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Internet et la mondialisation des médias libanais : enjeux régionaux et internationaux

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Internet et la mondialisation des médias libanais : les enjeux nationaux et

régionaux

in Mondialisation et nouveaux médias dans l'espace arabe, sous la direction de

Franck Mermier, Maison de l'Orient et de la Méditerranée/Maisonneuve et

Larose, 2003, p. 273-288.

Yves Gonzalez-Quijano Gremmo, Maison de l’Orient/Université Lumière Lyon II

Qu’il soit appelé ou non à un grand avenir, que les doutes sur son développement futur soient fondés ou non, Internet est bel et bien présent dans le paysage médiatique libanais, même s’il n’a pas encore véritablement réalisé une percée décisive (a break-throught). Tel est le constat que proposent nombre de professionnels du secteur de l’information, parmi lesquels figure Andrew Harvey1, un observateur particulièrement bien placé puisqu’il combine une longue expérience de la presse écrite, au Daily Star, avec une récente pratique de la presse en ligne en tant que rédacteur en chef du portail Cyberia. En dépit d’un impact encore limité, au moins en terme de nombre d’entreprises, de masse financière, de budgets publicitaires et de public, Internet peut néanmoins être appelé à jouer un rôle important, non pas en remplaçant les médias de masse déjà existants, mais bien plus probablement en contribuant fortement à la restructuration d’ensemble du paysage médiatique libanais. L’examen des sites d’information libanais actifs sur le réseau2 met ainsi en évidence que la « mondialisation », dans ses aspects techniques, économiques et socio-politiques, a d’ores et déjà entrepris de modifier les données locales et régionales d’un secteur essentiel par rapport au système libanais mais également par rapport à l’avenir de la région.

Une période décisive, au moins pour le devenir des médias traditionnels.

Au dire de nombreux acteurs ou observateurs de l’information sur Internet, la période actuelle est vraisemblablement décisive au regard de la brève histoire de cette technologie dans la région. Après les premières initiatives des pionniers de la nouvelle technologie dès l’ouverture du Liban au réseau des réseaux en 1995/96, les années 1999 et surtout 2000 ont vu les premiers investissements d’envergure, notamment dans le domaine de l’information quotidienne (portail et journaux), en fonction de stratégies moins prisonnières des effets de mode et portant davantage sur le moyen terme, grâce à des projets conçus dans une perspective plus large (régionale ou internationale). Avec l’évolution des technologies, en particulier les améliorations dans les logiciels de compression et la gestion des flux de données, les acteurs économiques les plus importants dans le domaine des médias, à savoir les compagnies de télévision, sont appelés à s’engager à leur tour, conformément aux logiques de convergence que l’on a pu observer à l’intérieur de zones géographiques intégrées plus

1 Entretien personnel, septembre 2000.

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précocement dans le « nouvel ordre numérique » mondial3. A l’instar de l’ensemble de la région, de nombreux indices traduisent l’intérêt que manifestent pour le marché libanais des acteurs économiques internationaux qui ne semblent pas, pour l’heure, subir exagérément les effets négatifs de la crise financière frappant les activités de la net-économie dans le monde industrialisé4.

Le sentiment que les nouvelles technologie sont entrées dans une phase décisive est renforcé par l’observation des consommations. En effet, de l’aveu même de plusieurs acteurs locaux de l’information sur la Toile5, les premières initiatives ont été largement développées à destination de l’étranger. En effet, lorsque que les internautes du monde arabe en général, et du Liban en particulier, demeuraient une infime minorité, pour des raisons à la fois financières et techniques, il était en définitive inévitable que les entreprises médiatiques désireuses d’investir ce nouveau support de diffusion se tournent en priorité vers le riche vivier de clientèle fourni par la très importante diaspora libanaise à l’étranger. On trouve ainsi de nombreuses traces de ce lien privilégié avec les « expatriés » (mughtaribin), depuis l’adjonction d’une rubrique vantant les mérites des grandes figure de l’émigration libanaise sur le site de l’hebdomadaire économique Al-Afkar jusqu’au choix d’une triple remise à jour quotidienne sur le site du journal Al-Nahar, de telle sorte que le public de l’immigration puisse disposer des dernières informations, en fonction du décalage entre les différents fuseaux horaires6. Cette première phase semble se clore alors que l’accent est désormais mis sur les utilisateurs nationaux, notamment à travers certains portails7. C’est assurément la condition nécessaire à une augmentation du public de la presse en ligne, et peut-être, à terme, à une modification du rapport à l’information, s’il est vrai qu’une offre beaucoup plus importante peut contribuer à donner davantage de prix, non plus à l’existence de l’information, mais bien à la crédibilité des sources qui l’émettent8.

Au reste, pareil développement des médias directement issus d’Internet est vraisemblablement souhaitable tant la situation actuelle s’avère encore décevante (notamment sur le plan des contenus). En définitive, après plusieurs années d’existence, les initiatives de la cyberpresse sont peu nombreuses. Nombre de

e-zines disparaissent à peine nés, faute de s’appuyer sur un véritable projet, sur un marché publicitaire, sur une

clientèle d’internautes... Les portails ont fleuri, mais il ne fait de doute pour personne que la majorité d’entre eux disparaîtra à court terme, lorsque le secteur se sera organisé autour de quelques grands opérateurs à dimension nationale (libanaise) mais plus probablement encore régionale9. A vrai dire, on ne peut guère le regretter lorsque l’on constate que la plupart des sites qui perdurent se contentent d’offrir une pâle copie de l’information internationale disponible sur la Toile, sans guère prodiguer d’efforts pour fournir un contenu, ou même seulement une présentation, manifestant quelque originalité. Quant aux trop rares tentatives qui rompent avec cette logique et qui manifestent la volonté d’une gestion locale et spécifique des flux d’information, elles ne

3 L. COHEN-TANUGI, Le Nouvel Ordre numérique, Odile Jacob, 1999

4 La famille du Premier ministre libanais Rafic Hariri fait ainsi partie de la trentaine d’investisseurs (parmi lesquels on retrouve la famille

saoudienne Bin Mahfouz) engagés dans le fonds d’investissement Omnia, déficitaire d’une quarantaine de millions de dollars pour la seule faillite d’une société en ligne d’origine suédoise. Cf. T. SCHELLEN, «Hariri family suffers loss in boo.com bust», The Daily Star, 20 mai 2000.

5 Par exemple, Fadi Ghazzaoui pour le portail Terranet (entretien personnel, septembre 2000). 6 Information transmise par Naji Tuéni du quotidien Al-Nahar (entretien personnel, juin 2000).

7 C’est en particulier la thèse défendue par Ahmad Salman, du quotidien Al-Safir (entretien personnel, septembre 2000).

8 Thèse développée notamment par R. KEOHANE ET J. NYE («States and the Information Revolution», Foreign Affairs, sept-oct. 1998) et

reprise par J. ALTERMAN, New Media, New Politics ? From Satellite Television to the Internet in the Arab World, The Washington Institute for Near-East Policy, 1998.

9 Une logique que confirme l’annonce, en mars 2002, de la fusion de deux des plus importants fournisseurs de services au Liban, pour

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relèvent pas, à l’évidence, d’une dynamique de marché mais reprennent au contraire un modèle déjà trop présent au Liban, celui d’entreprises médiatiques largement dégagées des contraintes financières parce qu’elles s’adossent à un parti politique, à une puissance économique, à une communauté confessionnelle, ou encore à un financement étranger...

C’est donc davantage du côté des « médias de masse traditionnels » qu’il faut, dans l’étape actuelle au moins, chercher les effets d’Internet. De ce point de vue, il est manifeste que son développement a bien davantage contribué à accentuer les écarts entre les acteurs qu’elle ne les a réduits. Ainsi la compétition traditionnelle entre les entreprises d’information passe-t-elle désormais également par la Toile, à travers la visibilité du site et sa popularité. Les inégalités entre telle ou telle publication imprimée, perceptibles à travers le choix d’une maquette ou d’une qualité de papier, se retrouvent sur le Net dans la qualité graphique et la sophistication des sites en concurrence. Pour s’en tenir au seul domaine des quotidiens, on peut estimer qu’il y a autant de différence entre la composition au plomb, monochrome, du Bayraq et la maquette colorée et informatisée du Nahar, qu’entre la version informatique du Kifâh ëarabî, par exemple, qui fonctionne encore sur un programme de lecture d’images (format PDF propre à Acrobate Reader) et celle du Safîr, dotée d’une maquette originale qui permet l’affichage en texte intégral, y compris avec des prolongements sonores (le bulletin d’information en arabe de la BBC, au terme d’un accord qui révèle, là aussi, des logiques de concentration désormais à l’oeuvre). En outre, il est manifeste que l’importance prise par certains organes arabophones (nommément Al-Nahar et Al-Safir) tient à leur caractère plus international. En dépit de la qualité technique de sa présence sur le Net, un quotidien comme Liwa ne saurait rivaliser avec eux, ni même

Al-Anwâr, pourtant un des tout premiers acteurs du passage à Internet.

Loin d’être un facteur égalisateur, offrant à tout un chacun une fenêtre sur le monde, Internet crée au contraire des hiérarchies souvent méconnues. Le quotidien francophone L’Orient-Le Jour, qui bénéficie d’une solide assise financière grâce à une manne publicitaire particulièrement abondante (en raison de la spécificité sociologique de son lectorat), aura ainsi procédé avec succès, durant l’hiver dernier, à la refonte totale de son site désormais doté d’un nouvel habillage et offrant (encore gratuitement) la consultation des archives. Toutefois, il est clair qu’il ne rencontre pas le succès du Daily Star, son principal concurrent sur le segment de la presse en langue étrangère, car ce dernier reste bien plus aisément consultable par des internautes à très grande majorité anglophones... A dire vrai, c’est bien tous les organes francophones qui semblent menacés par la domination de l’anglais, conjointement à la montée en puissance des sites en langue arabe. Significativement, les animateurs du portail, trilingue (arabe, anglais, français), ouvert en septembre 2000 par le quotidien beyrouthin

An-Nahar, ont supprimé leur offre en français en 2002...

Les nouvelles pratiques des professionnels de l’information en ligne.

Perceptibles au niveau global, les conséquences de l’introduction d’Internet dans le paysage médiatique libanais (et arabe) se font sentir également, plus concrètement encore peut-être, au sein des entreprises elles-mêmes. Pour l’heure, peu d’études ont exploré la voie proposée par Jon Anderson, qui s’est donné comme objectif, pour mieux évaluer l’impact des nouveaux médias, d’étudier le rôle joué par les techniciens du monde

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arabe10. Et pourtant, il apparaît que c’est tout un milieu professionnel qui s’est développé au Liban, depuis le milieu des années 1990. Les NTIC possèdent désormais leurs salons qui proposent à intervalles réguliers des rencontres dans les grands hôtels de Beyrouth11. Dans une société où les circuits parallèles, ou même officieux, ont leur importance, il existe aujourd’hui un lobby des NTIC qui intervient régulièrement. La bataille lancée par les autorités libanaises en 1999/2000 pour le respect des droits des fabricants de logiciels et de matériel, sous la pression de l’Organisation internationale pour la propriété industrielle (WIPO) en a offert un exemple12 appelé à être renouvelé à l’occasion de la série d’importantes privatisations annoncées dans le domaine des communications.

Avec le développement d’Internet, des régisseurs publicitaires spécialisés ont vu le jour13, ou encore des studios d’infographie14. Par rapport aux médias en ligne, on relève surtout trois types d’emplois, qui répondent à des fonctions assez différentes : les webmestres, les cyberjournalistes, les cyberéditeurs. D’origines très diverses, ces trois types d’acteurs ont en commun plusieurs traits particulièrement marqués. La jeunesse pour commencer, tant il n’est pas rare de rencontrer, dans une région où pourtant l’âge reste souvent une condition impérative de promotion, des chefs d’entreprise et des responsables qui viennent tout juste d’achever leurs études15. La formation ensuite, car ces nouvelles professions recrutent largement dans des secteurs (filières techniques et commerciales notamment) pour lesquels les médias étaient restés jusqu’alors, sauf cas exceptionnel, fermés. Et enfin, ce que l’on pourrait appeler l’« esprit du temps », dans la mesure où les professionnels d’Internet se caractérisent par leur grande ouverture, aux nouvelles technologies bien sûr, mais aussi, plus largement, aux influences étrangères et aux vents du changement. D’ailleurs, à fréquenter le monde d’Internet au Liban, on ne peut manquer d’être frappé par le grand nombre de jeunes Libanais revenus dans le pays d’origine de leur famille après avoir passé leur enfance et reçu leur éducation à l’étranger. Souvent incapables d’exercer une activité professionnelle qui requiert une totale maîtrise de l’arabe, non seulement parlé mais écrit, ils trouvent avec l’extension de la Toile, notamment dans les milieux de l’information, des possibilités d’emploi qui leur permettent de tenter l’expérience d’une réimplantation au Liban. En outre, grâce à la concentration des entreprises issues d’Internet dans les zones les plus favorisées du pays, ils peuvent continuer à se mouvoir dans un univers cosmopolite, en définitive assez proche de celui qu’ils ont choisi de quitter, au moins temporairement, dans les différentes nations du monde industriel.

Au premier rang des professions d'Internet figure celle de webmestre (webmaster) liée, à l’origine, à la simple nécessité de gérer les différents sites Internet. Au départ, il s’agissait donc d’une fonction essentiellement technique et, pour cette raison, la plupart des personnes qui occupent aujourd’hui ce poste possèdent une

10 J. ANDERSON, «Producers and Middle East Internet Technology : Getting Beyond «Impacts»», The Middle East Journal, vol. 54, n¡ 3, été

2000, pp. 419-31.

11 A l’image du monde de l’imprimé (cf. Y. GONZALEZ-QUIJANO, «L’édition égyptienne aujourd’hui», Communication et langages, n¡ 109,

3e trim. 1996, pp. 110-119), salons et foires internationales dans le domaine de NTIC constituent un indicateur intéressant de la hiérarchie régionale. Abou Dhabi rivalise ainsi avec Le Caire et Beyrouth. Significativement, le magazine Al-Iktissad wal-aamal a choisi, plutôt que d’explorer le domaine de l’édition en ligne, d’ajouter à ses activités éditoriales l’organisation (lucrative) de salons. Cf. I. KHAYYÂT, «Al-hayât taftahu min jadîd milaff al-fadâ’iyyât» [Al-Hayat rouvre le dossier des satellitaires], Al-Hayat, 22 janvier 2000, et le site du magazine concerné.

12 Ditnet, 13 avril 1999. Pour le détail de la loi promulguée à cette occasion, cf. R. TABBARAH, Information and Communication Technology

in Lebanon 2000, Mers, 2001, p. 10.

13 A l’image du cabinet de publicité Net-pub.Dot.com.

14 L’un des principaux est celui de la société Arachnea installée à Londres et Beyrouth, avec des activités sur l’ensemble de la région. 15 Le phénomène, bien sûr, n’est pas seulement libanais. Ainsi, une des plus célèbres sociétés de la netéconomie arabe, Arabia Online, a été

fondée par deux partenaires, Khaldoun Tabaza et Ramzi Zeine, lorsqu’ils avaient respectivement 23 et 31 ans. Doté d’une riche expérience, l’actuel responsable technique, Barig Siraj, a 36 ans. Cf. <arabia.com>.

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formation universitaire en gestion de l’information ou en sciences de l’informatique. Certains ont suivi des études à l’étranger mais ils sont de plus en plus nombreux à s’être formés au Liban, au sein des institutions universitaires ou encore grâce à un système de stages professionnels organisés par les grandes compagnies informatiques en liaison avec leurs représentants locaux. Cependant, le métier de webmestre, réservé à un personnel disposant d’une haute qualification, se révèle à l’expérience à la fois de moins en moins technique et de plus en plus central par rapport à l’institution médiatique. En effet, depuis que les publications Internet ne peuvent plus se contenter d’offrir la simple copie de ce qui existe ailleurs, notamment sur format papier, le rôle du webmestre a connu une profonde transformation. A la tête d’un site qui, dans certains cas, attire davantage de lecteurs que le support d’origine, le webmestre est amené, ne serait-ce que pour des raisons de format, à opérer une sélection dans l’information, à organiser une nouvelle hiérarchie des titres, à animer et à contrôler les forums de discussion entre lecteurs, à enrichir le contenu informationnel par toute une série de procédés propres au support informatique, en bref à assumer de véritables responsabilités éditoriales. Dès lors, pour des raisons souvent très concrètes, l’évolution du statut de ce type de professionnels, qui n’ont pourtant qu’une expérience récente du monde des médias, se trouve remettre de plus en plus en cause les hiérarchies traditionnelles... Les nouveaux venus dans le monde des médias reçoivent d’ailleurs souvent l’appui des éléments les plus jeunes et les plus dynamiques du milieu, qui peuvent être particulièrement présents dans le cas d’entreprises apparues avec les nouvelles technologies. Au sein de l’équipe rédactionnelle d’un portail tel que Cyberia par exemple, la moyenne d’âge des journalistes se situe autour de 25 ans (40 % d’entre eux sont étrangers et anglophones) et l’on observe souvent la même tendance dans la presse quotidienne ou périodique dont les sites Internet offrent la possibilité d’une évolution professionnelle particulièrement stimulante, ce qui, cependant, ne va pas sans provoquer de sourdes rivalités entre deux conceptions des métiers de l’information.

Du côté des « cyberéditeurs », c’est-à-dire des responsables de publication sur format électronique (qu’il y ait ou non un autre support parallèlement au site Internet), on retrouve exactement le même hiatus entre deux visions du métier, de plus en plus contrastées. Représentant la jeune génération en passe d’accéder aux commandes, les « héritiers » qui empruntent les voies de la cyberpresse diffèrent également de leurs aînés par leur formation. A ce niveau de responsabilité, ils ont presque toujours bénéficié d’une formation acquise, au moins en partie, à l’étranger. De plus, celle-ci ne repose plus tellement sur les métiers du journalisme, ou même sur une expérience acquise au jour le jour, mais elle s’appuie au contraire sur d’autres savoirs dispensés par les instituts de gestion, de communication, de publicité ou encore de management. Pour reprendre les termes d’un de nos interlocuteurs, ces jeunes responsables sont unis par une même « ëasabiyya technophile », un même esprit de corps, en vertu duquel ils sont plus enclins à regretter la frilosité et le manque d’initiative, et même parfois l’absence de vision prospective, de leurs collègues au sein des entreprises médiatiques, plus traditionnelles.

A brève échéance peut-être, on peut imaginer que c’est la conception même de la fonction journalistique qui pourrait, au Liban et dans le monde arabe, se trouver modifiée par l’introduction d’Internet. Les jeunes générations qui ont été formées — souvent par le biais de stages à l’étranger et en premier lieu aux Etats-Unis — à l’utilisation de cet outil informatique ont déjà conscience dans certains cas de défendre une

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vision de leur métier qui n’est plus celle de leurs aînés16. Les journalistes arabes qui privilégient dans bien des cas le commentaire, le traitement local de l’information et la spécialisation sur un domaine d’excellence, si possible prestigieux, et qui s’enferment souvent dans un dialogue complice avec les responsables politiques ou économiques, seront sans doute appelés à modifier leurs habitudes. Sous l’impulsion des professionnels acquis à Internet, on peut imaginer que l’on verra de plus en plus s’imposer un format différent, lié à une mise en forme mais aussi à une écriture plus factuelle, à une recherche de l’information plus diversifiée, à une pratique du métier davantage polyvalente et plus sensible aux réactions d’un lectorat qui se manifeste directement par l’envoi de messages. En effet, intervenant via les messageries électroniques des médias, le public est lui-même amené à participer à une évolution qui se limite aujourd’hui, pour les journalistes qui le souhaitent, à un contact plus étroit avec leurs lecteurs. Tôt ou tard, l’interactivité des nouveaux systèmes de communication entraînera, dans les médias arabes également, la création de « médiateurs », spécifiquement dédiés aux relations entre lecteurs et journalistes, ces derniers se trouvant soumis à une forme de contrôle public qui ne peut manquer d’influer sur leur écriture. Enfin, la présence, dans les entreprises médiatiques, d’Internet que l’on consulte pour rechercher une information et pour analyser ce qui a été écrit à ce sujet par les confrères, partout dans le monde (y compris et surtout en des endroits sensibles tels qu’Israël ou les Etats-Unis pour le Liban), et qui permet de s’adresser non seulement au public local mais, potentiellement, à tout lecteur quel que soit son lieu de résidence, entraîne également, à coup sûr, une accentuation du caractère international, ou cosmopolite, de la pratique journalistique, et plus largement de l’offre d’information17.

Une gestion politique « à la libanaise »...

Place forte de la liberté d’expression dans la région, le Liban a dû résoudre, à plus d’une reprise, les problèmes suscités par un statut peut-être aussi dangereux qu’enviable. A mainte reprise également, il est apparu sans ambiguïté aucune que le contrôle politique et judiciaire de l’information s’exerçait sans doute au niveau national, mais également régional. On admet ainsi généralement que l’adoption, par la Ligue des Etats arabes, d’un code d’honneur de la presse, en 1965, avait pour but, en tout premier lieu, d’imposer un frein aux critiques publiées par les journalistes beyrouthins (une audace de ton dont le fondateur du Hayat et du Daily Star, Kamal Mroueh, devait d’ailleurs, peu après, être la victime, probablement à l’instigation des services secrets égyptiens). En apparence, le Liban n’a rien perdu de sa singularité dans le nouveau système médiatique arabe en train de se mettre en place. Ali Rammal est ainsi fondé à souligner qu’il s’agit du seul pays de la région à avoir légalement entériné la disparition du monopole d’Etat sur l’information18 car partout ailleurs (à l’exception récente, et encore peu probante, de la Jordanie19) c’est une logique d’exception territoriale, par la création de zones franches ou par une implantation à l’étranger, qui a prévalu. La spécificité du modèle libanais dans le

16 Parmi les rares femmes à occuper un poste de responsabilité (au service international du Nahar) Sahar Baasiri a su attirer notre attention

sur cette évolution dont elle offre une parfaite illustration (entretien personnel, juin 2000).

17 Abduh Chakhtoura, du quotidien L’Orient- Le Jour, fait partie des interlocuteurs qui nous auront signalé cet aspect de l’influence exercée

par Internet (entretien personnel, septembre 2000).

18 ‘A. AL-RAMMÂL, «Tatawwur malakiyyat wasâ’il al-i’lâm al-mar’î wal-masmû’ [Développement de la propriété des médias audiovisuels]»,

Bâhithât, vol. VI, 1999-2000, p. 62.

19 En novembre 2001, la Jordanie annonçait ainsi la suppression officielle du ministère de l’Information, remplacé par un Conseil supérieur

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domaine de l’information se remarque également au fait que les initiatives dans ce secteur important de l’économie moderne sont issues, bien plus qu’ailleurs dans la région, de sphères économiques relativement déconnectées de la vie politique. En effet, alors que la plupart des observateurs s’interrogent sur l’indépendance réelle des quotidiens et des chaînes satellitaires à destination du public arabe — l’entreprise la plus audacieuse et la plus marquante, la chaîne qatarie Al-Jazeera, demeurant financièrement dépendante de l’Emirat20 — le Liban fournit l’unique exemple d’entreprises transnationales en grande partie dégagées du pouvoir politique parce qu’elles s’appuient sur leur succès commercial. Dans le domaine des chaînes télévisées, même si l’on écarte Future TV et Zen-TV que contrôle l’actuel Premier ministre Rafic Hariri (en dépit du fait qu’elles sont clairement gérées selon une logique de profit21), il reste le cas tout à fait exceptionnel de la LBCI qui demeure à ce jour, de l’avis unanime des spécialistes22, l’exemple le plus probant d’une entreprise médiatique arabe qui génère, pour autant que l’on puisse le savoir, une certaine rentabilité.

On ne saurait donc vraiment s’étonner de constater que les émissions satellitaires de la LBCI posent régulièrement le problème du contrôle, par les autorités, des contenus diffusés largement au-delà des frontières nationales et il ne se passe pas une année sans que des « dérapages », essentiellement à propos de questions relatives à la présence syrienne ou au conflit avec Israël, posent le problème du contrôle de l’information par les autorités légitimes. Celles-ci ont même tenté, à la fin de l’année 1996, d’imposer un organe de censure des émissions satellitaires23 mais, dans le contexte politico-économique actuel, l’Etat libanais se garde d’une intervention brutale. Certains organes de presse, écrite ou audiovisuelle, bénéficient donc d’une marge d’indépendance qui tend même à prendre un peu plus d’épaisseur depuis la mort du président Hafez El-Assad. Toutefois, il est clair que cette liberté d’expression est plus définie de l’extérieur (la tension régionale et la politique des Etats voisins, Syrie en tête) que par les autorités libanaises. En ce sens, et malgré ses atouts par ailleurs, le Liban n’a guère de chance, dans l’immédiat, de retrouver sa place en tant que capitale médiatique de la région, y compris dans l’hypothèse d’un développement soutenu des NTIC. Telle est d’ailleurs l’impression qui ressort des réactions polies émises par les professionnels du milieu à l’annonce d’un projet émanant des autorités libanaises désireuses de créer une « zone franche médiatique » à Beyrouth24.

Dans ce contexte, les perspectives ouvertes par Internet, notamment dans le domaine de l’information, sont exploitées selon un modèle déjà expérimenté lors de la mise en place du paysage audiovisuel au début des années 1990 : les interventions de l’appareil d’Etat servent essentiellement à préserver un savant équilibre économico-communautaire entre les principaux concurrents sur le marché. Avec pour toute différence par rapport à la situation des médias de masse traditionnels que l’absence d’enjeux réels par rapport au public concerné, compte tenu du caractère encore naissant de ce support, fait que les réalités confessionnelles sont

20 Parmi les nombreux articles consacrés à ce « phénomène médiatique arabe », on peut consulter en particulier le dossier présenté par

l’institut MEDEA sur le site <www.medea.be>.

21 On avance toutefois le chiffre de 100 millions de dollars de pertes pour Future TV, après huit années d’existence (D. Dukcevich,

Forbes.com, 26 janvier 2001) d’un projet commercial dont l’amortissement ne saurait, il est vrai, être rapide.

22 Voir par exemple M. M. KRAIDY, «Transnational Television and Asymmetrical Interdependence in the Arab World : The Growing

Influence of the Lebanese Satellite Broadcasters», Transnational Broadcasting Studies, n¡ 4, Fall 2000, <www.tbsjournal.com/Kraidy.htm> et J. ALTERMAN, «New Media, New Politics ?...», art. cit.

23 Voir le texte de l’arrêté ministériel dans L’Orient-Le Jour, 25 janvier 1997.

24 S. DARROUS, «Industry gives cautious welcome to ‘media free zone’ plan» et M. ZIADE, «Cabinet hops to buid media hub in capital», The

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moins prises en compte, et que les problèmes de censure sont presque totalement inexistants25. Pour autant, les enjeux stratégiques ne sont pas entièrement absents. Afin de gagner sur le marché libanais des parts de marché suffisantes pour leur permettre de jouer un rôle au plan régional, des puissances financières, aux ramifications politiques évidentes, se constituent autour de consortiums au sein desquels on retrouve opérateurs téléphoniques, fournisseurs de services informatiques et entreprises médiatiques : par exemple, autour de l’ancien ministre Mikati et de la société Investcom, l’opérateur téléphonique Cellis et la société Wanadoo (moteurs de recherche voilà et Hahoowa) de France Télécom (portails sodetel.net.lb et plugged.com.lb)26 ; Hariri et l’ISP Cyberia autour de l’empire financier constitué à partir d’Oger-Liban ; la banque Audi avec les ISP Inconet et Giganet, désormais associés à Maroun Chammas, le P.D.-G. de l’ISP Data Management, avec le portail Yalla! ; Nizar Dallul, avec l’opérateur téléphonique Liban Cell et le portail Terranet...

Le rôle de la puissance publique.

Mais de façon tout à fait singulière, cette gestion traditionnelle « à la libanaise » des secteurs les plus rentables de l’économie nationale pourrait être remise en cause par la nature même des technologies utilisées. En effet, les NTIC impliquent par nombre de leurs aspects l’existence d’une réelle initiative publique, dont l’absence est de plus en plus critiquée par les professionnels d’Internet. Dans un premier temps, les analystes avaient pourtant noté que les autorités libanaises semblaient avoir pris conscience rapidement et efficacement des enjeux du « dossier électronique ». Les revues spécialisées27 avaient ainsi salué les initiatives gouvernementales visant à faire du pays un des pionniers de la « nouvelle économie ». La mise en place d’une législation sur la propriété industrielle à laquelle il a déjà été fait allusion, l’adoption de procédures bancaires pour les signatures électroniques ou encore, en décembre 2000, la suppression des taxes douanières sur le matériel informatique28 constituent autant de mesures considérées comme positives par les acteurs du secteur. En revanche, la gestion des communications téléphoniques, avec d’énormes intérêts financiers en jeu, a suscité bien davantage de critiques, alors qu’il s’agit d’un point fondamental pour le développement du secteur Internet. Il reste que l’Etat libanais, à l’image de nombreux pays de la région en tête desquels on trouve le Maroc, s’est engagé dans une politique de privatisation de son système de communication, précisément en vue d’encourager le développement d’Internet au Liban, afin de faire du pays un centre régional des industries de l’information et de la communication29.

Dans la mesure où celui-ci est moins, dans la phase actuelle en tout cas, une question de contenu que de « tuyaux », les acteurs libanais se trouvent de plus en plus désavantagés par rapport aux compétiteurs régionaux

25 Jusqu’au début de l’année 2002, on ne note qu’une seule procédure déclenchée à l’encontre d’un fournisseur de services, Muhamad

al-Mughrabi, dans le cadre d’une affaire de moeurs suscité par l’hébergement du site <gaylebanon.com>. Néanmoins, pour certains (voir le site <www.cggl.org>, les implications politiques de cette affaire sont manifestes.

26 Sans oublier l’hebdomadaire Al-Hiwar, et la société d’archivage électronique MERS. Fait notable, Investcom a récemment obtenu une des

toutes premières licences attribuées en Syrie pour développer le téléphone portable (cf. T. SCHELLEN, «Nation’s e-industry should head east», The Daily Star, 3 février 2001).

27 «Wâqi’ al-intirnit fî lubnân» [Situation d’Internet au Liban], Al-Computer, novembre 1999, estimation confirmée par R. Beidoun,

journaliste spécialisée au Nahar pour lequel elle s’est en particulier penchée sur la perception des enjeux technologique par la classe politique libanaise (entretien personnel, septembre 2000).

28 R. TABBARAH, Information and Communication Technology..., op. cit., p. 10.

29 «IT firms to get help from telecommunications law» et «Telecom law to prepare sector for privatization», The Daily Star, 27 janvier et

1er février 2001. Pour l’ensemble de la région, cf. R. DAHEL, Telecommunication Privatization in Arab Countries. An Overview, Arab Planning Institute,Koweït, Octobre 2001.

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qui bénéficient, dans certains cas comme la Jordanie et les Emirats, l’Egypte, voire même la Syrie, d’un soutien prodigué par les plus hautes sphères politiques. Dans ce climat de compétition régionale, il apparaît clairement que le développement de projets ambitieux dans le domaine des NTIC requiert de façon très évidente un retour de la puissance étatique, la seule à pouvoir imposer les arbitrages et les régulations qu’impose le fonctionnement d’un marché globalisé, et la seule également à même d’assumer la responsabilité d’une politique de formation et d’éducation à long terme, parallèlement à la mise en oeuvre de projets à grande échelle. Significativement, un prospectiviste tel que Riad Tabbarah, travaillant pour un centre d’analyse désormais associé au puissant Mikati Group, proche de la Syrie, met en exergue l’exemple israélien pour mieux souligner l’importance stratégique des pépinières d’entreprises (incubators) technologiques. Face aux 27 exemples israéliens, regroupant quelque 1 600 chercheurs soutenus par le ministère de l’Information et du commerce avec un budget en recherche et développement de 400 millions de dollars par an, et tandis que plus d’une centaine d’entreprises israéliennes sont intégrées à l’indice Nasdaq30, le Liban a bien peu d’initiatives à mettre en avant dans ce domaine. Et quant elles existent, elles sont d’ordre privé comme celle du Roger Eddé Global Village (un projet estimé à 170 millions de dollars31, près de Jbeil), ainsi qu’un autre projet, dans la Bekaa, qui bénéficierait du soutien conjoint du président Emile Lahoud et de son Premier-ministre Rafic Hariri32.

Quant au principal enjeu pour le Liban, celui de l’infrastructure technologique qui assure son intégration dans le système de communication international, il est tout aussi manifeste qu’il s’agit d’une question également politique, à laquelle seule la puissance publique est à même d’apporter une réponse. Pour l’heure, les réelles possibilités de développement des NTIC au Liban sont entravées par le fait que Beyrouth ne constitue pas, en termes techniques, un « moyeu » (hub) de communication. En effet, le pays est relié au reste du monde grâce à deux stations de connexion par satellite et deux câbles maritimes en fibre optique qui se prolongent jusqu’à Chypre, la Syrie et l’Egypte33. Les capacités actuelles, insuffisantes, ne permettent pas une offre tarifaire susceptible d’attirer les investisseurs étrangers, régionaux ou locaux, au regard des conditions qui leur sont faites localement. Par conséquent, à l’image d’ailleurs d’autres pays de la région tels la Jordanie où France Télécom a pu signer un contrat en ce sens 34, tous les projets de développement passent par l’amélioration de cette infrastructure. C’est ce que souligne en conclusion de son étude un expert tel que Riad Tabbarah35, en rappelant l’importance économique — mais aussi stratégique — d’un tel enjeu, celui de l’autonomie libanaise dans le domaine des communications. Une question essentielle pour l’indépendance nationale, par conséquent, mais qui n’est pas sans lien avec la géopolitique régionale.

30 R. TABBARAH, Information and Communication Technology..., op. cit., pp. 12-13.

31 Idem, p. 15. Voir également T. SCHELLEN, «Too much talk on communicationss. Businesses want to see some actions on ambitions to

create a regional IT hub», The Daily Star, 5 juin 2000.

32 Voir MARWAN M., «Satellite Television from Lebanon : A Preliminary Look at the Players», Transnational Broadcasting Studies,

Le Caire, n¡ 1, automne 1998 et R. TABBARAH, Information and Communication Technology, op. cit. p. 21.

33 M. TAHA, «Etude générale de l’Internet au Liban», in Y.GONZALEZ-QUIJANO et M. TAHA, Internet et l’offre d’information au Liban, op.

cit.

34 «Agreement between France-Jordan telecom ushers in high-tech era in region», The Star, 15-21 mars 2001 et T. SCHELLEN, «Hashemite

Kingdom is investing in cutting edge of IC technology», The Daily Star, 9 février 2001.

35 R. TABBARAH, Information and Communication Technology, op. cit. p. 21. Voir également R. ANCHASSY, «Lebanon set to take stake in

global satellite communication venture», Lebanon Opportunities, janvier 2000 (disponible à <www.idrel.com.lb/shufilmafi/archives/docs/lebopportun0001.htm>)

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L’enjeu d’une « plate-forme médiatique » régionale.

Depuis plusieurs décennies déjà, une sorte de continuelle « migration technologique » touche l’ensemble du bassin oriental de la Méditerranée et particulièrement des pays d’émigration tels que le Liban ou la Palestine, en fonction des conflits politiques, des crises économiques, des poches de croissance et des possibilités offertes par certaines zones plus vite gagnées par la mondialisation de l’économie. Les professionnels des technologies de l’information ont ainsi quitté Beyrouth en proie à la guerre civile à la fin des années 1970 pour s’installer dans un premier temps à Chypre et en Grèce. L’éloignement géographique et culturel les a fait rapidement se tourner vers d’autres possibilités, et en particulier vers l’Egypte où régnait, à la charnière des années 1980, la doctrine de l’« ouverture économique ». Celle-ci étant loin de se traduire toujours dans les faits, les pratiques bureaucratiques d’un Etat égyptien omniprésent ont conduit à un nouveau départ, cette fois vers l’est et la Péninsule arabique, et notamment Bahreïn. Au début des années 1990, en parallèle à l’installation de nombreuses entreprises de ce secteur en Europe grâce à l’essor des médias transnationaux, la guerre du Golfe a incité nombre d’entre elles à s’éloigner du foyer de la crise au profit de zones offrant des perspectives similaires, la Jordanie en partie, mais aussi les Emirats arabes unis et Dubaï36. Pleinement conscients des enjeux relatifs au développement des NTIC, les dirigeants émiriens multiplient, comme on l’a vu, les projets et les aides, non seulement pour garder chez eux les acteurs déjà présents sur leur territoire, mais aussi pour inciter les grandes sociétés internationales à venir s’installer, afin de faire des Emirats la « plate-forme » ou encore le « moyeu » technologique de la région37. Sur ce terrain également, il est clair que le rôle de la puissance politique se trouve singulièrement mis en évidence, et modifié, par les enjeux présents. Il est d’ailleurs significatif à cet égard de noter que, parmi les aspects mis en avant par les autorités locales, figure en bonne place l’assurance donnée par cheikh Mohammed Ben Rachid Al Maktoum aux acteurs médiatiques désireux de travailler dans le contexte de la Cité des médias (Media City) qu’ils y bénéficieraient de « la liberté d’expression et de l’absence de censure38 ».

Naturellement, ces initiatives en vue de fixer, au moins temporairement, la « migration technologique » en un point donné du monde arabe, à un moment où les médias transnationaux arabes expatriés en Europe (Grande-Bretagne, Italie, France...) amorcent un mouvement de retour dans la région, ne sont pas sans susciter jalousies et rivalités, tant les retombées économiques et stratégiques sont importantes. Tous les Etats de la région qui sont en mesure de le faire tentent par conséquent, chacun à leur façon, de jouer leurs propres atouts. De par la nature transfrontalière des systèmes de communication utilisés, on note, avec un spécialiste des médias libanais comme Marwan Kraidy, que cette compétition laisse certaines possibilités, y compris aux acteurs moins puissants, en raison d’un système de « dépendance asymétrique39 ». Toutefois, la nature internationale des enjeux, avec les conséquences que cela entraîne par rapport au contrôle politique de l’information, est également renforcée par la nature spécifique d’Internet et le rôle qu’il devrait être appelé à jouer dans les réseaux de l’information. En effet, au coeur de la « convergence» entre anciens et nouveaux médias, Internet, support

36 Cf. A. SCHLEIFER, «The Dubai Digital Miracle», Transnational Broadcasting Studies, n¡ 5, automne 2000. (Disponible à

<www.tbsjournal.com/Schleiffer%Dubai.htm>.)

37 Cf. R. PELLETREAU, R. Pelletreau, «Information Technology in the Arab World», conférence prononcée à l’université de Georgetown, le 25 avril 2001 (www.georgetown.edu/research/arabtech/pelletreau.htm>.

38 A. SCHLEIFER, «The Dubai Digital Miracle», art. cit.

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moderne et dégagé du poids du passé, synonyme dans nombre d’esprits d’une communication instantanée, multidirectionnelle et interactive qui se joue des frontières, contribue plus que tout autre à favoriser accords et alliances, non seulement intersectorielles, comme indiqué précédemment, mais également interrégionales et internationales.

Sur ce dernier plan, il suffit d’observer la scène libanaise pour constater que les principaux fournisseurs de services informatiques libanais travaillent sur l’ensemble du réseau mondial dont ils exploitent du mieux possible les offres tarifaires, mais aussi que les grands opérateurs téléphoniques mondiaux sont présents, à travers un système de filiales, franchises et autres accords préférentiels. Au seul niveau européen (dans un secteur pourtant largement dominé par les Etats-Unis), Data Management est ainsi partenaire de British Telecom, Sodetel de France Télécom, tandis que TMI et X-net sont des filiales de Telecom Italia40... En vérité, il n’est pas besoin de se tourner vers l’avenir pour observer la constitution d’un marché régional qui concerne sans doute le public des consommateurs et des usagers du nouveau système des communications, mais également les sociétés productrices. Les joint-ventures (co-entreprises) propres à l’univers des médias satellitaires et notamment télévisuels, dont la chaîne libano-émirienne Zen-TV offre un exemple récent particulièrement probant, ont leurs équivalents dans le monde d’Internet, à l’image d’une des toutes premières sociétés créées dans ce domaine (1995), Arabia Online. Présente à Dubaï mais créée en Jordanie où elle continue à profiter tant de l’impulsion vers les NTIC voulues par le jeune souverain hachémite que du faible coût de la main-d’oeuvre locale (à laquelle est venu s’adjoindre un apport d’ingénieurs indiens), Arabia Online distribue, via le réseau des réseaux, ses produits auprès de sa clientèle, internationale mais surtout présente dans le Golfe, conformément à l’origine de son principal actionnaire (50 % du total de l’entreprise) le prince al-Walid ben Talal. Au Liban, et notamment dans le domaine de l’information, on retrouve pareille stratégie régionale dans des sites tels que celui de Yalla! qui se prépare à mettre en oeuvre une « déclinaison » nationale de son produit, propre à chaque pays arabe, conformément au plan de développement annoncé dès la création du portail41..

* *

*

Dans cette perspective, de quels atouts le Liban dispose-t-il face à des concurrents bien décidés eux aussi à profiter d’une des rares possibilités de développement offerte à la région ? De l’avis général, son principal argument réside dans cette spécificité libanaise qui a tellement réussi, à une certaine époque, à ses médias. Dans son histoire récente, le Liban a su exploiter au mieux son rôle d’interface et après avoir été un port pour la région, puis un aéroport, la capitale libanaise peut ambitionner d’être un de ses principaux « téléports ». Pour cela, le pays possède en particulier un bon niveau éducatif d’ensemble, avec un taux d’analphabétisme assez bas pour la région puisqu’il ne dépasse pas les 11,6 %42. Sans doute, le système libanais s’est-il dégradé durant les années de la guerre civile. Cependant, outre les efforts actuellement consentis pour rattraper le retard

40 Voir le tableau récapitulatif dans M. TAHA, «Etude générale de l’Internet au Liban», art.cit. 41 R. EAMES, «AUB talks Yalla! with MIT’s entrepreneurs», The Daily Star, 6 mai 2000.

42 Dernière statistique disponible (février 2001) fournie à partir d’une enquête des services libanais. Voir Shufimafi, 20 mars 2001

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pris dans ce domaine, le secteur des nouvelles technologies a moins souffert que d’autres, alors qu’il avait été un des premiers à se développer dans la région. Au début des années 1980, un établissement comme l’université Saint-Joseph offrait déjà une spécialisation en informatique, ce qui lui permet de figurer aujourd’hui encore parmi les centres de formation régionaux privilégiés par les grandes sociétés internationales, comme Cisco, un des leaders mondiaux du secteur de l’Internet. Naturellement, le multilinguisme d’une bonne partie des élites libanaises, sans que cela ne soit au détriment de la maîtrise de l’arabe, contribue à donner plus de valeur à cet élément que l’on ne peut manquer d’associer à une certaine libanité qui a permis à ce pays de taille modeste d’occuper une place privilégiée dans tout ce qui relève des rapports entre la région arabe et le reste du monde, à commencer par l’Europe et l’ensemble des nations industrialisées. Intermédiaire régional par excellence, courtier des échanges financiers et informationnels, le Liban continue à bénéficier des puissants réseaux d’une immigration qui a plus d’un siècle d’âge (mais la concurrence dans ce domaine est aujourd’hui plus forte que naguère).

Ce traditionnel savoir-faire libanais, particulièrement manifeste dans le domaine de la finance, de la publicité et de l’information, trois secteurs essentiels, au moins dans cette phase constitutive, au développement des technologies de l’information et de la communication, trouvera-t-il les relais nécessaires pour s’exprimer ? Il faudrait pour cela une impulsion étatique résolue, et celle-ci semble peu probable dans le contexte politique et économique actuel du pays. Dès lors, il est à craindre que le sort promis aux initiatives libanaises dans le domaine des NTIC, et en particulier dans le secteur médiatique, soit à l’image des incertitudes, et des déceptions, du « Liban de l’après-Taëf ».

Adresses des sites mentionnés dans le texte : www.

aiwa.com.lb alafkar.net alanwar.com alhiwar.com alhayat.com aliwaa.com aljazeera.net almustaqbal.com annaharonline.com arabiaonline.com arachnea.com assafir.com cyberia.net.lb

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dm.net.lb future.com.lb idrel.com.lb inco.com.lb kifaharabi.com lbci.com.lb lorient-lejour.com.lb mersinfo.com neps.com.lb (= al-bayraq) terranet.lb yalla.com.lb zen-tv.com

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