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Internet : mondialisation de la communication - mondialisation de la résolution des litiges?

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Internet : mondialisation de la communication - mondialisation de la résolution des litiges?

KAUFMANN-KOHLER, Gabrielle

KAUFMANN-KOHLER, Gabrielle. Internet : mondialisation de la communication - mondialisation de la résolution des litiges? In: Boele-Woelki, Katharina ; Kessedjian, Catherine. Internet, which court decides, which law applies? = Quel tribunal décide, quel droit

s'applique?. The Hague : Kluwer Law International, 1998. p. 89-141

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44074

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mondialisation de la résolution des litiges?

Gabrielle Kaufmann-Kohler*

1 Introduction

Ce qui frappe en premier lieu l'utilisateur d'Internet c'est la fabuleuse liberté de mouvement qui règne sur les réseaux: les distances y sont abolies, les frontières n'existent plus. Ce monde virtuel est-il compatible avec les réalités de la résolution des litiges telle que nous la connaissons? Comment le concilier avec les concepts propres aux conflits de juridictions largement fondés sur la notion de territorialité? Les règles actuelles peuvent-elles trouver application?

Faut-il les modifier? Comment?

Voilà les questions que nous nous proposons d'examiner. Nous commen- cerons par Internet, ses principales caractéristiques et les litiges pouvant en résulter (2), poursuivrons avec les principes directeurs de la fixation de la compétence internationale des tribunaux en matière civile et commerciale (3), puis passerons en revue la compétence judiciaire pour les litiges délictuels (4) et contractuels (5), avant de conclure (6).

2 Internet: caractéristiques et litiges

Internet est le plus grand réseau informatique mondial. Entre 40 et 65 millions d'utilisateurs y sont reliés aujourd'hui et leur nombre double chaque année.1 Destiné à l'origine à un usage militaire, Internet est passé ensuite à une phase à vocation principalement universitaire, pour entrer depuis le début de cette décennie dans l'ère de la commercialisation.2 De ses débuts militaires,

* Professeur à l'Université de Genève, avocate.

1 Estimation de J 'UIT, septembre 1997.

2 Description fondée en particulier sur A. Dufour, Internet, 2ème éd. Paris 1997 et A.

Bensoussan, Internet-aspects juridiques, Paris 1996; pour des présentations générales d'Internet à l'intention des juristes. voir encore not. O. Hance. Business et droit d'Internet,

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Internet a conservé une caractéristique essentielle, la décentralisation. Même si l'ennemi met partie du réseau hors d'état de fonctionner, l'information doit continuer à circuler. Les voies de communication sont donc multiples et self- configurating. L'utilisateur ne les connaît pas; il passe en cliquant d'un serveur au Canada à un autre au Japon sans savoir quel itinéraire il a emprunté, ni même qu'il a franchi des frontières. D'ailleurs, pour lui, cela n'a aucune importance.

De quoi est fait Internet? D'innombrables composantes quel 'on peut classer en une partie matérielle (ordinateurs, lignes téléphoniques, câbles, fibres optiques), une partie logicielle (applications, systèmes de gestion du réseau) et une partie humaine (techniciens et gestionnaires du réseau et utilisateurs), ou en anglais hardware-software-peopleware. Personne ne contrôle! 'intégralité de ces composantes. Bien que son évolution soit suivie par certains orga- nismes, Internet en tant que tel n'est soumis à aucune autorité.

Qu'offre Internet? Quels en sont les principaux acteurs? Outre la messagerie électronique, Internet permet principalement l'accès à l'information dans son acception la plus large (par une sorte d'immense bibliothèque virtuelle interactive, dont la consultation est facilitée par des systèmes d'indexation et de recherche), la participation à des forums de discussion thématiques ou newsgroups, ainsi que toutes sortes d'opérations commerciales. Il met en présence les opérateurs télécoms publics ou privés qui transportent les données, les fournisseurs d'accès (Internet Service Providers ou ISP) qui mettent à disposition les connexions, les fournisseurs de contenus ou services (par example les fournisseurs d'informations en ligne, comme les agences de presse; les fournisseurs de produits et services en ligne, tels industrie du jeu, bases de données, publicité; les entreprises de vente par correspondance, banques, assurances; les universités et les organismes gouvernementaux) et enfin les utilisateurs, particuliers et entreprises.

Pour désigner les mondes virtuels constitués par les réseaux informatiques mondiaux, on utilise souvent le terme de cyberespace dû au romancier William Gibson. Or l'appellation est doublement mal choisie. Tout d'abord,

Paris 1996; A.G. Burgess, The Lawyer's Guide to the Internet, Chicago 1995; V. Sedallian, Droit de l'Internet, Paris 1997; X. Linant de Bellefonds (éd.), Internet saisi par le droit, Paris 1997. Sur la commercialisation, A. Dufour, Le Cyberrnarketing, Paris 1997.

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il ne s'agit pas d'un espace, d'un lieu ou de lieux,3 mais d'un moyen de communication. Par opposition aux moyens de communication classiques, tels le téléphone ou la télécopie, qui relient en principe deux interlocuteurs, les réseaux connectent un très grand nombre d'utilisateurs. Ils n'en restent pas moins un moyen de communication, non un espace.

Ensuite, en dépit de son étymologie (kubernan, en grec, gouverner), le cyberespace ne gouverne rien et - nous l'avons vu - n'est pas gouverné.4 De là à conclure au vide juridique, il n'y a qu'un pas: '[v]os concepts juridiques ne s'appliquent pas à nous. Ils sont basés sur la matière. Il n'y a pas de matière ici', lit-on dans la 'Déclaration d'indépendance [!] du Cyberspace' .5 Nous nous épargnerons le débat, vain à notre sens, de la non-juridicité d'Internet. Ayant posé qu'Internet était un moyen de communi- cation, il nous semble acquis qu'il n'échappe pas au droit. Cela admis, toute autre est la question de l'adaptation du droit actuel aux nouvelles technologies.

Ubiquité des réseaux - territorialité des règles de compétence: comment ces concepts antinomiques coexistent-ils?

Les litiges qui peuvent surgir en rapport avec Internet sont aussi variés que les activités menées sur les réseaux. Ils tombent dans deux grandes catégories, différends mettant en jeu une responsabilité délictuelle et contestations de nature contractuelle. Parmi les premiers, on comptera notamment les violations de droits de propriété intellectuelle et des droits de la personnalité, telle la diffamation, ou encore la concurrence déloyale. Les seconds comprendront des transactions entre commerçants de même que des contrats avec des consommateurs. Cinq exemples illustrent les litiges possibles:

Un utilisateur poste dans un newsgroup scientifique un message diffamant un spécialiste réputé, le professeur X. De nombreux autres utilisateurs dans le monde prennent connaissance du message. M. X cherche à obtenir

3 Dans le même sens, H. Kronke dans le présent ouvrage. En revanche, P.C. Mayer, Recht und Cyberspace, NJW 1996 1783, par exemple, parle d'un 'offentlicher und sozialer Raum neuen Typs' tout en concluant à la nécessité d'une réglementation. Parce que le cyberespace n'est pas un espace, les analogies proposées par M.R. Burnstein, Contlicts on the Net:

Choice of Law in Transnational Cyberspace, 29 Vanderbilt J Transnational L 1996 103ss, avec le régime juridique de la haute mer et l'espace extra-atmosphérique ne nous semblent pas appropriées.

4 Internet n'est donc pas un super minitel; voir p. ex. J.-F. Chassaing, L'Internet et le droit pénal, Rec. D. 1996, 329, pp. 330-331.

5 J .P. Barlow, cité dans le Monde diplomatique, mai 1996; repris aussi par J.-F. Chassaing, précité 329.

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réparation de l'auteur de la diffamation et du serveur, auquel il reproche de ne pas avoir vérifié le contenu du message.

Une entreprise américaine fait de la publicité sur un site web en utilisant une désignation qui viole une marque protégée en France au bénéfice d'une société française. Cette dernière entend faire interdire l'utilisation de sa marque.

Un service d'analyse financière disposant d'un site web publie des informations négatives erronées sur une société cotée en bourse. Le cours des actions chute. L'actionnaire majoritaire cherche à obtenir réparation du dommage subi.

Un particulier surfe sur le web et tombe sur un site interactif proposant des produits informatiques à la vente. Il en achète plusieurs; le contrat est conclu électroniquement et le paiement effectué d'avance en fournissant un numéro de carte de crédit. A la livraison, les produits s'avèrent défectueux. L'acheteur désire obtenir le remboursement du prix ou le remplacement de la marchan- dise.

Une société japonaise offrant des services en ligne conclut un contrat avec un fournisseur d'information allemand. En violation de ses obligations contractuelles, le fournisseur charge des informations illégales. Le serveur japonais bloque l'accès aux informations, résilie le contrat et réclame le remboursement des redevances versées ainsi que des dommages-intérêts.

3 Principes directeurs d'un système de conflits de juridictions

Quels seront les fors compétents pour résoudre de tels litiges? Pour répondre, il nous semble nécessaire de dégager un certain nombre de principes propres à guider nos choix, sorte d'instrument de mesure de l'adéquation d'un for.

Ces instruments de mesure, ces principes, comment les dégager? Où les trouver? Nous orienterons nos recherches dans trois directions: tout d'abord, vers le droit international public général; ensuite, vers les droits de l'homme;

enfin, vers les réglementations nationales et conventionnelles de la compétence judiciaire internationale et leur dénominateur commun, à supposer qu'il existe.

Pourquoi ces directions-là? Toutes trois nous semblent s'imposer. Premiè- rement, le pouvoir normatif des Etats en matière de conflits de juridictions découle de la compétence (territoriale, nationale, jurisdiction to adjudicate) que lui reconnaît le droit international général. Les conflits de juridictions sont donc un lieu de rencontre privilégié du droit international public et du droit international privé.

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Deuxièmement, le droit international a évolué d'une réglementation classique ayant pour seul objectif l'organisation des rapports entre Etats souverains, vers une conception affirmant les droits de la personne humaine face à l'Etat dont elle relève. 6 Cette approche contemporaine se manifeste dans le rôle croissant que jouent les droits de l'homme. L'accès à la justice fait partie de ces droits,1 ce qui amène à s'interroger sur une éventuelle incidence dans le domaine de la fixation de la compétence internationale des tribunaux.

Troisièmement, il est évident qu'un dénominateur commun de réglemen- tations existantes revêtant une certaine représentativité constituerait une aide précieuse dans la fixation des compétences dans le cadre d'Internet.

3.1 Droit international général

Il est incontesté que le droit international public laisse le législateur national libre de régler la compétence de ses tribunaux. 8 Cette liberté est-elle illimitée?

Elle connaît en tout cas les exceptions classiques des immunités de juridictions et de l'interdiction du déni de justice.9 Au-delà les avis divergent. Pour certains, la liberté serait effectivement sans limites.10 D'autres, plus nom-

6 Not. P.-M. Dupuy, Droit international public, 3ème éd. Paris 1995, 157. L'approche consistant à fixer des principes directeurs avant de déterminer des fors en matière d'Internet a été iuspirée par la communication de C. Kessedjian, Private International Law Aspects of Cyberspace - Global Communication, Universal Jurisdiction? ASIL/NVIR Fourth Joint Conference, 5.7.1997, à paraître en version abrégée.

7 Références ci-dessous.

8 Arrêt Lotus 7.9.1927, CPJI série A no. 10, 18-19; A. Miaja de la Muela, Principes directeurs des règles de compétence territoriale des tribunaux internes en matière de litiges comportant un élément international, RCADI 1972-1 21; pour une étude très fouillée du sujet, P. de Vareilles-Sommières, La compétence internationale de l'Etat en matière de droit privé, Paris 1997.

9 A. Miaja de la Muela lac. cit.; Ch.N. Fragistas, La compétence internationale en droit privé, RCADI 1961-ill 170-173.

10 Avant tout, P. Mayer, Droit international privé et droit international public sous l'angle de la notion de compétence, Rev. crit. 1993, 349, 537, sous réserve des limites qui découlent de la possibilité d'assurer la mise en oeuvre par la voie de la contrainte; en outre, not.

Ch.N. Fragistas !oc. cit.; M. Akehurst, Jurisdiction in International Law, British Yearbook of International Law 1972/1973 145, 177.

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breux, que nous avons tendance à suivre, affirment au contraire l'existence de limites.11

S'il y a des limites, quelles sont-elles? C'est là la vraie question. En l'état, les réponses sont plutôt vagues. II y a tout d'abord les impératifs généraux:

modération et réserve, 12 prise en considération des objectifs internationaux, 13 interdiction de l'abus de droit et de l'arbitraire.14 Il y a ensuite les références à l'existence et à l'intensité d'un lien avec l'Etat du for: n'importe quel lien ne suffit pas, 15 lien substantiel et significatif, 16 reasonable contact11 ou relationship, 18 direkte, sinnvolle, substantielle, verhiiltnismassige und in der Interessenabwiigung überwiegende Beziehung.19 De Vareilles-Sommières, au terme d'une longue analyse en quête des limites posées par le droit interna- tional, conclut, tout en admettant que la moisson est maigre, qu'un Etat viole Je droit international lorsqu'il édicte systématiquement des normes visant des relations juridiques de droit privé internes à un autre Etat.20

l i F.A. Mann, The Doctrine of Jurisdiction in International Law, RCADI 1964-I 7; F.A.

Mann, The Doctrine of International Jurisdiction Revisited After Twenty Years, RCADI 1984-ill 11; C. Mc Lachlan, The Influence of International Law on Civil Jurisdiction, Annuaire de La Haye de droit international 1993 125, 140; P. de Vareilles-Sommières précité 24lss et références doctrinales nombreuses 242 notes 197 et 198; C. Kessedjian, Judicial Regulation of lmproper Forum Selections, Sokol Colloquium, Charlottesville, Virginia (1996) 279 et Compétence juridictionnelle internationale et effets des jugements étrangers en matière civile et commerciale, Rapport, Conférence de La Haye de droit international privé, Exécution des jugements, Doc. Prél. No 7, avril 1997 35; L. Wildhaber, Jurisdiktionsgrundsatze und Jurisdiktionsgrenzen im Vôlkerrecht, Annuaire suisse de droit international 1985 99, 104; on y ajoutera bien évidemment les auteurs affirmant l'existence de limites sur la base des droits de l'homme cités ci-dessous.

12 '[F]or every State an obligation to exercise moderation and restraint as to the extent of the jurisdiction assumed by the courts in cases having a foreign element [ ... ]', ainsi Sir G.

Fitzmaurice dans l'arrêt de la Cour internationale de justice Barcelona Traction, Light and Power Co. Ltd., Rec.CIJ 1970 105.·

13 A. Miaja de la Muela précité 46.

14 F.A. Mann, RCADI 1964, précité 47.

15 A. Heini, Jurisdiktion und Jurisdiktionsgrenzen im Internationalen Privatrecht, Annuaire suisse de droit international 1985 93, 95.

16 C. Kessedjian, Rapport compétence juridictionnelle, précité 37.

17 F.A. Mann, RCADI 1984, précité 28-29 et 31-32.

18 § 421 Restatement (Third) Foreign Relations Law of the United States (1987).

19 L. Wildhaber précité 104.

20 P. de Vareilles-Sommières précité 247 et 250.

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Le Restatement (I'hird) Foreign Relations Law américain est plus explicite.

Après avoir posé qu'un Etat peut exercer sa compétence juridictionnelle (jurisdiction to adjudicate) envers une personne

if

the relationship of the state to the person {. .. ] is such as to make the exercise of jurisdiction reasonable, il fixe un catalogue de compétences répondant à cette exigence. On y trouve notamment la présence non transitoire, la résidence, le domicile d'une personne physique sur le territoire de l'Etat, curieusement aussi la nationalité, l'incorporation de la personne morale, la prorogation de for, l'exercice d'une activité commerciale régulière, la commission d'un acte dans l'Etat ainsi qu'en dehors si l'acte y a des effets substantial, direct, and foreseeable, ces deux derniers chefs de compétence étant limités aux actions fondées sur les actes visés.21

Si ce catalogue présente un intérêt évident pour nos besoins du fait de sa précision, il ne saurait être compris comme l'expression du droit international général. Un simple renvoi aux notions beaucoup plus floues citées précédem- ment permet de s'en convaincre sans autre démonstration. Le Restatement n'en reste pas moins utile ici en raison de sa formule générale. Il est en outre révélateur du contenu du droit national.

Que tirer de ces considérations? Ce qui nous semble prévaloir, sous le couvert de formules variées, c'est l'exigence d'un lien raisonnable entre les parties ou le litige et l'Etat du for. 22 'Si elle a pour elle l'autorité attachée intuitivement à la raison' ,23 la nécessité d'un lien raisonnable est évidemment imprécise. Il est inévitable qu'elle conduise à des divergences. Est-ce à dire qu'elle ne vaut rien? Non, elle constitue déjà une indication, qu'il conviendra d'affiner en poursuivant cette analyse.

3.2 Droits de l'homme

Tous les grands textes contemporains sur les droits de l'homme et les libertés fondamentales contiennent des garanties procédurales. La Déclaration universelle des droits de l'homme limite encore la garantie aux violations des

21 § 421 Restatement précité; sur le Restatement, voir p. ex., C. Kessedjian, Le Restatement of the Foreign Relations Law of the United States - Un nouveau traité de droit internatio- nal? Clunet 1990, 35.

22 Voir dans le même sens les conclusions de P. de Vareilles-Sommières précité 243 et F.A.

Mann RCADI précité 1984 28-29.

23 P. de Vareilles-Sommières précité 244 et nombreuses références.

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droits fondamentaux. 24 Les textes subséquents, en revanche, garantissent le droit au procès équitable de manière générale. Cette garantie vise notamment le procès civil. Il en va ainsi de l'article 14 du Pacte des Nations Unies sur les droits civiques et politiques du 19 décembre 1966, de l'article 8 de la Convention américaine des droits de l'homme et de l'article 6 de la Conventi- on européenne (CEDH).

Plusieurs auteurs de langue allemande se sont récemment attachés à tirer de ces textes des principes applicables à la détermination de la compétence internationale des tribunaux.25 Ils l'ont fait en se concentrant sur la CEDH.

Nous les suivrons dans cette voie; une investigation globale, qui pourtant aurait parfaitement sa place s'agissant de mondialisation de la communication, nous entraînerait trop loin. Cela dit, vu le contenu identique des textes, on peut imaginer qu'une investigation globale conduirait à des résultats sembla- bles.

Le droit au procès équitable prévu à l'article 6 CEDH comprend la garantie d'un tribunal accessible, soit le droit d'accès à un tribunal.26 Le droit d'accès est un droit effectif, mais non absolu. L'Etat peut le restreindre selon les ressources de la communauté et les besoins des individus, dans la mesure où la restriction ne porte pas atteinte à l'essence du droit. 21

24 Art. 8 de la Déclaration adoptée par l'ONU sous forme de résolution le 10.12.1948.

25 P.F. Schlosser, Jurisdiction in International Litigation - the Issue of Human Rights in Relation to National Law and to the Brussels Convention, RDI 1991, 5; R. Geimer, Menschenrechte im internationalen Zivilverfahrensrecht, in Aktuelle Probleme des Menschenrechtsschutzes, Berichte de Deutsch en Gesellschaft für Vtilkerrecht 33, Heidelberg 1993, 213; F. Matscher, Die Einwirkungen der EMRK auf das Internationale Privat- und zivilprozessuale Verfahrensrecht, Festschrift Schwind, Vienne 1993 71. Voir aussi: R.

Geimer, Internationalrechtliches zum Justizgewahrungsanspruch - Eine Skizze, Festschrift Nagel, Munster 36. Pour une problématique semblable, voir R. Geimer, Verfassungs- rechtliche Vorgaben bei der Normierung der internationalen Zustandigkeit, Festschrift Schwind, Vienne 1993, 17.

26 Arrêt Golder c. Royaume-Uni, Cour européenne des droits de l'homme, 21.2.1975, A no 18 §§ 35-36; J. Frowein/W. Peukert, Europaische Menschenrechtskonvention, EMRK- Kommentar, 2ème éd. Kehl 1996, 196; L.-E. Pettiti/E. Decaux/P.-H. Imbert, La Convention européenne des droits de l'homme, Commentaire article par article, Paris, 1995, 259; P. van Dijk/G.J.H. van Hoof, Theory and Practice of the European Convention on Human Rights, 2ème éd. Deventer 1990, 296. P.F. Schlosser précité 16: 'meaningful access to justice'; R. Geimer Menschenrechte, précité, 219.

27 L.-E. Pettiti/E. Decaux/P.-H. Imbert précités 258-259; P. van Dijk/G.J .H. van Hoof précités 316-317.

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La garantie d'accès a pour conséquence qu'un Etat doit ouvrir un for pour un litige empreint d'extranéité lorsque ce dernier présente un lien suffisant avec l'Etat en question.28 En faveur du défendeur, cela interdit l'admission d'une compétence sans lien suffisant. 29 Quant au demandeur, cela signifie qu'il ne peut choisir un tribunal, mais doit respecter les règles de compétence établies selon le principe du lien suffisant.30

Comment définir ce lien? Si, en l'état, il manque encore de précision, la jurisprudence et la doctrine nous apportent quand même quelques éléments.

Ainsi, dans une décision non publiée de 1976, la Commission européenne des droits de l'homme a estimé conforme à l'article 6 qu'un demandeur grec doive requérir l'attribution de la puissance parentale en Grande-Bretagne, résidence habituelle de la mère et de l'enfant et Etat national de la mère, ces points de rattachement étant suffisants au regard des principes généraux du droit international. 31 Dans une autre décision également non publiée rendue en 1982 la Commission a indiqué, aspect qui pourrait avoir une incidence en matière de compétence internationale, qu'un accès à la justice assorti de coûts élevés (excessivement élevés?) pourrait être contraire à l'article 6.32

Passons à la doctrine. Geimer semble estimer que le lien suffisant de l'article 6 est plus étroit que le lien requis par le droit international général.31 Est-ce à dire qu'il est loisible de limiter la compétence internationale? Pas nécessairement. Toujours selon le même auteur, le droit d'accès à la justice du demandeur peut s'y opposer. C'est la pesée des positions respectives des deux parties qui permet de déterminer si un for est conforme à la Conventi- on.34

Schlosser insiste également sur l'équilibre entre les parties. Pour lui, les règles que la Cour suprême des Etats-Unis a développées en matière de compétence à partir du concept de due process du droit constitutionneP5 sont également valables dans le cadre de l'article 6. 36 A propos de la Convention

28 F. Matscher précité 79; Geimer Justizgewiihrungsanspruch, précité 38: 'hinreichend enge Beziehung'.

29 F. Matscher précité 80; P.F. Schlosser précité 22.

30 J. Frowein/W. Peukert précités 203; F. Matscher précité 80-81.

31 Décision 6200/73 X/GB ZE 13.5.1976 citée par F. Matscher précité 80.

32 Décision 9379/81 citée par P. van Dijk/G .J.H. van Hoof précités 317.

33 R. Geimer Menschenrechte, précité 226.

34 R. Geimer Menschenrechte, précité 227-228.

35 3 .3 ci-dessous.

36 P.F. Schlosser précité 22.

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de Bruxelles (CB) plus spécifiquement, il estime que certains fors ne satisfont pas l'exigence de lien suffisant posée par l'article 6. Ainsi, en particulier, ceux du lieu d'exécution d'une obligation pécuniaire (art. 5-1) et du lieu de la survenance du dommage résultant d'un acte illicite en l'absence de contacts du défendeur avec ce lieu. 37

Matscher est d'avis qu'un for doit être à disposition du demandeur dès lors que la mise en oeuvre de sa prétention à l'étranger ne serait pas possible ou efficace ou encore qu'elle ne serait pas zumutbar, qu'elle ne saurait raisonna- blement lui être imposée. 38

De ces éléments, que tirer pour nos besoins? D'une part, la Zumutbarkeit du for, selon un terme affectionné des juristes de langue allemande et difficilement traduisible en français, signifiant que l'exercice d'une compéten- ce est justifié si l'on peut légitimement attendre d'une partie qu'elle agisse ou se défende en justice devant tel tribunal. Est-ce différent du lien raisonnable du droit international général? Oui, dans la mesure où il s'agit d'une appréciation centrée sur les parties et où l'exigence apparaît plus stricte.

D'autre part, un angle de vue différent focalisé sur le demandeur, qui doit bénéficier d'un accès efficace à la justice.

Si c'est surtout la doctrine allemande qui prône le recours aux droits de l'homme en matière de conflits de juridictions, cela est probablement dû au lien entre ce sujet et le droit constitutionnel inteme.39 D'autres sont plus réservés face à cette 'colonisation' des droits fondamentaux pour des besoins qui ne relèvent pas de leur objet premier.40 Qu'elle que soit la place que l'évolution du droit et de la pratique leur réserve à l'avenir, non seulement en Europe mais à l'échelle mondiale, il n'en sont pas moins des indicateurs utiles pour mesurer l'adéquation d'un for dans notre contexte.

3.3 Dénominateur commun des réglementations existantes

Nos développements se concentreront sur le droit européen, Conventions de Bruxelles (CB) et de Lugano (CL), et sur le droit américain. Y trouve-t-on des

37 P.F. Schlosser précité 28-33.

38 F. Matscher précité 79-80.

39 Voir notamment R. Geimer Verfassungsrechtliche Vorgaben loc. cit.; voir aussi P.F.

Schlosser, Einschrankung des Vermôgensgerichtsstandes, IPrax 1992, 140.

40 Ainsi C. McLachlan précité 142, qui n'exclut toutefois pas que 'those [human rights]

standards may be applicable to the commencement of proceedings and thus to the fairness of an assumption of jurisdiction'.

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principes directeurs communs? Dans l'affirmative, lesquels? Un bref survol s'impose avant de répondre.

3.3.1 Conventions de Bruxelles et de Lugano

La CB, en son article 2, érige le for du domicile du défendeur en règle générale. Pourquoi le domicile du défendeur plutôt que celui du demandeur, alors que tous les deux présentent des liens? Selon la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), parce que le défendeur est la partie la plus faible du fait qu'il subit l'action. 41

La règle générale souffre des exceptions lorsque le demandeur s'avère encore plus faible (art. 7ss., 13ss., 5-1 en matière de contrat de travail), lorsque les parties ont choisi d'y déroger (art. 17, sous réserve des compé- tences exclusives et protectrices), lorsque cela se justifie au regard d'un lien particulièrement étroit entre le tribunal et le litige (art. 5; nous laissons de côté les compétences exclusives de l'art. 16 sans pertinence pour notre sujet) ou de l'opportunité de concentrer devant un même juge des actions distinctes mais liées (art. 6).

Les compétences de l'article 5 fondées sur la proximité entre le litige et le tribunal ont été inspirées par un souci de bonne administration de la justice, soit essentiellement pour faciliter l'obtention des preuves.42 L'idée de protection de la victime n'est pourtant pas absente non plus de cette dispo- sition.43 Cela paraît évident pour les chefs de compétence de l'art. 5 ch. 2, comme la Cour l'a expressément admis dans le récent arrêt Farrell c. Long44 et de l'art. 5 ch. 4, mais s'applique également à l'art. 5 ch. 3. En effet, l'option entre le lieu de l'événement causal et le lieu de survenance du

41 Farrell c. Long, 20.3.1997, attendu 19.

42 Rapport Jenard Joce 1979 C 59122. Parmi les arrêts récents, voir p.ex. Rutten c. Cross Medical Ltd., 9.1.1997, Rev. crit. 1997 336, 338, note H. Gaudemet-Tallon; Lloyd's Register of Shipping c. Campenon Bernard, 6.4.1995, Rev. crit. 1995, 770, 773, note G.A.L. Droz; Mainschiffahrts-GenossenschaftEG (MSG) c. Les Gravières Rhénanes SARL, 20.2.1997, attendu 29.

43 Du même avis not. Bouret, note Rev. crit. 1977 570-571; contra K. Kerameus, La compétence internationale en matière délictuelle dans la Convention de Bruxelles, Travaux du Comité français de D.I.P. 1992-1993, 255, 265; contra G.A.L. Droz, not. Note D. 1970, 640.

44 Précité attendu 19.

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dommage instaurée par l'arrêt Bier c. Mines de Potasse a pour effet une protection accrue du demandeur. •s

Par ailleurs, l'impératif de bonne administration de la justice supposé justifier les compétences de l'article 5 cède à l'objectif de prévisibilité de la réglementation. Cela est particulièrement manifeste dans l'arrêt Custom Made:

même si le but de proximité est manqué, la compétence subsiste. 46 La prévisibilité vise à protéger les parties, le demandeur en lui permettant d'identifier facilement la juridiction à saisir et le défendeur en lui permettant d'anticiper devant quel tribunal il risque d'être attrait .41

Enfin, aspect lié à la bonne administration de la justice dans le sens de la bonne gestion des ressources tant des parties que de l'Etat, la jurisprudence en application de la CB cherche à éviter la multiplication des compétences.48

Au terme de ce très bref survol, nous retiendrons deux principes directeurs essentiels: premièrement, la protection des parties, qui implique la prévisibilité et bénéficie à la plus faible d'entre elles, la préférence étant généralement donnée au défendeur. Deuxièmement, la bonne administration de la justice, qui regroupe la facilité d'obtention des preuves et la bonne gestion des ressources par la non-multiplication des compétences et la concentration d'actions liées.

3.3.2 Droit américain

Un tribunal américain49 est compétent dans la mesure où il dispose d'une base légale et où cette dernière respecte le principe de due process des 5ème et 14ème Amendements de la Constitution des Etats-Unis.so Ces deux conditions

45 Handelskwekerij G.I. Bier B.V. c. Mines de potasse d'Alsace SA, 30.11.1976, Rev. crit.

1977, 563, note Bourel.

46 Custom Made Commercial Ltd. c. Stawa Metallbau GmbH 29.6.1994, Rev. crit. 1994, 692, note H. Gaudemet-Tallon.

47 Cross Medical précité 338 et Mulox mec. Geels, 13.7.1993, Rev. crit. 1994, 569, 571.

48 Cela afin de prévenir le risque de contrariété de décisions; voir not. Rutten c. Cross Medical précité 338; Mulox mec. Geels précité 571; Dumez France c. Tracoba, 11.1.1990, Rev.

crit. 1990, 363, 366-367, note H. Gaudemet-Tallon.

49 Pour une description générale de la compétence, voir p. ex. G.B. Born, International Civil Litigation in the United States Courts, 3ème éd. La Haye 1996, 67ss. Nous ne distinguerons pas ici entre tribunaux des Etats et tribunaux fédéraux, car les différences sont sans incidence pour l'analyse de due process.

50 Le 5ème Amendement garantit le 'due process of law' à l'encontre de l'entité fédérale, le

!4ème à l'encontre des Etats de l'Union.

(14)

se confondent souvent de par la formulation des bases légales. l1 Comme la seconde est décisive (même en cas de base légale, la compétence fera défaut si la seconde condition n'est pas remplie), nous limiterons l'examen aux âspects de due process.

Dans le fameux arrêt International Shoe Co. v. Washington/2 s'écartant de l'approche strictement territoriale prévalant jusqu'alors /3 la Cour suprême admit la compétence à l'égard d'un défendeur, qui, sans être présent sur le territoire de l'Etat du for, présentait certain minimum contacts with [the forum]

such that the maintenance of the suit does no.t offend 'traditional notions of fair play and justice. 54 Elle atténuait ainsi les exigences de la territorialité et

introduisait dans l'appréciation de la compétence le concept de justice et fairness (ce dernier ressemblant beaucoup à la Zumutbarkeit).

Les décisions ultérieures oscilleront entre ces deux pôles,ll certains arrêts s'attachant avant tout aux considérations de fairness, d'autres faisant au contraire une plus large part à la notion de territorialité. Parmi ces derniers, on compte surtout l'arrêt Hanson v. Denckla de 1958, selon lequel due process requiert some act by which the defendant purposefu.lly avails himself of the privilege of conducting activities within the forum state, thus invoking the benefits and protections of its laws.56 Parmi les premiers, qui mettent l'accent sur la fairness, on trouve en particulier l'arrêt Shaffer v. Heitner de 1977, qui subordonne léquivalent du forum arresti à l'existence d'une relationship among the defendant, the forum, and the litigation pour des motifs de reasonableness,51 test prévalant également dans le Restatement

(Third) Foreign Relations. 58

51 Parfois les dispositions légales se limitent à prévoir la compétence dans la mesure admise par l'exigence constitutionnelle de due process. Parfois elles contiennent des catalogues de chefs de compétence. Même dans ce cas, il arrive qu'elles comprennent une disposition fourre-tout étendant la compétence jusqu'aux limites constitutionnelles (voir G.B. Born précité 68-69).

52 326

u.s.

310 (1945).

53 Telle qu'elle est articulée dans Pennoyer v. Neff, 94 U.S. 714 (1877). 326 U.S. 316 citant Milliken v. Meyer, 311 U.S. 457, 463 (1940).

54 326 U.S. 316 citant Milliken v. Meyer, toc. cit.

55 L'oscillation serait due aux divergences de vues régnant entre les membres de la Cour (G.B.

Born précité 75).

56 357 U.S. 235 (1958).

57 433

u.s.

186 (1977).

58 Voir 2.3.1 ci-dessus.

(15)

En 1980, dans une affaire de responsabilité du fait des produits, World-Wide Volkswagen Corp. v. Woodson, la Cour suprême réitéra la condition de purposeful availment et y ajouta celle du caractère raisonnable de l'exercice de la compétence. Le caractère raisonnable s'apprécie non seulement au regard du fardeau pesant sur le défendeur - always a primary concern - mais également à la lumière d'autres éléments, à savoir l'intérêt du demandeur in obtaining convenient and effective relief, ainsi que l'intérêt des Etats en cause à une résolution efficace des litiges et à la mise en oeuvre d'objectifs de droit matériel. Dans cette même décision, la Cour suprême précisa encore que la seule prévisibilité qu'un produit était susceptible de causer un dommage dans l'Etat du for ne suffisait pas à y créer une compétence. La prévisibilité joue néanmoins un certain rôle dans le sens où les contacts du défendeur avec le for doivent être tels que le défendeur s'attende à être haled into court there. 59 Enfin, l'arrêt évoque la théorie du stream of commerce, pour noter que le principe ·de due process n'exclut pas la compétence à l'encontre d'une entreprise ayant commercialisé ses produits dans l'expectative que des consommateurs les acquerraient dans l'Etat du for.

Dans Asahi Metal lndustry Co. v. Superior Court of California, Solano County,60 rendu en 1987, la Cour suprême se montra divisée sur la théorie du stream of commerce. A proportions égales, les juges estimèrent suffisant ou, au contraire, impropre à fonder la compétence le fait que le fabricant ait eu conscience que le flot du commerce pouvait emporter ses produits jusqu'à l'Etat du for.

Dans l'appréciation des contacts requis, la Cour suprême distingue entre general et specific jurisdiction. 61 La première permet au tribunal de trancher toutes sortes d'actions à l'encontre du défendeur, même celles qui résultent d'activités qui n'ont aucun lien avec le for. Elle se justifie par des contacts relativement durables entre le défendeur et l'Etat du for, tel le domicile. La seconde est limitée aux actions découlant d'activités en rapport avec le for.

Elle présuppose un lien moins intense avec la cause du litige. Le lieu de commission d'un acte illicite en est un exemple.

59 444

u.s.

286 (1980).

60 480

u.s.

102 (1987).

61 Voir p. ex. Helicopteros Nacionales de Colombia, S.A. v. Hall, 466 U.S. 408 (1984); A.

von Mehren/Trautman, Jurisdiction to Adjudicate: A Suggested Analysis, 79 Harv. L. Rev.

1121, 1144-1164 (1966).

(16)

Ajoutons que le droit américain reconnaît l'autonomie de la volonté en matière de procédure62 et, aspect plus caractéristique, qu'un tribunal américain compétent selon les principes qui précèdent peut refuser de se saisir d'une affaire sur la base de la théorie du forum non conveniens au motif que, pour des raisons d'organisation du procès, une autre juridiction serait substantially more convenient. 6'

En résumé, plus souple que le droit européen, le régime américain est centré sur la condition de minimum contacts, appréciée selon des critères de reasonableness et de fairness. En s'écartant progressivement du concept de territorialité, il s'éloigne du test des intérêts étatiques en cause, tout en lui conservant un certain attachement.

3. 3.3 Conclusion: équilibre entre les parties

Sur la base de ces rappels, comment fixer les principes qui guideront la fixation de règles de conflits de juridictions en matière d'Internet?

L'impératif premier de telles règles devrait être d'assurer l'équilibre entre les parties.64 D'une part, le demandeur a un droit effectif d'accès à la justice. D'autre part, le défendeur a le droit de ne pas être attrait devant un for qui n'est pas zumutbar ou fair. C'est de la pesée de ces droits que doit s'inspirer la règle de compétence.

Pour assurer un réel équilibre, il faudra tenir compte du rapport de forces existant entre les parties, ou plutôt entre certaines catégories de parties. Si une catégorie s'avère plus faible, par exemple les victimes d'actes dommageables ou les consommateurs, elle doit être protégée. La catégorie 'défendeur' ne nous semble pas mériter protection en tant que telle. 65 Compte tenu de la

62 The Bremen v. Zapata Off-shore Co., 407 U.S. 1 (1972).

63 G.B. Born précité 289, le 'leading case' se trouvant être Piper Aircraft Co. v. Reyno, 454 U.S. 233, 102 S.Ct. 252 (1981), dans lequel la Cour suprême a en particulier considéré que l'application (par le tribunal étranger supposément 'more convenient') d'un autre droit matériel moins favorable au demandeur n'était pas une raison devant amener le tribunal américain à exercer sa compétence.

64 Sur l'équilibre entre droits de la demande et droits de la défense, voir not. G.A.L. Droz, Les droits de la demande dans les relations privées internationales, Travaux du Comité français de D.I.P. 1993-1994, 97, en particulier 98-99.

65 Dans le même sens, not. H. Schack, Jurisdictional Minimum Contacts Scrutinized, Heidelberg 1993 lOss; Brennan, dissenting opinion à l'arrêt World-Wide Volkswagen précité, 444 U.S. 286, 308.

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durée des procédures principalement, mais également de leur coût et d'autres entraves pratiques, la position de défendeur est aujourd'hui infiniment plus confortable que celle de demandeur, souvent alors même que la créance est manifestement fondée. Tout au plus pourrait-on dire que le défendeur se trouve dans une situation d'infériorité lorsque de nombreux fors sont ouverts au choix du demandeur. Aménagée en fonction des parties, la règle de compétence ne nous apparaît pas devoir prendre en considération les intérêts des Etats en cause. 66

4 Actions délictuelles

Avant d'examiner l'adéquation des règles existantes aux particularités des litiges en rapport avec Internet, nous passerons brièvement en revue la jurisprudence américaine en la matière ainsi que les règles applicables des Conventions de Bruxelles et Lugano.

4.1 Jurisprudence américaine

Sans prétention aucune d'exhaustivité, nous avons analysé un certain nombre de décisions émanant de cours fédérales ou de tribunaux des Etats. 67 En l'état (cela pourrait changer avec l'essor du commerce électronique), le contentieux

66 Ainsi not. A. von Mehren, Jurisdiction to Adjudicate: Reflexions on the Role and Scope of Specific Jurisdiction, Etudes de droit international en l'honneur de Pierre Lalive, Bâle 1993, 557, 558.

67 IDS Life Insurance Co. v. Sunamerica, Inc., 958 F.Supp. 1258 (N.D.Ill. 1997); Heroes, Inc. v. Heroes Foundation, 958 F.Supp. 1 (D.D.C. 1996); Maritz, Inc. v. Cybergold, Inc., 1996 U.S. Dist. LEXIS 14978 (E.D. Mo. 1996); Compuserve, Inc. v. Patterson, 89 F.3d 1257 (6th Cir. 1996); Panavision International, L.P. v. Toeppen, 938 F. Supp. 616 (C.D.Cal. 1996); Edias Software International, L.L.C. v. Basis International Ltd., 947 F.Supp. 413 (D. Ariz. 1996); Inset Systems, Inc., v. Instruction Set, lnc., 937 F.Supp. 161 (D. Conn. 1996); Bensusan Restaurant Corp. v. King, 937 F. Supp. 295 (S.D.N.Y. 1996), 126 F.3d 25 (2d Cir. 1997); Zippo Mfg. Co. v. Zippo Dot Corn, lnc., 952 F.Supp. 1119 (W.D.Pa. 1997); Minnesota v. Granite Resorts, Inc., C6-95-7227 (D. Minn. 1996): Hearst Corp. v. Goldberger, 1997 W.L. 97097 (S.D.N.Y. 1997), Plus system, Inc. v. New England Network, Inc., 804 F. Supp. 111/D. Lolo 1992); sur la jurisprudence américaine, not. C.

Aciman, Les communications via Internet et les sites web permettant aux demandeurs d'obtenir la compétence des tribunaux dans les actions, RDAI 1997 585; L.I. Baumann, Persona) Jurisdiction and Internet Advertising, The Computer Lawyer 1997 l.

(18)

est presqu'exclusivement interne entre Etats américains et non international;

il est en grande majorité constitué d'actions délictuelles, principalement dans le domaine du droit des marques. Le plus souvent, le demandeur intente on action à son domicile en se fondant sur un chef de specific jurisdiction.68 L'examen de la compétence dérivant de l'usage d'Internet se situe soit au niveau de l'application de la base légale de l'Etat saisi,69 soit au niveau de la notion constitutionnelle de due process, 10 quand les deux ne se confondent pas. 11 Dans tous les cas, la question-clé est de savoir si, par l'activité exercée au moyen d'Internet, le défendeur a créé des contacts suffisants avec le for.

La jurisprudence n'est pas univoque, loin de là. Il s'en dégage néanmoins une tendance plutôt favorable à l'admission de la compétence. Il nous semble que trois situations de fait peuvent être distinguées. Dans la première, le défendeur a ouvert une home page web passive. Dans la seconde, le défendeur s'engage activement dans des opérations commerciales au moyen d'Internet.

Dans la troisième, qui se situe entre les deux précédentes, le défendeur a créé un site interactif permettant l'échange d'informations entre l'utilisateur et le serveur.

La première situation est illustrée par l'arrêt new-yorkais Bensusan. 72 Le propriétaire d'une boite de nuit du Missouri dénommée 'Blue Note' faisait de la publicité sur Internet en annonçant les spectacles à venir et en donnant des informations, y compris un numéro de téléphone, pour l'obtention de places.

Cela déplut à la société propriétaire du club de jazz portant le même nom à New York, qui n'avait aucun lien avec la boite du Missouri. Le propriétaire du club new-yorkais, titulaire de la marque 'Blue Note', intenta à New York une action pour violation de ses droits de propriété intellectuelle.

La seule existence d'un site web passif aux fins de publicité constitue-t-elle un contact suffisant? Non, répondit la District Court du Southern District of New York: Creating a site, like placing a product in the stream of commerce, may be felt nationwide - or even worlwide - but, without more, it is not an act purposefally directed toward the forum state. 73 Le seul fait que le défendeur aurait dû prévoir que des utilisateurs à New York accéderaient à

68 La décision IDS précitée analysait toutefois la general jurisdiction, qui requiert des contacts plus étroits.

69 IDS précité.

70 Inset précité.

71 Compuserve précité.

72 Bensusan précité; dans le même sens, IDS précité.

73 Bensusan précité 301.

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son site et seraient induits en erreur sur les rapports entre les deux clubs était insuffisant. Le site du Missouri ne ciblait pas la clientèle new-yorkaise. Le défendeur n'avait aucunement encouragé les résidents new-yorkais à accéder à son site; 99% de sa clientèle était locale; même s'ils avaient réservé et payé leurs places par téléphone, d'éventuels clients d'autres Etats auraient dû en prendre livraison au club même au Missouri.

Cette première hypothèse de fait - site web passif sans autre rattachement - a aussi fait l'objet de décisions contraires. Des cours de district fédérales tant au Connecticut74 qu'au Missouri75 - encore - ont admis leur compéten- ce dans des circonstances comparables. On peut d'ailleurs se demander si la décision du juge new-yorkais aurait été la même s'il s'était agi d'un site (même passif) visant la clientèle de l'Etat du for.

L'arrêt Compuserve v. Patterson de la Cour d'appel fédérale du 6ème circuit donne un exemple du deuxième type de situation, à savoir celui du doing business par Internet. 76 Compuserve actionnait dans l'Ohio, son siège et l'emplacement de son serveur, un avocat texan du nom de Patterson en vue d'obtenir une déclaration de non-violation par Compuserve d'une marque de Patterson. Les parties avaient conclu deux contrats, l'un portant sur l'accès au réseau et l'autre intitulé Shareware Agreement permettant à Patterson de charger ses propres logiciels aux fins d'acquisition par d'autres utilisateurs.

D'éventuelles royautés en découlant devaient être encaissées par Compuserve, puis versées à Patterson, après déduction d'une commission. Le Shareware Agreement incorporait d'autres documents, qui contenaient une élection du droit, mais non des tribunaux, de l'Ohio. De 1991 à 1994, Patterson avait chargé 32 logiciels intitulés WinNAV ayant pour objet de faciliter la navigation sur Internet, pour lesquels il faisait de la publicité sur le réseau Compuserve. A douze reprises, il vendit son logiciel à des résidents de l'Ohio pour le modique montant total de $ 650.00. Au cours de ces années, Compuserve se mit à commercialiser un programme semblable à celui de Patterson portant un nom similaire. Patterson mit Compuserve en demeure de cesser et le litige s'ensuivit.

La Cour d'appel commença par relever qu'historiquement l'expansion du commerce et l'évolution des moyens de transport et de communication avait entraîné la relaxation of the limits that the Due Process Clause imposes on a

74 Inset précité.

75 Maritz précité.

76 Précité.

(20)

court 's jurisdiction. 77 Non sans rappeler l'importance des droits de la défense, la Cour poursuivit que, de nos jours, il devenait moins impératif de protéger les défendeurs contre un inconvenient litigation, because al/ but the most remote forums are easily accessible for the pursuit of both business and litigation.18 Puis la Cour examina la condition de purposeful availment. Elle la considéra réalisée du fait que Patterson avait créé des liens en concluant deux contrats, en chargeant ses propres programmes dans le système Compuserve et en y faisant de la publicité. Ces liens étaient-ils suffisants?

Oui, à cause de leur durée et de leur caractère délibéré et répété ainsi que de la qualité de fournisseur de Patterson. En revanche - précisa la Cour - la seule conclusion d'un contrat avec un résident eut été insuffisante, de même que le simple chargement de logiciel. Sur ce second aspect elle fut toutefois moins affirmative (at best a dubious groundfor jurisdiction).19

La Cour admit ensuite le caractère raisonnable de l'exercice de la compéten- ce: qualifié d'entrepreneur, non de consommateur, Patterson savait qu'il établissait des liens avec l'Ohio et espérait en tirer profit. Enfin, le for saisi avait intérêt à résoudre ce litige soumis au droit local et mettant en cause un demandeur domicilié dans l'Etat. En guise de conclusion, la Cour prit soin de spécifier ce que son arrêt ne disait pas: il ne disait pas que Patterson pouvait être attrait dans tout Etat où son logiciel aurait été utilisé ou acquis; il ne disait pas non plus qu'un demandeur d'un Etat tiers pourrait agir contre Patterson dans l'Ohio en raison d'un dommage causé par exemple par un virus de son programme; enfin, il ne disait pas que Compuserve pouvait actionner à son siège toute personne à qui elle avait fourni l'accès à Internet.

La jurisprudence connaît d'autres exemples d'utilisation active d'Internet à des fins de transactions commerciales. Tous ces exemples admettent la compétence à l'encontre de la partie responsable de cette utilisation. 80

La troisième catégorie - site interactif pour l'échange d'informations - est illustrée par le jugement Maritz v. Cybergold, Inc.81 Cybergold possédait un site web accessible de partout avec un serveur situé en Californie. Le site donnait des informations sur un service non encore opérationnel d'envoi électronique de publicités sélectionnées en fonction des intérêts indiqués par

77 Compuserve précité 1262.

78 Loc. cit.

79 Compuserve précité 1265.

80 Voir notamment Zippa et Minnesota précités.

81 Précité.

(21)

chaque abonné et invitait les personnes y accédant à communiquer leurs coordonnées, de manière à être tenus informés de la mise en place du service. Cybergold entendait être rémunérée par les annonceurs. Maritz, société du Missouri estima que Cybergold violait une marque dont elle était titulaire et intenta une action devant les tribunaux de son siège. Le juge considéra que Cybergold n'était pas passive, mais sollicitait activement les utilisateurs dans l'intention délibérée d'atteindre toute personne ayant accès à Internet, quelle que soit sa situation géographique. 12 A partir de là, il jugea les conditions du droit du Missouri (commission d'un acte illicite dans l'Etat) et les exigences du due process remplies. En effet, l'exercice de la compétence apparaissait raisonnable et était dans l'intérêt de l'Etat du for de même que du demandeur.

Que retirer pour nos besoins de cette jurisprudence? Tout d'abord, l'idée que la compétence dépend de l'intensité de l'utilisation d'Internet. Ensuite, la préoccupation d'assurer aux victimes possibles de cette utilisation un tribunal facile d'accès. u Cette tendance pourrait encore s'accentuer en matière internationale. Le caractère commercial de l'utilisation d'Internet, en revanche, même s'il joue un rôle, ne semble pas décisif. Ainsi, un tribunal a admis sa compétence à l'encontre d'une organisation caritative qui faisait appel à des dons par le biais d'un site web, par ailleurs passif. 84 Il joue néanmoins un rôle dans la mesure où diverses décisions invoquent la finalité commerciale de l'utilisation et font la distinction entre un consommateur et un commerçant ou professionnel.&$

4.2 Conventions de Bruxelles et de Lugano

L'article 5-3 ouvre au demandeur créancier d'une prétention résultant d'un acte illicite l'option d'agir, outre au domicile du défendeur, au lieu 'où le fait dommageable s'est produit'. En vertu de l'arrêt Bier c. Mines de Potasse, lorsqu'il y a dissociation entre le lieu de l'acte et le lieu du résultat, le demandeur a une option dans l'option: il peut agir à l'un ou l'autre de ces

82 Cela ne saurait être déterminant puisque, sauf exception, le détenteur d'un site passif a la même intention.

83 On remarquera cependant un arrêt qui cherche à justifier l'inconvénient causé au défendeur en relevant que la distance entre son domicile et le for (Connecticut et Massachusetts) est 'minimal' (lnset précité 165).

84 Heroes précité.

85 Not. Compuserve, Maritz et Zippo précités.

(22)

lieux.86 Pour la CJCE, ce choix se justifie parce que chacun de ces deux lieux peut fournir 'une indication particulièrement utile du point de vue de la preuve et de l'organisation du procès', 87 qu'une compétence unique est d'autant moins désirable que la formule compréhensive du chiffre 3 englobe une grande variété de types de responsabilités, que privilégier le lieu de l'événement causal amènerait souvent une confusion avec le for du défendeur, alors que la solution inverse écarterait un for particulièrement proche de la cause du dommage.88

Après avoir ainsi généreusement ouvert la compétence en matière délictuelle au profit du demandeur, la CJCE a adopté une approche plus restrictive quand il s'est agi du dommage subi par la victime indirecte et du dommage indirect de la victime initiale. Dans l'arrêt Dumez c. Hessische Landesbank, 89 elle a limité le lieu du résultat à celui de la survenance du dommage subi par la victime immédiate, à l'exclusion du préjudice de la victime par ricochet. Par la suite, dans Marinari c. Lloyds Bank, 90 elle a encore réduit la notion de dommage de la victime immédiate au dommage initial, à l'exclusion du dommage indirect.

Dans l'arrêt Shevill concernant une diffamation par la voie de la presse, la Cour a estimé que l'option introduite par la jurisprudence Bier à propos de dommages matériels s'appliquait également à un préjudice non patrimonial.

Elle a ensuite précisé que le lieu de l'acte se trouvait au lieu de l'établissement de l'éditeur de la publication et le lieu du résultat 'dans les lieux où la publication est diffusée lorsque la victime y est connue'. Enfin, elle a ajouté que le tribunal du lieu de l'établissement de l'éditeur était compétent pour connaître de l'intégralité du préjudice, alors que les juridictions des divers lieux de diffusion étaient limitées au préjudice subi sur leur territoire. L'impératif de bonne administration de la justice commanderait ce fractionne- ment, le tribunal de chacun des Etats de diffusion étant 'territorialement le

86 Handelskwekerij G.J. Bier c. Mines de Potasse d'Alsace, 30.11.1976, Rev. crit. 1977, 568.

87 Attendu 17.

88 Attendus 18-21.

89 Dumez France et Tracoba c. Hessische Landesbank, 11.1.1990, Rev. crit. 1990, 363, note H. Gaudemet-Tallon.

90 Marinari c. Lloyds Bank et Zubaidi Trading Co., 19.9.1995, Recueil 1995, I-2719.86 Fiona Shevill c. Presse Alliance S.A., 7.3.1995, Recueil 1995, I-415, en particulier attendus 24 et 29.

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