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La protection du patrimoine architectural en droit genevois

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La protection du patrimoine architectural en droit genevois

AUBERT, Gabriel

AUBERT, Gabriel. La protection du patrimoine architectural en droit genevois. Revue de droit administratif et de droit fiscal , 1977, vol. 33, no. 1, p. 1-18

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:12186

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ET DE DROIT FISCAL

REVUE GENEVOISE DE DROIT PUBLIC

33e année No 1 Janvier-février 1977

La protection du patrimoine architectural en droit genevois

par Gabriel AUBERT

licencié ès lettres, avocat au barreau de Genève

1. Introduction

1. Les lois de 1920 et de 1976

a) En édictant, le 19 juin 1920, une loi pour la conservation des monuments et la protection des sites, le législateur genevois avait conscience de réagir avec quelque retard contre la vague de démolitions qui, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, avait emporté des monuments dignes d'intérêt. « Il ne faut pas que certains faits puissent se reproduire », proclamait la commission du Grand Conseil '.

De fortes pressions s'étaient dessinées, depuis longtemps, pour la sauvegarde des monuments et des sites.

En 1864, de nombreux citoyens protestaient, à Genève, contre la démolition de la Tour Maîtresse z. En 1897, une pétition, lancée par l'Institut national genevois, la Société d'histoire et d'archéologie et la Société des arts, manifestait l'inquiétude de la population devant les destructions qui se succédaient à un rythme rapide. Siguée par des notabilités, elle demandait le maintien de la Tour de l'Ile et du Palais de Justice. Celle-ci fut sauvée lors d'un scrutin référendaire, le 19 décembre de la même année '. Les deux édifices devaient figurer en tête de la liste des objets classés selon la loi du 19 juin 1920.

1 Mémorial des séances du Grand Conseil (ci-après: Mémorial) 1920, Annexes, p. 399.

Z Bernard Lescaze et Barbara Lochner, Genève 1842-1942, Genève 1976, p. 201.

'Ibid., p. 200-201.

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Sur le plan suisse, des mouvements semblables s'étaient développés simultanément 4, qui provoquèrent l'adoption de lois cantonales sur la protection des monuments. Le canton de Vaud donna l'exemple en 1898. Il fut suivi, en 1901, par Berne et, en 1902, par Neuchâtel '.

En 1906 naît la Ligue suisse pour la défense du patrimoine national (Schweizer Heimatschutz), dont la Société d'art public, fondée en 1901, devint la section genevoise 6. Les dénominations française et allemande de cette ligue montrent l'accent mis, à l'époque, sur la portée nationale, voire patriotique, de la tâche qu'elle s'était fixée.

b) Le 1er janvier 1977 est entrée en viguenr la nouvelle loi genevoise sur la protection des monuments, de la nature et des sites 7.

Comme le texte antérieur, elle couronne une période marquée par de nombreuses démolitions, qui ont frappé en particulier des ensembles: la Corraterie, la place Comavin, le carrefour de Rive, le quai des Bergues '. Elle fait suite, également, à un intense mou- vement d'opinion.

Si les aspirations touchant le « Heimatschutz » ont revêtu, jadis, une couleur nationale, elles logent aujourd'hui à l'enseigne de l'Europe.

Dès le début des années soixante, en effet, le Conseil de l'Europe s'est préoccupé de «La défense et mise en valeur des sites et ensembles historiques ou artistiques », selon l'expression utilisée comme titre du rapport qui suscita, en 1963, la Recommandation 365, par laquelle le Comité des ministres était notamment prié de convoquer une conférence européenne sur ce sujet et de favoriser la coopération intergouvernementale afin de permettre un échange d'informations et une confrontation d'expériences au niveau des hauts fonctionnaires responsables. Cette recommandation s'appuyait sur la constatation que

«les sites et monuments historiques sont les témoins précieux de l'unité fondamentale en même temps que de la richesse et de la diversité de la civilisation occidentale» et que «la sauvegarde de

4 Albert Knôpfli, Schweizerische Denkmalpflege, Geschichte und Doktrinen, Zurich 1972, p. 25 ss, en particulier 40 ss.

5 Theodor- Bühler, Der Natur- und Heimatschutz nach schweizerischen Rechten, Zurich 1973, p. 22.

6 Knôpfli (note 4), p. 41; Marcel-D. MülleT', Le Heimatschutz a eu septante ans, Heimatschutz 1976, N° 2, p. 19 ss; Karl Ebnôther, Der Heimatschutz aIs polizeirechtliches Problem, thèse, Zurich 1956, p. 25 88; Hans-Jôrg Isliker, Eingriffe in das Grundeigentum aus Gründen des Heimatschutzes speziell nach kantonal-zÜ!cherischen Verhaltnissen, thèse, Zurich 1949, p. 26 ss.

7 Loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites, du 4 juin 1976 (L 4 1), ci-après: LPMNS. Son règlement général d'exécution date du 29 novembre 1976 (L 4 2), ci-après RGA.

B Cf. Paisibles démolitions: Genève, Carouge, Chêne-Bourg, in Nos monu- ments d'art et d'histoire, 1976, N° 2, p. 201 S5.

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ces biens est parmi les tâches urgentes et essentielles des nations européennes» 9,

L'effet suivit. Cinq confrontations d'experts furent organisées 10 : la première à Barcelone, sur les critères et les méthodes pour un inventaire de protection (1965) ; la deuxième à Vienne, sur la réani- mation des monuments (1965) ; la troisième à Bath, sur les principes et les méthodes de la conservation (1967); la quatrième à La Haye, sur la conservation et l'aménagement du territoire (1967) ; la cinquième en Avignon, sur la politique de sauvegarde et de mise en valeur (1968).

Ces confrontations ont préparé des résolutions adoptées, en la matière, par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe 11 et par la Conférence des ministres européens responsables du patrimoine culturel immobilier, en 1969, à Bruxelles". C'est ainsi que, dans le cadre du programme d'activité établi par le Comité des monuments et sites créé par le Comité des ministres à la suite de la Conférence de Bruxelles, l'année 1975 fut proclamée Année européenne du patri- moine architectural 13.

La protection des monuments et des sites a donc dépassé les cadres nationaux, s'agissant aussi bien des études engagées que des mouvements d'opinion publique suscités notamment par le Conseil de l'Europe M.

2. Construction, conservation, aménagement

Prise dans un sens large, la protection des monuments et des sites repose, à Genève, sur deux piliers.

9 Recommandation 365 relative à la défense et mise en valeur des sites et ensembles historiques ou artistiques, annexe au rapport «La défense et mise en valeur des sites et ensembles historiques ou artistiques », Conseil de l'Europe, 1963. Le rapport contient un mémorandum du professeur Conrad~André Beer/i:

Menaces et remèdes.

10 Elles ont fait, chacune, l'objet d'un rapport publié par le Conseil de l'Europe, Conseil de la Coopération culturelle, Strasbourg.

11 Cf. Sauvegarde et réanimation du patrimoine culturel immobilier, Pers~

pectives européennes, in Centre de documentation pour l'Education en Europe, Bulletin d'information 1/1970, p. 21 ss, en particulier p. 84 ss.

12 Ibid. (note Il), p. 24 ss, en particulier 47 à 49.

13 Cf. Alfred A. Schmid, Conseil de l'Europe et patrimoine architectural, Heimatschutz 1974, N° 2, p. 2. L'année européenne fut préparée par la Confé- rence de lancement tenue à Zurich en 1973 et close par la Conférence d'Am- sterdam, en 1975.

14 A l'occasion de l'Année européenne du patrimoine architectural, le Comité des monuments et des sites a organisé une nouvel1e confrontation à Edimbourg, en 1974, sur «Les incidences sociales et économiques de la conservation du patrimoine architectural ». Cette confrontation a fait l'objet d'un rapport publié dans la série d'études du Comité des monuments et des sites, Conseil de l'Europe, 1974.

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a) La loi sur les constructions et les installations diverses 15 crée, en son chapitre VIII, des zones protégées. Il s'agit de la vieille ville et du secteur sud des anciennes fortifications, du vieux Carouge et des villages protégés ".

Dans la vieille ville et le vieux Carouge, l'aménagement et le caractère architectural doivent être préservés. En particulier, le volume, l'échelle, les matériaux et la couleur des constructions doivent s'har- moniser avec le caractère de la zone 17. Les alignements sur rues sont maintenus 18 et les gabarits réglementés 19, ainsi, notamment, que l'assainissement des ilâts et, à Carouge, les toitures et les lucarnes 20.

Tandis que les demandes d'autorisation de construire dans la vieille ville sont soumises au préavis de la Commission d'architecture et de la Commission des monuments et des sites, celles qui touchent le vieux Carouge sont soumises au préavis de la commune de Carouge et de la Commission du vieux Carouge 21, On voit qu'il s'agit ici de règles intéressant la construction et l'aspect général des zones, non la conservation de monuments et d'ensembles. Une exception toute- lois: dans le vieux Carouge, les façades sur rues de styles Louis XVI et Empire notamment sont maintenues 22,

Dans les villages protégés, le Département des travaux publics a la faculté de prendre des dispositions spéciales touchant des cas particuliers en vue de sauvegarder le caractère architectural et l'échelle de ces villages ainsi que le site environnant 23. Lorsqu'il ne s'agit pas de cas particuliers, le département peut subordonner l'autorisation de construire à l'adoption préalable d'un plan d'aménagement qui, en

15 Du 25 mars 1961 (L 5 1), ci-après: LeI. La protection de la vieille ville a été instituée par la loi du 27 avril 1940 sur les constructions dans la vieille ville et ses abords; celle du vieux Carouge par la loi du 16 décembre 1950 sur les constructions dans la région du vieux Carouge; celle des villages protégés par la loi sur les constructions et installations divecses du 25 mars 1961. S'agis- sant de la vieille ville et du vieux Carouge, le siège de la matière a été transféré

da~s ce dernier texte lors de la refonte du 25 mars 1961. Sur les villages, cf.

Jacques Revaclier, La protection des villages en droit genevois, RDAF 1974, p. 381 55, notamment 384 55.

16 Art. 159 ss, 165 ss, 176 ss LCI.

17 Art. 159, al. 2 et 165, al. 2 LCI.

"Art. 162 et 168 LeI.

" Art. 163 et 169 LeI.

'" Art. 164 et 174. 170 et 171 LeI.

21 Art. 161 et 167 LeI. La composition de la commission du vieux Carouge a suscité une opposition très vive au Grand Conseil (Mémorial 1969, p. 23%- 2397, 2402 5S, 2414 ss). Les faits ont montré que les intérêts municipaux jouent dans cet organe un rôle négatif, s'agissant de la protection du patrimoine archi- tectural.

"Art. 168 I.eI.

23 Art. 177, al. 1 LeI. Ces dispositions spéciales fixent l'implantation, le gabarit, le "olurne et le style des constructions.

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l'absence d'accord des propriétaires, est voté par le Grand Conseil ".

Demeure réservée la possibilité d'édicter des règlements spéciaux au sens de l'article 13 LeI, en vue. de conserver ou d'assurer le caractère, l'harmonie ou l'aménagement de certains quartiers "'. Ces règlements ressortissent à la compétence du Conseil d'Etat ". Il n'est pas toujours aisé de choisir l'arme appropriée dans cet arsenal. Les plans d'aména- gement et les règlements spéciaux étant soumis à des procédures différentes, il importe de distinguer soigneusement les dispositions spéciales d'avec les plans d'aménagement et ceux-ci d'avec les règlements spéciaux. Le Tribunal fédéral a cassé un arrêté du Conseil d'Etat portant un règlement spécial qui fixait l'implantation d'une série de bâtiments dans la commune de Laconnex: L'implantation des bâtiments doit effectivement faire l'objet d'un plan d'aménage- ment ". Le Tribunal fédéral a cependant estimé qu'il n'est pas arbitraire de considérer que le choix entre l'ordre contigu et l'ordre dispersé des édifices ressortit à la détermination du caractère archi- tectural au sens de l'article 13 LCI 28.

Enfin, l'article 20 LCI permet au département d'interdire les cons- tructions dont la dimension, la situation ou l'aspect extérieur seraient inesthétiques.

Ce rappel sommaire des règles touchant les zones protégées trouve sa justification dans l'importance du rôle qu'enes jouent pour la pro- tection des sites. On ne peut les perdre de vue quand on fait l'inven- taire des dispositions relatives au patrimoine architectural à Genève 29.

En outre, enes s'articulent avec la loi sur la protection de la nature, des monuments et des sites, qui doit être comprise en relation avec elles: il en résulte certaines complications.

b) Si la loi sur les constructions et les installations diverses régle- mente, comme son nom l'indique, la construction de nouveaux édifices, la loi de 1920 sur la conservation des monuments et des sites, ainsi

24 Art. 177, al. 3 LCI et art. 9 de la loi sur l'extension des voies de commu- nication et l'aménagement de certains quartiers, du 9 mars 1929 (L 1 9), ci-après: LExt. Une fois adopté par le Grand Conseil, le plan d'aménagement prend le nom de plan d'extension.

25 Ces règlements spéciaux peuvent déterminer le degré d'occupation des terrains, les dimensions, le caractère architectural, le genre, la destination et la hauteur des constructions (art. 13, al. 1 et 2 LCI).

26 Voir Revaclier (note 15), p. 391.

27 II ne s'agissait pas d'un «cas particulier» au sens de l'art. 177, al. 1 LeI.

28 Arrêt du 21 janvier 1976, Consortium du logement S.A. contre Conseil d'Etat du canton de Genève, consid. 2, litt. d), non publié.

29 Sont incomplètes, à cet égard, les listes établies par Bühler (note 5), p. 35 et Georges Jaccottet, La protection et la conservation des monuments historiques en Suisse romande, in Pour notre patrimoine, Cahier de l'Alliance culturelle romande, N° 21, Genève, 1975, p. 24 ss, en particulier p. 30.

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que celle de 1976 sur la protection des monuments, de la nature et des sites visent plus particulièrement le maintien d'édifices existants.

C'est là le second pilier, que nous voudrions étudier dans le présent article 30.

c) Il a été marqué que la loi sur les constructions et installations diverses interdit, à Carouge, la démolition des façades sur rues de styles Louis XVI et Empire notamment". On verra en outre que la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites touche également la construction d'ouvrages. En réalité, on ne peut plus considérer la conservation comme un îlot de résistance dans la marée des constructions. Conservation et construction engendrent bien plutôt des problèmes liés les uns aux autres dans un cadre plus vaste, celui de l'aménagement du territoire. C'est ce que souligne la résolution prise par les délégués des ministres du Conseil de l'Europe, le 3 mai 1968, après la confrontation de La Haye". La protection des monuments et des ensembles construits est un but, l'aménagement du territoire le moyen 33. Peut-être, d'ailleurs, vaudrait-il mieux parler de

« gestion» du patrimoine architectural 34.

30 La frontière entre construction et démolition est parfois difficile à tracer.

Une démolition est-elle une «construction inesthétique» quand elle laisse un vide nuisible à un ensemble ou quand l'ouvrage projeté en remplacement est lui-même inesthétique? La jurisprudence vaudoise l'admet, sur la base de l'art.

57 de la loi sur les constructions et l'aménagement du territoire (RDAF 1974, p. 63-64), A Genève, il semblerait aussi conforme au but de la loi de faire tomber de telles démolitions sous le coup de l'interdiction des constructions inesthétiques (art, 20 LCI, combiné avec l'art. 1, al. 1, litt. cl. En tout cas, l'art. 20 LCI ne saurait empêcher la destruction d'un ouvrage en elle-même, abstraction faite du vide qu'elle provoquerait ou de l'édifice de remplacement (cf. RDAF 1974, p. 64).

31 Art. 168 LeI.

32 «Les monuments, sites et ensembles d'intérêt historique ou artistique constituent non seulement un capital culturel irremplaçable, mais aussi une partie du milieu humain dont la sauvegarde doit être nécessairement assurée;

l'aménagement du territoire et l'urbanisme sont les instruments les mieux appropriés pour résoudre harmonieusement les problèmes de l'établissement humain.» Et les ministres de recommander aux Etats de «coordonner effica- cement» les législations de protection des sites et ensembles d'intérêt historique ou artistique, d'une part, de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire, d'autre part (op. cit. à la note 11, p. 89).

33 Robert Munz, Natur- und Heimatschutz ais Aufgabe der Kantone, Bâle 1970, p. 35-37; Félix Bernet, Rechtliche Probleme der Pflege von Kulturdenk- miilern durch den Staat, thèse, Zurich 1975, p. 13-14; Max Zingg, Natur- und Heimatschutz insbesondere nach sanktgallischem Recht, thèse, Zurich 1975, p. 33; Riccardo Jagmetti, Denkmalpflege und Raumplanung, in Rechtsfragen der Denkmalpflege, 143e Cours de droit administratif suisse, Institut für Ver- waltungskurse an der Hochschule St. GalIen, St-Gall 1973, p. 67 5S; Robert lmholz, Die Zusüindigkeiten des Bundes auf dem Gebiete des Natur- und Heimatschutzes, thèse, Zurich 1975, p. 137 ss.

34 Cf. note 38 infra.

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La nouvelle loi genevoise sur la protection des monuments, de la nature et des sites traite non seulement du patrimoine culturel, mais aussi du patrimoine naturel. Sans aborder le second thème, nous voudrions éclairer ce texte à la lumière des circonstances et des besoins actuels, en nous préoccupant de la consen'ation des édifices.

Nous examinerons successivement l'inventaire, le classement et le plan de site, avant d'étudier quelques problèmes soulevés par ces instru- ments du point de vue de la garantie de la propriété. Nous décrirons enfin les organes d'exécution de la loi et le système des recours.

Il. L'Inventaire

L'article 4 LPMNS définit de manière toute générale les objets protégés par son chapitre II. Il s'agit des monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et des antiquités immobilières qui pré- sentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif. C'est en étudiant l'institution de l'inventaire qu'on verra se préciser ces notions.

L'inventaire est une nouveauté introduite par la loi du 4 juin 1976.

Nous l'avons emprunté à la loi vaudoise du 10 décembre 1969 sur la protection de la nature, des monuments et des sites 35. Cependant, la nécessité de l'inventaire est, depuis longtemps, largement reconnue.

C'est à ce sujet qu'a été consacrée la première confrontation d'experts tenue sous les auspices du Conseil de l'Europe à Barcelone en 1965, d'où est issue une résolution adoptée le 29 mars 1966 par les délégués des ministres et relative aux critères et méthodes pour un inventaire des sites et ensembles historiques ou artistiques "'. L'inventaire type du Conseil de l'Europe distingue les sites (naturels, historiques, scien- tifiques, urbains et mixtes) et les monuments (architecture religieuse, militaire, publique, privée, industrielle). S'agissant des premiers, la fiche de protection dénote la localisation, la dénomination, la descrip-

35 Ci-après: LVPNMS. Cf. Mémorial 1974, p. 3245. Voir les art. 49 ss LVPNMS.

36 Op. dt. à la note 11, p. 85-86. Le Conseil de l'Europe a édité un projet type d'Inventaire de protection du patrimoine culturel européen (IPCE), pré- senté et commenté par Gabriel Alomar, François Sorlin et Pietro Gazzola (Conseil de la Coopération culturelle, Strasbourg, sans date). Voir aussi Dubro- slav Libal, L'inventaire en vue de la réanimation des centres historiques, Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), Premier colloque sur l'étude de la conservation, de la restauration et de la réanimation des ensembles historiques, tenu à Caceres (Espagne) du 15 au 19 mars 1967, Icomos 1968, p. 17 ss. On trouve un exemple d'application de la fiche IPCE dans Programme de mise en valeur des monuments et des sites du canton de Genève, rapport du Département des travaux publics, 1968, annexes 15 et 16.

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tion, l'état actuel, les perspectives de développement, la protection existante, les dangers éventuels, la protection prévue, la bibliographie.

Elle comprend une représentation cartographique et des photos.

S'agissant des seconds, elle enregistre la situation exacte, la dénomi- nation, le cadre et le contenu, l'époque de construction, l'utilisation actuelle, la description, l'état de conservation, la protection existante, la protection proposée. Cet inventaire entend par site « tout ensemble créé par la nature ou par l'homme dont l'homogénéité et l'intérêt, notamment artistique, esthétique, historique, ethnographique, scienti- fique, littéraire ou légendaire, justifie une protection et une mise en valeur» et par monument « les œuvres ou groupes d'œuvres architec- turales qui présentent un intérêt historique, archéologique ou artis- tique ».

Comme tel, l'inventaire peut embrasser des surfaces variables et viser des buts divers. Tantôt on ne prospectera que les secteurs particulièrement intéressants ou menacés, tantôt on recherchera l'exhaustivité. Tantôt on se contentera d'un simple recensement plus ou moins détaillé, tantôt on liera l'inventaire à une étude appro- fondie 37. Tantôt l'inventaire ne présentera qu'un intérêt de fait, tantôt il revêtira une valeur juridique.

A l'instar du canton de Vaud, Genève distingue le recensement d'avec l'inventaire 38. Le recensement a pour but de répertorier, de manière exhaustive, les bâtiments sis dans le canton. Il les désigne sommairement, évalue leur qualité, les décrit très schématiquement, indique la documentation y relative et contient de brèves données chronologiques ou historiques 39. On y joint une photo. Le tout figure sur une fiche conçue de telle sorte que l'ensemble des informa- tions enregistrées puisse être dépouillé par un ordinateur. L'inventaire:

en revanche, n'est pas exhaustif "'. Il ne retient que les immeubles dignes de protection au sens de l'article 4 LPMNS. Il s'agira donc

37 Sur le plan suisse, par exemple, l'Inventaire de la rue d'Or, in Pro Fribourg Informations, 1973, N° 20; Conrad-André Beerli et ses collaborateurs, Recherches sur le tissu urbain historique de Genève, les rues Tabazan et Beauregard, in Habitation, 1974, N° 9, p. 21 S8; les mêmes, Recherches sur le tissu urbain historique de Genève, le secteur Pélisserie - rue Calvin et la Maison Humbert-Lullin, in Habitation, 1975, N° 10, p. 13 ss. On aura garde d'oublier l'importante série des «Kunstdenkmiiler der Schweiz », édités à Bâle et qui recouvrent plusieurs cantons.

38 Sur le reCensement et l'inventaire dans le canton de Vaud, cf. Alain Garnier, Pour une gestion du domaine bâti, Bulletin technique de la Suisse romande, 101 (1975), p. 270 SS.

39 Les rubriques sont énumérées ici dans l'ordre où elles apparaissent sur la fiche de recensement.,

., Art. 7 LPMNS.

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de faire un tri en fonction de l'évaluation mentionnée sur chaque fiche de recensement. Le propre de l'inventaire, c'est d'avoir une portée juridique. Les édifices qu'il énumère sont soumis à une surveillance particulière décrite plus bas.

Grâce au recensement, on obtiendra une vue générale du patri- moine architectural. Comment apprécier les édifices qui le compo- sent? On aura remarqué que la définition du monument fouruie par l'Inventaire de protection du Conseil de l'Europe 41 coïncide en grande partie avec celle retenue par la loi genevoise 42. Ce qui compte, c'est donc l'intérêt historique, archéologique ou artistique. S'agissant de monuments (et non d'objets naturels), on peut penser que les intérêts scientifique et éducatif sont absorbés par les trois autres. Qui mesurera l'intérêt en cause? On interrogera les gens du métier: historiens, historiens de l'art et archéologues 43, dont les conceptions trouvent d'ailleurs un large écho dans les milieux cultivés de la population.

A cet égard, on peut discerner quelques tendances récentes. D'abord, on ne méconnaît plus l'importance des édifices caractéristiques d'une époque lors même qu'ils ne constituent pas des œuvres exception- nelles 44. On relève, en outre, l'importance des valeurs d'accompa- gnement : tel édifice qui, en lui-même, ne mériterait pas d'être conservé, présente un intérêt élevé du fait qu'il avoisine un monument 45. En troisième lieu, on met en évidence les ensembles 46. Enfin, on découvre l'architecture du XIXe siècle, voire même celle du XXe siècle 47.

L'essentiel est, au demeurant, de se persuader que le choix ne pro- cède pas d'impulsions d'un goût qui change comme le temps passe.

L'effort entrepris tend à conserver des témoins qui, même s'ils ne nous parlent pas le langage que nous attendons aujourd'hui, sauront répondre aux hommes demain 48. En d'autres termes, '-la question

41 Cf. note 36.

42 Cf. aussi l'art. 49 LVPNMS et l'art. 1 de la loi neuchâteloise SUl' la protection des monuments et des sites, du 26 octobre 1964 (ci-après: LNPMS).

" Bühler (note 5), p. 43·45.

44 Bühler, ibid. ; Bernet (note 33), p. 2-3, 8 ; Zingg (note 33), p. 205.

45 Bühler, ibid. ; Knopfli (note 4), p. 146 ss; Albert Knopfli, Das Verhaltnis der Kunstdenkmaler-Inventorisation zurn Heimatschutz, zur Denkmalpflege und zur Kunstwissenschaft, Revue suisse d'art et d'archéologie, 17 (1957), p. 65 ss, 68 ; Zingg (note 33), p. 207.

46 Nous reviendrons sur les ensembles en traitant des plans de site.

47 Knopfli (note 4), p. 128 ss ; Bühler (note 5), p. 44 ; Bernet (note 33), p. 7 ; voir par exemple Rolf Pfiindler. Le plateau des Tranchées, un quartier rési- dentiel du xrxe siècle, in Nos monuments d'art et d'histoire, 1976, p. 171 ss;

Anne Cuénod, Un grand magasin à Genève au début du siècle, ibid., p. 188 5S;

Jean-Pierre Vouga, Que faut-il garder du xrxe et du xxe siècle 1, in Pour notre patrimoine (note 29), p. 55 ss.

46 Knopfli, in Revue suisse d'art et d'archéologie (note 45), p. 72.

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n'est pas si tel fonctionnaire trouve «jolie» la façade en verre et en métal d'un grand magasin du début de ce siècle, mais quel est le rôle de celui-ci dans l'évolution de l'architecture et de la cité, pour nous comme pour nos successeurs.

Les travaux portant sur un immeuble inclus dans l'inventaire doivent être annoncés au Département des travaux publics avant d'être entrepris 49. Ce dernier statue, en tout état, sur les demandes d'auto- risation de construire au sens de l'article 1 LCI ". Il ne semble donc pas que l'article 9 LPMNS impose à l'auteur des travaux une démarche particulière. Tel n'est pas le cas, au contraire, dans les cantons où les autorisations de construire sont délivrées par les communes. L'inter- vention du Département des travaux publics y constitue un facteur et une garantie supplémentaires. A Genève, le département examinera d'office si l'immeuble en cause se trouve à l'inventaire. Il disposera, dans l'affirmative, d'un délai de trois mois pour ouvrir une enquête en vue du classement, enquête d'une durée maximale de six mois selon l'article 13 LPMNS. Ainsi, la procédure d'autorisation peut être bloquée pendant neuf mois par le département. Les délais touchant les autorisations de construire ordinaires sont pIns brefs ". - Supposé que des travaux aient été entrepris sans qu'une demande d'autorisation de construire ait été formée, on appliquera, pour la sanction, l'article 56 LPMNS, non l'article 206 LCI. L'amende encourue est de 40000 fr. au maximum 52. - Qu'en est-il de la caducité des restrictions résultant de l'inventaire? On a relevé que le département dispose de trois mois pour ouvrir une procédure de classement. Passé ce délai, s'il a renoncé à une telle procédure, rien ne s'oppose plus, du point de vue de l'article 9 LPMNS, à l'antorisation de construire. Celle-ci obtenue, l'auteur des travaux a quinze mois pour les entreprendre 53.

Aux termes de l'article 4 LCI, l'autorisation est valable une année, sous réserve de prolongation pour une nouvelle année. On n'a donc pas cherché à coordonner les règles, pourtant fort compliquées, qui gouvernent la matière. L'article 9 indique enfin que, après ces quinze mois, on ne peut plus entreprendre de travaux, conformément à l'alinéa 2 de ce même texte, comme si l'enquête en vue du classement renaissait. Nous croyons, au contraire, que c'est à la situation de

" Art. 9, al. 1 LPMNS ; art. 1 RGA '" Cf. art. 2 LCI.

51 Art. 4 LeI.

52 L'art. 205, al. 2 LCI prévoit que l'amende maximum est de 5000 fr.

lorsque les travaux entrepris sans autorisation sont conformes aux dispositions légales. L'art. 56 LPMNS ne contient pas de règle semblable.

" Art. 9, al 4 LPMNS.

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principe énoncée par l'alinéa 1er que le propriétaire revient. S'il entend derechef commencer des travaux, une nouvelle demande est nécessaire, qui est soumise aux mêmes conditions que la première.

L'inventaire est dressé et tenu à jour par le Département des travaux publics, qui requiert le préavis de la Commission des monuments et des sites (selon l'art. 5, al. 2, litt. b) RGA) et de la commune de situation. Cette seconde exigence a été posée par le Grand Conseil. Elle ne figurait pas dans le projet ".

L'inventaire constitue une mesure de surveillance. C'est un système d'alarme. II revêt moins d'importance que dans le canton de Vaud, dès lors que le Département des travaux publics est de toute façon amené à statuer sur les demandes d'autorisation de construire. Il montre cependant au propriétaire que son immeuble fait l'objet d'une sollicitude particulière. Les travaux projetés seront soumis au préavis et, le cas échéant, à la surveillance de la Commission des monuments et des sites 55. Un classement pourrait intervenir. Toutefois, la vertu principale de l'inventaire tient au recensement qu'il présuppose et grâce auquel l'Etat possédera les données nécessaires à la gestion du patrimoine architectural.

III. Le classement

Les dispositions de la loi sur les constructions préservent avant tout l'aspect général des zones protégées. Le classement, pour sa part, tend au maintien de la substance même des édifices. On estime en effet que la sauvegarde d'une apparence ne représente pas une solution satisfaisante, car le pastiche est au monument ce que le mensonge est à la vérité. La matière des édifices vieillit, et ce n'est qu'à travers ce vieillissement qu'elle acquiert non seulement son charme, mais aussi la possibilité de porter témoignage sur l'époque qui l'a façonnée. La copie, elle, ne renvoie qu'au temps de sa surve- nance. Elle est une manifestation de pauvreté 56.

La loi pour la conservation des monuments et la protection des sites de 1920 prévoyait: «Les immeubles et les meubles classés ne peuvent être détruits )) 57. Toute transformation était soumise à l'auto-

54 Mémorial 1974, p. 3225.

55 Art. 5, al. 2, Jitt. c) RGA ; art. 6, al. 1, litt. a) RGA.

56 Bernet (note 33), p. 8·9; Albert Knopjli, Denkmalpflege heute, in Rechts- fragen der Denkmalpflege (note 33), p. 10 ss; Knopfli (note 4), p. 79 ss;

Théo-Antoine Hermanès et Claude Jaccouet, Réflexions sur les limites de la restauration, in Pour notre patrimoine (note 29), p. 39 ss.

57 Art. 7.

(13)

risation du Conseil d'Etat

'8.

Le texte actuel paraît aller moins loin s'agissant de la démolition. Il ne statue pas que celle-ci est interdite.

Il dispose seulement qu'elle est subordonnée à l'autorisation du Conseil d'Etat, comme les autres travaux ". Cette règle est reprise des lois vaudoise (art. 23) et neuchâteloise (art. 23, al. 2). Elle n'imite pas le modèle établi en 1970 par les professeurs P. Hoier, H. P. Friedrich et A. Knoepfli, sous les auspices de l'Ecole polytechnique fédérale, lequel propose: «Unter Schutz gestellte Denkmiiler sind in ihrer Substanz zu erhalten » 60. La loi neuchâteloise précise que la démolition ne peut être autorisée que si des intérêts prépondérants le justifient (art. 24, al. 1). Selon son but, le texte genevois exige que le Conseil d'Etat s'inspire constamment de cette règle. Il en résulte que les édifices classés ne sauraient, en principe, être démolis. Une telle manière de voir est confortée par l'article 38, alinéa 2, lettre b) LPMNS, d'après lequel les plans de site prévoient, le cas échéant, le «maintien de bâtiments}), mesure parallèle au classement. L'arrêté de classement ne peut être modifié ou abrogé que si des motifs prépondérants d'intérêt public le permettent ou si l'immeuble protégé ne présente plus d'intérêt du point de vue de la loi (art. 18 LPMNS). Il est donc moins difficile au Conseil d'Etat de consentir à la démolition que de procéder au déclassement! Cette remarque conduit à une autre interprétation:

le classement emporterait une interdiction de démolir que le Conseil d'Etat ne serait habilité à lever qu'à l'une des deux conditions posées par l'article 18 LPMNS s'agissant du déclassement. Cela n'est guère plausible, car le Conseil d'Etat ne peut interdire la démolition que si l'édifice présente un intérêt suffisant: un intérêt quelconque ne justi- fierait pas cette interdiction compte tenu de la garantie de la propriété. En résumé, le Conseil d'Etat ne peut renoncer à sa surveil- lance qu'à des conditions strictes, celles de l'article 18 LPMNS. Son pouvoir de surveillance est un devoir de protection, qu'il remplira en bénéficiant d'une plus grande marge d'appréciation, dans le cadre de l'article 15 LPMNS.

Même de simples travaux ordinaires d'entretien nécessitent une décision du Conseil d'Etat (art. 15, al. 1 LPMNS). Le règlement général d'application de la loi habilite le département à autoriser des travaux d'importance secondaire qui, sans modifier l'aspect de l'immeuble ou du meuble, sont nécessaires à sa conservation (art. 24 ,

58 Ibid.

,. Art. 15, al. 1 LPMNS.

60 Art. 10 du Modell für ein kantonales Gesetz über Denkmalpflege, in Rechtsfragen der Denkmalpflege (note 33), p. 125 ss.

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RGA). Nous croyons que cette périphrase ne désigne rien d'autre que de simples travaux ordinaires d'entretien et que, partant, le règlement n'est, ici, pas conforme à la loi. Il faut admettre qlle cette dernière est extrêmement stricte et qu'elle aurait pu réserver de légères exceptions. C'est ce que faisait la loi elle-même en 1920, qui accordait à la Commission des monuments et des sites la compétence d'autoriser les réparations et aménagements qui, sans modifier l'aspect de l'objet classé, étaient nécessaires à sa conservation (art. 7).

Comme la loi de 1920 (art. 7), le nouveau texte impose aux pro- priétaires des édifices classés l'obligation de les entretenir. Il assortit cette obligation de règles sur l'exécution par équivalent (art. 19, al. 2 et 3, art. 20) et sur la garantie des frais exposés par l'Etat pour effectuer des travaux à la place du propriétaire (art. 21). Quoique l'exécution par équivalent ne requière pas une base légale expresse 61, il était opportun d'en souligner l'existence: combien d'édifices classés, appar- tenant souvent à des communes, ont subi de notables dégâts faute de soins élémentaires 62 r Le coût de l'entretien et de la restauration incombe au propriétaire, qui peut cependant bénéficier d'une partici- pation financière de l'Etat (art. 22).

Pour satisfaire aux besoins actuels, la portée du classement est étendue aux abords des objets protégés (art. 10 in fine, 11, al. 1, litt. a) et 15, al. 3). Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de reconnaître l'importance de tels abords", laquelle est mise en évidence par les auteurs 64.

L'arrêté de classement (comme celui de modification ou d'abro- gation de classement) est pris par le Conseil d'Etat (art. 10), après que la commune (art. 14) et la Commission des monuments et des sites (art. 5, al. 2, litt. d) RGA) ont donné leur avis. Lorsque le Dépar- tement des travaux publics ouvre une procédure en vue du classement, l'immeuble visé ne peut, pendant six mois, faire l'objet de travaux sans l'autorisation de ce département (art. 13). Cela revient à prolonger d'autant le délai d'obtention de l'autorisation de construire selon l'article 4 LCI.

61 André Grisel, Droit administratif suisse, Neuchâtel 1970, p, 337; Max Imboden / René A, Rhinow, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, Bâle 1976, t. I, p. 309.

62 Ce fut Je cas, longtemps, de la Maison Tavel, propriété de la Ville de Genève, et du Pavillon Lullin, au Grand~Lancy, propriété de la commune,

"ZbI1970, p. 415 ss, 417-419; Zb11971, p. 171 SS.

64 André Vierne, La loi genevoise sur la conservation des monuments et la protection des sites, RDAF 1952, p, 105 S8, 110; Knopfli (note 33), p. 148 ss;

Bühler (note 5), p. 45-46. .

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Selon le projet de loi, les immeubles classés ne pouvaient être aliénés sans l'autorisation du Conseil d'Etat. L'Etat bénéficiait d'un droit de préemption et, en cas de mise en gage, était à même de Se

substituer au prêteur selon ses clauses et conditions 65. Telles étaient, d'ailleurs, les règles incluses dans l'ancienne loi (art. 9). Si le droit de préemption de l'Etat est maintenu (le Grand Conseil l'ayant octroyé, en outre, à la commune), l'aliénation comme telle n'est plus soumise à l'autorisation du Conseil d'Etat (art. 24). Les dispositions touchant le prêt ont disparu. On notera que ces problèmes avaient agité le Grand Conseil en 192066Tontefois, en plus de cinquante ans, ils ne semblent pas avoir revêtu quelque importance pratique. Soucieux de défendre la propriété privée, le parlement a, de plus, refusé de consi- dérer que le classement valait déclaration d'utilité publique et que.

en conséquence, le Conseil d'Etat pouvait, sans autre préalable, décréter l'expropriation ". Les règles ordinaires demeurent applicables, en sorte que le gouvernement ne pourra pas procéder à l'expropriation sans l'approbation du Grand Conseil 68. Cela nous paraît d'autant plus justifié que la nouvelle loi, comme on le verra, a supprimé la voie du recours au Tribunal administratif contre les arrêtés de classement.

Si donc l'inventaire constitue un instrument de surveillance, le classement est une mesure de protection 69. On peut craindre que le second soit détrôné par le premier et que le Conseil d'Etat n'y recoure qu'en cas de danger imminent. Car, au contraire de l'inven- taire, le classement impose aux propriétaires l'obligation d'entretenir les objets qu'il protège 70. Et quand, faute d'entretien, un immeuble est dans un état particulièrement déplorable, on hésitera à le classer.

IV. Le plan de site

1. Le rapport accompagnant le projet de loi genevoise sur la conser- vation des monuments et la protection des sites, en 1920, déclarait:

«Nous estimons ( ... ) que la sollicitude de l'Etat doit s'étendre non

6S Art. 24 du projet, Mémorial 1974, p. 3228.

66 Cf. Mémorial 1920, p. 1086 ss.

67 Art. 25 du projet, Mémorial 1974, p. 3229.

68 Selon les art. 3 et 4 de la loi sur l'expropriation pour Cause d'utilité publique du 10 juin 1973 (ci-après LExpr), le droit d'expropriation ne peut être exercé par l'Etat ou les communes qu'après que le Grand Conseil en a déclaré l'utilité publique.

69 Garnier (note 38), p. 271.

70 Cf. Mémorial 1920, Annexes, p. 270: «La surveillance du Conseil d'Etat évitera le plus souvent des dégradations et des destructions auxquelles on ne remédie tardivement qu'avec de grands frais. »

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seulement à l'histoire, à l'art et à la science (curiosités naturelles, faune, etc.), mais aussi aux ensembles, aux motifs divers qui, par leur réunion, confèrent à un site, qu'il s'agisse de la ville ou de la cam- pagne, sa beauté et sa valeur. Ces éléments propres aux ensembles, aux paysages, seront donc, dans l'ordre esthétique: tout ce qui contribue à la beauté du site, à son aspect général, ou au respect de ses lignes et de ses monuments (",) ; dans l'ordre historique, ce qui fait son importance historique et sa valeur documentaire» 71. En fait, la loi de 1920 aura permis de classer les immeubles formant des ensem- bles antérieurs au XIXe siècle: la Cour Saint-Pierre, la place de la Taconnerie, la rue des Granges, la rue Beauregard et la rue de l'Hôtel de Ville, Il s'agit là d'ensembles d'une très grande homogénéité, dont chaque élément mériterait d'être classé pour lui-même.

Cependant, on date ordinairement des années cinquante la recon- naissance de la notion d'ensemble, dont la signification a. évolué 72.

La charte adoptée par le deuxième Congrès international des architectes et techniciens des monuments historiques, tenu à Venise en 1964 (dite Charte de Venise) indique en son article 1er: « La notion de monn- ment historique comprend tant la création architecturale isolée que le site urbain ou rural qui porte témoignage d'une civilisation parti- culière, d'une évolution significative ou d'un événement historique.

Elle s'étend non seulement aux grandes créations, mais aussi aux œuvres modestes qui ont acquis avec le temps une signification cultu- . relIe)} 73. Ces conceptions ont rencontré un écho considérable lors de

l'Année européenne du patrimoine architectural, en 197574 Elles

71 Mémorial 1920, Annexes, p. 270.

72 On trouvera un historique de l'idée d'ensemble dans Conrad-André BeerU, Ensembles urbains, liquidation? travestissement? conservation? in Pour notre patrimoine (note 29), p. 43 ss; cf. aussi G.-H. Bailly, et J.-P. Desbat, Les ensembles historiques dans la reconquête urbaine, Notes et études documentaires, La documentation française, Paris 1973, p. 19 ss.

73 Cité in Roberto Pane, Passage de l'idée du monument historique isolé à l'idée d'ensemble historique ou artistique, Conseil de la Coopération cultu- relle, Principes et méthodes de la conservation et de la réanimation des sites et ensembles d'intérêt historique et artistique, Confrontation de Bath, Strasbourg 1967, p. 21 ; cf. Beerli (note 70), p. 45.

74 Cf. les résolutions prises par la Conférence internationale préparatoire de juillet 1973 à Zurich (Heimatschutz 1974, N° 2, p. 7) et par le Congrès sur le patrimoine architectural européen tenu à Amsterdam du 21 au 25 octobre 1975. La Déclaration d'Amsterdam (Heimatschutz 1976, N° 1, p. 4) précise:

«La protection des ensembles architecturaux ne peut être conçue que dans une perspective globale en t!!nant compte de tous les édifices qui ont valeur de culture, des plus prestigieux aux plus modestes, sans oublier ceux de l'époque moderne, ainsi que du cadre dans lequel ils s'inscrivent. Cette protection globale complétera la protection ponctuelle des monuments isolés. »

(17)

sont reçues en Suisse

7'.

On ne jugera donc pas seulement la valeur intrinsèque d'un édifice, mais aussi la valeur que lui confère son intégration au sein d'un ensemble et qui, souvent, se révélera déter- minante.

2. La mention expresse de la protection des ensembles considérés comme sites résulte des travaux du Grand Conseil, qui a suivi les suggestions des milieux intéressés 76. Le projet de loi préparé par le gouvernement distinguait entre la protection des monuments et antiquités, d'une part (chapitre II), et celle de la nature et des sites, d'autre part (chapitre V). Cette distinction demeure, mais son sens a quelque peu chaugé. Tandis que le chapitre II visait surtout le patrimoine culturel, le chapitre V touchait le patrimoine naturel.

L'intérêt «esthétique» des sites s'opposait à la valeur «artistique»

des monuments 77. Quoique le parlement ait caractérisé comme site non seulement les paysages, mais aussi les ensembles bâtis (art. 35, al. 2 LPMNS), on n'a pas marqué l'intérêt artistique de ces derniers dans la définition générale (art. 35 LPMNS). Peu importe. Mais cet oubli signale avec netteté que c'est le législateur lui-même qui a donné une portée particulière à la notion de site. Il aurait été préférable, semble-t-il, de suivre la systématique proposée par la loi neuchâteloise, qui indique d'abord, d'une manière générale, les catégories d'intérêts justifiaut la protection (intérêts esthétique, artistique, historique ou scientifique) et qui distingue, ensuite, les sites (naturels ou construits) d'avec les immeubles bâtis (art. 1 et 10 LNPMS).

Les mesures de protection générale (art. 36 LPMNS) intéressent surtout la nature. S'agissant du patrimoine architectural, elles permet- tent au Conseil d'Etat de n'autoriser que sous condition ou même d'interdire tout acte ayant pour effet de modifier l'aspect ou le caractère d'un site (art. 36, al. 2, litt. i) LPMNS), soit, au sens de l'article 35, alinéa 2, lettre a) LPMNS, d'un ensemble bâti. Il n'est donc pas nécessaire qu'un plan de site ait été élaboré selon les articles 38 et suivants de la loi pour que le gouvernement puisse empêcher la modification d'un ensemble. Un autre point retient l'attention. D'après l'article 36, alinéa 3 LPMNS, le Département des travanx publics peut, si les circonstances le justifient, substituer aux conditions prévues par le Conseil d'Etat, daus une autorisation, une contribution de rem-

7S Voir l'art. 2, al. 2 du modèle de loi mentionné à la note 60: «AIs Denkmaler ( ... ) gelten ( ... ) eiozelne Bauwerke und Baugruppen und ihre Um- gebung ( ... ) » ; cf. Knopfli (note 4), p. 153 S8 ; Bühler (note 5), p. 46-47 ; Bernet (note 33), p. 6 et 22-23.

" Mémorial 1975, p. 1901 et 1906.

77 Art. 35 et 4 du projet 4268, Mémorial 1974, p. 3231 et 3224.

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placement conformément à un tarif fixé par voie réglementaire. Cette contribution alimentera le Fonds cantonal des monuments, de la nature et des sites (art. 42, al. 2, litt. c) LPMNS). Le prélèvement d'une telle contribution doit respecter le principe de la légalité de l'impôt. Il aurait falln que la loi elle-même indiquât les conditions et la mesure de cette contribution 78. Au cas particulier, la délégation législative n'est pas suffisamment délimitée, si bien qu'elle nous paraît se heurter au grief d'inconstitutionnalité.

Outre la protection générale, il est institué des plans pour l'amé- nagement ou la conservation des sites: les plans de site, selon l'article 38 LPMNS ". Cet article est un microcosme de la législation genevoise relative au patrimoine architectural. Il conjugue les moyens relatifs à la conservation et à la construction: à la conservation, s'agissant du maintien des bâtiments existants, introduit par la commission du Grand Conseil (litt. a) ; à la construction, s'agissant de l'implantation, du gabarit, du volume, de l'aspect et de la destination des édifices (litt. b). Le maintien de bâtiments existants est l'équivalent du classe- ment. Les mots insistent sur l'idée que les édifices touchés doivent être conservés. Nous avons dit que le classement vise une fin iden- tique même si la protection semblait, à première vue, se réduire à la surveillance du Conseil d'Etat. La diversité terminologique tient au fait que l'article 38 a été modifié au cours des travaux parlemen- taires. Peut-être entend-elle souliguer la différence de procédure, qui est importante aussi bien pour l'instauration de la protection que pour son retrait.

C'est au Conseil d'Etat qu'il appartient d'édicter les plans de site.

Cela n'ira pas sans poser de délicats problèmes, puisque cet instru- ment est fort proche du plan d'aménagement, dont l'adoption ressortit à la compétence du Grand Conseil lorsque les propriétaires visés n'ont pas donné leur accord (le plan d'aménagement prend alors le nom de plan d'extension) 80. Il faudra examiner, dans chaque cas, si l'on

78 Cf. RO 97 1 344 55; Jean-François Aubert, Traité de droit constitutionnel suisse, Neuchâtel 1967, t. 2, p. 550; Grisel (note 61), p. 165; Jacques-André Reymond, Le principe de la légalité de l'impôt et l'interprétation des lois fiscales, Mélanges offerts à la Société suisse des juristes par la Faculté de droit de l'Université de Genève, Genève, 1976, p. 261 58, 262 et note 4; également RDAF 1973, p. 410 et 1977, N° 1.

79 Cf. l'art. 38, al. 2, litt. a) et b) LPMNS: «Ces plan et règlement déter·

minent notamment: a) les mesures propres à assurer la sauvegarde et l'amé- lioration des lieux, telles que: maintien des bâtiments existants ... b) les conditions relatives aux constructions, installations et exploitations de toute nature (implan- tation, gabarit, volume, aspect, destination) ... :1-

80 Art. 9 LExt.

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se trouve en présence d'un site au sens de l'article 35 LPMNS oU seulement d'un quartier au sens de l'article 1 bis, alinéa 4 de la loi sur l'extension.

La procédure d'établissement et de modification du plan de site est fort voisine de celle qui préside à l'élaboration des plans d'amé- nagement, quoiqu'elle en diffère sur certains points, notamment quant aux délais 81. Ici encore, une certaine unification serait bienvenue.

A titre de mesure conservatoire, le département peut refuser toute autorisation de construire pendant un an à compter du dépôt de la demande, lorsque l'adoption d'un plan de site est désirable (art. 39 LPMNS).

Devant la Commission du Grand Conseil, il a souvent été ques- tion d'utiliser le plan de site pour protéger la rade. Le 15 février 1974, un projet de loi a été déposé dans ce dessein 82. Il tend à modifier la loi sur les constructions et les installations diverses en vue de régir l'aspect architectural des bâtiments formant le front des quais, ainsi que leur hauteur et celle des constructions se trouvant au-delà, dans un périmètre tracé le long de la rive. Un plan de site permettrait, quant à lui, non seulement d'obtenir un résultat semblable, mais encore d'assurer le maintien d'ensembles du XIXe siècle. Il devrait en outre, aux fins de l'article 36, alinéa 2, lettre i) LPMNS, fixer des conditions relatives au gabarit d'édifices qui, bien que sis à une grande distance du lac, altéreraient la silhouette de la ville dominée par la cathédrale.

3. Le plan de site étant inspiré de la loi neuchâteloise (art. 11 ss LNPMS), le législateur genevois n'a pas suivi l'exemple du texte vaudois, qui institue un inventaire des sites (art. 12 ss L VPNMS).

S'agissant du patrimoine architectural, l'absence d'inventaire des sites sera compensée, en pratique, par l'inventaire des monuments, qui devra comprendre les éléments des ensembles ". C'est donc avant tout le plan de site qui servira à la protection de ces derniers, tâche qui revêt, aujourd'hui, une importance très vivement ressentie.

81 Art. 4 de la loi sur l'extension, 30 de la loi sur l'assainissement foncier urbain, du 11 juin 1965 CL 1 10, 5) et 6 de la loi sur le développement de l'agglomération urbaine, du 29 juin 1957 (L 1 11).

82 Projet de loi N° 4132, Mémorial 1974, p. 728 ss.

83 Rapport de la commission du Grand Conseil, Mémorial 1976, p. 1905.

Sur l'inventaire des sites, cf. Ortsbild-Inventarisation, Aber wie? Methoden darge1egt am Beispiel von Beromünster, VerBffentlichungen des Instituts für Denkmalpflege an der EidgenBssischen Technischen Hochschule Zürich, Zurich 1976.

(20)

ET DE DROIT FISCAL

REVUE GENEVOISE DE DROIT PUBLIC

33e année No 2 Mars-Avril 1977

La protection du patrimoine architectural en droit genevois

par Gabriel AUBERT

licencié ès lettres, avocat au barreau de Genève

V. Conservation des édifices et garantie de la propriété La protection du patrimoine architectural soulève un problème

« crucial» ", celui de la garantie de la propriété. Le Tribunal fédéral va répétant que les restrictions au droit de propriété sont subordonnées à trois conditions: une base légale, un intérêt public et la possibilité de réclamer une indemnité en cas d~atteinte analogue à l'expropria- tion 85, Après avoir étudié ci-dessus les bases légales, nous voudrions traiter quelques aspects des deux autres conditions.

1. Les restrictions visant la protection des monuments et des sites ont été, dès longtemps, reconnues comme justifiées par un intérêt public"', que le peuple et les cantons ont consacré le 27 mai 1962 en adoptant l'article 24 sexies de la Constitution fédérale "'. Si l'intérêt public doit être pesé dans chaque cas particulier, en regard de l'intérêt privé atteint par la mesure envisagée, il reste possible de marquer quelques accents qui le caractérisent aujourd'hui.

84 P. Leisching, Etude comparée des législations, in Sauvegarde et réanima- tion du patrimoine culturel immobilier (note 11), p. 54.

85 Grisel (note 61), p. 397; Aubert (note 78), t. II, p. 760.

86 Griset (note 61), p. 172 ~ Aubert (note 78), t. II, p. 762; Peter Saladin, Grundrechte im Wandel, Berne 1970, p. 146; Imboden/Rhinow (note 61), t. II, p. 872; Jean-Pierre Blanc, Das ôffentliche Interesse aIs Voraussetzung der Enteignung, thèse, Zurich 1967, p. 70 5S; Zingg (note 33), p. 59-61; Bernet (note 33), p. 30 SS.

87 Cf. lmholz (note 33), p. 35 ss.

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