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Les couches supérieures

Dans le document Les transformations des structures sociales (Page 16-19)

1.4 Les évolutions des grandes strates

1.4.3 Les couches supérieures

1.4.3.1 Une définition plurielle qui a évoluée au cours du temps

La notion de classe supérieure est plurielle, elle ne se retreint pas à l’élite politique. S. Bosc ( Stratifica-tion sociale et société, 2003) considère qu’il faut distinguer les classes supérieures des catégories dirigeantes (responsables politiques au pouvoir, les hauts fonctionnaires, les dirigeants économiques, ou encore les intel-lectuels). Jusqu’au début du XXe siècle, l’élite était définie par la bourgeoisie et l’aristocratie, monde social non assujetti au travail, bien pourvu en patrimoine, jouissant d’un train de vie confortable, ayant accès aux biens et services les plus valorisés et disposant de relations sociales étendues.

Il y a trois pôles qui permettent de situer les classes supérieures :

• le pôle de la fortune (le capital économique, possession d’un patrimoine, renvoie à la bourgeoisie possédante). Pour la bourgeoisie possédante, l’activité professionnelle est secondaire par rapport à la gestion et à la transmission du patrimoine.

• le pôle du pouvoir. Les dirigeants peuvent venir de grandes familles, mais également dans d’autres milieux (en excluant la question de la reproduction sociale). Au sein de ce pôle, il faut différencier le pouvoir économique (qui se distingue du pôle de la fortune, et est incarné par les chefs d’entreprises et les managers), le pouvoir politique (la haute fonction publique), et le pouvoir culturel partagé par les médias et les intellectuels.

• un pôle de l’entre-deux caractérisé par les interférences réciproques du patrimoine et du statut profes-sionnel. Des positions salariales solides permettent l’accès au patrimoine (cadres qui obtiennent des stock-options).

Aujourd’hui, on ne peut pas ranger l’intégralité d’un groupe professionnel dans l’ensemble des classes supérieures. On range dans cette catégorie principalement les cadres supérieurs, les chefs d’entreprises importants, le personnel dirigeant, les professeurs détenteurs d’un pouvoir académique, certaines professions libérales (médecins, avocats, etc.)

On peut définir l’élite comme les riches et des puissants d’un pays, avec différentes fractions en fonction des différents pôles. Pour autant, plusieurs éléments rassemblent ces différents fractions des élites. Premièrement,

les hauts fonctionnaires ont la même origine sociale, majoritairement bourgeoise. Ils sont recrutés selon une logique de sursélection scolaire et sont socialisés dans les mêmes écoles que les managers du privés.

Deuxièmement, les hauts fonctionnaires pantouflent (abandonnent la fonction publique pour le public), existence de clubs de discussions où les élites se rencontrent (Le Siècle).

W. Rostow (Les étapes de la croissance économique, 1960) considère que la formation d’une élite éclairée, dont le mode de vie est en avance sur le temps, est favorable au développement économique.

Pour M. Crozier (La crise de l’intelligence : essai sur l’impuissance des élites à se réformer, 1995), les élites sont conformistes en raison de leur formation (ENA, HEC). Les élites ne remplissent pas leur rôle de guider la société vers le progrès ; bien au contraire, elles sont contre-productives. Beaucoup de dirigeants n’arrivent pas à appréhender la complexité des systèmes humains. D’où une multiplication de rapports inutiles qui répondent davantage à la logique bureaucratique des administrations qu’à un réel besoin, ou une véritable volonté de s’informer. La déconnexion des élites avec les catégories populaires a été un des principaux leitmotiv des gilets jaunes en 2019.

1.4.3.2 Le passage d’une société de rentiers à une société de cadres T. Piketty (2011)

Les inégalités de revenus et de patrimoine sur l’ensemble du XXe siècle montrent la fin des rentiers. A la veille de la Première Guerre Mondiale, en France, la part des 1 % des revenus les plus élevés (le « centile supérieur » de la distribution) est ainsi passée de plus de 20 % du revenu total des ménages en 1900-1910 à environ 8-9 % en 2010. Les très riches vivaient davantage de rentes et de divendes qu’un salaire confortable de cadre.

Les patrimoines sont devenus moins concentrés que par le passé. Le 1 % des successions les plus importantes représentaient au début du XXe siècle plus de 50 % du patrimoine total, contre moins de 20 % aujourd’hui.

Les inégalités économiques passent aujourd’hui principalement à l’intérieur du travail et peuvent être plus aisément justifiées par des considérations méritocratiques que par le passé.

Comment expliquer la fin des rentiers ?

La fin des rentiers s’explique par les destructions de patrimoine sur la période 1914-1970 : destruction de physique de capital pendant les guerres, faillites d’entreprises à la suite de la crise de 1929, et élagage des patrimoines par l’inflation. La mise en place de la fiscalité progressive, à partir de 1914, en France, empêche de reconstituer des patrimoines aussi importants que par le passé.

La révolution managériale

J. Burnham (The Managerial Revolution, 1941) : les grandes entreprises ne sont plus dirigées par leurs pro-priétaires, mais par des managers. Ces managers sont formés dans le grandes écoles de commerce, d’ingénieurs ou encore d’administration (HEC, Polytechnique, ENA, . . . ). Or, P. Bourdieu et M. De Saint-Martin (Le patronat, 1978) montrent que les managers sont issus eux-mêmes de classe supérieure, la transmission par la famille de capitaux culturel élevés sont un atout essentiel pour passer le cap de la sur-sélection scolaire et professionnelle.

1.4.3.3 L’enrichissement des plus riches depuis les années 1980

T. Piketty (Le Capital au XXIe siècle, 2013) constate une augmentation des inégalités de revenus à partir de 1980. Le décile supérieur américain percevait 35 % du revenu national en 1980 contre 48 % en 2010.

Cette hausse est principalement dû au top « 1 % » des revenus, qui captent 20 % des revenus. Deux tiers de ces inégalités salariales s’expliquent par la hausse des salaires des « super cadres » et un tiers pour l’accroissement des revenus du capital.

A. Atkinson, T. Piketty et E. Saez (2011) montrent que le poids de la rémunération des 1 % les mieux payés est passé de 5,1 % de la masse salariale en 1970, à 9,3 % en 1995 pour stabiliser aux alentours de 11-12 % depuis la crise de 2008.

C. Landais (2008) : De 1998 à 2006, alors que le salaire réel moyen des 90% les moins biens payés n’a progressé que de 0,9% la rémunération moyenne des 10% des plus hauts revenus salariés a gagné 8,2% et en leur sein les 1% les plus élevés, 18,3% et même 68,9% pour les 0,01% des plus hauts revenus salariés.

Comment expliquer la très forte hausse des revenus salariaux de la partie supérieure de la distribution ?

• Une augmentation de la rémunération des dirigeants d’entreprises. Par exemple, les cent PDG les mieux rémunérés, aux États-Unis, ont bénéficié d’une multiplication par plus de 30 de leur rémunération réelle entre 1970 et 2006. Ces augmentations ont été justifiées par la théorie de l’agence, afin d’inciter les dirigeants à avoir à cœur les intérêts de l’entreprise. BJ. Hall et K. Murphy (2002) montre l’absence d’impact de ces augmentations sur les performances économiques de l’entreprise. Une autre justification a pu être que de petites différences de productivité entre managers peuvent avoir un impact très important sur la valorisation boursière de l’entreprise, et donc on cherche, dans une économie de superstar à attirer les meilleurs managers par des salaires très attractifs. Ce faisant, ces hausses de rémunérations ont principalement lieu dans les grandes entreprises cotées (X. Gabaix, A. Landier, 2007). Pour autant, F. Kramarz et D. Thesmar (2007) montrent que la participation réciproque d’un PDG au CA d’une entreprise réduit leur probabilité de perdre leur poste et augmente leur rémunération.

Il y a un effet de pair : le CA augmente la rémunération du dirigeant pour en retour qu’il augmente la rémunération du CA. Ce serait davantage ce mécanisme qui serait à l’œuvre dans les augmentations de salaire de la période 1980-2005.

• Un poids plus important du secteur financier dans l’ensemble des salaires. Le phénomène est très marqué dans les pays anglo-saxons singulièrement et aux US où le poids des rémunérations de la finance est passé de 6% à plus de 11% de la masse salariale, alors que leur poids dans les heures travaillées n’a que faiblement progressé. Pour C. Célérier (2010), les ingénieurs dans le secteur financier bénéficient d’une sur-rémunération par rapport aux ingénieurs d’autres activités, à compétence égale. De moins de 10 % durant la décennie 1980, cette sur-rémunération moyenne aurait dépassé 15 % dans la décennie 1990 pour atteindre 25 % au milieu des années 2000. Elle aurait reflué à environ 20 % en 2008, ce qui demeure très au-delà du niveau des années 1980. La rente dans la finance est davantage liée à la dérégulation financière qu’aux qualifications et à la technologie (T. Phillippon, A. Reshef, 2009).

Enfin, O. Godechot (Hold-up en finance, 2006) a mis en évidence le risque de hold-up (au sens de O. Williamson) en finance : certains salariés des entreprises financières disposent d’un contrôle et de connaissances sur des actifs spécifiques, ce qui peut exposer une firme à des pertes considérables en cas de départs de ces salariés. Ce faisant, ces derniers ont un pouvoir de négociation important avec leurs dirigeants, et parviennent à obtenir des augmentations salariales considérables.

1.4.3.4 Le retour des rentiers est-il possible ? Pour T. Piketty (2015), la fiscalité forge la société d’un point de vue économique. Or, les pays, en particulier la France, se livrent à une concurrence fiscale im-portante, ce qui conduit à baisser les taux d’impositions sur le revenu. De plus, les privatisations d’entreprises publiques ont conduit à des gains importants en termes de dividendes et les bénéficies réels des entreprise sont souvent captés intégralement par les actionnaires, en l’absence d’une véritable fiscalité sur le capital.

1.4.3.5 La sociologie de la bourgeoisie

M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot (La sociologie de la bourgeoisie, 2007) analysent en détail bourgeoisie socialement. Pour eux, la bourgeoisie actuelle constitue à la fois une classe en soi et également une classe pour soi. C’est une classe en soi car les individus appartenant à la bourgeoisie sont très similaires (détention d’un volume et d’une structure de capitaux – économiques, sociaux, culturels, et symboliques). Le fait surprenant, c’est que si la conscience de classe ouvrière a disparu, la bourgeoisie est caractérisée par une

forte conscience de classe. Cette conscience passe par une culture commune (normes, valeurs, opinions, représentations). Les classes bourgeoises mettent en place des stratégies résidentielles (entre-soi résidentiel comme la Villa Montmorency dans le XVIe) ou de socialisation (contrôle des relations sociales avec les enfants, rallyes pour orienter le futur matrimonial, dîners et réceptions pour augmenter le capital social). La reproduction sociale est quasi-assurée dans ces milieux.

Comme l’a dit W. Buffet en 2006 : « Il y a une lutte des classes, bien sûr, mais c’est ma classe, celle des riches qui fait la guerre. Et nous gagnons ».

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