structurale), même s’il n’en ont pas le même volume. Il ne faut pas seulement découper la société en groupes hiérarchisés, mais intégrer la dimension relationnelle.

1.2 Les catégories sociales

1.2.1 Les PCS

1.2.1.1 Une approche descriptive de la société

L’analyse en termes de strates renvoie à une démarche empirique et descriptive dans la perspective anglo- saxonne des échelles de prestige. La stratification sociale est décrite à partir du classement des individus selon un critère prédéterminé (revenu, relations sociales, profession. . . ). Il n’agit pas de mettre en évidence les rapports sociaux.

L. Warner (Yankee City Series, 1949), sur la base d’enquêtes de population des grandes villes américaines, conclut à l’existence de six strates rassemblés en trois niveaux : upper/middle/lower.

L. Warner crée un index statutaire à partir de quatre critères : la profession, la source de revenus, le type d’habitation, et le quartier. A partir de cet index, cet auteur découpe la société en six strates rassemblés en trois niveaux : upper/middle/lower. Par exemple, la Upper-lower class réunit des ouvriers qualifiés, et des employés alors que la Lower-lower class agrège des travailleurs saisonniers souvent frappés par le chômage et les membres de minorités ethniques.

Le problème de cette façon de stratifier repose sur la représentativité des échantillons étudiés, et la faible représentativité des strates construites.

1.2.1.2 La nomenclature française

Pourquoi une nomenclature des catégories sociales ?

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La création d’une nomenclature a été une réponse aux besoins de disposer de catégories de la population précise pour pour signer des conventions collectives dans le cadre de la négociation salariale.

Les catégories socioprofessionnelles permettent de dénombrer des populations et de fournir un cadre commun de référence pour les enquêtes sociologiques ou les études de marché. L’objectif est de fournir un cadre descriptif permettant de saisir la place de chaque individu.

Les catégories socioprofessionnelles (CSP) ont été crées en 1954, puis réformés en 1982 pour devenir les professions et catégories socioprofessionnelles (PCS).

Les critères utilisés pour constituer cette nomenclature sont : - le métier ou le type d’activité professionnelle - le statut (indépendant, salarié, apprenti sous contrat, aide familiale) - la hiérarchie (taille des entreprises, qualifications, management) - le secteur d’activité (agricole ou non, public ou privé)

Les catégories statistiques relatives au comportement de consommation et à l’emploi ne recouvrent pas les classes sociales. Elles présentent les groupes sociaux dans un ordre non hiérarchique (ou partiellement hiérarchisé).

1.2.1.3 Classement et lutte pour les classements

Toute mise en forme d’un phénomène social dans un ensemble de conventions, procédures ou institutions va agir en retour sur la réalité en ayant des effets durables. L’action des individus ou des groupes, relative au phénomène considéré, tend ainsi à s’organiser autour de la représentation retenue. Lors du changement de nomenclature en 1982, un certain nombre de groupes sociaux ont été consultés et sont mobilisés pour asseoir ou améliorer leur position dans la nomenclature. Par exemple, des professions ont refusé l’appellation

« mécanicien orthopédiste » pour « podologue ». Pour P. Bourdieu (Choses dites, 1987), le langage a un pouvoir symbolique, et la certification, l’homologation, l’institutionnalisation fondent une reconnaissance juridique et sociale qui donne vie àd es groupes. Comme le dit Bourdieu : « le pouvoir ’imposer une vision des divisions, c’est-à-dire rendre visible, explicite des divisions sociales implicites, est le pouvoir politique par excellence, c’est le pouvoir de faire des groupes, de manipuler la structure objective de la réalité ».

1.2.1.4 Les principales catégories socioprofessionnelles

Les agriculteurs exploitants

Cette catégorie ne comprend que des indépendants : chefs d’exploitation (propriétaires exploitants, fermiers, métayers) éventuellement associés au sein de Groupements agricoles d’exploitation en commun. Les aides familiaux non salariés sont rangés dans la même catégorie que la personne qu’ils aident. La nomenclature des CSP propose un découpage en trois catégories pour les agriculteurs : petite, moyenne, ou grande exploitation.

Les artisans, commerçant et chefs d’entreprise

Ce groupe réunit des personnes qualifiées d’« indépendants », c’est-à-dire à leur compte (non salariés). Les artisans travaillent dans l’industrie et ils ont moins de dix salariés. A partir de dix salariés et plus, on considère qu’ils sont chefs d’entreprise. La grande majorité des indépendants sont des petits patrons, le plus souvent sans salarié.

Les cadres et professions intellectuelle supérieures

Les cadres et professions intellectuelles supérieures rassemblenet les cadres des secteurs privés et public, les ingénieurs, les professiosn libérales, les professeurs de l’enseignement secondaire et supérieur, les directeurs d’établissements secondaires et les inspecteurs, les officiers, les professions de l’information, de l’art et des spectacles.

Le terme « cadres » vient du mot utilisé pendant la Révolution française pour désigner l’ensemble des sous- officiers et officiers d’un corps de troupe. Les ingénieurs et les cadre sont d’abord définis par référence à des diplômes d’écoles d’ingénieurs ou de grandes écoles. Ensuite seulement est précisé qu’une expérience

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professionnelle peut en tenir lieu et que la fonction de cadre se caractérise par l’initiative, la créativité, la responsabilité générale ou déléguée de l’employeur. Les membres des professions libérales sont des indépen- dants dont l’exercice exige une instruction supérieure (médecins, avocats).

Les professions intermédiaires

Un certain nombre de professions sont intermédiaires au sens où il s’agit d’assumer des responsabilités d’encadrement dans les limites d’une délégation reçue de la part des cadres. Elles peuvent être intermédiaires, au sens où les personnes disposent d’une certaine marge d’initiative ou encore parce que les membres de ces professions sont chargés de surveiller et de coordonner le travail d’un ensemble d’ouvriers ou d’employés.

C’est par exemple les catégories intermédiaires de la Fonction publique, les représentants de commerce, les inspecteurs de police, les infirmières, etc.

Les employés

Le groupe des employés rassemble les secrétaires, les employés de bureau, etc. La frontière du groupe est relativement floue (comment classer les cuisiniers, les boulangers, etc.) La frontière entre les employé set les professions d’un niveau de qualification supérieure est tout aussi délicate à établir. La distinction dans les entreprises entre secrétaire et secrétaire de direction est difficile à établir.

Les ouvriers

Les ouvriers sont des salariés qui ont des métiers manuels et qui effectuent des tâches d’exécution. La nomenclature des CSP distingue deux clivages : ouvriers qualifiés et non qualifiés, ouvriers de type industriel et de type artisanal.

1.2.1.5 Une trop forte hétérogénéité des PCS ?

A. Desrosières et L. Thévenot (Les catégories socioprofessionnelles, 1988) ont défendu l’hétérogénéité de la grille des PCS car elle reflète les différentes dimensions de l’appartenance sociale. Cependant, le degré d’hétérogénéité est souvent considéré comme trop fort au sein de certaines catégories, notamment les em- ployés. L. Chauvel (Répartition des revenus, catégories socioprofessionnelles et stratification sociale, 1994) remarque que si la moyenne des salaires du groupe Ouvrier est inférieure aux CPIS, certains ouvriers gagnent plus que certains cadres. Pour E. Maurin et D. Goux (La persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire, 2001), les PCS restent des boites noires dont on ne sait pas ce qu’elles mesurent réellement.

Pour autant, les PCS sont avant tout un outil pratique pour prendre des décisions, représenter la structure sociale et fonder empiriquement un certain nombre d’études sur la société française.

1.2.1.6 La réforme de 2020

La réforme de 2020 des PCS a introduit deux modifications principales :

• la prise en compte de clivages liés à la nature de l’employeur et du type de contrat de travail (CDI, CDD, . . . ).

• La création d’une catégorie socio-professionnelle au niveau du ménage pour prendre en compte les groupes socioprofessionnels des adultes qui le constituent. Cette catégorisation d’affiner la mesure de la structure sociale en prenant en compte les différentes situations familiales (familles monoparentales, un seul actif dans le ménage, ménage composé d’indépendants situés entre la classe moyenne et supérieure, . . . ).

La PCS ménage permet de mettre en évidence la forte précarité des familles monoparentales, où le parent est une femme dans 90 % des cas.

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1.2.2 L’évolution de classification

1.2.2.1 Une classification sur la profession qui ne se confond pas avec les classes sociales

• La profession n’épuise pas le statut social d’un individu. Le milieu social d’origine, la position du conjoint, la possession éventuelle d’un patrimoine peuvent différencier deux individus exerçant a priori la même profession. De plus, lorsque les femmes n’étaient que très faiblement intégrée à la vie profes- sionnelle (et le reste moins que les homme encore aujourd’hui), la profession du mari ou du père était un indicateur plus significatif de la position sociale.

Certaines classes sociales comme la bourgeoisie ne se réduisent pas à la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures. De même, la définition de la classe moyenne à partir des PCS varie selon les auteurs.

1.2.2.2 L’échec d’une classification européenne

Dans les années 1990, le projet de EseC (European Socio-economic Classification) cherche à construire une nomenclature des catégories socio-professionnelles à l’échelle européenne. Ce projet puise sa source dans le cadre théorique de J. Goldthorpe en distinguant les actifs selon le type de relation à l’employeur (du contrat de travail à la direction d’entreprise). Cependant, ce projet pose problème à plusieurs niveaux.

Toutefois, ce projet est critiqué à plus d’un titre :

• il ne tient pas en compte des situations particulières des pays où le secteur public est important,

• il ne permet pas de rendre compte des spécificités des structures sociales des pays

• les transformations du marché du travail ont conduit les cadres à effectuer moins fréquemment des métiers d’encadrement, et inversement pour les salariés moins qualifiés.

Au total, l’ESeC ne permet pas d’identifier des milieux sociaux suffisamment homogènes du point de vue de leurs pratiques culturelles.

1.2.2.3 Utiliser des variables quantitatives plutôt que qualitatives

Si la profession est un indicateur imparfait de la position sociale, elle parvient tout de même à réunir des individus aux conditions de vies, aux origines sociales, et aux styles de vie relativement proches.

Pour autant, pour E. Pierru et A. Spire (Le crépuscule des catégories socioprofessionnelles, 2008), la nouvelle génération statisticiens de l’INSEE préfèrent l’utilisation de variables continues comme le revenu ou le diplôme pour distinguer les individus. Ces variables sont utilisées dans les analyses d’autres pays, notamment les États-Unis. L’impossibilité d’établir des PCS à une échelle européenne (C. Brousse, 2007) a conforté le choix de ces variables pour les comparaisons internationales. De plus, la DARES (service statistique du ministère du Travail) utilise dorénavant sa propre nomenclature (Familles professionnelles), qui permet de détailler avec plus de précision les différents métiers.

Pour E. Maurin (L’égalité des possibles, 2002), le risque de perte d’emploi et l’individualisation du travail a affaibli en profondeur la relation à une identité sociale stable : il en déduit que les inégalités ne se déclineraient plus collectivement. Ainsi, en 1988, 60 % des ouvriers et 53 % des employés déclaraient avoir le sentiment d’appartenir à une classe sociale, ils sont respectivement 47 % et 44 % en 2008. Ces transformations reflètent une représentation de la société caractérisée par une moindre importance conférée aux identités sociales, et une appréhension plus individuelle des enjeux collectifs comme les inégalités économiques.

Au total, l’utilisation des catégories socio-professionnelles est donc amené à diminuer au fil des années.

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Les revenus et le diplôme ne sont pas nécessairement de bons indicateurs de la position sociale. Il est difficile de rapprocher dans le style de vie des footballers millionnaires et des grands dirigeants d’entreprises. De plus, la classification des diplômes cache de grande disparité en interne (les bac+5 ne valent pas tous la même chose sur le marché du travail, le choix des études est conditionné par le milieu social, etc.)

1.2.2.4 Le style de vie

L’analyse en termes de « styles de vie » fait référence aux valeurs et aux façons de vivre des individus. Pour Maurice Halbwachs le milieu social peut se définir par le mode de vie, en particulier la consommation.

M. Halbwachs (La classe ouvrière et les niveaux de vie, 1912) montre, qu’à revenu égal, un ménage ouvrier utilise différemment ses ressources qu’un ménage employé. En effet, la hiérarchie des besoins varie sensible- ment d’un milieu social à un autre. Pour cet auteur, la profession n’est que le reflet d’une position transitoire dans la société.

Sa théorie du feu de camp stipule que plus on est dans un milieu favorisé, plus la vie sociale est intense (les ouvriers bénéficiant d’une vie sociale restreinte). Pour C. Grignon et J-C. Passeron (Le savant et le populaire, 1989), cette vision porte un jugement de valeur faux sur la classe ouvrière (ignore les lieux de sociabilité populaires, etc), et définit la classe ouvrière par ses manques.

1.2.2.5 La perception des catégorie sociales par les agents

L. Boltanski et L. Thévenot (1983) ont demandé à un ensemble d’enquêtés de reconstituer la stratification sociale à partir d’un jeu de carte. Ils constatent que plus le capital culturel d’un enquêté est élevé, plus il a tendance à faire référence aux catégories officielles.

E. Penissat et al. (2015) montrent à partir d’une expérience similaire dans plusieurs pays européens que les enquêtés ont tendance à créer un groupe homogène pour les classes populaires (professions de niveau inférieur dans le domaine technique, professions routinières). Cependant, le critère d’encadrement (retenu par l’ESeC) n’est que rarement retenu. A l’inverse, la qualification et le statut social fait ressortir la dimension hiérarchique dans la perception des agents en France.

W. Lignier et J. Pagis (2012) montrent que les perceptions des métiers et de la structure sociale par des enfants de CE2 et CM1 sont déjà imprégnés par les rapports sociaux qui traversent le monde social.

1.3 Le concept de classe sociale aujourd’hui

1.3.1 Une disparation des classes sociale ?

• La moyennisation de la société tend à faire disparaître l’idée de classe sociale (détaillé dans la partie sur les classes moyennes).

• Pour L. Boltanski et E. Chiapello (Le nouvel esprit du capitalisme, 1999) ont montré comment le capitalisme a répondu aux dénonciations d’aliénation dont il faisait l’objet. La réponse du capitalisme pour internaliser sa propre critique a été l’individualisation des rapports de travail et l’organisation des activités en termes de projet. Dès lors, même si les rapports de classes persistent dans le monde du travail, ils sont invisibilisés par la nouvelle organisation du travail.

1.3.2 Le maintien des conditions de classe

Pour S. Beaud et M. Pialoux (Retour sur la condition ouvrière, 2004), si la classe ouvrière a disparu du fait de la désindustrialisation, la condition ouvrière reste une réalité sociale, et présente dans les rapports sociaux.

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P. Bourdieu (La distinction, 1970) montre une correspondance forte en positions sociales et styles/modes de vies (pratiques culturelles spécifiques). Chaque groupe social a un habitus qui lui est propre, c’est-à-dire une manière d’être, construite socialement. Il considère également, dans un article de 1984 qu’une classe sur le papier ne peut devenir une classe réelle à condition d’un travail politique de mobilisation. A cet égard, le mouvement des gilets jaunes en 2018, qui forme un groupe social objectif, en termes de niveau de vie et de lieu d’habitation, peut être considéré comme le passage d’une classe de papier à une classe réelle.

• La bourgeoisie reste en réalité la seule vraie classe sociale aujourd’hui pour M. Pinçon et M. Pinçon- Charlot (détaillé dans la partie sur la bourgeoisie)

II. Les transformations des structures sociales

1.4 Les évolutions des grandes strates

1.4.1 Les classes populaires : la fin du monde ouvrier ?

La classe populaire peut-elle juste être assimilée à la classe ouvrière ? Pour O. Scwhartz (Peut-on parler des classes populaires ?, 2011), les classes populaires regroupent l’ensemble des groupes sociaux occupant une position dominée dans les rapports économiques et sociaux, qui les exposent à une certain vulnérabilité économique et sociale, à l’assignation de statuts inférieurs et une fermeture des possibles. D’autre part, les classes populaires se caractérisent par des pratiques et des comportements culturels spécifiques qui tendent à le séparer de la classe dominante et de ses normes. Ce faisant, l’unité de la classe ouvrière en fait une composante de la classe populaire, mais cette dernière ne saurait s’y réduire.

1.4.1.1 Une classe ouvrière difficilement identifiable pendant les trois quarts du XIXe siècle G. Noirel (Les ouvriers dans la société française, 1986) distingue trois types d’ouvriers jusqu’aux années 1870 : les ouvriers agricoles (putting out system), les ouvriers de l’industrie urbaine artisanale (ouvriers qualifiés, qui détiennent pour une partie d’entre eux les moyens de production), et les ouvriers des grandes usines.

L. R. Villermé (Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, 1840) décrit la misère social des ces derniers travailleurs (conditions de travail pénibles, faiblesse de la rémunération, sous-alimentation, pas de repos dominical avant 1906, 12h de travail par jour).

La sous alimentation conduit au recul de l’espérance de vie, et le chômage parfois à la délinquance. Ce faisant, les ouvriers des usines ont pu être assimilé à une classe dangereuse par la reste de la société (L. Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses pendant la première moitié du XIXe siècle, 1958). Pour la France, J. Michelet (Le peuple, 1826) estime à 1/15 des effectifs d’ouvriers ce type d’ouvriers. En effet, l’agriculture est le secteur dominant en France jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et donc l’industrie est principalement composé d’ouvriers agricoles.

K. Polanyi (La Grande transformation, 1944) parle du désencastrement de la sphère économique de la sphère sociale : le marché est créé comme une institution à part entière, et finit par ré-encastrer les relations sociales, qui deviennent fondées sur l’échange marchand.

1.4.1.2 L’émergence de la classe ouvrière : 1880-1930

On assiste dans le dernier quart du XIXe siècle à la multiplication des établissements industriels, en particulier en Angleterre où l’exode rural a conduit la multiplication des ouvriers d’usines. L’organisation du travail tayloro-fordiste devient la norme dans les usines (F. W. Taylor, The Principles of Scientific Management, 1911). F. Le Play (La Réforme sociale en France, 1864) considère que le patron procure à ses ouvriers un ensemble d’avantages (écoles, hôpitaux, secours pour les risques de vie) pour stabiliser la main d’œuvre.

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Ainsi, le doublement du salaire par Ford en 1913 était avant tout une façon de faire accepter le travail à la chaîne.

Pour E. P. Thompson (La formation de la classe ouvrière anglaise, 1963), le rassemblement à l’usine n’est pas suffisant pour construire une classe ouvrière, mais la mise en place d’organisations sociales, politiques et culturelles est décision pour faire éclore la conscience de classe, et unifier un monde ouvrier relativement hétérogène (ouvriers qualifiés/non qualifiés, types de travaux manuels différents).

Dans le cas de la France, la législation de la grève en 1864, la reconnaissance des syndicats en 1884, la création de la CGT (principal syndicat) en 1895, et la création de journaux comme L’Humanité par J. Jaurès en 1904 ont eu un rôle décisif dans la conscience de classe ouvrière. En 1931, les ouvriers non agricoles représentent 30 % de la population active en 1931 contre moins de 20 % en 1881.

1.4.1.3 L’apogée de la classe ouvrière : 1930-1974

Entre 1930 et 1975, la classe ouvrière se caractérise par son poids numérique dans la population active, et sa mobilisation politique. En France, en 1975, les ouvriers représentent 38 % de la population active. Cette fort poids numérique est accompagné d’un mouvement politique relativement large sur cette période. Les accords de Matignon en 1936 (suite à la grève généralisée de la même année) permettent l’existence du droit syndical au sein de l’entreprise, l’établissement d’un cadre pour les conventions collectives, le passage à la semaine des 40h, octroi de 15 jours de congés payés. La sécurité sociale est instauré en 1945, la loi cadre sur les conventions collectives en 1950, revalorisation de 35 % du SMIG et de 10 % en moyenne des salaires réels à la suite des accordes de Grenelle de 1968. La lutte pour des intérêts communs entre ouvriers conduit à renforcer la cohésion du groupe ouvrier. Créé en 1895, la CGT a 500 00 adhérents en 1910, puis 4 millions en 1936.

Les organisations politiques et syndicales jouent un rôle important dans la représentation des ouvriers. La scission de la SFIO en 1921 ocnduit à la création du Parti Communiste Français (PCF). En 1937, 50 % des membres du comité central sont ouvriers, et seulement 10 % sont des cadres. Le PC connaît un âge d’or pendant les Trente Glorieuses : près de la moitié des ouvriers accordent leur suffrages au PCF.. Le PCF récolte près de 25 % des voix aux suffrages présidentiels sur cette période. Le vote ouvrier est un vote à gauche relativement uniforme. G. Michelat et M. Simon (Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures, réalignements, 2004) montrent que le vote à gauche chez les ouvriers est le produit d’une socialisation au sein de la famille, qui s’enracine dans l’enfance.

Le progrès social a bénéficié aux ouvriers sur cette période. La croissance des revenus a permis aux ouvriers d’accéder aux biens durables (automobile, électroménager,. . . ) Pour S. Mallet (La nouvelle classe ouvrière, 1963), les ouvriers ne contestent plus société de consommation en elle-même, mais cherche à améliorer leur place dans le système pour pouvoir consommer plus.. Le syndicalisme devient de revendication sociale plus que pour la lutte des classes. On parle d’un « ouvrier d’abondance » pour Goldthrope (The Affluent Workers, 1958).

1.4.1.4 L’effacement progressif de la classe ouvrière

Les faits

A partir de 1975, la classe ouvrière s’efface progressivement dans la société. JL Levet (Une France sans usines ?, 1988) constate une évolution vers une société post industrielle où le nombre d’ouvriers ne cesse de diminuer. Depuis 1975, on passe de près de 38 % d’ouvriers dan sla population active à un peu plus de 20 % en 2020. En 1963, le nombre de journées de grèves était de 6 millions, en 1968 plus de 150 millions.

Ce nombre s’est stabilisé entre 250 000 et 300 000 depuis les années 1990. De même, on passe de 30 % de syndiqués dans les années 1970 à 8 % depuis le début des années 1990. Ce taux cache des disparités : 15 % de syndiqués dans le public contre 5 % dans le privé, et 9,4 % des CDI sont syndiqués, contre 2,4 % parmi les CDD.

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La représentation politique du monde ouvrier s’est effondré depuis les années 1980. Le vote de classe a progressivement disparu au profit de l’abstention et de l’extrême-droite. En effet, parmi les ouvriers, en 2007, 44 % votent à gauche, 24 % s’abstiennent, 16 % votent à droite et 13 % à l’extrême droite. 45% des ouvriers déclarent vouloir voter pour le Rassemblement National en 2022.

Les causes

Les ouvriers ont perdu leur poids dans la population, et le monde ouvrier s’est recomposé. La désindustrial- isation est principalement causé par l’augmentation des gains de productivité, la concurrence internationale de la main d’œuvre peu qualifié, et le processus d’externalisation des entreprises. En dehors du phénomène de désindustrialisation, E. Maurin (L’égalité des possibles, 2002) montre que les ouvriers non industriels (transport, logistique, artisanat) sont en plein essor alors que les métiers ouvriers industriels déclinent. Ces nouveaux métiers sont concentrés dans les petites et moyennes entreprises, ou les grandes start-up (chauffeurs Uber par exemple).

Les conflits sociaux se sont transformés tout comme l’appréhension des inégalités. Pour F. Dubet (Les Places et les Chances, 2010), les politiques d’égalités des chances se substituent dans les années 1980 aux politiques d’égalité des places. Ainsi, l’égale probabilité d’accès à une position sociale valorisée et avantageuse devient plus importante que l’amélioration de la situation de l’ensemble des individus. La lutte contre les discriminations (minorités, genre, etc) deviennent alors une priorité (à l’embauche par exemple) au lieu de celle contre les inégalités sociales, sur un fond de remise en cause de l’État-providence. S. Beaud et M.

Pialoux (Retour sur la condition ouvrière, 1999) considèrent que la cohésion du monde ouvrier s’est effritée, avec une tension entre les ouvriers qualifiés et non-qualifiés, ainsi que les intérimaires et les détenteurs d’un emploi stable.

• Être ouvrier n’est plus associé à la pauvreté. S. Bosc (Stratification et classes sociales, 2008) constate qu’à la suite des Trente Glorieuses, les ouvriers ont connu une augmentation sans précédent du pouvoir d’achat et un accès à l’école secondaire pour leurs enfants. Ce faisant, les revendications associés à la précarité ouvrière ont laissé place à d’autres revendications davantage identitaire au sein des classes populaires. Alors que 39 % des français déclaraient appartenir à la classe ouvrière en 1966, ils ne sont plus que 24 % à le déclarer en 2002. Cette baisse du sentiment d’appartenance à la classe ouvrière s’accompagne d’une forte baisse du taux de syndicalisation qui passe de près de 25 % dans les années 1960-1970 à 11 % en 2016. Les conflits sociaux sont plus défensifs que revendicatifs (protection contre la délocalisation des usines que des améliorations de salaires).

1.4.1.5 Une recomposition des classes populaires

En 2010, 15 sur 28 millions de personnes appartiennent aux employés et aux ouvriers. 60 % des inactifs sont d’anciens ouvriers ou employés. En 2006, un salarié sur cinq est ouvrier ou employé non qualifié, soit 5,5 millions de personnes.

Le groupe ouvrier est devenu relativement hétérogène. Il y a une différence nette de chômage entre les ouvriers qualifiés (titulaires d’un bac pro) contre les non-qualifiés (CAP, BEP, sans diplôme). En 2010, le taux de chômage des ouvriers non qualifiés atteignait jusqu’à 19,5% contre 9,9% pour les ouvriers qualifiés.

La désindustrialisation a conduit à la tertiarisation et la féminisation de l’activité économique. Or, la prolétarisation d’une partie des employés (personnels de service, caissiers) ont des conditions de travail et d’existence très voisines de celle des ouvriers, voire inférieures à celle des ouvriers qualifiés, ce qui renforce le poids des catégories populaires dans la société française. C. Peugny (Le destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale, 2013), le clivage entre qualifiés et non qualifiés a progressivement supplanté celui des employés des ouvriers, réunissant les ouvriers et les employés non qualifiés dans une catégorie sociale très proche ;

1.4.1.6 Des classes populaires toujours touchées par les inégalités

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Les classes populaires sont touchées par des inégalités économiques. Les classes populaires subissent de fortes inégalités économiques et sociales. En 2010, le niveau de vie moyen des ouvriers et des employés est deux fois plus faible que celui des cadres. Ainsi, les ouvriers et les employés connaissent des écarts de salaires horaires qui vont de 15 à 20 euros. T. Piketty (Le capital au XXIe siècle, 2013) montre que les ouvriers et les employés ont accumulé très peu de patrimoine. Enfin, le chômage touche surtout les ouvriers non qualifiés et les employés.

Les classes populaires sont touchées par des inégalités sociales. En 2008, 65 % des ouvriers et 50 % des employés déclarent ne jamais fréquenter les musées, les monuments historiques, contre 14 % des cadres supérieurs (Enquête du ministère de la Culture, 2011). En 2000, les fumeurs quotidiens représentent en moyenne 33% des homme sde plus de 15 ans. 45% des ouvriers sont fumeurs, 37% des employés, mais 31%

des cadres. Ces différences de consommation s’accompagnent d’inégalités d’espérance de vie. De plus, on trouve 6 % d’obèses parmi les cadres contre 13 % pour les ouvriers en 2003.

Les inégalités sont cumulatives. P. Bourdieu (Les héritiers, 1973) montre que la compétition scolaire produit des inégalités dans l’accès au diplôme, et donc l’accès à une position sociale valorisée. Or, les chances de remporter la compétition scolaire sont très dépendantes de l’origine sociale. E. Maurin (L’égalité des possibles, 2002) montre que les différences de revenus engendrent des différences d’accès à un logement de qualité qui se répercute sur les conditions de travail et la réussite scolaire des enfants.

Pour L. Chauvel (Les classes sociales sont-elles de retour ?, 2003), la classe ouvrière s’est structurée en classe pour soi dans les années 1950, mais la réduction de la pauvreté, la désindustrialisation ont conduit au déclin du sentiment d’appartenance. Or, les inégalités restent toujours présentes et croissante. Le recul de la conflictualité au travail a accru les inégalités, et ce recul est en parti du au déclin du monde ouvrier en tant que classe.

1.4.2 Les classes moyennes : le mythe de la moyennisation ? 1.4.2.1 L’émergence de la classe moyenne

Les classes moyennes apparaissent au XIXe siècle dans les pays développés. L’expression est synonyme de petite bourgeoisie au XIXe siècle. Pour C. Carle (Histoire sociale de la France au XIXe siècle, 1991), l’expression prend un autre sens : elle sert à englober tous les individus qui ne s’apparentent ni à la bour- geoisie, ni au peuple. Pendant la première partie du XIXe siècle, il y a trois groupes sociaux majeurs : la paysannerie, la classe ouvrière et la bourgeoisie. Initialement, K. Marx (Le Capital, 1867) pense que les couches intermédiaires de la société seront absorbées par le prolétariat.

Or, la fonctionnarisation de l’économie, la bureaucratisation des entreprises, et le déclin des indépendants entraînent un recrutement massif d’employés administratifs qui vont composer la classe moyenne. Le nombre de fonctionnaires double entre 1858 et 1896 : de 217 00 à 416 000, militaires exclus. Par ailleurs, la crise économique de 1929, et les conflits mondiaux conduisent à faire disparaître la classe de rentiers au moment de l’après Seconde Guerre Mondiale. Dans le discours de Grenoble de 1872, L. Gambetta exhorte ces « couches nouvelles » à s’affirmer dans la nouvelle société, et fonder l’assise politique de la IIIe république.

Pour H. Mendras (La Seconde Révolution française (1964-1985), 1988), la moyennisation de la société aboutit à un effacement des frontières de classes. La société ne doit plus être représentée de façon pyramidale, mais cosmographique sous forme de toupie. La constellation populaire forme la base de la toupie et représente 30 % de la population, la constellation centrale (c’est-à-dire les classes moyennes) près de 25 %, et les indépendants traditionnels 15 %. Les deux pointes de la toupie sont formées par les pauvres pour le bas (7

%), et par l’élite pour le haut (3 %).

Les nouvelles classes moyennes salariées (cadres liés aux chefs d’entreprises, enseignants, professions inter- médiaires) jouent un rôle majeur dans la société en diffusant leurs normes et leurs valeurs. La constellation centrale permet d’infuser la foi dans le progrès, le libéralisme culturel (droit des femmes et lutte contre les discriminations), la science et la modernisation, l’individualisme sans négliger une forme de solidarité sociale. C. Bidou (Les Aventuriers du quotidien. Essai sur les nouvelles classes moyennes, 1984) a mis en

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évidence le rôle joué par les nouvelles classes moyennes dans le changement social : tissu associatif, prise de responsabilité dans la société civile, dans l’éducation, et dans la vie politique. Ils se situent dans une position intermédiaire dans l’échelle des revenus.

1.4.2.2 Qui sont les classes moyennes ?

Le sentiment d’appartenance à la classe moyenne est largement partagé par la population jusqu’aux années 2000, sans correspondre pour autant à la réalité statistique. Entre 40 et 66% des français estiment dans la classe moyenne au début des années 2000. Pour S. Bernstein (Les classes moyennes devant l’histoire, 1993), les classes moyennes se définissent davantage par un sentiment commun que par des critères objectifs. En effet, l’identité de la classe moyenne repose sur la possibilité, et la volonté, de s’élever socialement.

Pour autant, sur quels critères objectifs fonder l’existence des classes moyennes ?

Pour le Crédoc, les classes moyennes correspondent à l’ensemble des individus dont le revenu est compris entre 75 % et 150 % du revenu médian. Le problème de la seule utilisation d’un critère économique est qu’elle conduit à exclure des professions moins valorisées économiquement mais qui font parti des classes moyennes, et inversement.

Les références actuelles sur le sujet en sociologie (E. Maurin, L. Chauvel entre autres) préfèrent s’appuyer sur les catégories socio-professionnelles, qui permet de donner plus de cohérence à la constitution des classes moyennes comme groupe. Cependant, là encor, la profession est un outil approximatif de classification. Par exemple, si certains chefs d’entreprises (de moins de 10 salariés) appartiennent aux classes moyennes, ce n’est pas le cas de l’ensemble des chefs d’entreprises qui appartiennent aux classes supérieures. On a tendance à considérer les professions intermédiaires comme le noyau des nouvelles classes moyennes, avec les employés qualifiés et les cadres dont le revenu est proche du salariat intermédiaire.

Les cadres font-ils partis de la classe moyenne ?

L. Boltanski (Les Cadres, la formation d’un groupe social, 1982) constate l’émergence des cadres comme groupes social. L’identité sociale de ce groupe s’est appuyée sur un ensemble méditations politiques (création de la Conférence Générale des Cadres en 1944), culturelles (journaux dédiés aux cadres et au mode de vie du cadre américain moyen comme L’Express), et institutionnelles (multiplication des écoles de commerce et d’ingénieurs, classification professionnelle par l’INSEE à partir de 1954). Les cadres cherchent a se différencier de la classe ouvrière mais également de la bourgeoisie possédante (ils ne restent que salariés).

La complexité organisationnelle des entreprises depuis les Trente Glorieuses a conduit au développement des emplois administratifs et des cadres intermédiaires. Dans les entreprises ou les administrations, les cadres occupent par définition des postes de responsabilité ou de commandement, sans pour autant donner d’ordres ou avoir un poste de direction. Leur position est donc relativement complexe socialement : sans être rentiers, ils ont des conditions de vies relativement éloignée des autres membres de la classe moyenne.

Pour P. Bouffartigue (Les Cadres. Fin d’une figure sociale, 2001), la banalisation du statut de cadre depuis les années 1980 peut justifier de les intégrer aux classes moyennes lorsqu’ils exercent des fonctions d’études ou de gestion, et non d’encadrement, soumis à un fort contrôle hiérarchique.

Nouvelles et anciennes classes moyennes

L. Chauvel (Les classes moyennes à la dérive, 2006) donne une définition extensive des classes moyenne, où il intègre pêle-mêle les hauts fonctionnaires, les employés ou ouvriers qualifiés, les chefs d’entreprises, les artisans modestes, etc.

Il distingue les anciennes des nouvelles classes moyennes, avec à chaque fois le niveau supérieur et intermé- diaire. Les classes moyennes étaient anciennement définies par les professions libérales et les indépendants, et dorénavant par les salariés.

Les nouvelles classes moyennes supérieures correspondent aux hauts fonctionnaires, enseignants du supérieurs, ingénieurs, et les classes moyennes intermédiaires aux employés, bureaucrates, techniciens dis- posant d’une autonomie. Les anciennes classes moyennes supérieures correspondaient aux chefs d’entreprises

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et à la bourgeoisie possédante, et les anciennes classes moyennes intermédiaires aux artisans et commerçant dont le revenu est avant tout fondé sur le revenu du travail.

Les classes moyennes forment un ensemble social relativement hétérogène. Si les individus des classes moyennes partagent quelques traits communs, en particulier la détention d’un diplôme et donc d’un em- ploi qualifié, il y a des différences de structure de capital dans le sens bourdieusien. Les indépendants ont davantage un capital économique que culturel, et inversement pour les salariés, un mode de vie ascétique pour les premiers et hédoniste pour les seconds. Les indépendants ont plus tendance à voter à droite, comme les salariés du privé, tandis que les fonctionnaires à gauche. Ces différences se retrouvent dans les taux de syndicalisation (plus fort dans le public que dans le privé).

1.4.2.3 L’apogée des classes moyennes dans les années 1980

Pour L. Chauvel (La spirale du déclassement, 2016), une société de classes moyennes se fonde sur sept piliers : une société salariale qui garantit statut et protection aux travailleurs, où le salaire moyen est suffisant pour vivre confortablement, une protection sociale généralisée ouverte par le salaire, expansion scolaire permettant des courants de mobilité sociale ascendante, une croyance fondée empiriquement dans le pogrès scientifique, social et humain, une prise de contrôle de la sphère politique par les catégories intermédiaires de la société aux travers de syndicats, d’association set mouvements sociaux, et enfin la promotion d’objectifs mesurés au regard des contraintes réelles. Cela a pu correspondre à la situation des Trente Glorieuses en France.

J. Fourastié (Le grand espoir du XXe siècle, 1949) : le changement social se fonde sur l’expansion salariale, la hausse du nombre de diplômés sans inflation des titres, la mobilité structurelle ascendante, la hausse du niveau de consommation, une meilleure capacité à épargner, et la certitude d’offrir des études et un emploi meilleur aux générations suivantes.

1.4.2.4 Les classes moyennes, une espèce menacée dans les pays développés ?

Pour L. Chauvel (Les classes moyennes à la dérive, 2006), les générations entrées sur le marché du travail dans les années 1980 ne bénéficient pas des mêmes perspectives, ni même des conditions socio-économiques des années précédentes. Par exemple, concernant le pouvoir d’achat, en 1975,le rythme de progression du pouvoir d’achat du salaire ouvrier permettait un rattrapage du pouvoir d’achat des cadres en 35 ans, contre 135 ans en 2013. De même, l’évolution du prix de l’immobilier, en particulier dans les centre-villes a accru les valeurs des patrimoines détenus par les baby-boomers mais a rendu difficile l’accès à l’immobilier pour les générations suivantes. Enfin, le système de redistribution profite aux plus pauvres tout en épargnant fiscalement les plus riches d’où une forme de précarisation de la classe moyenne.

Les professions associées aux classes moyennes disparaissent de plus en plus, ou se précarisent. D’une part, pour A. Reshef et F. Toubal (La polarisation de l’emploi en France, 2019),les emplois se sont fortement polarisés sur la période 1994-2014 : les emplois à salaire intermédiaire ont reculé au profit des emplois à bas salaire et à haute rémunération. Les emplois de classe moyenne se sont raréfiés ou ont même, pour certains, disparu contribuant fortement au sentiment d’un déclassement irréversible. Cette polarisation est principalement due aux effets de la concurrence internationale et de l’automatisation, où les tâches routinières traditionnellement occupés par les catégories intermédiaires ont pu être supprimées.

D’autre part, les professions associées aux classes moyennes ont connu une dévalorisation tant économique que sociale. Le chômage touche également les cadres dans une proportion relativement significative. S.

Bosc (Sociologie des classes moyennes, 2008) constate que la massification scolaire a rendu les conditions d’exercice des professeurs plus difficiles tout en diminuant leur prestige social dans la société. On bascule dans une société de post-abondance, où il y a peu de croissance de revenus pour ceux qui ne disposent uniquement de leur activité professionnel. Depuis 1984, par exemple, les jeunes doivent travailler deux ou trois fois plus longtemps pour acheter la même surface dans le même quartier.

Pour certains auteurs, le diplôme n’a plus le même rendement qu’auparavant. Le paradoxe d’Anderson (1961) met en évidence, aux États-Unis, que les générations plus diplômés que leurs parents occupent une

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position sociale qui leur est inférieure ou égale. Pour S. Bosc (2008), le paradoxe d’Anderson s’explique par un déséquilibre entre l’offre de places dans la classe moyenne et la demande : ce qui conduit à une inflation des titres (déclassement scolaire). Certaines positions sociales ont également été dévaluées au cours du temps (professeurs, infirmières). Enfin, L. Chauvel (2006) considère que la valeur du baccalauréat sur le marché du travail a chuté entre 1968 et 1998.

1.4.2.5 Une dérive contestée

Pour E. Maurin et D. Goux (Les nouvelles classes moyennes, 2012), il existe actuellement trois classes en France : la classe supérieure (les CPIS et les chefs d’entreprises, 20 % de la population active), la classe moyenne (le petit patronat traditionnel, soit les artisans et commerçants ainsi que les professions intermédiaires, comme les cadres B de la fonction publique ou les professeurs des école,s qui forment 30 % de la population active) et enfin les classes populaires (les ouvriers et les employés, 50 % de la population active). Pour ces auteurs, la classe moyenne bénéficie d’une forte stabilité professionnelle (favorisée par des compétences tacites au sein des entreprises, et des promotions internes).

Les classes moyennes n’ont jamais été aussi importantes historiquement. : 30 % des actifs en 2009 contre 20

% en 1960.

Pour C. Peugny (Le déclassement, 2009), la proportion de cadres supérieurs et de professions intermédiaires parmi les enfants d’employés et ouvriers qualifiés (hommes, à l’âge de 40 ans) est passée de 32 % pour les cohortes nées entre 1944 et 1948 à 24 % pour celles nées entre 1964 et 1968. En revanche, elle est maintenue stable pour les classes moyennes, où la reproduction et l’ascension sociale prime.

1.4.2.6 Une remise en cause du déclassement (intergénérationnel, professionnel, et scolaire) Déclassement intergénérationnel : pour un individu, il s’agit d’occuper une position sociale supérieure à celle de ses parents.

Déclassement professionnel (ou intra-générationnel) : pour un individu, il s’agit de perdre son statut social (licenciement par exemple, accompagné d’un chômage de longue durée).

Déclassement scolaire : pour un individu, il s’agit d’exercer un emploi dont les compétences sont inférieures à celles qualifications, certifiées par son diplôme.

Plus d’ascension que de descension sociale

E. Maurin (La peur du déclassement, 2009) constate une augmentation de la part des cadres parmi les enfants d’ouvriers ou de professions intermédiaires. En 2009, parmi les 30-39 ans, on compte à peine 13,5

% de déclassés au sein du salariat intermédiaire contre 46 % de personnes en ascension sociale par rapport à leurs parents. Parmi les personnes issues des classes moyennes, la proportion s’élevant au-dessus de leur milieu d’origine est de 15% au sein de la cohorte née en 1952 et de 21% née en 1970.

La peur du déclassement professionnel

En 2007, l’Insee recense 14 800 sans abris, 100 000 d’après les associations, soit 0,16 % de la population au maximum. Or, d’après un sondage, 48 % des français pensent qu’ils pourraient devenir SDF un jour, en 2006, et ce taux augmente à 60 % juste après la crise de 2008.

Pour E. Maurin (2009), la peur de licenciement est fondée : elle s’accompagne en général d’une longue période de chômage, la probabilité élevé de retrouver un emploi faiblement valorisé socialement, etc. Le déclassement professionnel touche néanmoins principalement les ouvriers et les employés de PME. La plupart des français restent à l’abri du déclassement professionnel, en particulier

Une démocratisation scolaire anxiogène

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Il y a eu une forte massification scolaire au sien de la société. En 1975, parmi les personnes sorties de l’école depuis mon de 5 ans, on compte près de 4,4 fois plus de personnes non diplômées que de diplômés du supérieur. En 2008, il y a près de trois fois plus de diplômés que de non-diplômés.

Pour E. Maurin (2009), la valeur privée du diplôme a augmenté : les avantages statutaires auquel un diplôme donne accès se sont renforcés. Donc, l’importance de la réussite scolaire pour les classes moyennes est d’autant plus important (différence très importante de chômage entre diplômés et non-diplômés). Comme le coût de l’échec scolaire est très élevé, les familles mettent en place des stratégies pour maintenir leur position (contournement de la carte scolaire, choix de résidence dans quartiers favorisés, écoles privées, . . . ). Les classes moyennes ont donc largement profité de la massification de l’enseignement secondaire puis supérieur, mais la compétition scolaire a eu un effet anxiogène sur ces familles.

Pour autant, E. Maurin (2020) revient en partie sur cette position : il constate que la massification scolaire a effectivement conduit à une augmentation importante de la part de diplômés à exercer des emplois non- qualifiés entre 1980 et 2020, conduisant à une éviction des travailleurs non-qualifiés du marché du travailleur.

Pour lui, une des causes principales est l’automatisation des tâches.

L. Chauvel (La spirale du déclassement, 2016) réitère néanmoins le constat d’un déclassement professionnel:

les professions intermédiaires, noyau dur des classes moyennes, ont été vulnérabilisées par les évolutions économiques récentes (crise, progrès technique, mondialisation) : en 2010, leur niveau de vie ne dépassait plus que de 17 % celui de la moyenne des ménages contre près de 40 % à la fin des années 1970.

1.4.3 Les couches supérieures

1.4.3.1 Une définition plurielle qui a évoluée au cours du temps

La notion de classe supérieure est plurielle, elle ne se retreint pas à l’élite politique. S. Bosc (Stratifica- tion sociale et société, 2003) considère qu’il faut distinguer les classes supérieures des catégories dirigeantes (responsables politiques au pouvoir, les hauts fonctionnaires, les dirigeants économiques, ou encore les intel- lectuels). Jusqu’au début du XXe siècle, l’élite était définie par la bourgeoisie et l’aristocratie, monde social non assujetti au travail, bien pourvu en patrimoine, jouissant d’un train de vie confortable, ayant accès aux biens et services les plus valorisés et disposant de relations sociales étendues.

Il y a trois pôles qui permettent de situer les classes supérieures :

• le pôle de la fortune (le capital économique, possession d’un patrimoine, renvoie à la bourgeoisie possédante). Pour la bourgeoisie possédante, l’activité professionnelle est secondaire par rapport à la gestion et à la transmission du patrimoine.

• le pôle du pouvoir. Les dirigeants peuvent venir de grandes familles, mais également dans d’autres milieux (en excluant la question de la reproduction sociale). Au sein de ce pôle, il faut différencier le pouvoir économique (qui se distingue du pôle de la fortune, et est incarné par les chefs d’entreprises et les managers), le pouvoir politique (la haute fonction publique), et le pouvoir culturel partagé par les médias et les intellectuels.

• un pôle de l’entre-deux caractérisé par les interférences réciproques du patrimoine et du statut profes- sionnel. Des positions salariales solides permettent l’accès au patrimoine (cadres qui obtiennent des stock-options).

Aujourd’hui, on ne peut pas ranger l’intégralité d’un groupe professionnel dans l’ensemble des classes supérieures. On range dans cette catégorie principalement les cadres supérieurs, les chefs d’entreprises importants, le personnel dirigeant, les professeurs détenteurs d’un pouvoir académique, certaines professions libérales (médecins, avocats, etc.)

On peut définir l’élite comme les riches et des puissants d’un pays, avec différentes fractions en fonction des différents pôles. Pour autant, plusieurs éléments rassemblent ces différents fractions des élites. Premièrement,

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les hauts fonctionnaires ont la même origine sociale, majoritairement bourgeoise. Ils sont recrutés selon une logique de sursélection scolaire et sont socialisés dans les mêmes écoles que les managers du privés.

Deuxièmement, les hauts fonctionnaires pantouflent (abandonnent la fonction publique pour le public), existence de clubs de discussions où les élites se rencontrent (Le Siècle).

W. Rostow (Les étapes de la croissance économique, 1960) considère que la formation d’une élite éclairée, dont le mode de vie est en avance sur le temps, est favorable au développement économique.

Pour M. Crozier (La crise de l’intelligence : essai sur l’impuissance des élites à se réformer, 1995), les élites sont conformistes en raison de leur formation (ENA, HEC). Les élites ne remplissent pas leur rôle de guider la société vers le progrès ; bien au contraire, elles sont contre-productives. Beaucoup de dirigeants n’arrivent pas à appréhender la complexité des systèmes humains. D’où une multiplication de rapports inutiles qui répondent davantage à la logique bureaucratique des administrations qu’à un réel besoin, ou une véritable volonté de s’informer. La déconnexion des élites avec les catégories populaires a été un des principaux leitmotiv des gilets jaunes en 2019.

1.4.3.2 Le passage d’une société de rentiers à une société de cadres T. Piketty (2011)

Les inégalités de revenus et de patrimoine sur l’ensemble du XXe siècle montrent la fin des rentiers. A la veille de la Première Guerre Mondiale, en France, la part des 1 % des revenus les plus élevés (le « centile supérieur » de la distribution) est ainsi passée de plus de 20 % du revenu total des ménages en 1900-1910 à environ 8-9 % en 2010. Les très riches vivaient davantage de rentes et de divendes qu’un salaire confortable de cadre.

Les patrimoines sont devenus moins concentrés que par le passé. Le 1 % des successions les plus importantes représentaient au début du XXe siècle plus de 50 % du patrimoine total, contre moins de 20 % aujourd’hui.

Les inégalités économiques passent aujourd’hui principalement à l’intérieur du travail et peuvent être plus aisément justifiées par des considérations méritocratiques que par le passé.

Comment expliquer la fin des rentiers ?

La fin des rentiers s’explique par les destructions de patrimoine sur la période 1914-1970 : destruction de physique de capital pendant les guerres, faillites d’entreprises à la suite de la crise de 1929, et élagage des patrimoines par l’inflation. La mise en place de la fiscalité progressive, à partir de 1914, en France, empêche de reconstituer des patrimoines aussi importants que par le passé.

La révolution managériale

J. Burnham (The Managerial Revolution, 1941) : les grandes entreprises ne sont plus dirigées par leurs pro- priétaires, mais par des managers. Ces managers sont formés dans le grandes écoles de commerce, d’ingénieurs ou encore d’administration (HEC, Polytechnique, ENA, . . . ). Or, P. Bourdieu et M. De Saint-Martin (Le patronat, 1978) montrent que les managers sont issus eux-mêmes de classe supérieure, la transmission par la famille de capitaux culturel élevés sont un atout essentiel pour passer le cap de la sur-sélection scolaire et professionnelle.

1.4.3.3 L’enrichissement des plus riches depuis les années 1980

T. Piketty (Le Capital au XXIe siècle, 2013) constate une augmentation des inégalités de revenus à partir de 1980. Le décile supérieur américain percevait 35 % du revenu national en 1980 contre 48 % en 2010.

Cette hausse est principalement dû au top « 1 % » des revenus, qui captent 20 % des revenus. Deux tiers de ces inégalités salariales s’expliquent par la hausse des salaires des « super cadres » et un tiers pour l’accroissement des revenus du capital.

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A. Atkinson, T. Piketty et E. Saez (2011) montrent que le poids de la rémunération des 1 % les mieux payés est passé de 5,1 % de la masse salariale en 1970, à 9,3 % en 1995 pour stabiliser aux alentours de 11-12 % depuis la crise de 2008.

C. Landais (2008) : De 1998 à 2006, alors que le salaire réel moyen des 90% les moins biens payés n’a progressé que de 0,9% la rémunération moyenne des 10% des plus hauts revenus salariés a gagné 8,2% et en leur sein les 1% les plus élevés, 18,3% et même 68,9% pour les 0,01% des plus hauts revenus salariés.

Comment expliquer la très forte hausse des revenus salariaux de la partie supérieure de la distribution ?

• Une augmentation de la rémunération des dirigeants d’entreprises. Par exemple, les cent PDG les mieux rémunérés, aux États-Unis, ont bénéficié d’une multiplication par plus de 30 de leur rémunération réelle entre 1970 et 2006. Ces augmentations ont été justifiées par la théorie de l’agence, afin d’inciter les dirigeants à avoir à cœur les intérêts de l’entreprise. BJ. Hall et K. Murphy (2002) montre l’absence d’impact de ces augmentations sur les performances économiques de l’entreprise. Une autre justification a pu être que de petites différences de productivité entre managers peuvent avoir un impact très important sur la valorisation boursière de l’entreprise, et donc on cherche, dans une économie de superstar à attirer les meilleurs managers par des salaires très attractifs. Ce faisant, ces hausses de rémunérations ont principalement lieu dans les grandes entreprises cotées (X. Gabaix, A. Landier, 2007). Pour autant, F. Kramarz et D. Thesmar (2007) montrent que la participation réciproque d’un PDG au CA d’une entreprise réduit leur probabilité de perdre leur poste et augmente leur rémunération.

Il y a un effet de pair : le CA augmente la rémunération du dirigeant pour en retour qu’il augmente la rémunération du CA. Ce serait davantage ce mécanisme qui serait à l’œuvre dans les augmentations de salaire de la période 1980-2005.

• Un poids plus important du secteur financier dans l’ensemble des salaires. Le phénomène est très marqué dans les pays anglo-saxons singulièrement et aux US où le poids des rémunérations de la finance est passé de 6% à plus de 11% de la masse salariale, alors que leur poids dans les heures travaillées n’a que faiblement progressé. Pour C. Célérier (2010), les ingénieurs dans le secteur financier bénéficient d’une sur-rémunération par rapport aux ingénieurs d’autres activités, à compétence égale. De moins de 10 % durant la décennie 1980, cette sur-rémunération moyenne aurait dépassé 15 % dans la décennie 1990 pour atteindre 25 % au milieu des années 2000. Elle aurait reflué à environ 20 % en 2008, ce qui demeure très au-delà du niveau des années 1980. La rente dans la finance est davantage liée à la dérégulation financière qu’aux qualifications et à la technologie (T. Phillippon, A. Reshef, 2009).

Enfin, O. Godechot (Hold-up en finance, 2006) a mis en évidence le risque de hold-up (au sens de O. Williamson) en finance : certains salariés des entreprises financières disposent d’un contrôle et de connaissances sur des actifs spécifiques, ce qui peut exposer une firme à des pertes considérables en cas de départs de ces salariés. Ce faisant, ces derniers ont un pouvoir de négociation important avec leurs dirigeants, et parviennent à obtenir des augmentations salariales considérables.

1.4.3.4 Le retour des rentiers est-il possible ? Pour T. Piketty (2015), la fiscalité forge la société d’un point de vue économique. Or, les pays, en particulier la France, se livrent à une concurrence fiscale im- portante, ce qui conduit à baisser les taux d’impositions sur le revenu. De plus, les privatisations d’entreprises publiques ont conduit à des gains importants en termes de dividendes et les bénéficies réels des entreprise sont souvent captés intégralement par les actionnaires, en l’absence d’une véritable fiscalité sur le capital.

1.4.3.5 La sociologie de la bourgeoisie

M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot (La sociologie de la bourgeoisie, 2007) analysent en détail bourgeoisie socialement. Pour eux, la bourgeoisie actuelle constitue à la fois une classe en soi et également une classe pour soi. C’est une classe en soi car les individus appartenant à la bourgeoisie sont très similaires (détention d’un volume et d’une structure de capitaux – économiques, sociaux, culturels, et symboliques). Le fait surprenant, c’est que si la conscience de classe ouvrière a disparu, la bourgeoisie est caractérisée par une

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forte conscience de classe. Cette conscience passe par une culture commune (normes, valeurs, opinions, représentations). Les classes bourgeoises mettent en place des stratégies résidentielles (entre-soi résidentiel comme la Villa Montmorency dans le XVIe) ou de socialisation (contrôle des relations sociales avec les enfants, rallyes pour orienter le futur matrimonial, dîners et réceptions pour augmenter le capital social). La reproduction sociale est quasi-assurée dans ces milieux.

Comme l’a dit W. Buffet en 2006 : « Il y a une lutte des classes, bien sûr, mais c’est ma classe, celle des riches qui fait la guerre. Et nous gagnons ».

1.5 Des évolutions de catégories plus spécifiques

1.5.1 La fin des paysans ?

1.5.1.1 Un monde paysan jusqu’en 1945

G. Duby (1962) considère que le monde entier est rural jusqu’au IXe siècle. Ce n’est qu’avec l’urbanisation que se développe un monde paysan spécifique subordonné, en partie au moins, aux villes (développement du féodalisme au Moyen-Âge par exemple). Le monde paysan est caractérisé par une solidarité mécanique (E.

Durkheim, 1901)

Pour M. Bloch (Les caractères originaux de l’histoire rurale française, 1931), le monde paysan est passé d’une solidarité mécanique à un « individualisme agraire ». En effet, au XIXe siècle, l’abolition des servitudes collectives (droit de vaine pâture) et l’établissement de clôtures (à l’image du mouvement des enclosures en Grande-Bretagne) par les parlements provinciaux français ont favorisé le développement agricole sans pour autant suivre le même rythme qu’au Royaume-Uni.

Pendant le Second Empire (1852-1870), on constate un enrichissement relatif du monde paysan grâce à l’augmentation conjointe de la demande et des prix des produits agricoles. La crise de 1882 réduit la part d’ouvriers agricoles proto-industriels (baisse de la demande) et de grands propriétaires (baisse de la rente foncière, qui conduit à la cession de terrain). Ce faisant, le monde rural français se structure autour des propriétaires exploitants, qui représentent 52 % de la population rurale en 1882.

La France est caractérisée par l’importance de sa population rurale jusqu’en 1945. En 1911, le secteur pri- maire représente 42 % des emplois contre 7 % au Royaume-Uni. Ces différences s’expliquent par l’importance de la révolution technique britannique qui a conduit à un exode rural massif et une industrialisation rapide au XIXe siècle. A l’inverse, en France, les changements techniques ont été très lents à se mettre en place.

La paysannerie représente une force politique importante jusqu’aux années 1940. La création d’un ministère indépendant de l’Agriculture en 1881, l’instauration d’un protectionnisme modéré sur les produits agricoles par J. Méline en 1892, ou encore la création du Crédit Agricole en 1898 sont autant d’exemple du poids de la paysannerie sur le monde politique. En 1912, l’Union centrale des syndicats agricoles revendique près d’un million de membres..

1.5.1.2 De la fin des paysans à la naissance des agriculteurs depuis 1945

H. Mendras (Les paysans et la modernisation, 1958) montre que l’adoption d’une innovation dans une village paysan ne peut passer que par une adhésion collective au changement, faute de quoi les individus l’adoptant seront perçus comme déviants et sanctionnés.

H. Mendras (La fin des paysans, 1967) distingue trois catégories au sein du monde rural.

• Le sauvage : individu appartenant à une communauté autarcique, (auto-suffisante, coupé du monde extérieure)

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