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PLAN D'ACTION DU GOUVERNEMENT POUR LA LUTTE CONTRE LE GENOCIDE.

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REPUBLIQUE DU BURUNDI

MINISTERE DES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE, DES REFORMES INSTITUTIONNELLES ET DES

RELATIONS AVEC L'ASSEMBLEE NATIONALE

PLAN D'ACTION DU GOUVERNEMENT POUR LA LUTTE CONTRE LE GENOCIDE.

Bujumbura, Avril 1998.

I. INTRODUCTION

1. Nous proposons, dans les lignes qui suivent, une réflexion sur les problèmes multiples, graves et complexes liés à la question du génocide et des autres crimes contre l'humanité au Burundi. Nous proposons un plan d'action du Gouvernement, un programme de démarches et d'actions concrètes destinées à éloigner à jamais le spectre du génocide de notre société ainsi qu'à mettre en œuvre une politique claire visant à rendre justice à tous ceux qui ont été victimes de ces crimes odieux en vue de préparer un terrain favorable à la réconciliation nationale pour une cohabitation pacifique.

2. La société burundaise est parvenue à un tel point de tension interne que les observateurs extérieurs, les Burundais eux-mêmes s'étonnent qu'elle n'ait pas encore explosé, qu'elle ne soit pas encore complètement désintégrée.

3. Comment désamorcer la tension, faire baisser la violence, surmonter la haine, le désespoir, consoler les cœurs, réconcilier les frères ennemis ? Comment faire en sorte que les forces de la vie triomphent des pulsions de mort, que les rancoeurs et récriminations ne paralysent pas la vie, que la noblesse de l'homme triomphe de la barbarie ?

4. Il faut réussir la reconstruction de la nation burundaise, après des décennies de violences extrêmement meurtrières couronnées par quatre années de quasi-apocalypse.

5. Cette entreprise de reconstruction de la nation burundaise est impossible à réaliser si le contentieux relatif au génocide n'est pas vidé. La résolution des problèmes liés au génocide conditionne celle de tous les autres problèmes fondamentaux auxquels le pays fait face, qu'il s'agisse de la guerre ou du sous-développement.

6. Si notre société reste divisée et traumatisée par la hantise de l'extermination, si nous ne sommes pas capables de nous entendre sur des valeurs minimales, notamment le respect dû à la vie de chaque être humain même s'il est différent, si nous ne sommes pas capables de nous dire la vérité sur les grands événements qui nous ont endeuillés et établir les responsabilités, aucune réconciliation sincère ne sera possible, aucun accord de paix ou de gouvernement ne sera viable, aucun projet de reconstruction ou de développement ne pourra aboutir.

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7. Dans la conjoncture actuelle de crise aiguë, la question du génocide occupe une place centrale. Les composantes de la nation burundaise en sont arrivées à ce point extrême d'intolérance qu'éliminer l'autre est quasiment devenu une condition sine qua non de: sa propre survie, du moins pour certains membres de la société qui ne reculent plus devant rien, ne respectent plus rien et semblent avoir perdu la raison.

8. Pourquoi, comment eh sommes-nous arrivés là ? Comment pouvons-nous nous en sortir, ? Comment vaincre l'idéologie du génocide et réparer les tores causés par les actes de génocide déjà consommés dans le passé ?

9. Une appréhension correcte de la question du génocide est compliquée par une bipolarisation excessive de la société qui fait que chacun ne pleure que ses morts et ne condamne le crime que quand il est dirigé contre les siens.

10. Comment amener la société à surmonter sa fracture, à reconnaître ses errements pour mieux en guérir? Comment amener les Burundais à reconnaître les torts qu'ils se sont faits les uns aux autres, à avoir une vision correcte de leur histoire au lieu d'une vision partisane biaisée par les passions et la mauvaise foi ? Comment vaincre l'impunité génératrice de revanches cycliques et sans fin ?

11. C'est à toutes ces questions que nous tentons d'apporter un éclairage dans le présent document. Dans un premier temps, nous essaierons de préciser quelques notions sur le génocide et les autres crimes contre l'humanité avant de définir les contours de la problématique du génocide au Burundi. Nous parlerons ensuite des racines du génocide au Burundi, puis nous aborderons le chapitre central sur la lutte contre le génocide. Enfin, il sera question d'intégrer la gestion du génocide dans le cadre du processus de paix.

II. LA NOTION & LA PROBLEMATIQUE DU GENOCIDE.

12. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide a été adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies en 1948, au lendemain de la IIème guerre mondiale.

13. Le perfectionnement des moyens de destruction et la généralisation des opérations à toute la planète ont fait de ce conflit le plus meurtrier de toute l'histoire de l'Humanité. Les historiens estiment en effet les pertes civiles et militaires à près de 50 millions de vies humaines. L'Humanité était sous le choc ; une véritable apocalypse.

14. La IIème guerre mondiale s'est aussi caractérisée par le fait que, contrairement aux autres guerres de l'histoire, le but d'un des belligérants (l'Allemagne nazie et ses complices) n'était pas uniquement la domination des autres peuples, mais aussi l'extermination totale d'un groupe ethnique perçu comme un ennemi qu'on ne pouvait vaincre autrement que par la "solution finale". Près de 6 millions de juifs et des milliers de Tsiganes ont payé cette folie de leur vie.

15. Ainsi donc, même si d'autres génocides ont eu lieu dans l'histoire, celui des juifs en 1940-45 a, à cause de son ampleur, bouleversé l'Humanité entière et provoqué un sursaut mondial de peur et de révolte, un sursaut qui a fait dire à toutes les Nations : "Plus jamais ça !".

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16. La création de l'ONU et plus particulièrement l'adoption des conventions pour la prévention et la répression des crimes de guerre et des crimes contre l'Humanité, notamment le génocide, procède de la volonté du monde civilisé (c'est-à-dire un monde qui respecte certaines valeurs, par opposition à la barbarie) de tout mettre en oeuvre pour éviter à la postérité de connaître les horreurs de la IIème guerre mondiale et de l'Holocauste.

2.1. La définition du génocide.

2.1.1. La Convention de 1948.

17. La Convention Internationale de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide donne du génocide la définition suivante :

"... le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe". (art. 2)

18. Le génocide procède donc de "l'intention de détruire", de faire disparaître un groupe humain bien identifié, d'en effacer toute trace. Le but recherché est que ce groupe bien ciblé, bien nommé, bien singularisé disparaisse physiquement et ne soit plus cité que pour mémoire, presque comme une légende.

19. Dans le cas du génocide, la caractéristique nécessaire et suffisante de la victime est le seul et unique fait d'appartenir au groupe ciblé. Même l'enfant innocent, même le fœtus doit disparaître. Celui qui a "péché" contre l'agresseur, celui à qui l'agresseur en veut, ce ne sont pas les individus mais le groupe "comme tel". Toute personne du groupe ciblé est poursuivie pour ce qu'elle est et non pour ce qu'elle a fait. Et pourtant, personne n'a choisi de naître blanc, noir, juif, arménien, hutu ou tutsi.

20. Tout génocide fait l'objet d'une planification ou d'une préparation. C'est pourquoi le génocide est généralement l'oeuvre d'une machine étatique ou d'un groupe organisé qui mène une action systématique et généralisée contre un groupe humain déterminé en vue de son extinction.

21. Le génocide est un crime contre l'humanité qui ne devrait pas être confondu avec d'autres crimes contre l'humanité ou d'autres crimes caractérisés par des morts à grande échelle.

2.1.2. Les autres crimes contre l'humanité.

22. On entend par crimes contre l'humanité le fait de commettre, d'une manière systématique, ou sur une grande échelle, contre une population civile quelle qu'elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse, l'un des actes ci-après :

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• le génocide, y compris le "nettoyage" ou 'l'épuration ethnique" ;

• l'extermination ;

• l'assassinat ;

• la pratique massive et systématique des disparitions forcées et d'exécutions sommaires ;

• la réduction en esclavage ;

• les persécutions pour des motifs politiques, raciaux, religieux ou ethniques ;

• l'apartheid ;

• la torture ;

• le viol ;

• l'emprisonnement arbitraire ;

• tout autre acte inhumain qui porte gravement atteinte à l'intégrité physique ou mentale, à la santé ou à la dignité humaine. (1)

23. Le champ d'application des crimes contre l'humanité est plus vaste que celui particulier du crime de génocide. C'est ainsi que les mobiles politiques ou idéologiques sont acceptés par la définition du crime contre l'humanité. Par contre, ils ne sont pas recevables dans la qualification du crime de génocide.

24. Les travaux préparatoires de la Convention de 1948 indiquent que le génocide politique et idéologique ainsi que le génocide culturel avaient été initialement envisagés. Ces mobiles ont ensuite été abandonnés pour singulariser davantage la volonté de détruire physiquement un groupe humain, indépendamment de ses convictions philosophiques, politiques ou de sa culture. Cette définition restrictive a aussi été motivée par la recherche d'une large adhésion au texte de la Convention.

25. Les crimes contre l'humanité sont des actes graves qui portent atteinte à la liberté, l'intégrité physique et la vie de l'être humain.

26. Le caractère massif est un critère commun aux crimes contre l'humanité. Les cas isolés d'atrocités peuvent constituer des crimes contre l'humanité à condition qu'ils s'inscrivent dans un plan prémédité par leurs auteurs inspirés par les mêmes mobiles.

27. La répression du crime contre l'humanité n'est organisée par aucune convention internationale. Le crime contre l'humanité constitue une qualification de droit interne et son régime juridique obéit au droit commun. Cependant, le crime contre l'humanité relève aussi d'un ordre répressif international.

28. Par contre, l'Assemblée Générale des Nations Unies a adopté le 26/11/1968 la convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.

29. Plus tard, le 3/12/1973, l'Assemblée Générale des Nations Unies a adopté des principes de coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.

2.1.3. Les caractéristiques du crime de génocide.

30. Le crime de génocide n'est pas un crime politique. Aucune considération d'ordre politique ne peut donc être invoquée pour s'opposer à l'extradition d'une personne soupçonnée d'avoir commis un tel crime.

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31. Le crime de génocide est imprescriptible. La poursuite et la répression du génocide n'ont pas de limite dans le temps. L'auteur d'un acte de génocide ne sera jamais à l'abri d'une poursuite judiciaire. Des nazis impliqués dans le génocide des juifs sont encore traqués aujourd'hui par la justice.

32. Toute personne ayant commis des actes de génocide ne peut se prévaloir d'une immunité ou d'un privilège quelconque pour ne pas répondre de ses actes odieux.

33. Le crime de génocide n'est pas amnistiable. Cela ne découle pas d'une convention internationale mais de la simple logique juridique. Le crime de génocide étant imprescriptible, il est forcément inamnistiable "puisque les conséquences de l'amnistie sont plus étendues que celles de la prescription". (2)

2.2. Les perceptions du génocide.

34. Depuis son indépendance, le Burundi a connu des événements cycliques d'une rare violence, vécus et perçus comme un conflit ethnique Hutu/Tutsi. Les dates les plus significatives sont 1965, 1972, 1988 et 1991. Depuis 1993, le Burundi traverse la crise la plus longue et la plus tragique de son histoire. La crise a évolué jusqu'à se transformer en une guerre civile endémique.

35. Ces événements sanglants sont caractérisés par un nombre très élevé de morts. Les circonstances de ces événements n'ont jamais été élucidées. Il n'y a pas eu non plus de procès judiciaires crédibles qui puissent établir clairement les responsabilités, identifier les criminels et les punir conformément à la loi. Il est né un véritable contentieux de sang, chaque nouvelle crise étant en partie justifiée par la ou les crises antérieures. Des idées voire dès convictions contradictoires se sont développées autour de ce contentieux de sang et, par la force des choses, autour de la question du génocide.

36. L'histoire du Burundi en général, celle relative aux grands événements qui ont endeuillé le pays en particulier, constitue une source intarissable de controverses et de tensions extrêmes qui, à leur tour, nourrissent des clivages ethniques déjà fortement exacerbés.

Deux grandes versions semblent s'opposer, l'une sur le génocide des Tutsi et l'autre sur le génocide des Hutu.

2.2.1. Sur le génocide des Tutsi.

37. Le génocide des Tutsi a commencé en dehors des frontières burundaises avec la Révolution dite sociale du Rwanda en 1959. En 1965, les événements de Busangana ont été perçus comme une tentative d'exterminer l'ethnie tutsi lorsqu'une milice hutu s en est prise à de paisibles citoyens tutsi de cette région de Muramvya. En 1972, un plan visant l'extermination des Tutsi a été déjoué. Son exécution s'est finalement limitée à quelques régions du sud du pays. En 1988, à Ntega et Marangara, les Tutsi étaient les cibles de groupes armés hutu. En 1993, des Tutsi ont été systématiquement traqués et massacrés dans la plupart des provinces du pays. Des enfants ont été tués dans des conditions horribles qui traduisent l'intention de faire disparaître totalement l'ethnie tutsi comme telle.

38. Les Tutsi sont préoccupés parleur survie physique. Les Tutsi numériquement minoritaires ont peur d'être exterminés par les Hutu majoritaires. Les événements répétitifs dans la

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résoudre la question ethnique par la "solution finale". Cette préoccupation de l'ensemble des Tutsi de la sous-région est d'autant plus fondée que ces groupes sont minoritaires dans leurs sociétés respectives et que cette situation suggère aux mouvements génocidaires que la "solution finale" est matériellement possible.

39. L'ONU a mandaté une Commission d'Enquête Internationale qui a conclu à des "actes de génocide"(3) à l'encontre des Tutsi dans son rapport rendu public en juillet 1996.

2.2.2. Sur le génocide des Hutu.

40. Le génocide des Hutu est évoqué pour la première fois en 1965 pour dénoncer la répression aveugle qui a suivi le massacre de Tutsi par une milice hutu à Busangana. En 1972, des massacres de Tutsi principalement dans la province de Bururi ont servi de prétexte à un massacre systématique des Hutu instruits ou influents dans la plupart des provinces du pays provoquant ainsi un génocide. En 1988 et depuis 1993, des Hutu ont été assassinés sauvagement par des militaires ou des civils alors qu'ils n'avaient rien fait. Les représailles sont considérées comme des prétextes pour tuer le maximum de Hutu et exécuter un génocide.

41. Selon la même opinion, les Hutu sont menacés par l'atteinte arbitraire à leur vie.

Cependant, forts de leur écrasante majorité, ils ont moins que les Tutsi la hantise de l'extermination de l'espèce. L'élite hutu est visée pour lui ôter toute aspiration à exercer le pouvoir et la maintenir dans un statut de citoyen de seconde zone. L'élite Hutu, aux niveaux politique, administratif et militaire, a été décapitée depuis 1965.

42. Pour les derniers événements, soit depuis 1993, la Commission d'Enquête Internationale des Nations Unies pour le Burundi parle de massacres aveugles d'hommes, de femmes et d'enfants hutu dont se sont rendus coupables des militaires et des civils tutsi. (4)

2.2.3. Le contentieux de sang.

43. A cause notamment des manipulations auxquelles se livrent les hommes politiques, il est important de signaler que ces deux visions se sont développées et cristallisées dans un environnement malsain de 11globalisation', et de 11diabolisation". L'une des conséquences est qu'une personne hutu ou tutsi qui ne se reproche de rien, peut se sentir personnellement visée et menacée par l'autre groupe.

44. Il s'est développé une véritable psychose de peur et des traumatismes dont la portée et les conséquences sont incommensurables. Les syndromes de 1959 (Rwanda) et de 1972 (Burundi) continuent à marquer le présent par la transmission de la haine et de la peur.

Ces deux syndromes ajoutés à celui de 1993 risquent d'hypothéquer l'avenir de la nation burundaise.

45. Depuis 1965, la situation n'a cessé de se compliquer, "facteurs objectifs et subjectifs s'entremêlant, causes et conséquences se mélangeant dans une spirale infernale" (5) . Les événements sanglants et cycliques qui jalonnent l'histoire du Burundi indépendant témoignent de l'existence d'un contentieux de sang non encore résolu.

46. Au sein de chaque groupe ethnique, il existe une tendance réelle de vouloir s'approprier le

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subies par l'autre groupe. Les seules victimes ou les seuls à être persécutés sont ceux du groupe auquel on appartient.

47. Ces perceptions sont aujourd'hui fortement ancrées dans l'esprit et dans le coeur des gens qui en ont fait une vérité véhiculée par la mémoire collective du groupe.

48. Bien entendu, ces perceptions influencent considérablement les réactions des uns et des autres. Il existe même une pulsion sanguinaire qui se retrouve aussi bien chez des Hutu que des Tutsi dont la logique tend à considérer comme normale voire naturelle la répression anti-tutsi ou anti-hutu. Le paroxysme a souvent été atteint lorsque certains ont tué ou massacré "préventivement", convaincus qu'ils allaient être tués ou massacrés.

49. Que ces perceptions reflètent ou non la réalité, elles sont si tenaces qu'il serait vain de vouloir les ignorer. Au contraire, elles font partie de la problématique du génocide et requièrent un traitement approprié pour qu'elles évoluent vers une perception objective des événements et des choses.

2.3. La reconnaissance du génocide.

50. Les perceptions du génocide et les spéculations autour d'elles ont fini par créer la confusion de sorte qu'il est important de se convenir des critères qui permettent d'établir ou de reconnaître un génocide.

51. Il est nécessaire que tous les citoyens s'imprègnent de ces notions mais en définitive, la reconnaissance des actes de génocide est de la compétence d'une juridiction nationale ou d'une juridiction internationale créée sur la demande du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

2. 3. 1. Les principaux critères de reconnaissance du génocide et leurs implications.

52. Les principaux critères de reconnaissance du génocide sont les suivants :

• l'intention de détruire un groupe humain ;

• détruire, en tout ou en partie, un groupe humain ;

• l'ampleur des crimes ou leur caractère massif ;

• le caractère systématique des actes.

53. Le génocide vise l'extinction d'un groupe dont les caractéristiques sont réduites à leur plus simple expression. LI individu est ciblé uniquement pour son appartenance à un groupe ethnique.

54. L'introduction de l'appartenance ou du mobile politique serait contraire à cette approche.

On peut changer de parti politique mais on ne peut pas changer d'ethnie ou de race.

55. S'agissant de l'intention, elle n'est rien d'autre que "la volonté consciente de commettre un acte en voulant et en recherchant ses conséquences".(6)

56. L'intention de détruire peut porter sur une partie du groupe humain ciblé. "Le fait de tuer seulement quelques membres d'un groupe peut constituer un génocide, si sa motivation

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victime"(7). C'est ainsi que l'Assemblée Générale de l'ONU a qualifié d'actes de génocide les massacres de Sabra et Chatila en 1982 alors que le nombre de victimes était inférieur à 800.

57. Toute extermination de masse n'est pas un génocide. Pour qu'il y ait génocide, il faut cette volonté de vouloir éteindre une espèce comme telle. Vingt millions de Russes ont été tués durant la seconde guerre mondiale sans qu'on parle de génocide. Par contre, le génocide des Juifs est incontestable avec un nombre de victimes de l'ordre de six millions.

58. Le caractère massif est un critère commun à tous les crimes contre l'humanité., L'intention des auteurs sera déterminante pour que leurs crimes puissent être qualifiés de génocide et non pas simplement de crime contre l'humanité.

59. Le caractère massif est sujet à discussion quant aux critères d'appréciation. S'il est vrai que des actes isolés ne peuvent pas permettre d'établir un crime contre l'humanité, il n'est pas aisé de fixer un seuil au delà duquel le nombre de morts d'un groupe humain lui confère un caractère massif.

60. Quant au caractère systématique, il est déterminé par la préparation et l'exécution des actes incriminés qui révèlent l'application d'une méthode selon une logique et un ordre déterminés.

61. La reconnaissance proprement dite du génocide par les organes habilités de l'ONU, en l'occurrence le Conseil de Sécurité, a de nombreuses implications dont les plus importantes sont les suivantes :

• l'obligation des Etats parties à la Convention d'intervenir pour mettre fin au génocide ;

• l'obligation de juger ou d'extrader toute personne accusée de génocide ;

• la création d'un tribunal pénal international à défaut d'une juridiction internationale, permanente ;

• la mise en oeuvre des principes de la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de crimes contre l'humanité.

62. En réalité, le Conseil de Sécurité et l'ONU en général, ne sont pas principalement motivés par la volonté de respecter une convention internationale ou de s'opposer à un crime contre l'humanité. Des considérations d'ordre politique et économique peuvent prévaloir sur des principes légaux, universellement reconnus, et sur des considérations d'ordre moral. Les tergiversations sur la reconnaissance du génocide au Rwanda et la suite réservée au rapport de la Commission d'Enquête Internationale des Nations Unies pour le Burundi sont des exemples éloquents qui confirment cette triste réalité.

2.3.2. La qualification objective des faits.

63. Compte tenu des antagonismes et des spéculations sur la question du génocide, le problème majeur va consister à qualifier objectivement les faits.

64. Concernant les éléments constitutifs du génocide, l'établissement d'une grille commune de lecture s'impose au risque de laisser la question du génocide diviser éternellement les

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Burundais. Si les références ne sont pas clairement définies, les positions des uns et des autres sont davantage le reflet des passions et des émotions.

65. Cela se traduit notamment par un certain nombre de concepts en rapport avec le génocide qui ont été imaginés et utilisés à des fins diverses (génocide sélectif, génocide intellectuel, génocide à compte-gouttes, double génocide, génocide économique, ... ). Les qualificatifs qu'on accole au mot génocide sont souvent abusifs et sont destinés à brouiller la notion de génocide, à la banaliser, à la confondre sciemment avec d'autres crimes, à l'occulter ou encore à la nier. Tous ces concepts peuvent conduire au "révisionnisme" et au

"négationnisme".

66. L'approche n'est cependant pas aisée dans la mesure où elle fait intervenir des éléments d'appréciation sur trois points précis, à savoir l'intention de détruire un groupe ethnique, la planification de ces actes et leur caractère massif.

67. L 'intention de détruire un groupe ethnique ou une partie de ce groupe devrait être établie à partir de faits perceptibles notamment la nature et la gravité des actes, les mots d'ordre et autres slogans utilisés, le choix de la cible, le degré de préparation, l'absence de motif valable, les témoignages, les similitudes, etc ...

68. L'affirmation de la planification du génocide suppose l'identification de ses auteurs et commanditaires ainsi que la production d'éléments qui prouvent cette préméditation (commandement, coordination, systématisation, documents divers, témoignages, circonstances, etc ... ).

69. Le caractère massif des actes incriminés est pris en compte dans l'établissement du crime contre l'humanité et du crime de génocide. Ce caractère pourrait s'évaluer en fonction de certaines données (nombre, pourcentage, systématisation, etc ... ) même si, rappelons-le, le génocide est davantage déterminé par l'intention que par le nombre de victimes.

77. Le génocide est le stade suprême des crimes contre l'humanité car il vise l'extinction d'un groupe humain. De ce fait, il mérite une condamnation encore plus forte.

78. Ensuite, il est nécessaire de mettre un terme à la globalisation et de s'en donner les moyens. Il est plus que temps de s'opposer à la logique qu'illustre parfaitement une fable de la Fontaine - "Si ce n'est toi, c'est donc ton frère". Les familles tutsi décimées en 1993 ne sont pas responsables de l'assassinat du Président NDADAYE ou du putsch. Les Hutu traqués et tués en 1972 dans de nombreuses provinces du pays ne sont pas responsables des Tutsi tués à Rumonge et ailleurs.

79. Par ailleurs, aucune personne ne devrait se culpabiliser pour des fautes ou des infractions commises par une personne ou un groupe de personnes de son ethnie. La réalité montre que la tendance inverse semble prédominer.

80. Ces objectifs devraient faire partie d'une plate-forme minimale et consensuelle au niveau de l'ensemble des partenaires politiques et sociaux.

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III. LES RACINES DU GENOCIDE AU BURUNDI.

81. Aucune raison ne peut justifier le génocide! Pourtant, le pire des crimes contre l'humanité a été commis à plusieurs reprises aux quatre coins du monde. Au delà de ce constat douloureux, il s'agit de diagnostiquer ce phénomène sous tous ses aspects et de déceler les circonstances qui ont conduit au génocide.

82. Dans le cas du Burundi, l'explication pourrait tourner autour des éléments principaux suivants :

• l'idéologie du génocide

• l'exacerbation de la conscience ethnique et l'intolérance ;

• l'extermination comme moyen d'accéder au pouvoir ou de satisfaire ses intérêts ;

• la mauvaise gestion politique ;

• l'influence extérieure.

3.1. L'idéologie du génocide.

83. Le Petit Larousse illustré définit l'idéologie comme étant "un système d'idées constituant un corps de doctrine philosophique et conditionnant le comportement individuel ou collectif Il (8) . L'idéologie est. une construction élaborée dl idées et de pensée qui se veulent scientifiques ou philosophiques pour qu'elles puissent s'imposer à un groupe social à telle enseigne que les membres dudit groupe adoptent des attitudes conformes à cette idéologie.

84. L'idéologie du génocide est donc un système d'idées et de pensée qui vise l'extermination totale d'un groupe national ethnique, racial ou religieux;. Le recours aux théories pseudo - scientifiques et aux facteurs psychologiques paraît indispensable pour amener une personne ou un groupe de personnes à commettre un crime aussi odieux.

85. L'idéologie de l'extermination a été conçue par des extrémistes qui ont réuni plusieurs éléments réels ou imaginaires (histoire, partage du pouvoir, inégalités, conscience ethnique, besoins élémentaires, mauvaise gouvernance, impunité, cas discriminatoires, etc ... ) à partir desquels ils ont développé une doctrine et des méthodes d'endoctrinement.

Le recours aux stéréotypes est l'une des méthodes utilisées.

86. En plus des éléments subjectifs ou psychologiques, le passage à l'acte de génocide s'appuie aussi sur des facteurs objectifs tels que la conquête du pouvoir ou la recherche de biens matériels et de meilleures conditions matérielles de vie. L'extermination devient un moyen comme un autre d'accéder au pouvoir ou de promouvoir ses intérêts matériels immédiats.

87. En réalité, l'idéologie justifie un comportement. Le conditionnement permet que des actes horribles soient banalisés, jusqu'à les considérer comme naturels. L'idéologie du génocide repose sur une perception de groupe et en appelle à la conscience ethnique. Enfin, le groupe sous l'effet du conditionnement devient facile à manipuler et l'irréparable devient possible. Des actes aussi barbares et aussi incroyables que manger un coeur humain font référence à des phénomènes surnaturels ou des rituels qui s'appliquent sur des personnes psychologiquement affaiblies.

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88. Les crimes auxquels le Burundi est malheureusement habitué ne découlent pas forcément d'une idéologie. Les criminels sont aussi poussés par des idées simples, des réflexes spontanés, des comportements impulsifs ou même des instincts primaires de conservation.

En tout état de cause, cela ne peut justifier un crime contre l'humanité et encore moins un génocide.

3.2. L'exarcerbation de la conscience ethnique et l'intolérance.

89. Au Burundi, le génocide vise l'extinction d'un groupe ethnique. Chaque Burundais sait qu'il est Hutu ou Tutsi selon que son père est Hutu ou Tutsi. Peu importe l'ethnie de la mère. Même si le passé est idyllisé par certains, même s'il ne faut pas hypothéquer l'avenir en focalisant les énergies sur la dimension ethnique conjoncturelle du conflit, le poids de l'histoire récente et le cours actuel des choses font qu'il faut analyser avec lucidité la dimension ethnique du conflit burundais.

90. Les affrontements sanglants des années 1965 à nos jours ont toujours pris une couleur ethnique. Même les élections ont été qualifiées d'ethniques du moins en 1965 et en 1993.

La société burundaise s'est bipolarisée sur base ethnique; la ligne de démarcation ethnique a supplanté et gommé les autres formes de regroupement d'intérêts possibles dans la société (classes sociales, groupes religieux, clanisme, régionalisme).

91. La classification de la population burundaise en ethnies est inoffensive tant qu'elle ne fait qu'affirmer la différence inhérente à la nature humaine. Elle devient pernicieuse lorsqu'elle débouche sur l'intolérance et sous-tend des théories discriminatoires ou racistes.

92. L'intolérance est devenue une caractéristique de la société burundaise. Celui qui n'appartient pas à votre groupe ethnique, politique, régional ou autre est souvent mal vu.

En période de crise, il peut être menacé de mort. La population subit des pressions de toutes sortes. Elle succombe un peu trop facilement aux sollicitations d'une élite manipulatrice qui profite notamment de son faible niveau d'instruction et de la faible assise morale de la société. La crise des valeurs au Burundi a atteint des dimensions catastrophiques.

93. Quant aux théories discriminatoires, le colonisateur les a élaborées avant de les mettre en pratique. Selon lui, il y a d'un côté les seigneurs, les oppresseurs, les éleveurs ou la classe supérieure et de l'autre côté les serfs, les opprimés, les agriculteurs ou la classe inférieure.

A la longue, cela développe des sentiments voire des complexes de supériorité et d'infériorité. Dans ces circonstances, l'identité ethnique engendre l'exclusion qui peut culminer dans la haine et dans l'élimination.

94. En suivant la réflexion du Professeur NDAYISABA Joseph, plusieurs facteurs favorisent le passage du racisme au génocide, à savoir:

- les facteurs psychologiques liés notamment au complexe d'infériorité qui peut évoluer en traumatisme jusqu'à vouloir s'épanouir par l'élimination de l'autre ;

- la culture à outrance de la conscience ethnique sur une base manichéenne ;

- un espace politique et économique tellement étroit qu'il favorise le recours à la différence (l'ethnie en l'occurrence pour le Burundi) pour diminuer le nombre de prétendants au

"gâteau" ;

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- les règles du jeu étant faussées ou non respectées, elles laissent libre cours à la loi de la jungle. (9)

95. Les effets de l'ethnisme deviennent dévastateurs lorsque l'ethnisme est combiné avec des facteurs d'ordre objectif ou des querelles d'ordre matériel.

3.3. L'extermination comme moyen d'accéder au pouvoir ou de satisfaire ses intérêts.

96. Les guerres dans le monde ont toujours à leur origine une querelle d'ordre matériel mêlée à une querelle d'ordre spirituel, cette dernière étant généralement un prétexte, un habillage idéologique pour justifier ou camoufler celle-là. Les groupes humains sont en lutte constante pour le contrôle des ressources matérielles nécessaires à leur survie et à leur développement. Ils visent généralement la soumission de l'ennemi ou, à défaut, son éloignement ou son anéantissement.

97. S'il est admis que les Hutu et les Tutsi sont des groupes humains en compétition pour le contrôle des ressources, nous pouvons donner une énumération non limitative des litiges d'ordre matériel :

- La lutte des élites pour le contrôle de l'appareil de l'Etat qui est le maître de l'allocation des ressources nationales (l'appareil de l'Etat comprenant l'armée, la police, les tribunaux, l'administration, les infrastructures économiques et sociales et les finances publiques, le domaine public en général et le patrimoine de l'Etat);

- la lutte des paysans pour l'agrandissement des terres arables, l'appropriation du cheptel et autres biens meubles et immeubles ;

- la lutte des élites pour l'occupation de postes rémunérateurs (dits "juteux");

98. L'accès au pouvoir est un point focal de tout système institutionnel. L'absence de règles consensuelles pour accéder, gérer et quitter le pouvoir a souvent été à l'origine de troubles socio-politiques ou de guerres en Afrique. A côté des élections et des coups d'Etat, il existe d'autres procédés violents ou non-violents pour accéder au pouvoir. Le plus sanguinaire de tous est le génocide. En effet, l'extermination d'un groupe humain est aussi 'une réponse radicale dans la lutte que se font les hommes et les groupes en vue de conquérir et de garder le pouvoir ainsi que les avantages qui en découlent.

99. Les élections au Burundi, en particulier en 1965 et 1993, ont été marquées ethniquement.

L'appartenance ethnique a prévalu sur le programme politique. L'élection au Burundi a perdu son essence démocratique. Vouloir éliminer physiquement un groupe ethnique, c'est aussi vouloir éliminer un adversaire politique et un groupe politiquement hostile.

100. Quand les élites embrigadent les masses dans une lutte "ethnie contre ethnie", c'est bien sûr de l'égoïsme de la part des élites mais ce n'est pas uniquement cela, puisque les masses espèrent aussi gagner quelque chose de matériel et quelque chose de spirituel à l'issue heureuse du combat. Les masses ont aussi leurs espoirs propres -et leurs querelles propres. Elles ne suivent les élites que parce qu'elles se sont laissées convaincre et qu'elles comptent en retirer un intérêt matériel.

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101. Des litiges fonciers dans le cadre familial ont déjà provoqué des conflits violents allant jusqu'à entraîner la mort d'un homme. La poursuite d'intérêts matériels peut pousser une personne apparemment équilibrée à commettre les pires crimes.

3.4. L'influence extérieure.

102. Des thèses racistes et pseudo-scientifiques ont été inoculées par le colonisateur en vue de "diviser pour régner". Certains auteurs comme HANS MEYER ont affirmé que les Batutsi, race supérieure, ont toujours exploité et dominé les races inférieures que sont les Batwa et les Bahutu alors que ces derniers forment la grande majorité, de la population. Il faut dès lors se libérer de cette oppression par tous les moyens, y compris l'extermination.(10).

103. Le complexe d'infériorité a été inculqué par le colonisateur à de nombreux Hutu.

Certains y ont cru. D'autres ont choisi d'y croire pour tirer profit de cette situation.

104. La révolution dite sociale du Rwanda en 1959 a été inspirée par le colonisateur. Elle a influencé l'évolution historique du Burundi d'autant plus qu'un bon nombre de réfugiés rwandais se sont exilés au Burundi voisin.

105. Néanmoins, il serait injuste voire irresponsable de tenir la colonisation pour responsable de nos malheurs actuels alors que le Burundi est indépendant depuis 1962.

106. Au début des années 80, le PALIPEHUTU, Parti pour la Libération du Peuple Hutu, a vu le jour sur le territoire rwandais. Les actions que mène ce parti sont révélatrices de son option violente et de son idéologie. Ils veulent tuer des populations civiles tutsi comme ce fut le cas à Ntega et Marangara en 1988.

107. Depuis le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, la coalition entre les ex-FAR (Forces Armées Rwandaises), les milices Interahamwe et les éléments armés des Forces de Défense de la Démocratie (FDD) et du Front National de Libération (FNL) est à l'œuvre dans la région des grands Lacs. Cette coalition s'est rendue coupable de crimes odieux sur les territoires congolais, burundais et rwandais. Les récents massacres de Rukaramu du ler janvier 1998 en sont encore une preuve éclatante.

108. De tels criminels sont hébergés par des pays limitrophes et bénéficient au grand jour du soutien moral et matériel d'une partie de la Communauté Internationale et de certains pays de la sous-région.

109. Ce soutien est aussi relayé par des médias internationaux qui délibérément se mettent au service d'une cause immorale que certains confondent avec un combat démocratique.

Les bandes et milices génocidaires prétendent en effet lutter pour défendre la démocratie alors que dans les faits, ils massacrent tout ce qui est Tutsi ou Hutu non acquis au génocide, sans épargner les enfants, ni les femmes ou les vieillards. Et certaines personnes ou associations de l'étranger, notamment en Europe, abusées ou complices de ces criminels, se font l'écho de cette propagande mensongère dans les médias et dans certains sites sur Internet.

3.5. La mauvaise gestion politique et l'impunité.

110. La mauvaise gestion de l'Etat est aussi une des racines du génocide au Burundi. Elle ne peut évidemment pas le justifier.

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111. Les planificateurs du génocide s'appuient souvent sur des 'mensonges et recherchent l'intoxication dans un but précis. Mais ils prennent parfois prétexte de situations réelles d'injustice, d'impunité, d'exclusion ou de discrimination. Lorsque des dirigeants ne sont pas capables de gérer la République de manière à assurer des chances égales et une bonne répartition des ressources à tous les citoyens, ils prêtent le flanc aux critiques et aux manipulations diverses. Ils portent ainsi une part de responsabilité dans la création de conditions favorables à la propagation dl idées génocidaires.

112. Le pouvoir a souvent été mal géré de sorte qu'il est perçu comme un instrument de protection et de domination. Les mécanismes d'accès et de gestion du pouvoir n'ont jamais permis d'asseoir une bonne gouvernance au Burundi.

113. Le pouvoir judiciaire est resté trop faible au regard de la puissance du pouvoir exécutif. La justice n'a pas réussi à jouer son rôle régulateur des conflits inhérents à toute société.

114. L'impunité des crimes au Burundi a atteint une telle dimension que d'aucuns parlent de culture d'impunité. Depuis l'indépendance, les services de l'Etat n'ont pas honoré -de manière satisfaisante leur obligation d'identifier et de sanctionner les responsables des violations massives des droits de l'homme au Burundi.

115. Les victimes, leurs proches ou leurs ayants droits n'ont pas eu la possibilité de connaître la vérité et de recouvrer leurs droits.

116. L'impunité s'oppose à la paix sociale. Elle est une source de frustrations et de troubles sociaux. "Elle développe les rancoeurs, incite à la vengeance privée, perpétue la violence, accentue les conflits existants et impose la loi du plus fort".(11)

117. L'impunité est un véritable fléau qui a contribué fortement à la naissance et au développement du phénomène de la "globalisation" ou même de la "diabolisation".

118. Par ailleurs, le Gouvernement dispose de la force publique pour protéger la population en s'opposant à ce que de tels crimes soient commis. Cette force ne peut être utilisée qu'avec modération et jamais contre des populations civiles innocentes. Force est de constater de graves manquements à certaines périodes de l'histoire du Burundi indépendant.

119. La responsabilité de l'Etat est aussi engagée quant à l'éducation et à l'encadrement moral de la population. Quand une société atteint un tel déclin, le Gouvernement ne peut en aucun cas se considérer comme irresponsable.

IV. LA LUTTE CONTRE LE GENOCIDE.

120. Dans le contexte du Burundi, la lutte contre le génocide est d'une grande complexité. Il est nécessaire d'étendre cette lutte aux autres crimes contre l'humanité. Elle ne peut réussir que si elle s'organise au-delà des clivages politico-ethniques et des clichés.

121. La lutte contre le génocide peut se développer autour de deux axes, à savoir d'une part la prévention et d'autre part, la répression et la réparation du génocide. Il n'est pas superflu

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de préciser quels sont les différents acteurs impliqués dans la lutte contre le génocide et d'appréhender la dimension régionale du génocide.

4.1. La prévention du génocide.

4.1.1. L'éradication de l'idéologie de génocide.

a) Bien comprendre la nature du conflit burundais.

122. Le conflit burundais trouve ses origines dans l'histoire du Burundi. Celle-ci est souvent manipulée à des fins politiciennes de sorte que l'histoire est devenue un élément catalyseur du contentieux burundais. Une idéologie s'impose d'autant plus facilement qu'elle recourt à des arguments historiques pour justifier un courant de pensée et des comportements.

123. Certains voudraient faire croire que le conflit burundais résulte uniquement d'un antagonisme profond Hutu/ Tutsi qui s'exprime par la volonté des Tutsi de dominer éternellement les Hutu et celle des Hutu de se libérer de cette domination par tous les moyens.

124. Quelles que soient les injustices qui ne correspondaient d 1 ailleurs pas -aux clivages ethniques, aucun f ait historique n'a été rapporté jusqu'aujourd'hui pour démontrer un tel antagonisme Hutu/Tutsi qui aurait conduit à une confrontation sanglante entre les deux groupes ethniques. Les exemples des révoltes de la période coloniale Kilima (1911), Inamujandi (1932) ne pourraient pas résister à une analyse rigoureuse.

125. Il ne faudrait pas rechercher la cause, les facteurs ou la nature du conflit burundais dans un seul phénomène. Le conflit burundais n'est ni un conflit purement ethnique, ni un conflit purement économique ou politique. Tous ces facteurs sont enchevêtrés; la nature du conflit burundais est multidimensionnelle.

126. Ce conflit comprend des éléments que la sociologie politique rattacherait à la lutte des classes, d'autres qui relèvent de la revendication politique, et d'autres enfin que nous pourrions qualifier d'affrontements à caractère ethnique. Il serait simpliste de tout réduire à la perversion des élites, car ces élites ne peuvent pas ensemencer un champ qui n'a aucune prédisposition à recevoir la graine.

127. L'enjeu essentiel du conflit burundais est le pouvoir avec tous ses attributs dont le contrôle des ressources matérielles. La lutte des élites pour le contrôle du pouvoir s'appuie aujourd'hui sur les clivages ethniques et la violence, qui peut aller jusqu'à l'extermination.

Demain, llethnisme pourrait être remplacé par une autre forme de sectarisme.

128. Dans un pays comme le Burundi, nous en sommes encore à l'organisation par factions claniques, tribales, régionales ou ethniques à cause précisément de l'état d'inachèvement de l'intégration nationale, de l'insuffisance de l'expression de l'opinion publique ainsi que de l'obscurantisme dans lequel baignent encore les masses.

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b) La recherche de la vérité.

129. Il est indispensable que les Burundais affrontent leur histoire et l'assument sous ses multiples facettes. L'avenir du Burundi serait compromis si l'histoire était ignorée, falsifiée ou caractérisée par deux versions parallèles.

130. Pour certains événements malheureux qu'a connus le Burundi, aucune procédure satisfaisante n'a jamais permis d'établir la réalité des faits, d'identifier les responsables et de les poursuivre devant les juridictions burundaises ou même internationales.

131. A défaut d'une procédure judiciaire qui ne semble pas toujours possible, à cause notamment du temps écoulé depuis le déroulement des faits, il paraît nécessaire de recourir à d'autres mécanismes susceptibles d'éclairer le passé et de suppléer aux insuffisances de la voie judiciaire.

132. L'idée de la création d'une commission vérité à 1 instar de celle du Salvador ou de 1' Afrique du Sud mérite toute l'attention des partenaires, politiques et sociaux. Si une telle procédure s'avérait applicable au Burundi, - ce qui reste à démontrer - elle pourrait contribuer à créer des conditions psychologiques favorables à la réconciliation.

133. Une commission vérité et réconciliation nous permettrait de regarder notre passé et notre présent en face, de déballer les rancoeurs et récriminations des uns et des autres, de désigner et punir sans complaisance ceux qui se sont rendus coupables de barbaries. Nous ne pourrons pas bâtir sur l'hypocrisie.

134. Dans tous les cas, l'absence de consensus ou d'une vision commune de la nature du conflit et de l'histoire du Burundi ne peut en aucun cas justifier le génocide et les violations massives des droits de l'homme que le Burundi a connues.

c) implanter une idéologie nationaliste.

135. L'idéologie du génocide ne sera vaincue que si elle est supplantée par une autre idéologie, plus forte et suffisamment riche pour rassembler autour d'elle la majorité des Burundais, toutes sensibilités politiques et ethniques confondues. Face à un système de pensée, à des idées, à des enseignements, à des comportements, à des mensonges qui prônent ou qui préparent le génocide, il faut opposer la vérité, un autre système de pensée, d'autres idées, d'autres enseignements, d'autres comportements qui soient inspirés par les valeurs de paix et des droits de l'homme.

136. Ce ne sont pas seulement des idées qui sont en jeu mais bien un système de pensée ou des convictions qui se transmettent de génération - en génération. Il s'agit de développer une idéologie nationaliste et patriotique.

137. L'exacerbation de la conscience ethnique a engendré des clivages ethniques en dehors desquels il est devenu de plus en plus difficile de s'épanouir. L'environnement influe sur le comportement et sur les idées des uns et des autres.

138. Avec le temps, le poids de l'ethnie a supplanté toute autre considération. L'indifférence s'est progressivement accrue devant la mort, le massacre ou l'acte de génocide d'une

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vôtre. Plus que de l'indifférence, certains vont jusqu'à nier des réalités criantes provoquant ainsi des rancoeurs qui favorisent le passage à la haine et enfin à la violence.

139. Notre devoir est de sortir de cette bipolarisation suicidaire où nous a enfermés l'histoire récente de notre pays. Nous devons déplacer la compétition sociale du terrain miné qu'est l'ethnisme vers une autre forme d'agrégation d'intérêts qui soit plus moderne, évite le suicide collectif et permette le développement et le progrès de la société. C'est pourquoi, la conception et la diffusion d'un vaste programme d'éducation de la population s'imposent.

140. L'éducation au sens le plus large couvre plusieurs domaines et fait intervenir de nombreux partenaires à différents niveaux : les institutions étatiques, les partis politiques, les confessions religieuses, la société civile, le système éducatif, l'éducation familiale, les médias, les organisations internationales et les ONGs.

141. Devant tant de haine et tant de morts, il sera difficile d'inculquer à la population des valeurs de tolérance et de paix si toute la société ne s'implique pas dans la poursuite de cet objectif. Le Gouvernement a l'obligation de coordonner cette action commune dans un souci d'efficacité et d'optimalisation des ressources disponibles.

142. Au delà de l'objectif, le contenu du programme et la méthodologie sont déterminants si l'on veut réellement que ce programme d'éducation ait des chances d'aboutir à une véritable culture des droits de l'homme, c'est-à-dire un ensemble d'idées et de comportements qui caractériseront la société burundaise toute entière.

143. En conclusion, il s'agit de développer toute une stratégie, toute une pédagogie adaptée au contexte actuel.

- sensibiliser tous les partenaires en général, les partis politiques en particulier, pour qu'ils en fassent un objectif commun prioritaire ;

- inciter les uns et les autres à avoir un comportement identique quelle que soit l'appartenance politique ou ethnique de la victime ;

- mettre en valeur les personnes ou groupes qui ont transcendé ces clivages ethniques dans leurs actions

- susciter des actions communes sur des cas précis (déclarations, descentes sur terrain, séminaires, etc..);

- étudier l'opportunité et les conditions nécessaires à la création d'une commission dite de vérité et de réconciliation.

4.1.2. La bonne gouvernance et la lutte contre l'impunité.

144. La prévention du génocide passe aussi par la résolution d'un certain nombre de situations d'injustice, d'impunité, d'exclusion et de désordre pour lesquels la responsabilité des services de l'Etat se trouve engagée. Lorsque de telles situations sont réelles , elles sont exploitées par les planificateurs du génocide qui en font des prétextes ou des arguments pour préparer et justifier le génocide.

145. La bonne gouvernante, c'est aussi concevoir et mettre en place des mécanismes institutionnels adaptés aux réalités burundaises tout en étant inspirés des principes démocratiques.

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146. Le bon gestionnaire de la chose publique anticipe sur les événements, met en place des mécanismes d'encadrement et d'éducation de la population, rassure l'ensemble de la population par son discours et ses actes, s'implique résolument dans la lutte contre l'impunité et transcende les clivages politico-ethniques.

147. La lutte contre l'impunité constitue un défi majeur de la société toute entière. S'il est vrai que les services de l'Etat ont un rôle prépondérant à jouer pour mettre fin à l'impunité, il serait illusoire de croire qu'ils peuvent atteindre cet objectif sans le concours de tous.

148. La lutte contre l'impunité est aussi le moyen le plus efficace pour résoudre l'épineuse question de la globalisation et de la solidarité négative.

149. Les dirigeants ont un rôle déterminant dans la lutte contre le génocide. Ils doivent notamment mobiliser l'ensemble des partenaires politiques et sociaux autour de ce programme d'une priorité absolue.

4.1.3. La lutte contre l'effondrement des valeurs.

150. La barbarie chez les génocidaire se caractérise par une absence de normes, de respect humain, d'honneur, de conscience, un comportement qui régresse au niveau de l'instinct animal, un comportement réprouvé par le monde entier.

151. Nous né devons pas jeter un manteau de pudeur sur les horreurs. Nous devons au contraire les stigmatiser, en témoigner, les réprimer et éduquer la population dans la voie du retour aux valeurs d'humanité. Nous devons affirmer des interdits incontournables.

152. Il faut enseigner à la population que les belligérants ne doivent pas toucher aux enfants, aux femmes surtout quand elles sont enceintes, aux vieillards, aux blessés, aux handicapés, aux prisonniers de guerre; qu'il ne faut pas manger la chair humaine; qu'il ne faut pas soumettre les gens à des tortures et à des atrocités sadiques; qu'il ne faut pas opérer des destructions méchantes et gratuites, des atteintes à l'environnement et aux infrastructures communes à toute la société (hôpitaux, écoles, sources, ouvrages d'irrigation, ... )

153. Les stratégies pour un retour aux valeurs d'humanité passent par une redécouverte de l'éducation traditionnelle; la morale inculquée à l'enfant et à l'adolescent; la formation civique à l'école, sur les collines, dans les quartiers et sur les lieux de travail; le message religieux pour les populations pratiquantes mais aussi la répression énergique et sans pitié des auteurs de comportements barbares, répression qui aura valeur dissuasive.

4.1.4. Le refus de l'oubli et la construction d'une mémoire commune.

154. Le Burundi a vécu des tragédies extraordinaires que les victimes et le peuple burundais ne peuvent pas oublier aussi facilement. Le référendum sur la Charte de l'Unité Nationale et l'adoption des lois d'amnistie n'ont pas suffi à faire oublier les faits et à dissiper l'esprit de vengeance.

155. Beaucoup de Burundais ont agi avec une violence inouïe durant la crise de 1993 en croyant venger les leurs, disparus tragiquement lors des événements sanglants antérieurs.

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L'intensité est restée intacte parce que leurs souffrances n'ont pas été reconnues et que ces crimes odieux sont demeurés impunis. L'oubli est un leurre.

156. Le refus de l'oubli est justifié par l'impérieuse nécessité de comprendre ce qui s'est passé, de connaître son histoire pour que les drames connus ne se répètent plus aujourd'hui ni demain. Nous, avons l'obligation de transmettre notre expérience aux générations futures. "Un peuple qui ne connaît pas son histoire ne peut ni comprendre le présent, ni bâtir l'avenir".(12)

157. La mémoire est un élément essentiel pour lutter contre le génocide. La situation est rendue complexe du fait que la mémoire est devenue elle-même un enjeu politique.

158. Il s 'est tissé progressivement des mémoires collectives contradictoires qui reposent chacune sur une "vérité historique" différente et sur des manipulations ou des mensonges de l'élite ou de la classe politique. Ces mémoires se sont développées jusqu'à créer des caractéristiques propres à un groupe ethnique (données et recherches historiques ; dates commémoratives (29/4 ; 21/10 ; monuments ;…)

159. Il s'avère donc indispensable de s'engager dans la recherche de la vérité et dans la connaissance du passé. L'impunité favorise la globalisation voire la diabolisation et contribue fortement à la création de mémoires contradictoires. La lutte contre l'impunité est donc une étape essentielle vers la construction d'une mémoire commune. Les Hutu ou les Tutsi n'ont pas à payer les erreurs ou les crimes de dirigeants Hutu ou Tutsi. Le jugement et la condamnation des faits, de ses auteurs et de l'idéologie incriminée permettent d'éviter ces situations et de guérir la mémoire. Ce travail ne revient pas aux seuls juges mais à l'ensemble de la société à travers des mécanismes originaux. Il est primordial d'analyser et de condamner le génocide en tant que tel. C'est un jugement moral qui va enrichir le patrimoine commun.

160. La relecture du , passé devrait déboucher sur la constitution d'une mémoire commune qui intègre des éléments des mémoires collectives. En approchant la vérité, les Burundais vont connaître leur propre histoire et reconstruire une identité collective commune. Sans mémoire, il ne peut y avoir d'identité.

161. A défaut d'une telle démarche, la société toute entière va continuer à couver des motifs pouvant permettre que les mêmes événements se répètent et se reproduisent. Pour espérer que le "PLUS JAMAIS CA" devienne une réalité, le refus de l'oubli et la mémoire constituent des facteurs incontournables. Il est fondamental "que les leçons apprises dans une souffrance incommensurable se transforment en bénéfice non seulement pour ceux qui luttent pour cicatriser les blessures, mais aussi pour les nouvelles générations". (13) 162. Une série dl actions peuvent être menées pour construire mémoire commune. Il s'agit

notamment de :

- écrire et enseigner l'histoire du Burundi en insistant sur le fait que rien ne peut justifier le génocide ;

- susciter la créativité littéraire et artistique pour témoigner de l'ampleur du drame burundais ;

- créer une symbolique rattachée à une mémoire commune (monuments, journée nationale

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- revoir les programmes scolaires et académiques de civisme pour y intégrer le génocide ; - mobiliser les médias, en particulier la radio, pour qu'ils contribuent activement à la

constitution d'une mémoire commune;

- envisager la création des commissions vérité à tous les niveaux comme complément indispensable à l'action judiciaire dans le but d'établir les faits ;

- ne pas fixer de limite à la période d'investigation

- créer un centre de prévention du génocide (recherches, enseignement, activités diverses d'ordre culturel, politique, juridique, social, etc ... ) ;

- créer un consensus national et des activités appropriées autour du "PLUS JAMAIS CA" ; - lutter contre l'impunité.

4.2. La répression et la réparation du génocide.

4.2.1. La répression du génocide.

a) La législation sur le génocide et les autres crimes contre l'humanité.

163. La Convention Internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 a été ratifiée par le Burundi le 22/07/1996. Il s'agit d'une seconde ratification puisqu'une loi belge a été votée en 1951, puis étendue aux territoires sous tutelle et enfin reconnue par le Gouvernement du Burundi en 1964.

164. Dès lors qu'une Convention internationale est ratifiée par un Etat, elle s'intègre dans le système légal de cet Etat qui doit compléter son droit interne en y insérant des dispositions conformes à la Convention Internationale.

165. La Convention définit le génocide (art 2) et précise qu'en plus du génocide, "l'entente en vue de commettre le génocide, l'incitation directe et publique à commettre le génocide, la tentative de génocide et la complicité dans le génocide" seront également punies.

166. Le Burundi n'a pas encore pris de mesures législatives pour assurer 11 application des dispositions relatives au génocide. Pour toute infraction pénale, une peine doit être explicitement prévue. Ce principe est un obstacle à l'application des dispositions de la Convention Internationale par les juridictions burundaises.

167. L'article 6 de la Convention prévoit que les personnes accusées de génocide seront traduites devant les tribunaux compétents du pays où le génocide a été commis ou devant la cour criminelle internationale.

168. La création d'un Tribunal Pénal international a pour effet principal d'obliger les parties à la Convention à poursuivre, arrêter et extrader les personnes soupçonnées d'avoir pris part au génocide.

169. Le Tribunal Pénal International est surtout attendu pour que ceux qui ont commis des actes de génocide et qui se trouvent en dehors des frontières nationales, puissent être poursuivies, arrêtées et 3ugees. Ce serait aussi une reconnaissance par la Communauté Internationale de la gravité des actes qui ont été commis au Burundi.

170. Pour certains, le Tribunal Pénal International est aussi une meilleure garantie d'un procès juste et équitable puisque les juges internationaux jouiraient d'une présomption

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d'impartialité alors que dans les affaires à connotation ethnique, les juges burundais ne rassurent pas toutes les composantes de la population burundaise.

171. L'action judiciaire contre les auteurs du génocide ne souffre dl aucune restriction puisque le génocide est imprescriptible et qu'en cette matière, il ne peut y avoir d'amnistie, de privilèges ou d'immunités.

172. En définitive, le Burundi gagnerait à se doter d'une législation claire pour réprimer le crime de génocide et les autres crimes contre l'humanité. Un projet de loi a déjà été préparé par les services du ministère de la Justice. Il devrait permettre de distinguer le génocide des autres crimes contre l'humanité et préciser davantage le champ d'application du génocide.

173. Le Burundi devrait également ratifier la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Le projet de loi devrait confirmer l'adhésion à ce principe en le prévoyant dans une de ses dispositions.

174. Les procès relatifs aux actes de génocide ont lieu devant les chambres criminelles des cours d'appel de Bujumbura, Gitega et Ngozi. L'idée de rendre les tribunaux de grande instance compétentes pour ce type d'infractions semble avoir été abandonnée pour plusieurs raisons dont notamment l'insuffisance des lieux de détention et le faible niveau des juges de grande instance.

175. Cependant, les cours d'appel éprouvent des difficultés à traiter ces dossiers (distances, constitution des preuves, audition des témoins, ... ). Le nombre de dossiers est trop important par rapport au nombre de chambres criminelles et aux ressources humaines disponibles dans ces juridictions.

b) L'identification et la poursuite des responsables du génocide.

176. L'exécution d'un génocide requiert une préparation qui n'est pas à la portée des citoyens ordinaires. C'est pourquoi le génocide est souvent l'oeuvre des services ou des responsables de l'Etat ainsi que d'organisations bien structurées.

177. L'article 3 de la Convention Internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide prévoit les actes punissables :

a) le génocide ;

b) l'entente en vue de commettre le génocide ;

c) l'incitation directe et publique à commettre le génocide ; d) la tentative de génocide ;

e) la complicité dans le génocide.

178. Les responsabilités par rapport au génocide se situent donc à plusieurs niveaux dont les plus importants sont les suivants :

- les planificateurs/organisateurs ;

- les personnes qui ont usé de leur position d'autorité ; - les exécutants.

179. Des investigations minutieuses sont incontournables pour identifier les planificateurs

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véhiculent l'idéologie du génocide et incitent d'autres à commettre le crime de génocide. Il ne s'agit pas seulement d'identifier l'auteur ou les auteurs d'un ou de plusieurs crimes mais aussi de démonter toute une organisation. Cela demande des investigations poussées et des moyens adéquats.

180. L'incitation à la haine ethnique est une infraction. En tant qu'auteur moral du crime de génocide, le concepteur s'expose à des peines aussi sévères que celles réservées à l'exécutant. Au contraire, les simples exécutants pourraient bénéficier de circonstances atténuantes alors que cela est impossible dans le cas des organisateurs. Leur collaboration dans l'identification des planificateurs du génocide pourrait notamment justifier cette clémence.

181. Si certaines personnes impliquées dans le génocide occupent des fonctions au sein de l'Etat ou au sein d'une organisation, elles ont une lourde responsabilité dans le génocide puisqu'elles utilisent un pouvoir qui leur est habituellement reconnu.

182. Au delà de leur propre responsabilité, elles peuvent engager celle de l'Etat ou de l'organisation qu'elles représentent même si ces derniers ont tendance à le contester arguant qu'ils ne 'les ont pas mandaté pour commettre ces crimes. Des victimes du génocide ont déjà fait prévaloir cette responsabilité pour réclamer des dommages et intérêts au trésor public.

183. L'identification de ces autorités ou responsables d'organisation est une opération importante pour écarter ces personnes de leur poste de responsabilité et préserver la crédibilité de l'Etat.

184. Quant aux exécutants, ce sont tous ceux qui ont commis des actes criminels et qui devraient ' en répondre devant la justice burundaise ou une juridiction internationale. Ils sont tellement nombreux cul il est difficile d'imaginer qu'ils puissent tous être appréhendés.

185. Cette recherche garde néanmoins toute sa valeur eu égard à la nature du crime et à son imprescriptibilité. Il faut faire preuve d'imagination pour ne pas renoncer d'avance à poursuivre les crimes collectifs ou les criminels sous le prétexte qu'ils sont trop nombreux.

186. La Commission d'Enquête Internationale des Nations Unies pour le Burundi tient des dirigeants du Frodebu et de l'administration, au moins jusqu'au niveau communal, pour responsables du génocide des Tutsi de 1993. La Commission est restée vague concernant le degré dl implication du Frodebu en tant qu'organisation au niveau national. Elle s'est aussi gardée de préciser l'identité des dirigeants du Frodebu accusés d'avoir préparé et exécuté le génocide. Il serait opportun de demander à l'ONU un complément d'enquête.

187. Le Gouvernement a l'obligation de renforcer la capacité des services chargés d'identifier les responsables du génocide, en particulier les organisateurs. Cette action doit s'étendre à tout crime de sang quel que soit son auteur.

188. La coopération judiciaire et policière internationale devrait être négociée pour rechercher et arrêter les génocidaires qui ont fui le Burundi. En cas de reconnaissance du génocide par le Conseil de Sécurité de l'ONU, ces principes seraient appliqués plus

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facilement. Le Gouvernement a introduit une requête auprès du Conseil de Sécurité de l'ONU qui s'est contenté de rester saisi du dossier.

189. La répression du génocide se réalise par le biais de l'action en justice devant les juridictions burundaises en attendant la création d'un Tribunal Pénal International pour le Burundi ou d'une juridiction internationale permanente.

190. Les controverses sur la compétence nationale pour connaître du crime de génocide ont incité les magistrats à la prudence, puisque la qualification retenue pour des actes de génocide pourtant évidents, a souvent été celle de "l'attentat dont le but aura été de porter le massacre ( ... )". L'article 417 du Code Pénal burundais prévoit la peine de mort pour cette infraction.

191. Dans l'éventualité d'un Tribunal Pénal International compétent au Burundi, il est à noter que la peine la plus sévère sera la prison à perpétuité alors que les juridictions nationales peuvent prononcer la peine capitale. Dans ces conditions, quoi de plus normal que les prévenus souhaitent être traduits devant un Tribunal Pénal International.

192. Les procès liés au génocide sont très sensibles et méritent une attention particulière d'autant plus que la crédibilité du corps de magistrats est contestée par rapport à la question ethnique. Il faudra notamment s'assurer que les prévenus ainsi que les parties civiles soient assistés par un avocat. Le Centre des Nations Unies pour les Droits de l'Homme et la ligue ITEKA ont chacun mis en place leur propre programme d'assistance judiciaire dont les résultats sont certes satisfaisants bien qu'ils restent insuffisants au regard du volume des dossiers à juger et de l'indisponibilité relative des avocats étrangers.

193. Une fois qu'une décision définitive a été rendue par les cours et tribunaux, la phase suivante est celle de l'exécution de la peine.

194. Enfin la répression du génocide requiert des moyens humains et matériels qui ne sont pas à la portée du Gouvernement. La coopération et la solidarité internationales pourraient intervenir pour renforcer les capacités internes et les efforts énormes déjà consentis par le contribuable burundais.

4.2.2. La réparation du génocide.

195. Réprimer le génocide, c'est aussi rendre justice aux victimes, aux rescapés et aux ayants-droits qui ont été privés de leurs esprits et de leurs biens. Ils ont besoin d'être soutenus matériellement, psychologiquement et moralement pour sauvegarder 'Leurs biens, les indemniser, les assister et les aider à vaincre le traumatisme et à se réinsérer dans la vie sociale.

196. La victime du génocide a besoin d'être soutenue par la société pour qu'elle y retrouve sa place. Elle a besoin de connaître la vérité. Elle a aussi un besoin de justice. La société a l'obligation morale de rechercher à satisfaire ces besoins légitimes et de poser des gestes de solidarité pour encadrer socialement et psychologiquement la victime.

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4.3. Les acteurs de la lutte contre le génocide.

4.3.1. L'Etat

197. Le Gouvernement (les forces de défense et de sécurité, l'administration, la diplomatie), l'Assemblée nationale et l'appareil judiciaire doivent mobiliser toutes leurs ressources humaines et matérielles pour la prévention et la répression du génocide.

198. Au sein des appareils d'Etat, les forces armées nationales jouent un rôle de premier plan pour protéger la vie des citoyens. Le Gouvernement de transition a démontré sa volonté de porter les capacités de défense nationale au niveau qu'il il faut pour s'opposer au génocide.

4.3.2. La population

199. Le Gouvernement a souligné à plusieurs reprises que la victoire sur l'ennemi dépendra d'une coopération étroite entre les forces de l'ordre, l'administration et la population. Il faut isoler les génocidaires et les couper de toute base populaire.

La population doit :

- dénoncer les propagateurs d'enseignements divisionnistes ;

- dénoncer tout criminel, en particulier les auteurs du génocide et d'autres crimes contre l'humanité ;

- s'organiser, avec l'encadrement des forces de l'ordre et de l'administration, pour se constituer en groupes d'auto-défense rassemblant toutes les ethnies.

4.3.3. Les forces politiques et sociales organisées (les partis politiques et la société civile).

200. Il s'agit des institutions ou associations qui ont une certaine autorité morale ou une représentativité politique ou sociale : les partis politiques, les syndicats, les associations de défense d'intérêts sectoriels ou généraux, les Eglises ...

4.3.4. La Communauté internationale

201. Son rôle est évident, en particulier dans la lutte médiatique et diplomatique contre le génocide, ainsi que dans la poursuite et le châtiment des auteurs du génocide.

4.4. La dimension régionale du génocide

202. Au cours des années 1990, l'idéologie et la pratique du génocide 3e sont répandues comme une traînée de poudre dans l'Afrique des Grands Lacs. Les zones les plus touchées sont le RWANDA, le BURUNDI et le KIVU. Mais tous les autres Etats de la région (principalement l'OUGANDA et la TANZANIE) et le reste du CONGO subissent aussi des effets néfastes de tous ordres liés à la guerre au RWANDA et au BURUNDI

203. Il apparaît aussi que les mouvements génocidaires de la région (anciennes, armées défaites, milices) ont tissé des liens de coopération sinon de coordination.

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