• Aucun résultat trouvé

A propos des origines et de la notion de culture

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "A propos des origines et de la notion de culture"

Copied!
3
0
0

Texte intégral

(1)

Identités culturelles

À

propos

de

e t

de

la

notion

Jean-Paul Démoulé (UMR ArScAn - Protohistoire européenne)

L’opposition d e l’Allem agne et d e la France dans leur manière d e penser la nation

Tout au long d e s derniers siècles, l'Allemagne et la France se sont o p p o sé es dans leur façon d e penser l'idée d e la nation. En France, à partir d e la Révolution, la nation est perçu e com m e une com m unauté. En m êm e tem ps, langue et unrté nationales y é ta ien t acquises depuis longtemps, au prix d e l'effacem ent d e c e q u e nous appellerions aujourd'hui des « nationalités » dont la République — « une et indivisible » — d é n ie ra toujours l'existence. Aussi l'aspiration au c h a n g e m e n t n'a jamais porté sur l’unité et les frontières mais sur la dém ocratie, un m o d èle q u e la France avait inventé e t q u ’elle se dev ait d ’exporter. Au dem eurant, le français était perçu c o m m e le d e sc e n d a n t naturel du latin, langue d e Rome et langue d e l'église catholique universelle. C’éta it aussi la langue d e communication des diplom ates, d e s intellectuels et la langue d e com m unication scientifique.

Au XIXe siècle, les Allemands — en quête d'unité — n'avaient au contraire ni nation ni territoire, ni m êm e une langue unique. La « nation allem ande » était alors divisée en une poussière d e principautés dispersées (puis, a p rè s 1871, en deux em pires multinationaux rivaux) e t d e dialectes divers e t fort vivaces. L'allemand officiel — le hochdeutsch — n'était d'ailleurs pratiqué, d an s la vie courante, q u e par une minorité d'Allemands. C 'e s t Leibniz qui — obligé d e s'exprimer en français ou en latin — militera pour la création d'une langue a lle m a n d e culturelle e t scientifique. A vec le romantisme allemand, l'Allemagne sera conçue, non co m m e une co m m u n a u té d e citoyens librement consentie, mais com m e une « com m unauté d e sang » (p erç u e à travers la langue), un « p eu p le » d o u é d'une â m e : son Volksgeist.

C 'e st ainsi que, en Allemagne, les é tu d e s indo-européennes (indo-germ aniques, en allem and) se d év e lo p p è re n t au tour d e la fabrication d'un m ythe d'origine au to c h to n e qui se devait d e ne rien devoir à la Bible e t aux Juifs. En France, où l'idée d'un m ythe fondateur des origines était inutile, la gram m aire c o m p a r é e d e s langues in do-européennes n'eut aucun su ccès avant la fin du XIXe siècle ; dans la prem ière g ra n d e synthèse a rc h éo lo g iq u e rédigée en français, au déb u t du XXe siècle, par Joseph D échelette (le M anuel d 'a rc h é o lo g ie préhistorique e t celtique), la question indo-européenne fut d'ailleurs rejetée dans une simple note.

Les notions d e « race » et des « origines aryennes »

Au cours du XIXe siècle, l’idée d e « r a c e » va conquérir progressivem ent un statut scientifique, m arqué p a r l’u sa g e d e la m esure e t concrétisé par les sociétés d'anthropologie qui se créent in p e u partout en Europe dans les a n n é e s 1850-1860. La France y joue un rôle majeur, influencé par le positivisme rationaliste e t libre-penseur d e la Société d'anthropologie d e Paris et son dynam ique e t autoritaire président, Paul Broca. Les deux grandes controverses qui l'animent sont, d'une part, le statut d e la « rac e » et d e l’hybridité et, d 'a u tre part, les « origines aryennes ». Pour q u e la rac e soit un objet scientifique, il faut qu'elle soit stable e t le m étissage mineur. Or la population française est à l'évidence m élan g ée. Par ailleurs, certains anthropologues allem ands c o m m e n c e n t à assimiler la « ra c e » grande, blonde e t dolich o cép h ale d ’Europe du nord à la « r a c e aryenne » originelle — le Urvolk passant alors progressivement du statut d e « com m unauté originelle » à celui d e « ra c e » anthropologiquem ent définie. En France, où le problèm e reste celui des Celtes e t non celui d e s Indo-Européens, les anthropologues français se répartiront entre trois positions :

• la prem ière est celle d e Broca : blonds et bruns (autochtones d e l'Europe en général e t en France en particulier) constituent deux races stables; leur m étissage est limité et, en France au moins, non nuisible ; les langues aryennes ne sont qu'un phénom ène d e diffusion

(2)

Identités culturelles

linguistique ; le primat doit rester à la crâniométrie et à ses immuables races. Les g ran d e s migrations d'Aryens venus d'Asie n e sont donc qu'une « lé g e n d e » ;

• pour la s e c o n d e position, les Aryens (b rachycéphales bruns) sont venus d'Asie, e t ont dominé les indigènes blonds ;

• la troisième position — celle du rapatriem ent e u ro p éen — sera soutenue a v e c vigueur par C lém ence Royer, première traductrice d e Darwin et à c e titre première prom otrice en France du « darwinisme social » ; pour elle, le Urvolk s'identifie à la « race b lo n d e » ; elle supposera, en un vaste roman géo lo g iq u e et d e par la dérive des continents, l'existence d'une ancien n e «île balkano-caucasienne », b e rc e a u d e la ra c e aryenne, les autres ra c e s apparaissant, d e manière parallèle et polygéniste, d an s d'autres anciens isolats géographiques.

La guerre franco-allemande

La guerre d e 1870, qui avait pour enjeu l'unité allem ande, est la prem ière guerre «nationaliste» m oderne. L'Allemagne réunifiée aspire à une idéologie nationale. Les érudits allemands c o m m e n c e n t à revendiquer la localisation allem ande du foyer indo-européen originel et. par là m êm e, l'identification d e la « r a c e originelle » à la « ra c e germ anique ». Les Français — ne pouvant d é c e m m e n t prétendre à l'honneur — auront à c œ u r d e le leur refuser. De part e t d'autre, dès le c o m m e n c e m e n t d e la guerre, on ex alte l'affrontement d e deux peuples, voire d e deux ra c e s. On verra Q uatrefages expliquer que les Prussiens ne sont p a s d e s Aryens mais des Finnois. Symétriquement, Charles Rochet rappelle q u e « une nation qui, c o m m e la nôtre, co m p te au nom bre d e ses ancêtres d e s Celtes, des Gaulois, des Aquitains, des Ligures, des Belges, d es Burgondes, des Franks, réunit des aptitudes physiques e t intellectuelles aussi grandes, aussi diverses q u e celles d 'a u c u n e autre nation d'Europe ». H ovelacque, militant du Parti radical, affirme qu '« il est tout aussi inadmissible d e prétendre éta y e r sur la race l'idée d e nationalité q u e d e p réte n d re la baser sur la lan g u e », c a r ia nation n'est pas une fatalité biologique mais une volonté com m une, un« choix d'association libre q u e la d é m o c ratie républicaine inscrit en tê te d e ses revendications ».

C e p e n d a n t, au tournant du siècle, en France c o m m e en Allemagne, l'anthropologie raciale universitaire est en crise. Avec le triomphe du darwinisme, l'idée d'une transformation lente e t arb orescente d e toutes les e s p è c e s signifie la mort d e l'anthropologie raciale classique e t polygéniste : si tout évolue en p e rm a n e n c e , il n'y a plus d e « ra c e » possible, plus d'objet d 'é tu d e . D'ailleurs, plus l’instrumentation et les mesures se perfectionnent, plus les races se diluent.

« Peuples » et « cultures archéologiques »

Dans un contexte d e crise économ ique e t sociale, la dernière d é c e n n ie du XIXe siècle e st m arq u ée, en France com m e dans les pays germaniques, par l’essor politique d e l’extrêm e droite anti-dém ocratique, raciste e t antisémite. La question aryenne sera d 'a b o rd exploitée par d e s idéologues am ateurs. Tous décrivent une race blonde d e « seigneurs », fo rg ée dans les froidures d e l’Europe du nord, mais progressivem ent m e n a c é e d'abâtardissem ent par les races méridionales. La véritable reprise d e c e s th èm es par la science officielle universitaire c o m m e n c e ra a v e c l'archéologue allem and G ustav Kossinna. Celui-ci identifie le Urvolk à c e tte rac e blonde nordique, e t les Indo-Germains aux Germains.

Kossinna est aussi le premier préhistorien à définir c e qu'est une « culture arch éo lo g iq u e », non p a s seulem ent co m m e un ensem ble d e fossiles directeurs stables mais aussi com m e un p e u p le : « des provinces culturelles nettem ent délimitées sur le plan archéologique coïncident à toutes les é p o q u e s a v e c des p e u p le s ou d e s tribus bien précis ». i y a identité entre une culture archéologique (définie c o m m e in ensem ble d e ty p e s d'objets caractéristiques), e t un groupe ethnique. C e postulat impose à la réalité d e l'observation une interprétation restrictive e t circulaire : tout matériau archéologique é ta n t rangé, puis interprété d a n s les term es d'u n e culture définie sans au tre échappatoire. C e tte conception d e la culture — e t donc d e la so c ié té — est directem ent issue du Volksgeist du romantisme allem and, a v e c son « p e u p le » com m e entité biologique stable e t perm anente.

Mais, en France, le constat est négatif. D échelette considère q u e « nous n e pouvons songer à a b o rd e r ici la controverse aryenne, problèm e essentiellement linguistique et dont la solution paraît avoir é té plutôt obscurcie qu'éclaircie par le concours d e l'anthropologie et d e l'archéologie. L'unité d e la n g a g e n'impliquant pas nécessairem ent une com m unauté d'origine, les peuples d e langue aryenne pouvaient appartenir à diverses races ». C ette position sc ep tiq u e sera celle d e l'ensem ble des préhistoriens français p e n d a n t tout le XXe siècle, qui dans la vision universaliste des Lumières préféreront parler d 'â g e s plutôt q u e d e cultures. Le scepticisme sera aussi, en g ra n d e majorité, la position des préhistoriens anglais ; l'itinéraire scientifique d e Gordon Childe, venu à l’archéologie pour résoudre le problèm e du « b e rc e a u aryen », sera à c e t é g a rd exemplaire.

(3)

Identités culturelles

Kossinna, mort en 1931, sera l'inspirateur direct d e l'archéologie nazie, elle-m êm e-l'une des justifications «scientifiques» du régim e. Si bien qu'après l'écrasem en t du nazisme, les historiographes officiels d e l'archéologie « oublieront » Kossinna. Dans la partie o ccid en tale d e l'Allemagne, les archéologues se détournèrent d e to u te a p p ro c h e ethnique explicite ; dans la partie orientale, les archéologues, officiellement ralliés au marxisme, n 'av aien t pas à rendre d e co m p tes. C 'est ainsi q u e la notion d e culture archéologique s'est p erp étu ée in c h a n g é e , chacun ay ant oublié ses origines idéologiques précises. Or l'œuvre d e Kossinna — précisém ent p a rc e qu'elle est officiellement ju g é e caricaturale — devrait agir pour nous com m e in miroir grossissant quant à la pertinence d e l'équation ein Volk, ein Topf {un peuple, un pot), t a fallu attendre la « nouvelle archéologie » anglo-am éricaine des a n n é e s 1960-1970 pour que, d e manière indépendante, in d é b a t soit ouvert sur les sources archéologiques e t le fonctionnem ent culturel. Encore, la question ethnique n'y sera pas a b o rd é e .

L'archéologie continue d e payer fort cher d'avoir cru pouvoir faire l'économ ie d'un d é b a t d e fond sur le kossinnisme. Du m om ent qu'il n'y avait pas d'exploitation idéologique p a te n te , elle a admis sans discuter les prémisses d e Kossinna, e t persiste à manier d e fait un m o d èle d e l'évolution culturelle, issu à la fois d e la biologie e t d e la tradition romantique du Volksgeist d e s nationalismes européens. Aussi a-t-elle é té parfaitem ent d é s a rm é e lorsque, a v e c la réactivation actuelle des pulsions nationalistes, elle s'est trouvée à nouveau, des Balkans au C a u c a se e t d e l'Inde au Proche-Orient, c o n v o q u é e à l'appui des revendications ethniques e t territoriales les plus déraisonnables. Belle rev a n c h e d e Kossinna !

La « controverse a ry e n n e » n'est pas qu'un c h a m p marginal d e l'érudition philologique e t archéologique. Depuis deux siècles, e t en tant que construction d'un m ythe d ’origine à l'échelle des sociétés occidentales, elle o c c u p e une p la c e centrale, non seulem ent dans la constitution d e plusieurs cham ps des sciences humaines e t sociales, mais com m e révélateur des identités e t des idéologies nationales.

Références

Documents relatifs

[r]

Si un événement a k chances sur n de se réaliser, alors la probabilité qu’il se réalise est n k.. Une urne contient 16 boules dont 7 sont blanches et 9

Variation de la conduction d’un semi-conducteur dopé en fonction de la température.

Les matières professionnalisantes du cursus de pharmacie telles que la pharmacognosie (ou chimie des substances naturelles d’intérêt thérapeutique), la chimie thérapeutique (ou

je pensais soudain à cette étrange dépossession de l'homme par l'homme, à cette marche lente et inexorable et dévorante de l'esprit, dépassé peut -être par

On consid` ere le lancer d’un d´ e truqu´ e pour lequel le un le quatre et le cinq sortent deux fois plus souvent que le deux et le trois et trois fois moins souvent que le six..

Calcul de la probabilit´e d’obtenir un num´ero pair sachant que l’on n’a pas obtenu un six dans le cas du d´e truqu´e.. Propri´ et´

Marquant une rupture avec une époque où la constitution, la gestion et le renouvellement du bocage résultaient de l’action individuelle des agriculteurs, ces programmes de