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Les classes moyennes : le mythe de la moyennisation ?

Dans le document Les transformations des structures sociales (Page 12-16)

1.4 Les évolutions des grandes strates

1.4.2 Les classes moyennes : le mythe de la moyennisation ?

Les classes moyennes apparaissent au XIXe siècle dans les pays développés. L’expression est synonyme de petite bourgeoisie au XIXe siècle. Pour C. Carle (Histoire sociale de la France au XIXe siècle, 1991), l’expression prend un autre sens : elle sert à englober tous les individus qui ne s’apparentent ni à la bour-geoisie, ni au peuple. Pendant la première partie du XIXe siècle, il y a trois groupes sociaux majeurs : la paysannerie, la classe ouvrière et la bourgeoisie. Initialement, K. Marx (Le Capital, 1867) pense que les couches intermédiaires de la société seront absorbées par le prolétariat.

Or, la fonctionnarisation de l’économie, la bureaucratisation des entreprises, et le déclin des indépendants entraînent un recrutement massif d’employés administratifs qui vont composer la classe moyenne. Le nombre de fonctionnaires double entre 1858 et 1896 : de 217 00 à 416 000, militaires exclus. Par ailleurs, la crise économique de 1929, et les conflits mondiaux conduisent à faire disparaître la classe de rentiers au moment de l’après Seconde Guerre Mondiale. Dans le discours de Grenoble de 1872, L. Gambetta exhorte ces « couches nouvelles » à s’affirmer dans la nouvelle société, et fonder l’assise politique de la IIIe république.

Pour H. Mendras (La Seconde Révolution française (1964-1985), 1988), la moyennisation de la société aboutit à un effacement des frontières de classes. La société ne doit plus être représentée de façon pyramidale, mais cosmographique sous forme de toupie. La constellation populaire forme la base de la toupie et représente 30 % de la population, la constellation centrale (c’est-à-dire les classes moyennes) près de 25 %, et les indépendants traditionnels 15 %. Les deux pointes de la toupie sont formées par les pauvres pour le bas (7

%), et par l’élite pour le haut (3 %).

Les nouvelles classes moyennes salariées (cadres liés aux chefs d’entreprises, enseignants, professions inter-médiaires) jouent un rôle majeur dans la société en diffusant leurs normes et leurs valeurs. La constellation centrale permet d’infuser la foi dans le progrès, le libéralisme culturel (droit des femmes et lutte contre les discriminations), la science et la modernisation, l’individualisme sans négliger une forme de solidarité sociale. C. Bidou (Les Aventuriers du quotidien. Essai sur les nouvelles classes moyennes, 1984) a mis en

évidence le rôle joué par les nouvelles classes moyennes dans le changement social : tissu associatif, prise de responsabilité dans la société civile, dans l’éducation, et dans la vie politique. Ils se situent dans une position intermédiaire dans l’échelle des revenus.

1.4.2.2 Qui sont les classes moyennes ?

Le sentiment d’appartenance à la classe moyenne est largement partagé par la population jusqu’aux années 2000, sans correspondre pour autant à la réalité statistique. Entre 40 et 66% des français estiment dans la classe moyenne au début des années 2000. Pour S. Bernstein (Les classes moyennes devant l’histoire, 1993), les classes moyennes se définissent davantage par un sentiment commun que par des critères objectifs. En effet, l’identité de la classe moyenne repose sur la possibilité, et la volonté, de s’élever socialement.

Pour autant, sur quels critères objectifs fonder l’existence des classes moyennes ?

Pour le Crédoc, les classes moyennes correspondent à l’ensemble des individus dont le revenu est compris entre 75 % et 150 % du revenu médian. Le problème de la seule utilisation d’un critère économique est qu’elle conduit à exclure des professions moins valorisées économiquement mais qui font parti des classes moyennes, et inversement.

Les références actuelles sur le sujet en sociologie (E. Maurin, L. Chauvel entre autres) préfèrent s’appuyer sur les catégories socio-professionnelles, qui permet de donner plus de cohérence à la constitution des classes moyennes comme groupe. Cependant, là encor, la profession est un outil approximatif de classification. Par exemple, si certains chefs d’entreprises (de moins de 10 salariés) appartiennent aux classes moyennes, ce n’est pas le cas de l’ensemble des chefs d’entreprises qui appartiennent aux classes supérieures. On a tendance à considérer les professions intermédiaires comme le noyau des nouvelles classes moyennes, avec les employés qualifiés et les cadres dont le revenu est proche du salariat intermédiaire.

Les cadres font-ils partis de la classe moyenne ?

L. Boltanski (Les Cadres, la formation d’un groupe social, 1982) constate l’émergence des cadres comme groupes social. L’identité sociale de ce groupe s’est appuyée sur un ensemble méditations politiques (création de la Conférence Générale des Cadres en 1944), culturelles (journaux dédiés aux cadres et au mode de vie du cadre américain moyen comme L’Express), et institutionnelles (multiplication des écoles de commerce et d’ingénieurs, classification professionnelle par l’INSEE à partir de 1954). Les cadres cherchent a se différencier de la classe ouvrière mais également de la bourgeoisie possédante (ils ne restent que salariés).

La complexité organisationnelle des entreprises depuis les Trente Glorieuses a conduit au développement des emplois administratifs et des cadres intermédiaires. Dans les entreprises ou les administrations, les cadres occupent par définition des postes de responsabilité ou de commandement, sans pour autant donner d’ordres ou avoir un poste de direction. Leur position est donc relativement complexe socialement : sans être rentiers, ils ont des conditions de vies relativement éloignée des autres membres de la classe moyenne.

Pour P. Bouffartigue (Les Cadres. Fin d’une figure sociale, 2001), la banalisation du statut de cadre depuis les années 1980 peut justifier de les intégrer aux classes moyennes lorsqu’ils exercent des fonctions d’études ou de gestion, et non d’encadrement, soumis à un fort contrôle hiérarchique.

Nouvelles et anciennes classes moyennes

L. Chauvel (Les classes moyennes à la dérive, 2006) donne une définition extensive des classes moyenne, où il intègre pêle-mêle les hauts fonctionnaires, les employés ou ouvriers qualifiés, les chefs d’entreprises, les artisans modestes, etc.

Il distingue les anciennes des nouvelles classes moyennes, avec à chaque fois le niveau supérieur et intermé-diaire. Les classes moyennes étaient anciennement définies par les professions libérales et les indépendants, et dorénavant par les salariés.

Les nouvelles classes moyennes supérieures correspondent aux hauts fonctionnaires, enseignants du supérieurs, ingénieurs, et les classes moyennes intermédiaires aux employés, bureaucrates, techniciens dis-posant d’une autonomie. Les anciennes classes moyennes supérieures correspondaient aux chefs d’entreprises

et à la bourgeoisie possédante, et les anciennes classes moyennes intermédiaires aux artisans et commerçant dont le revenu est avant tout fondé sur le revenu du travail.

Les classes moyennes forment un ensemble social relativement hétérogène. Si les individus des classes moyennes partagent quelques traits communs, en particulier la détention d’un diplôme et donc d’un em-ploi qualifié, il y a des différences de structure de capital dans le sens bourdieusien. Les indépendants ont davantage un capital économique que culturel, et inversement pour les salariés, un mode de vie ascétique pour les premiers et hédoniste pour les seconds. Les indépendants ont plus tendance à voter à droite, comme les salariés du privé, tandis que les fonctionnaires à gauche. Ces différences se retrouvent dans les taux de syndicalisation (plus fort dans le public que dans le privé).

1.4.2.3 L’apogée des classes moyennes dans les années 1980

Pour L. Chauvel (La spirale du déclassement, 2016), une société de classes moyennes se fonde sur sept piliers : une société salariale qui garantit statut et protection aux travailleurs, où le salaire moyen est suffisant pour vivre confortablement, une protection sociale généralisée ouverte par le salaire, expansion scolaire permettant des courants de mobilité sociale ascendante, une croyance fondée empiriquement dans le pogrès scientifique, social et humain, une prise de contrôle de la sphère politique par les catégories intermédiaires de la société aux travers de syndicats, d’association set mouvements sociaux, et enfin la promotion d’objectifs mesurés au regard des contraintes réelles. Cela a pu correspondre à la situation des Trente Glorieuses en France.

J. Fourastié (Le grand espoir du XXe siècle, 1949) : le changement social se fonde sur l’expansion salariale, la hausse du nombre de diplômés sans inflation des titres, la mobilité structurelle ascendante, la hausse du niveau de consommation, une meilleure capacité à épargner, et la certitude d’offrir des études et un emploi meilleur aux générations suivantes.

1.4.2.4 Les classes moyennes, une espèce menacée dans les pays développés ?

Pour L. Chauvel (Les classes moyennes à la dérive, 2006), les générations entrées sur le marché du travail dans les années 1980 ne bénéficient pas des mêmes perspectives, ni même des conditions socio-économiques des années précédentes. Par exemple, concernant le pouvoir d’achat, en 1975,le rythme de progression du pouvoir d’achat du salaire ouvrier permettait un rattrapage du pouvoir d’achat des cadres en 35 ans, contre 135 ans en 2013. De même, l’évolution du prix de l’immobilier, en particulier dans les centre-villes a accru les valeurs des patrimoines détenus par les baby-boomers mais a rendu difficile l’accès à l’immobilier pour les générations suivantes. Enfin, le système de redistribution profite aux plus pauvres tout en épargnant fiscalement les plus riches d’où une forme de précarisation de la classe moyenne.

Les professions associées aux classes moyennes disparaissent de plus en plus, ou se précarisent. D’une part, pour A. Reshef et F. Toubal (La polarisation de l’emploi en France, 2019),les emplois se sont fortement polarisés sur la période 1994-2014 : les emplois à salaire intermédiaire ont reculé au profit des emplois à bas salaire et à haute rémunération. Les emplois de classe moyenne se sont raréfiés ou ont même, pour certains, disparu contribuant fortement au sentiment d’un déclassement irréversible. Cette polarisation est principalement due aux effets de la concurrence internationale et de l’automatisation, où les tâches routinières traditionnellement occupés par les catégories intermédiaires ont pu être supprimées.

D’autre part, les professions associées aux classes moyennes ont connu une dévalorisation tant économique que sociale. Le chômage touche également les cadres dans une proportion relativement significative. S.

Bosc (Sociologie des classes moyennes, 2008) constate que la massification scolaire a rendu les conditions d’exercice des professeurs plus difficiles tout en diminuant leur prestige social dans la société. On bascule dans une société de post-abondance, où il y a peu de croissance de revenus pour ceux qui ne disposent uniquement de leur activité professionnel. Depuis 1984, par exemple, les jeunes doivent travailler deux ou trois fois plus longtemps pour acheter la même surface dans le même quartier.

Pour certains auteurs, le diplôme n’a plus le même rendement qu’auparavant. Le paradoxe d’Anderson (1961) met en évidence, aux États-Unis, que les générations plus diplômés que leurs parents occupent une

position sociale qui leur est inférieure ou égale. Pour S. Bosc (2008), le paradoxe d’Anderson s’explique par un déséquilibre entre l’offre de places dans la classe moyenne et la demande : ce qui conduit à une inflation des titres (déclassement scolaire). Certaines positions sociales ont également été dévaluées au cours du temps (professeurs, infirmières). Enfin, L. Chauvel (2006) considère que la valeur du baccalauréat sur le marché du travail a chuté entre 1968 et 1998.

1.4.2.5 Une dérive contestée

Pour E. Maurin et D. Goux (Les nouvelles classes moyennes, 2012), il existe actuellement trois classes en France : la classe supérieure (les CPIS et les chefs d’entreprises, 20 % de la population active), la classe moyenne (le petit patronat traditionnel, soit les artisans et commerçants ainsi que les professions intermédiaires, comme les cadres B de la fonction publique ou les professeurs des école,s qui forment 30 % de la population active) et enfin les classes populaires (les ouvriers et les employés, 50 % de la population active). Pour ces auteurs, la classe moyenne bénéficie d’une forte stabilité professionnelle (favorisée par des compétences tacites au sein des entreprises, et des promotions internes).

Les classes moyennes n’ont jamais été aussi importantes historiquement. : 30 % des actifs en 2009 contre 20

% en 1960.

Pour C. Peugny (Le déclassement, 2009), la proportion de cadres supérieurs et de professions intermédiaires parmi les enfants d’employés et ouvriers qualifiés (hommes, à l’âge de 40 ans) est passée de 32 % pour les cohortes nées entre 1944 et 1948 à 24 % pour celles nées entre 1964 et 1968. En revanche, elle est maintenue stable pour les classes moyennes, où la reproduction et l’ascension sociale prime.

1.4.2.6 Une remise en cause du déclassement (intergénérationnel, professionnel, et scolaire) Déclassement intergénérationnel : pour un individu, il s’agit d’occuper une position sociale supérieure à celle de ses parents.

Déclassement professionnel (ou intra-générationnel) : pour un individu, il s’agit de perdre son statut social (licenciement par exemple, accompagné d’un chômage de longue durée).

Déclassement scolaire : pour un individu, il s’agit d’exercer un emploi dont les compétences sont inférieures à celles qualifications, certifiées par son diplôme.

Plus d’ascension que de descension sociale

E. Maurin (La peur du déclassement, 2009) constate une augmentation de la part des cadres parmi les enfants d’ouvriers ou de professions intermédiaires. En 2009, parmi les 30-39 ans, on compte à peine 13,5

% de déclassés au sein du salariat intermédiaire contre 46 % de personnes en ascension sociale par rapport à leurs parents. Parmi les personnes issues des classes moyennes, la proportion s’élevant au-dessus de leur milieu d’origine est de 15% au sein de la cohorte née en 1952 et de 21% née en 1970.

La peur du déclassement professionnel

En 2007, l’Insee recense 14 800 sans abris, 100 000 d’après les associations, soit 0,16 % de la population au maximum. Or, d’après un sondage, 48 % des français pensent qu’ils pourraient devenir SDF un jour, en 2006, et ce taux augmente à 60 % juste après la crise de 2008.

Pour E. Maurin (2009), la peur de licenciement est fondée : elle s’accompagne en général d’une longue période de chômage, la probabilité élevé de retrouver un emploi faiblement valorisé socialement, etc. Le déclassement professionnel touche néanmoins principalement les ouvriers et les employés de PME. La plupart des français restent à l’abri du déclassement professionnel, en particulier

Une démocratisation scolaire anxiogène

Il y a eu une forte massification scolaire au sien de la société. En 1975, parmi les personnes sorties de l’école depuis mon de 5 ans, on compte près de 4,4 fois plus de personnes non diplômées que de diplômés du supérieur. En 2008, il y a près de trois fois plus de diplômés que de non-diplômés.

Pour E. Maurin (2009), la valeur privée du diplôme a augmenté : les avantages statutaires auquel un diplôme donne accès se sont renforcés. Donc, l’importance de la réussite scolaire pour les classes moyennes est d’autant plus important (différence très importante de chômage entre diplômés et non-diplômés). Comme le coût de l’échec scolaire est très élevé, les familles mettent en place des stratégies pour maintenir leur position (contournement de la carte scolaire, choix de résidence dans quartiers favorisés, écoles privées, . . . ). Les classes moyennes ont donc largement profité de la massification de l’enseignement secondaire puis supérieur, mais la compétition scolaire a eu un effet anxiogène sur ces familles.

Pour autant, E. Maurin (2020) revient en partie sur cette position : il constate que la massification scolaire a effectivement conduit à une augmentation importante de la part de diplômés à exercer des emplois non-qualifiés entre 1980 et 2020, conduisant à une éviction des travailleurs non-non-qualifiés du marché du travailleur.

Pour lui, une des causes principales est l’automatisation des tâches.

L. Chauvel (La spirale du déclassement, 2016) réitère néanmoins le constat d’un déclassement professionnel:

les professions intermédiaires, noyau dur des classes moyennes, ont été vulnérabilisées par les évolutions économiques récentes (crise, progrès technique, mondialisation) : en 2010, leur niveau de vie ne dépassait plus que de 17 % celui de la moyenne des ménages contre près de 40 % à la fin des années 1970.

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