• Aucun résultat trouvé

Article pp.159-166 du Vol.29 n°3-4 (2010)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Article pp.159-166 du Vol.29 n°3-4 (2010)"

Copied!
8
0
0

Texte intégral

(1)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

FOCUS : Nutrition et santé cardiovasculaire

Le régime méditerranéen : mythe ou réalité ?

M. de Lorgeril

1 – INTRODUCTION

Le concept de régime méditerranéen, ou diète méditerranéenne (MD), suscite un intérêt croissant dans les milieux scientifiques et médicaux. De 34 publications s’y référant dans PubMed (la bibliothèque nationale universitaire des USA) pour l’année 1992, leur nombre a augmenté progressivement avec 208 publications dix ans plus tard en 2002 et 434 en 2008, après un pic à 702 en 2006. Désormais, la notion de DM fait régulièrement l’objet de conférences internationales et de mises au point pondérées et consensuelles dans des revues internationales de référence (Willett et al., 1995, de Lorgeril et al., 2007a). Ce ne fut pas toujours le cas.

L’idée que les populations méditerranéennes soient protégées de certaines maladies grâce à leurs habitudes alimentaires est née des observations de l’étude épidémiologique prospective multinationale dirigée par le biochimiste américain Ancel keys dans les années 1950 à 1980, la Seven Country Study (Willett et al., 1995, de Lorgeril et al., 2007a). Dans cette étude, les cohortes grecques et italien- nes avaient présenté beaucoup moins de décès par maladies cardiovasculaires (MCV) que d’autres populations vivant hors de la zone méditerranéenne (Willett et al., 1995, de Lorgeril et al., 2007a). Cette étude présentait toutefois une contradic- tion majeure : l’espérance de vie des populations présentant une faible mortalité par MCV n’était pas augmentée de façon parallèle à la diminution du risque cardiovas- culaire. Cette étude présentait de nombreux biais méthodologiques (de Lorgeril et al., 2008a), et l’idée que les habitudes méditerranéennes puissent être protectrices est de ce fait longtemps restée de l’ordre du folklore scientifique. Ceci contrastait avec le succès exceptionnel de théories faisant du cholestérol le deus ex machina des MCV qui décimaient les populations occidentales de l’hémisphère nord malgré des faiblesses théorico-méthodologiques très comparables à celles de la Seven Country Sudy (de Lorgeril et al., 2008a). Certains avaient essayé d’expliquer la rela- tive protection dont semblaient bénéficier les méditerranéens par un gradient de température nord-sud, d’autres par la pratique de la sieste, voire par une certaine nonchalance professionnelle ou encore par l’existence de services médicaux et sociaux particulièrement avantageux en Europe du sud. La confirmation épidémiolo-

Laboratoire Cœur & Nutrition – TIMC-IMAG UMR 5525 – Université Joseph-Fourier-CNRS – Faculté de Méde- cine, Grenoble – France.

Correspondance : Cœur & Nutrition – TIMC-IMAG UJF et CNRS UMR 5525 – Faculté de Médecine – Domaine de la Merci – 38706 La Tronche – France – michel.delorgeril@ujf-grenoble.fr

(2)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

gique de la faible mortalité cardiovasculaire en l’absence de services sociaux et d’une exceptionnelle espérance de vie dans certains pays méditerranéens (mais pas dans tous) et l’existence d’une épidémie de MCV aujourd’hui dans certaines zones non méditerranéennes bénéficiant d’un climat très favorable en Asie et en Afrique indique que ces explications n’étaient pas scientifiquement fondées et parfois tein- tées de préjugés ethniques, pour dire les choses poliment.

Le concept de DM soulève en fait deux questions médicales et scientifiques importantes : premièrement, peut-on identifier un modèle alimentaire réellement spécifique des populations méditerranéennes ? Deuxièmement, ce modèle est-il une (ou la) principale explication de l’espérance de vie avantageuse que les populations méditerranéennes présentent par rapport à d’autres populations pour lesquelles le niveau de vie (matérielle) et la protection sociale peuvent être notablement supé- rieurs. Ce texte vise seulement à répondre à la deuxième question.

2 – LA « LYON DIET HEART STUDY »

Les choses ont commencé à changer en 1994 avec la publication du rapport intermédiaire de l’Étude de Lyon (dite Lyon Diet Heart Study) décrivant les résultats cliniques après 27 mois de suivi d’un essai randomisé testant la DM chez des patients coronariens avérés (de Lorgeril et al., 1994, de Lorgeril et al., 1996). Dans cet essai, les patients qui avaient reçu le conseil de suivre une DM voyaient leur ris- que de complications cardiovasculaires diminuer de 50 à 70 % (de Lorgeril et al., 1994, de Lorgeril et al., 1996). Quelques détails techniques de l’Étude de Lyon sont discutés dans l’encadré ci-dessous.

Le degré de protection observé dans l’Étude de Lyon (essai randomisé en simple aveugle impliquant 605 patients) était si spectaculaire que le Comité Scien- tifique avait proposé de publier une analyse intermédiaire (de Lorgeril et al., 1994) avant la fin programmée de l’essai (prévu pour durer 5 ans). L’idée était d’inciter d’autres équipes à essayer de reproduire, et donc confirmer, les résultats de l’Étude de Lyon. En fait, face à des problèmes éthiques et techniques croissants (notamment la nécessité d’empêcher toute contamination entre les deux groupes randomisés), l’essai fut définitivement interrompu après un suivi d’environ 4 années par patient. Le rapport définitif fut publié en 1999 (de Lorgeril et al., 1999). L’essai ne fut donc pas interrompu au moment de la première analyse intermédiaire, comme certains l’ont cru, mais bien plus tard alors que plus de 250 complications cardiovasculaires avaient été enregistrées et que les données cliniques après ces 4 années de suivi étaient superposables à celles de l’analyse intermédiaire de 1994. On notait par exemple un parfait parallélisme entre les don- nées de mortalité et de morbidité (de Lorgeril et al., 1999). Rien à voir donc avec la mise en scène autour de récents essais cliniques, par exemple l’essai JUPITER testant la rosuvastatine qui a été stoppé à la première analyse intermédiaire (avec moins de 2 ans de suivi) et dans la confusion clinique la plus totale (Ridker et al., 2008). La décision d’arrêter l’Étude de Lyon après 4 ans fut prise en toute trans- parence par le comité scientifique indépendamment de toute considération mer- cantile et en l’absence de tout conflit d’intérêt.

(3)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

Après les résultats de l’Étude de Lyon, l’effet protecteur de la DM ne faisait donc aucun doute. Mais de nombreuses questions surgissaient. La principale concernait l’explication biologique de cette protection à la fois contre les MCV et contre les cancers avec un effet significatif sur la mortalité totale.

Déjà à cette époque, les théories explicatives des MCV tournaient principale- ment autour de l’idée que le cholestérol était la principale cause des MCV et donc que la principale mesure préventive devait concerner la diminution du cholestérol par des médicaments. C’est la théorie du cholestérol, remise en question aujourd’hui (de Lorgeril et al., 2008a), qui prétend que plus on diminue le cholestérol par un traitement et plus la protection obtenue est importante ; et aussi que plus le risque est élevé et plus la diminution du cholestérol est efficace. Or, dans l’Étude de Lyon (qui n’avait pas l’objectif de diminuer le cholestérol), il n’y avait aucune diffé- rence entre les deux groupes en termes de cholestérol, et cela du début à la fin de l’étude (de Lorgeril et al., 1994, de Lorgeril et al., 1996, de Lorgeril et al., 1999).

Ces résultats allaient à l’encontre de la théorie du cholestérol. En effet, pour certains experts, il est impossible de réduire le risque de MCV par la nutrition sans avoir un effet sur le cholestérol. Pire, à la fin de l’Étude de Lyon, on avait constaté qu’il y avait plus de prescriptions de statines (par les médecins traitants) chez les patients du groupe témoin par rapport au groupe expérimental (de Lorgeril et al., 1997) ce qui allait à nouveau totalement à l’encontre de l’idée que le moyen le plus efficace de réduire le risque de MCV était de diminuer le cholestérol avec les statines.

En raison de cette contradiction, des idéologues de la théorie du cholestérol et autres activistes du business des statines ont voulu dénigrer les résultats de l’Étude de Lyon. Toutes sortes de faussetés ou erreurs ont été racontées sur cette étude, et parfois sur les investigateurs. Certes, les résultats de l’Étude de Lyon sont incompa- tibles avec la théorie faisant du cholestérol la principale cause des MCV et c’est un vrai problème scientifique. Et cela suscite également un questionnement concernant la stratégie « statines pour tous » qui caractérise les pratiques médicales actuelles, responsables d’un déficit d’au moins un milliard d’Euros pour l’Assurance Maladie chaque année sans efficacité clinique démontrée, en l’absence de toute ambiguïté (de Lorgeril et al., 2008a, de Lorgeril et al., 2007b).

D’autre part, la protection cardiovasculaire s’accompagnait d’un effet signifi- catif sur la mortalité totale et, plus étonnant à l’époque mais confirmé par la suite, d’une diminution de la fréquence des cancers (de Lorgeril et al., 1998).

Cela ne signifiait pas évidemment qu’en l’espace de 4 ans, la DM avait protégé les patients contre la naissance des cancers, mais plus sûrement que la DM diminuait ou retardait les manifestations cliniques (ou la dissémination) de tumeurs cancé- reuses déjà existantes mais cliniquement silencieuses. De plus, aucun défaut technique ne fut détecté dans l’essai malgré une enquête quasi policière des épidémiologistes et psychosociologues de l’INSERM (de Lorgeril et al., 1997). Ils ne trouvèrent aucun biais susceptible d’expliquer la différence entre les deux groupes. Par exemple, le nombre de perdus de vue se limitait à 3 à la fin de l’essai (de Lorgeril et al., 1996), fait remarquable.

(4)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

3 – QUESTIONS SUR LA DIÈTE MÉDITERRANÉENNE

En termes de mécanisme biologique, une des hypothèses proposées pour expli- quer la protection induite par la MD était un effet anti-thrombotique via un effet antiplaquettaire un peu comparable à celui de l’aspirine. Bien que cette hypothèse n’ait pas été confirmée dans l’Étude de Lyon (de Lorgeril et al., 1994), elle ne peut pas être totalement rejetée pour deux raisons : les techniques utilisées et les condi- tions expérimentales n’étaient pas optimales pour tester une hypothèse biologique et, effectivement, le but principal de l’essai n’était justement pas de tester une hypo- thèse biologique, mais une hypothèse clinique. D’autres hypothèses physiopatholo- giques ont été évoquées : un mécanisme anti-inflammatoire ou antioxydant et un effet anti-arythmique. Mais à nouveau les conditions techniques de l’Étude de Lyon et la taille de l’échantillon testé ne permettent pas de répondre, positivement ou négativement, à ces questions. L’hypothèse anti-oxydante a, il est vrai, perdu de sa force avec la publication de plusieurs essais qui testaient des compléments nutri- tionnels contenant des antioxydants et qui se sont avérés négatifs. Ceci dit, un modèle nutritionnel global comme la DM traditionnelle comportant des substances naturelles ayant entre autres (mais pas seulement) des propriétés anti-oxydantes est très différent d’une complémentation avec des produits de synthèse à doses plus ou moins pharmacologiques. L’exemple des flavonoïdes qui induisent une résis- tance du myocarde à l’ischémie indépendamment de leurs propriétés anti-oxydan- tes est éclairant (Toufekstian et al., 2008).

Il reste qu’un certain nombre d’observateurs ont critiqué le concept de DM indé- pendamment de la polémique autour de la crédibilité de la théorie du cholestérol et aussi indépendamment de la problématique entourant les antioxydants. Ces criti- ques méritent d’être discutées au moins brièvement car elles suscitent des ques- tions importantes concernant la DM.

Par exemple, certains experts se sont focalisés non pas sur la globalité du régime testé mais seulement sur l’augmentation des apports en acide alpha-linoléni- que (ALA), le principal acide gras oméga-3 d’origine végétale. Ils voulaient faire de l’Étude de Lyon une sorte d’essai clinique des oméga-3 contre les MCV. Les édi- teurs du Lancet par exemple demandèrent que le titre de l’article publié en 1994 mentionne l’ALA (de Lorgeril et al., 1994). Nous avions accepté cette modification du titre initial sans anticiper que cela entraînerait de la confusion.

En effet de nombreux épidémiologistes et nutritionnistes n’avaient pas compris à l’époque que la DM traditionnelle est effectivement riche en ALA et parfois, mais pas toujours, en acides gras oméga-3 d’origine marine. Certains traditionalistes de la DM traditionnelle voient en effet ce modèle alimentaire essentiellement comme un régime riche en huile d’olive, céréales complètes, fruits et légumes. C’est vrai mais c’est incomplet, d’où la controverse ! Pour ces traditionalistes, l’Étude de Lyon par exemple n’était pas un essai testant les bienfaits de la DM parce que nous avions induit une augmentation très significative de l’ALA dans le groupe expérimental, ce qui pour eux sort du cadre de la DM traditionnelle. Cette vision de la DM tradition- nelle qui ne comporterait pas d’ALA est évidemment fausse.

Autre exemple mais a contrario : certains experts, souvent proches du mode de pensée de l’industrie pharmaceutique et qui défendent l’idée que des capsules d’huile de poisson protègent contre les MCV, considèrent que l’ALA n’est pas pro- tecteur. En effet, aucun essai clinique n’a testé spécifiquement l’ALA contre un pla- cebo. En l’absence d’essai, ils concluent bravement que l’ALA n’est pas protecteur et donc que la DM a peu de chance de l’être. Un autre de leurs arguments supposé

(5)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

définitif est que l’ALA est en faible proportion dans le gras de poisson et que la transformation de l’ALA en acides gras à plus longues chaînes (ceux présents dans les huiles de poisson) est faible également. Selon eux, pour être protecteur, les acides gras oméga-3 doivent obligatoirement être d’origine marine et être en quantité importante dans les repas quotidiens (Wang et al., 2006, Deckelbaum et al., 2006). Or, dans l’Étude de Lyon par exemple, bien que la consommation de poisson n’ait pas été significativement supérieure dans le groupe expérimental, les concen- trations plasmatiques et plaquettaires d’oméga-3 à longue chaîne (ceux présents dans le gras de poisson) étaient significativement plus élevées démontrant que la transformation de l’ALA en chaînes plus longues avait été très efficace dans le con- texte de la DM traditionnelle (de Lorgeril et al., 2007a). Il est probable que cette transformation de l’ALA en chaînes plus longues soit favorisée par la consommation de vin qui caractérise la DM traditionnelle, un phénomène que nous avons appelé

« fish-like effect of moderate wine drinking » et que nous avons pu confirmer dans une grande étude épidémiologique internationale (de Lorgeril et al., 2008b, di Giu- seppe et al., 2009). En fait, la combinaison d’une augmentation des apports en ALA et de la consommation modérée de vin entraîne une augmentation de plus de 80 % des acides gras oméga-3 d’origine présumée marine (de Lorgeril et al., 2008b).

Pour d’autres experts enfin, ardents défenseurs de la théorie du cholestérol, l’idée que la DM traditionnelle puisse être protectrice contre les MCV est tout sim- plement irrecevable (Katan et al., 2009). Leur raisonnement se base sur deux argu- ments principaux qu’il faut aussi rapidement discuter.

Le premier argument tient au fait que la DM est très riche en acide oléique. Or, ces experts ne font pas la différence entre l’acide oléique d’origine végétale (huile d’olive et huile de colza essentiellement) et l’acide oléique d’origine animale (gras de porc et gras de bœuf pour faire simple). Pour eux, tous les acides oléiques se res- semblent, ce qui est chimiquement vrai mais nutritionnellement faux. En procédant de la sorte on ne fait pas la différence entre une DM riche en huile d’olive et une diète occidentale classique riche en graisses animales car toutes les deux sont riches en acide oléique. Le raisonnement en nutrition est différent de celui de la pharmacologie, on ne le dira jamais assez (de Lorgeril et al., 2002). En classant les patients en fonction des apports en acide oléique et pas en fonction d’un modèle alimentaire, ces experts ne voient pas évidemment d’effet protecteur de la DM (Jakobsen et al., 2009). Et voilà pourquoi certains rejettent l’idée que la DM, qu’ils définissent comme une diète riche en acide oléique, soit protectrice par rapport à une diète riche en acides gras polyinsaturés (Katan et al., 2009). Qu’il y ait là une naïve tentative de réhabiliter les polyinsaturés oméga-6 ne fait pas de doute car la DM est très pauvre en oméga-6 (Katan et al., 2009). Pour ces experts, la route de réhabilitation des oméga-6 passe par un dénigrement de l’acide oléique, de l’huile d’olive, de la DM et des essais ou études montrant les effets bénéfiques de la DM.

Cela amène au deuxième argument. Quelques défenseurs de la théorie du cho- lestérol prétendent que la seule évidence scientifique en faveur des diètes riches en acide oléique (qu’il assimile à la DM traditionnelle) vient d’études (d’essais cliniques) concernant l’effet des graisses alimentaires sur le cholestérol plasmatique. À juste raison, ils disent qu’il n’y a pas d’essai clinique testant spécifiquement les effets de l’acide oléique contre les MCV. En effet, l’Étude de Lyon par exemple testait un modèle nutritionnel global et complexe où l’augmentation des apports en acide oléi- que de source végétale n’était qu’un des aspects de l’intervention nutritionnelle. Ils peuvent ainsi mettre de côté (c’est-à-dire oublier) l’Étude de Lyon dans leur analyse critique de la DM et conclure que les acides gras oméga-6 sont plus efficaces que l’acide oléique (donc la DM) pour diminuer le cholestérol (Katan et al., 2009).

Comme pour ce type d’experts le cholestérol est un équivalent des MCV

(6)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

(« surrogate endpoints of coronary heart disease »), ils peuvent à nouveau bravement conclure que les acides gras oméga-6 sont plus efficaces que la DM pour diminuer le cholestérol et, d’un même élan, pour diminuer le risque de MCV (de Lorgeril et al., 2002, Jakobsen et al., 2009).

Sur ce champ de bataille-là, les acides gras oméga-6 sont réhabilités comme arme principale contre les MCV, pour la plus grande satisfaction de l’agrobusiness, Unilever et Monsanto inclus. Ceci est très naïf (pour dire les choses poliment) et serait risible si ça n’était tragique.

4 – CONFIRMATION DES EFFETS PROTECTEURS DE LA DM TRADITIONNELLE

L’unanimité est un phénomène rare en sciences et rarissime dans les sciences de la vie. En cas de controverse contradictoire, le juge de paix est le temps. Qu’une théorie résiste à l’épreuve du temps est un gage de validité de ladite théorie. Il est donc tout à fait remarquable que depuis 1994 et le premier rapport de l’Étude de Lyon, aucune étude testant réellement la DM ne se soit révélée en contradiction avec les résultats de l’Étude de Lyon. L’ampleur de la protection observée a certes varié d’une étude à l’autre, essentiellement d’une population à l’autre, mais il s’agis- sait toujours de protection.

Plusieurs approches méthodologiques ont été utilisées dans ces nombreuses études qui reflètent la difficulté technique d’évaluer non pas un aliment ou un nutri- ment isolément, mais un modèle alimentaire. Tel était le défi. On ne peut pas dire que toutes les études et les essais aient été pleinement convaincants sur le plan technique mais on retiendra l’unanimité.

Un seul essai visant à tester la DM en prévention secondaire de l’infarctus du myocarde a été publié en 2008. Bien que la taille de l’échantillon soit faible (un peu plus de 200 patients), la durée de suivi d’environ 4 années a permis de montrer une protection significative de la DM (Tuttle et al., 2008) confirmant ainsi les résultats de l’Étude de Lyon.

Aucun essai randomisé testant la DM en prévention primaire n’a été rapporté à ce jour.

En épidémiologie d’observation, plusieurs équipes ont construit des modèles ali- mentaires permettant de tester l’effet protecteur de la DM dans de larges études prospectives. À partir d’un canevas construit a priori chaque sujet se voit attribuer un score d’adhérence à la DM traditionnelle puis on évalue la relation entre le score et le risque de présenter un accident cardiaque ou cérébral, d’en décéder ou pas, ou encore de présenter d’autres pathologies au cours d’un suivi prospectif parfois très long, parfois plus de 12 ans. Il ne s’agit pas d’essai randomisé puisqu’il n’y a pas de tirage au sort et constitution de groupes expérimental et témoin mais c’est mieux qu’une simple étude d’observation avec ajustements multiples a posteriori pour des facteurs de confusion potentiels puisque chaque sujet est classé dans une catégorie (un score d’adhérence) de façon a priori. Ceci dit, ces scores d’adhésion à la DM traditionnelle sont assez simplistes et sont loin de refléter la complexité des habitudes alimentaires réelles des populations de la zone méditerranéenne.

Il serait trop long de citer toutes les études publiées au cours des dernières années mais ce qui caractérise les plus récentes ou les plus originales c’est une

(7)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

réduction hautement significative des risques de MCV fatales ou non, et de cancers ; le tout associé à une diminution de la mortalité totale, soit l’équivalent d’une augmentation de l’espérance de vie (Fung et al., 2009, Mitrou et al., 2007, Trichopoulou et al., 2003).

Cela confirme finalement que les observations initiales (Seven Country Study) et les résultats des essais cliniques (Étude de Lyon notamment) n’étaient certainement pas la conséquence du hasard ou de biais non identifiés. En termes cliniques, ceci est très important car les médecins disposent ainsi d’un modèle alimentaire testé de façon scientifiquement acceptable pour guider leur pratique.

Des méta-analyses variées et des rapports de consensus, tous à prendre avec la prudence qui s’impose face à ce genre d’exercice hautement manipulable, sont venus couronner la théorie que la DM traditionnelle est à la fois le mieux étudié (scientifiquement) et le plus protecteur des modèles alimentaires connus (Mente et al., 2009, Sofi et al., 2008, Kris-Etherton et al., 2001).

On trouvera des descriptions plus ou moins détaillées des caractéristiques nutri- tionnelles de la DM traditionnelle soit dans des publications récentes (de Lorgeril et al., 2008c) soit sur le blog suivant : http ://michel.delorgeril.info

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

DECKELBAUM R.J., AKABAS S.R., 2006. n–3 Fatty acids and cardiovascular disease:

navigating toward recommendations. Am.

J. Clin. Nutr., 84, 1-2.

DE LORGERIL M., RENAUD S., MAMELLE N., et al., 1994. Mediterranean alpha-linolenic acid-rich diet in secondary prevention of coronary heart disease. Lancet, 343, 1454-9.

DE LORGERIL M., SALEN P., MARTIN J.L., et al., 1996. Effect of a Mediterranean-type of diet on the rate of cardiovascular com- plications in coronary patients. Insights into the cardioprotective effect of certain nutriments. J. Am. Coll. Cardiol., 28, 1103-8.

DE LORGERIL M., SALEN P., CAILLAT-VAL- LET E. et al., 1997. Control of bias in die- tary trial to prevent coronary recurrences.

The Lyon Diet Heart Study. Eur. J. Clin.

Nutr., 51, 116-22.

DE LORGERIL M., SALEN P., MARTIN J.L., 1998. Mediterranean dietary pattern in a randomized trial: Prolonged survival and possible reduced cancer rate. Arch.

Intern. Med., 158, 1181-7.

DE LORGERIL M., SALEN P., MARTIN J.L. et al., 1999. Mediterranean diet, traditional

risk factors and the rate of cardiovascular complications after myocardial infarction.

Final report of the Lyon Diet Heart Study.

Circulation, 99, 779-85.

DE LORGERIL M., SALEN P., 2002. Fish and n-3 fatty acids for the prevention and treatment of coronary heart disease: nutri- tion is not pharmacology. Am. J. Med., 112, 316-9.

DE LORGERIL M., SALEN P., 2007a. Modified Cretan Mediterranean diet in the preven- tion of coronary heart disease and cancer:

An update. World Rev. Nutr. Diet, 97, 1- 32.

DE LORGERIL M., 2007b. Dites à votre méde- cin que le cholestérol est innocent. Il vous soignera sans médicament. Éditions Souccar.

DE LORGERIL M., 2008a. Cholestérol, men- songes et propagande. Éditions Souccar.

DE LORGERIL M., SALEN P., MARTIN J.L. et al., 2008b. Interactions of wine drinking with omega-3 fatty acids in patients with coronary heart disease: a fish-like effect of moderate wine drinking. Am. Heart J., 155, 175-81.

DE LORGERIL M., SALEN P., 2008c. The Mediterranean diet: rationale and evi-

(8)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

dence for its benefit. Curr. Atheroscler.

Rep., 10,518-22.

DI GIUSEPPE R., DE LORGERIL M., SALEN P. et al., 2009. Alcohol drinking and n-3 polyunsaturated fatty acids in healthy men and women from 3 European populations.

Am. J. Clin. Nutr. 89, 354-62.

FUNG T.T., REXRODE K.M., MANTZOROS C.S. et al. Mediterranean diet and inci- dence of and mortality from coronary heart disease and stroke in women. Circu- lation, 119, 1093-1100.

HARRIS W.S., MOZAFFARIAN D., RIMM E. et al. Omega-6 fatty acids and risk of cardio- vascular disease. A science advisory from the American Heart Association Nutrition Subcommittee of the Council of Nutrition.

Circulation, 119, 902-7.

JAKOBSEN M.U., O’REILLY E.J., HEITMANN B.L. et al., 2009. Major types of dietary fats and risk of coronary heart disease: a pooled analysis of 11 cohort studies. Am.

J. Clin. Nutr., 89, 1-8.

KATAN M.B., 2009. Omega-6 polyunsaturated fatty acids and coronary heart disease.

Am. J. Clin. Nutr., 89, 1283-4.

KNOOPS K.T., DE GROOT L., KROMHOUT D.

et al., 2004. Mediterranean diet, lifestyle factors, and 10-year mortality in elderly European men and women. The HALE Project. JAMA, 292, 1433-9.

KRIS-ETHERTON P., ECKEL R.H., HOWARD B.V. et al., 2001. AHA Science Advisory:

Lyon Diet Heart Study. Benefits of a Medi- terranean-style, National Cholesterol Edu- cation Program/American Heart Association. Circulation, 103, 1823-5.

MENTE A., DE KONING L., SHANNON H.S., ANAND S.S., 2009. A systematic review of the evidence supporting a causal link between dietary factors and coronary heart diseases. Arch. Intern. Med., 169, 659-69.

MITROU P.N., KIPNIS V., THIEBAUT A.C.M.

et al. Mediterranean dietary pattern and

prediction of all-cause mortality in a US population. Arch. Intern. Med., 167, 2461- 8.

RIDKER P.M., DANIELSON E., FONSECA F.A.

et al., 2008. For the JUPITER Study Group. Rosuvastatin to prevent vascular events in men and women with elevated C-Reactive protein. N. Engl. J. Med., 359, 2195-207.

SOFI F., CESARI F., ABBATE R. et al., 2008.

Adherence to Mediterranean diet and health status: meta-analysis. BMJ, 337, a1344.

TOUFEKSTIAN M.C., DE LORGERIL M., NAGYN., SALENP., et al., 2008. On behalf of the FLORA consortium. Chronic dietary intake of plant-derived anthocy- anins protects the rat heart against ischemia-reperfusion injury. J. Nutr., 138, 747-52.

TRICHOPOULOU A., COSTACOU T., BARNIA C., TRICHOPOULOS D., 2003. Adherence to a Mediterranean diet and survival in a Greek population. N. Engl. J. Med., 348, 2599-608.

TUTTLE K.R., SHULER L.A., PACKARD D.P.

et al., 2008. Comparison of low-fat versus Mediterranean-style dietary intervention after first myocardial infarction (from the Heart Institute of Spokane Diet Interven- tion and Evaluation Trial). Am. J. Cardiol., 101, 1523-30.

WANG C., HARRIS W.S., CHUNG M. et al., 2006. n-3 Fatty acids from fish or fish-oil supplements, but not alpha-linolenic acid, benefit cardiovascular disease outcomes in primary- and secondary-prevention studies: a systematic review. Am. J. Clin.

Nutr., 84, 5-17.

WILLETT W.C., SACKS F., TRICHOPOULOU A. et al.,1995. Mediterranean diet pyra- mid: A cultural model for healthy eating.

Am. J. Clin. Nutr., 61(suppl.), 1402S- 1406S.

Références

Documents relatifs

Nous tentons, en intégrant les apports des deux modèles du développement retenus dans cet article (tableau 1), d’analyser les formes de relations tissées par les

Pour évaluer le niveau de risque perçu avant le choix de la stratégie d’implantation pour chaque cas étudié, nous avons lié le niveau de perception du risque à la diversité

L’usage du terme « qualité » s’est généralisé dans les discours offi- ciels comme dans les situations de terrain, sans pour autant s’appuyer sur une définition univoque :

Les raisons qui peuvent inciter l’un ou l’en- semble des partenaires d’une coentreprise à mettre fin à leur alliance ainsi que les moda- lités de rupture choisies ont

– Athletic injury to the first metatarsal phalangeal joint, 65 – Chondrosarcome mésenchymateux de la phalange dis- tale de l’hallux chez un adolescent – À propos d’un cas,

L’ingénierie dirigée par les modèles est devenue en quelques années une approche pour le développement logiciel de qualité, prisée à la fois par les industriels et

Chez les mammifères, les acides gras saturés à chaînes courtes et moyennes (< 12 carbones) ainsi que l’acide laurique (C12) et l’acide myristique (C14) sont

Dans l’étude des médecins américains une consommation plus élevée d’ALA (+ 1g/jour) réduit de 50 % les principaux évé- nements coronaires, uniquement chez des sujets ayant