B ERNARD B RU
La vie et l’œuvre de W. Doeblin (1915-1940) d’après les archives parisiennes
Mathématiques et sciences humaines, tome 119 (1992), p. 5-51
<http://www.numdam.org/item?id=MSH_1992__119__5_0>
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LA VIE
ET L’0152UVRE
DEW.DOEBLIN (1915-1940) D’APRÈS LES ARCHIVES PARISIENNES Doeblin Conférence Blaubeuren, 2 novembre 1991
Bernard BRU
RÉSUMÉ - Nous
examinons la vie et l’0153uvre deWolfgang
Doeblin àpartir
de sacorrespondance
et de sespapiers personnels déposés
dans lesdifférentes
Archives accessibles.SUMMARY - Life and work of W. Doeblin
(1915-1940)
from different archivesWe examine the
life
and workof Wolfgang Doeblin from
hiscorrespondence
andpersonal
papersdeposited
indifferent
Archives.On
sepropose d’examiner ici quelques
sourcesd’archives actuellement disponibles à Paris, les
Archives Nationales où
se trouve cequi
restedes archives de la Faculté des Sciences de Paris,
les Archives de l’Académie des Sciences où la famille de Maurice Fréchet
adéposé l’essentiel de
ses
papiers personnels, les archives du Bulletin des Sciences Mathématiques, les archives du Laboratoire de probabilités
etdu Laboratoire de statistique de l’Université Paris 6, les Archives
de la guerre,
etc...Ces archives contiennent des lettres, des manuscrits, des indications qui
permettent de préciser certains points de la vie
etde l’oeuvre de Wolfgang Doeblin,
notammentsa
formation scientifique, la chronologie de
ses travaux,les conditions dans lesquelles il les
amenés à bien depuis
sonarrivée à Paris
enjuillet 1933 jusqu’à
sa mort enjuin 1940. (0).
Il existe d’autres
sourcesd’archives que
nous avonsdépouillées, particulièrement celles du
Schiller Museum de Marbach où
sontdéposés les papiers personnels de W.D. Nous espérons
que d’autres chercheurs pourront compléter
notretravail qui
apour seule ambition de rendre
hommage à l’homme que fut Wolfgang Doeblin - Vincent Doblin.
I -
ÉTUDES : OCTOBRE 1933 - JUIN 1935.
W.D.
apassé
sonAbitur à Berlin à la session de Pâques 1933. Son père, le grand écrivain
allemand A. Doeblin, menacé par la gestapo, s’est enfui de Berlin le lendemain de l’incendie du
Reichstag
et agagné la Suisse
avec safemme
etdeux de leurs quatre fils.
Enavril 1933 W.D.
les rejoint à Zürich où il suit des
coursde mathématiques, [92], [62].
En
juillet 1933
surles conseils d’André François-Poncet, ambassadeur de France à Berlin, [59], A.D. s’établit à Paris
avec safamille d’abord à l’hôtel Francoeur à Montmartre puis à partir
de novembre 1933 à Maisons-Laffitte (4
avenueTalma).
Endécembre 1934 la famille Doeblin
emménage
au5 square Henri Delormel, derrière la place Denfert-Rochereau, elle y
resterajusqu’en novembre 1939. [16].
A
la rentrée universitaire d’octobre 1933, W.D.s’inscrit à la Faculté des Sciences de Paris pour
ypréparer
unelicence de mathématiques.
Pour la compréhension de
cequi
vasuivre rappelons les particularités du système
universitaire français. Après leurs études secondaires, les élèves les meilleurs
enmathématiques
ne
s’inscrivent généralement pas à l’Université, ils suivent, dans les grands lycées parisiens, les
classes préparatoires
aux concoursde l’Etat, Ecole Normale Supérieure
ouEcole Polytechnique.
Ceux d’entre
euxqui
sontreçus à l’Ecole Normale Supérieure
aubout de 2
ou3
ansde préparation
sontalors
tenusde s’inscrire à l’Université
etd’y réussir
undiplôme de niveau équivalent
au masteranglo-saxon, qui s’appelait alors licence
etqui, pour les mathématiques,
était composé de trois
coursobligatoires
etencyclopédiques, calcul différentiel
etintégral, mélanique rationnelle
etphysique générale. Pour chacun de
ces coursil
yavait deux sessions d’examen par
an.Les étudiants de l’E.N.S. n’assistaient généralement pas
aux cours, cequi explique que A. Blanc Lapierre, G.Choquet
ouL.Schwartz, par exemple,
toustrois nés
en1915, qui
ontpassé les mêmes
examensque W.D.
aumême
moment ne sesouviennent pas l’avoir jamais rencontré. N’assistaient
aux coursque les quelques étudiants français qui avaient
renoncé à suivre le rythme
soutenudes classes préparatoires
et surtoutles étudiants étrangers qui, dans les années 30, représentaient près de la moitié des inscrits, c’étaient principalement des
étudiants d’Europe centrale, Bulgares, Hongrois, Polonais, Roumains, Tchèques
etAllemands après 1933. W.D. n’était donc pas
un casisolé.
Les
coursavaient lieu à l’Institut Henri Poincaré alors
toutneuf. Les bâtiments construits à l’aide de donations du baron E. de Rothschild
etde la Fondation Rockefeller avaient été
inaugurés
en1928. Ils accueillaient les étudiants de mathématiques
etde physique théorique
suivant les
voeuxdes promoteurs de l’Institut, Emile Borel pour la France
etGeorge Birkhoff
pour l’International Board Foundation, qui espéraient voir les grandes théories physiques
nouvelles s’enrichir
etpeut être
seclarifier
au contactdes mathématiques les plus représentatives.
Le registre d’examens de la Faculté des sciences de Paris de l’année 1934 (Archives
Nationales AJ/16/5508) indique que W.D.
aréussi trois
examenspendant
sapremière année à
l’Université de Paris
1. Mathématiques générales,
unenseignement de lère année qui avait été créé
en1902. Il n’était
pas obligatoire pour la licence mais était recommandé
auxétudiants de mathématiques
etde physique qui n’avaient pas suivi la classe de mathématiques spéciales des lycées.
En1933-1934
ce cours
était enseigné par G.Valiron (1884-1955),
auteurd’un traité d’analyse bien
connu,assisté de deux chargés de conférence E.Le Roy (1870-1954), disciple de Bergson, professeur
de philosophie
auCollège de France
etE. Cahen (1865- 1941) professeur de mathématiques spéciales dans
unlycée de Paris, qui avait
soutenu en1899
unethèse
surla fonction ~.
En juin 1934,
sur246 candidats il
y eut61 reçus à Math. géné., W.D. obtint les
notes33/60
et
34/40
auxdeux compositions de l’écrit, 12/20 à l’épreuve pratique
et81/100 à l’oral, il fut
déclaré reçu
avecla mention Assez Bien.
Il
nes’agit pas là de
notesexceptionnelles, par exemple Michel Loève (1907-1979)
aréussi Mathématiques générales à Paris
en1929
avecla mention très bien
etles
notesles plus hautes.
On comprend
assezbien les raisons de
cesrésultats, lorsqu’on compare la correction impeccable
et
la clarté de style de Loève
auxlibertés de W.D. qui était extraordinairement intuitif
et sepliait
mal
auxrigueurs académiques,
cequi dès
cetteépoque
nedevait pas faciliter
salecture.
2. Mécanique rationnelle, c’était,
onl’a dit,
un coursobligatoire de la licence de mathématiques,
les étudiants français le suivaient généralement quatre
ansaprès la fin de leurs études
secondaires, il était enseigné par J. Chazy (1882-1955).
Enjuin 1934
sur242 candidats, il
y eut54 reçus dont W.D. qui obtint également la mention Assez Bien
avecles
notes26/40 à l’écrit, 8/20 à l’épreuve pratique
et26/40 à l’oral.
3. Calcul des probabilités
etphysique mathématique, option statistique,
un"diplôme d’étude supérieure", c’est à dire
un coursde première année de 3ème cycle. Il permettait
enprincipe
auxétudiants avancés de prendre
unpremier
contact avecdes sujets moins traditionnels
et ouverts surla recherche.
Le
coursdont il s’agit avait été créé
en1930 par Georges Darmois (1888-1960), il comprenait
unenseignement de probabilités très général fait par E. Borel (1871-1956)
et uncours
de statistique fait par Darmois qui
cetteannée là enseignait également à la place de
M.Fréchet (1878-1973) les "probabilités
enchaîne".
L’oeuvre de G.Darmois
est unpeu oubliée, c’est pourtant
un savantremarquable. Il avait
soutenu en
1914
unethèse de géométrie fort brillante. Après la guerre de 14-18, nommé professeur à l’Université de Nancy, il s’était intéressé à la théorie de la relativité
età la
statistique. C’est lui qui dès
cetteépoque
aintroduit
enFrance
etdéveloppé les idées de Fisher.
E.Borel qui souhaitait créer
unenseignement de statistique
etappréciait l’énergie de Darmois
l’avait fait venir à Paris.
Contrairement à Borel qui avait été
avantla guerre de 14
untrès grand
savantmais que les
mathématiques n’intéressaient plus alors que d’assez loin, Darmois .était
en1934
unhomme
enthousiaste,
ouvert etaccueillant pour les jeunes,
son coursétait d’une grande modernité, voir
par exemple [86] p. 224.
Les
examensde l’option statistique avaient lieu
en mars et enoctobre. W.D.
nes’est pas
présenté à l’examen de
mars1934 mais fut
reçu enoctobre 1934
avecla mention AB
etles
notes,6/20
et16/20 à l’écrit, 13/20 à l’épreuve pratique, 11/20
et15/20 à l’oral.
Ainsi dès
sapremière année à la Sorbonne,
W.D.à peine âgé de 19
ansavait déjà parcouru le
cycle complet des études universitaires de la première à la dernière année
ettrouvé
uneorientation de recherche, la théorie des probabilités. On peut évidemment s’interroger
surles
raisons de
ceparcours inhabituel
etde
cechoix. Faute d’éléments probants
nousdevons
nouscontenter
d’hypothèses. L’une d’entre elles pourrait être présentée ainsi
Il
està peu près certain que W.D. n’a pas bénéficié des conseils avisés des
savantsprofesseurs de la Faculté à
sonarrivée à Paris.
Ilavait commencé
sesétudes de mathématiques à Zürich, il s’est donc
toutnaturellement inscrit à Paris
enmathématiques,
etbien entendu
aucours
préparatoire de mathématiques générales qui était suivi
par tousles étudiants étrangers.
S’il s’est inscrit
enmécanique rationnelle, c’est qu’il
adû
penser au vude
sonintitulé que
ceserait
un coursd’accès plus aisé que celui de Calcul différentiel
etintégral qui couvrait
enfait
toute
l’analyse classique des grands traités de Jordan, Picard
ouHadamard.
Enrevanche
s’inscrire
au coursde probabilité n’avait rien de naturel
etprésuppose
unchoix raisonné. On peut penser d’autre part que W.D.
apris la décision de
seprésenter
enstatistique
en coursd’année puisqu’en
mars1934 il n’a pas participé
auxépreuves de l’examen.
Ne
serait-ce que
pour seperfectionner
enfrançais, W.D.
adû assister
aux coursde
mathématiques générales
etde mécanique
et y rencontrerd’autres étudiants, vraisemblablement
étrangers
commelui. L’un d’eux peut avoir décidé de
sonorientation. Or il
se trouveque
cettemême année 1933-1934,
unétudiant hongrois né
en1912, Ervin Feldheim, suivait le
coursde
mécanique de Chazy. Feldheim avait entrepris
en1931 des études de mathématiques à Paris
etterminait
en1934
salicence
tout ensuivant le
coursde Darmois qui avait la réputation d’être le plus abordable parmi les
coursde 3ème cycle.
Iln’était d’ailleurs pas le seul à le faire,
un autreétudiant hongrois Geza Kunetz suivait la même année le
coursde Darmois
etsoutiendrait le 17
mars
1937
unethèse d’Université
sousla direction de Darmois "sur quelques propriétés des
fonctions caractéristiques".
Le
coursde Darmois permettait également d’accéder
auxcarrières de statisticien
etd’actuaire
qui s’ouvraient alors plus largement
enFrance
commepartout
enEurope. Ces perspectives professionnelles intéressantes attiraient particulièrement les étudiants étrangers
enmathématiques auxquels l’enseignement d’état était interdit. C’est ainsi que M. Loève, qui était apatride,
etqui
avait dû enseigner dans divers établissements privés, pour faire vivre
safamille, étudia les statistiques
etl’actuariat afin de
trouver unemploi mieux rémunéré, il
y trouvaaussi
commeW.D.
uneorientation de recherche
etl’on connaît bien d’autres exemples
enEurope
comme auxEtats
Unis, à
cetteépoque, de telles vocations probabilistes contraintes par les nécessités de l’existence. On peut penser que
cetaspect des choses
estintervenu dans le choix de W.D. qui
avait certainement à
coeurde
nepas être trop longtemps à la charge de
sonpère déjà âgé,
auxrevenus
probablement incertains.
Il
estpossible que
cesoit Feldheim, reçu
commeKunetz
en mars1934 à l’examen de Borel
et
Darmois, qui ait proposé à Doeblin de s’inscrire à
cemême
cours.Feldheim fut refusé
enjuin
1934 à l’examen de mécanique, qu’il réussit
enoctobre seulement. Doeblin aurait pu aider Feldheim
enmécanique
etFeldheim initier Doeblin
auxprobabilités. Rentré
enHongrie après
avoir obtenu
salicence, Feldheim
entradans
unecompagnie d’assurance. Il continua à s’intéresser
auxprobabilités
etsoutint
enfévrier 1937 à Paris
unethèse d’Université dédiée à G.
Darmois
et P.Lévy,
surles lois stables dans le plan. Feldheim
apublié de nombreux mémoires
d’analyse jusqu’en 1942.
Il est mort en1944, victime du nazisme.
Dans sa
correspondance
avecFréchet
W.D.parle de Feldheim
en termesamicaux,
onpeut donc
auminimum considérer
commeétabli qu’ils
se sontrencontrés.
Quoiqu’il
ensoit l’enseignement de G. Darmois semble bien avoir incité W.D. à s’intéresser
aux
probabilités, (1). Mme Schwartz, fille de
P.Lévy,
sesouvient avoir entendu
W.D.dire à
son
père
au coursd’une conversation "qu’il
nesavait pas s’il s’intéressait plus
auxprobabilités qu’à d’autres parties des mathématiques mais qu’il avait choisi d’y travailler parce, qu’il sentait
que
ceserait l’une des grandes branches d’avenir des mathématiques".
On sait maintenant que les années 30 furent l’âge d’or de la théorie des probabilités mais
cen’était nullement évident à l’époque
surtoutà Paris où le calcul des probabilités n’était généralement pas considéré
commeappartenant de droit
audomaine des mathématiques.
Traditionnellement, les étudiants français les plus brillants s’orientaient
versla géométrie
oul’analyse
etplus récemment
versla théorie des nombres,
ceuxqui abordaient les probabilités
nele faisaient qu’après avoir fait leurs preuves ailleurs. Si l’on excepte le
castrès exceptionnel de Bachelier,
cen’est qu’après l’arrivée à Paris de Fréchet
en1929
etDarmois
en1933 que des thèses de probabilités purent être
soutenues enSorbonne
et encoreétait
ce assezmal
vu.Ainsi Emile Borel, pourtant l’un des fondateurs de la théorie moderne des probabilités, qui présidait la plupart des thèses de probabilités, disait
encoreà J.Ville,
auteurd’une thèse très remarquable
surles martingales: "quand allez
vous vousdécider à faire de l’analyse ?" [ 117].
Le choix de W.D. n’était cependant pas déraisonnable, c’est
eneffet
en1934 que Paul Lévy, professeur à l’École Polytechnique, allait publier
songrand mémoire
surles lois indéfiniment
divisibles, [82],
etdémontrer le théorème de Feller-Lévy qui élucidait enfin le théorème de
Laplace-Liapounoff, [84]. D’autre part Maurice Fréchet, qui avait créé
avantla guerre de 1914
l’analyse abstraite
etqui, à la suite d’Hadamard, s’était intéressé, lors de
sonarrivée à Paris, à la théorie des événements
enchaînes,
seconsacrait désormais presque exclusivement à
cettethéorie. Fréchet entretenait
unecorrespondance abondante
avec ungrand nombre d’analystes
etsuivait de près la littérature de
sontemps qu’il recevait de
toutepart. En particulier Fréchet
setrouvait
enrapport
avec tousles mathématiciens qui s’intéressaient à la théorie des chaînes de
Markov, Bernstein, Hostinsky, Kolmogorov, de Mises, Onicescu etc..., les invitant à venir
parler de leurs
travauxà Paris, grâce
auxlibéralités de la fondation Rockefeller.
L’Institut Henri Poincaré
setrouvait ainsi être,
sansle savoir
sansdoute
et sansque
W.D. lesache
nonplus, l’un des endroits
aumonde
lesplus propices à l’étude des probabilités
en1934.
Et
cetapparent hasard des déterminations mystérieuses de W.D. n’est, peut être,
commeil
sedoit, qu’un
concoursde conséquences absolument nécessaires de longues chaînes de raisons.
Il ne
faudrait pas cependant trop idéaliser la situation. Faire de la recherche
enmathématiques à Paris à
cetteépoque n’était pas chose aisée. Il existait
entreles jeunes
chercheurs
etles professeurs titulaires
une"barrière infranchissable" due naturellement à la très
grande différence d’âge,
età des traditions d’individualisme absolu. Les jeunes étaient laissés à
eux
mêmes, particulièrement
ceuxqui
nepouvaient bénéficier,
commeles élèves de l’ENS, d’un
autoencadrement naturel
etd’une collégialité favorable
auxéchanges scientifiques. Il
estprobable que Moscou, Gôttingen
ouBerlin
avant1933 par exemple, auraient mieux accueilli le
jeune W.D. qui, toutefois,
on vale voir,
nesemble pas avoir trop pâti de
cettesituation.
Revenons donc à l’année 1934. Après
sessuccès de juin
etd’octobre, W.D. s’inscrit le 17 octobre
auxdeux certificats qui lui manquent pour obtenir
salicence de mathématiques, Calcul
différentiel
etintégral,
etPhysique générale (Archives Nationales AJ/16/5182 n° 73). Le registre
des
examensde 1935
amalheureusement disparu dans l’incendie qui
adétruit
unepartie des
archives de la Sorbonne
enjuin 1968
et nous nedisposons
pasdes
notesobtenues par W.D.
Ilest
certain cependant qu’il
aréussi
enjuin 1935
ses examens et estallé
passer ses vacances enEspagne
avec sesparents dans
unvillage de pêcheurs, [59].
L’enseignement de Calcul différentiel
etintégral était partagé
en3,
un coursd’A. Denjoy (1884-1974), titulaire de la chaire,
surles équations différentielles ordinaires
etles équations
auxdérivées partielles,
un coursde
M.Fréchet
surl’analyse de Fourier,
un coursde R. Garnier
(1887-1984)
surla géométrie différentielle.
Il yavait
un examenpour chaque
cours etW.D. dut
y
briller
assez pourque A.Denjoy, qui n’avait pas la réputation d’être facilement
impressionnable, acceptât de
leprésenter
avecG.Darmois à la Société Mathématique de France
le 13 novembre 1935,
W.D.avait alors 20
ans.Il est assez
vraisemblable que
W.D.ait suivi d’autres
cours en1934-1935
etcertaines des conférences qui
eurentlieu à l’Institut Henri Poincaré
cetteannée là. W.D. aurait pu par exemple
suivre le
coursde géométrie d’Elie Cartan qui attirait les élèves les plus brillants. Il aurait
également pu assister
auxséances du "séminaire Julia" qui
setenait
toutesles semaines à l’IHP dans l’amphithéatre Darboux
etétait organisé par les fondateurs du groupe Bourbaki, H.Cartan,
R.
de Possel, C.Chevalley, J.Delsarte, A.Weil
etc...Au
coursde l’année 1934-1935 le thème du séminaire fut "Espace de Hilbert".
R.de Possel
exposala théorie ensembliste de la
mesure etde l’intégration (Bourbaki n’avait pas
encoreopté pour l’intégration bourbakiste), J. Leray parla
de la théorie de Carleman, A. Weil de la
mesurede Haar
etJ.
VonNeumann, alors boursier
Rockefeller à Paris, exposa
sathéorie des opérateurs.
En1935-1936
cemême "séminaire Julia"
prendrait
pourthème la "topologie", puis "les
travauxd’Elie Cartan"
en1936-1937,
et"les
fonctions algébriques"
en1937-1938
avantque
neparaisse
en1939 le premier fascicule
Bourbaki.
W.D.aurait
puégalement assister
auprestigieux séminaire Hadamard du Collège de
France
où l’on présentait les dernières nouveautés dans
tousles domaines des mathématiques.
Ilaurait pu suivre
aumême Collège de
Francele "cours Peccot"
dontétaient chargés
en1934-
1935. J. Leray
et R.de Possel qui traitait de
lathéorie abstraite de la
mesure etde l’intégration.
II -
LES ANNÉES
DERECHERCHE
A L’IHP :OCTOBRE 1935 - OCTOBRE 1938.
A la rentrée d’octobre 1935, W.D.
nes’inscrit pas immédiatement à la Faculté des sciences, il
hésite peut être
encore sur sonorientation définitive. Son inscription
endoctorat de
mathématiques date du
22janvier 1936 (Archives Nationales AJ/16/5183 n° 2611). Darmois lui
a
peut être conseillé d’attendre le
retourde Fréchet qui
enoctobre
etnovembre 1935,
se trouveen
Russie. Il
commencetrès certainement à travailler seul
surla théorie des chaînes de Markov dont
onsait qu’elle n’était alors complète
que sousdes hypothèses particulières ;
onentrevoyait
seulement
lesgénéralisations possibles, les méthodes utilisées étaient peu susceptibles
d’extensions significatives. Il
est enrevanche certain que W.D. obtient
sespremiers résultats à la
fin de l’année 1935
etqu’il les
soumetà Fréchet dès
son retour.La correspondance de W.D.
avec
Fréchet déposée
auxArchives de l’Académie des Sciences
etdont
nous avonsfait
unetranscription complète,
montreque
cettepériode
estextraordinairement féconde pour lui. Chaque
semaine
ilprésente à Fréchet de
nouveauxrésultats,
aupoint que
cedernier
se trouverapidement débordé, d’autant que les démonstrations de W.D.
sontrédigées
avec uneextrême concision, la plupart des étapes intermédiaires lui paraissant évidentes,
et ne sontpas exemptes
d’imprécisions.
Parprécaution, écrit-il,
ilfournit pour chacun de
sesrésultats plusieurs
démonstrations dont certaines très éloignées des
autres.En
juin 1936, W.D. possède l’essentiel des résultats de
sathèse, tels qu’ils
sontprésentés
dans les 2 longs mémoires
surles chaînes publiés
en1937
et1938 à Bucarest
età Athènes. On
trouve
peu d’exemples dans l’histoire des mathématiques d’une telle performance. Comme
onle sait,
sansconnaître les
travauxd’Hadamard
surle battage des
cartes, nibien sûr l’extension
qu’en fera Kolmogorov, W.D. étend la méthode directe d’Hadamard
au casdes chaînes simples
et en
déduit leur étude complète,
yajoutant la loi du logarithme itéré. Fréchet n’acceptera de présenter la première
notede Doeblin
surles chaînes que le 29 juin 1936, après avoir tenté d’obtenir de lui
unerédaction claire
etprécise,
sansd’ailleurs
yparvenir
toutà fait puisque
cettenote
contient quelques
erreurs.Entre-temps
W.D. aexposé
sesrésultats
surles chaînes
auxséances de la S.M.F. des 13 mai
et10 juin 1936, séances où il
estle seul conférencier, il
a toutjuste
21 ans,[18].
Pendant
cetteannée
W.D. atravaillé
tousles jours ouvrables à la bibliothèque de
l’IHPqui
se
trouvait alors
au 1 erétage du bâtiment, c’était
unegrande salle
auxrayonnages
muraux avecdeux
outrois longues tables pour les lecteurs qui étaient peu nombreux. W.D.
y arencontré les chercheurs de mathématiques
etde physique théorique
enparticulier les élèves de Fréchet,
Robert Fortet, Jean Ville,
etplus tard Michel Loève qui s’intéressait
en1935 à la physique théorique. Tous
ontgardé
unsouvenir ébloui de
sonintelligence
etde
sonextraordinaire vivacité
d’esprit. Il côtoie également les élèves de Louis de Broglie
notammentAssène Datzeff né
en1911 qui soutiendra
unethèse
surl’équation de Schrôdinger
en1937
etdeviendra professeur de physique théorique à l’Université de Sofia,
et surtoutMarie Antoinette Baudot (1912- 1980)
pour laquelle il semble avoir éprouvé plus qu’une simple amitié de voisinage, [16], [17]. Il
ressentira
unevive déception lorsqu’elle lui
annoncera sonmariage
avecJacques Tonnelat
unde
ses
camarades d’études, fils d’Ernest Tonnelat (1877-1948), germaniste, Professeur
auCollège
de France, ami
et commentateurd’Alfred Dôblin. Marie Antoinette Tonnelat-Baudot soutiendra
en
1941
unethèse
surla théorie du photon dans
unespace de Riemann, elle
seranommée
professeur de relativité à la Faculté des Sciences de Paris
etsuccédera à Louis de Broglie dans la
chaire de théories physiques de l’IHP. C’est elle qui
retrouverala
tracede W.D.
aux termesd’une longue enquête
etqui préviendra
safamille de
sa mort, en1944. [108], [109], [110].
Incidemment
auprintemps 1936 W.D.
arésolu
unproblème posé par P.Lévy
surl’augmentation de la dispersion des
sommesde
v.a.indépendantes. Lévy qui venait de triompher du plus ancien problème de la théorie avait exposé
sesrésultats à l’IHP
età la SMF, laissant
sanssolution
unedifficulté qu’il n’avait pu
surmonter,W.D. lui apporta la démonstration cherchée que Lévy jugea "assez difficile", [86] p. 156, [88] p. 112,
etque W.D.
décrivait lui même
comme"assez facile" dans
uneremarque introductive supprimée
surles épreuves de
sonmémoire "sur les
sommesd’un grand nombre de
v.a.indépendantes".
De façon générale W.D. semble considérer
tous sesrésultats de 1936
comme"assez faciles"
et
il estime déjà les résultats obtenus
avantlui
comme assezévidents.
Il ad’ailleurs à
cetteépoque l’angoisse permanente de voir d’autres mathématiciens publier
avantlui l’un
oul’autre
des résultats que faute de temps,
il nepeut
encorerédiger,
tant tout celalui paraît simple
etallant
de soi.
Dans la lettre d’envoi de la
notequ’ils
ontcosignée
enjuin 1936 P.Lévy décrit W.D.
comme son"collaborateur".
Ilmultipliera dorénavant les marques d’une très grande estime.
Les lettres de
W.D.à P.Lévy
ontété détruites pendant la guerre lorsque l’appartement parisien de P.Lévy
aété pillé par la police allemande, mais
onsait, [107], que Paul Lévy recevait
W.D. chez lui
etaimait à discuter
aveclui de
sesrecherches
en cours,[91] p. 116. C’est à partir
d’octobre 1936
que W.D. etErvin Feldheim aideront
P.Lévy à corriger les épreuves de
soncélèbre livre "Théorie de l’addition des variables aléatoires" qui paraîtra en janvier 1937, [86] p.
XVII ;
ondoit donc dater de
cetteépoque les réflexions de W.D.
surles
sommesde
v.a.indépendantes qui aboutiront
aux2 grands mémoires de 1939
etde 1940-1947. Le premier qui reprend
etredémontre par des méthodes directes originales
ungrand nombre des résultats de
Lévy
seradéposé
auBulletin des Sciences Mathématiques le 15 février 1938, envoyé à l’imprimeur le 26 juillet 1938
etparaîtra
enjanvier
etfévrier 1939. Du second
nousparlerons plus loin.
C’est
sansdoute à la fin de l’année 1936 que W.D. élabore
sathéorie générale des chaînes,
dont il présente les résultats à Fréchet
auprintemps 1937 (Carton Fréchet n° 8, Archives de l’Académie des Sciences), c’est selon les
termesde W.D. le problème "le plus difficile" qu’il ait
résolu (lettre à Fréchet du 28/10/39). Le mémoire correspondant
ne serarédigé que plus tard,
sans
doute à la fin du printemps 38, après que W.D.
eutabandonné les
sommesde
v.a.indépendantes, il
aété remis le
21juillet 1938 à P.Gauja, secrétaire archiviste de l’Académie
chargé des publications,
et ne serapublié dans les Annales de l’E.N.S. qu’en 1940. La
note auxComptes Rendus annonçant la théorie générale
estdu 5 juillet 1937. Elle clôt les
travauxde
W.D. surles chaînes qui
remontent, onl’a dit, à l’année 1936.
Je
neparlerai pas faute de documents
nouveauxde la collaboration Doeblin-Fortet ( { 3 }, voir [50], [51]). Pendant l’été 1937, W.Doeblin corrige
enmême temps les épreuves de
sathèse
etune
partie de celles du livre de Fréchet
surla "théorie des événements
enchaîne dans le
casfini".
Cette relecture simultanée oblige W.D. à préciser
sespremières réflexions, [18],
surles
processus de Markov à temps continu
età nombre fini d’états. Les lettres qu’il écrit à Fréchet
cetété là indiquent
commentW.D.
amodifié
unenouvelle fois le dernier chapitre de
sathèse
surl’équation de Smoluchowski dans le
casfini. L’équation de Smoluchowski
etplus généralement l’équation de Chapman
serontdorénavant l’un de
sesthèmes
constantsde recherche jusqu’aux
tout
derniers jours de
savie.
Rappelons à
cepropos que le premier travail de W.D.
surl’équation de Chapman dans le
casdes processus de
sautsqui date de 1938
et serapublié
en1939
aété
enparticulier inspiré par
untravail de
B.Pospigil publié
en1936, [102], dont
ilexiste, dans les archives Fréchet déposées
au
laboratoire de probabilités de l’Université Paris 6,
unexemplaire annoté de la main de W.D.
Il est
peut être opportun de rappeler ici la mémoire de B.Pospi~il (1912- 1944)
mortlui aussi
avant
d’avoir pu donner
tout cequ’il avait
enlui. PospiSil
afait
sesétudes à l’Université
Masaryk de Bmo de 1931 à 1935, influencé par
B.Hostinskÿ, il prouve
en1935 le premier
théorème d’existence
etd’unicité de solutions de l’équation de Chapman
sousdes conditions précises
etexplicites. B.Hostinskÿ ( 1884-1951 ) professeur de physique théorique à Bmo
est unsavant
quelque peu oublié maintenant, les universitaires tchèques
euxmêmes le considèrent
comme un auteur sans
grande envergure
et nelui pardonnent
pasde s’être opposé dès l’origine
aux
idées d’Einstein. Pourtant c’est Hostinsky qui le premier
en1928,
avantmême Hadamard,
aétendu le principe ergodique des chaînes de Markov finies
au cascontinu
etproposé
en1932 d’appliquer l’intégrale multiplicative de Volterra à l’étude de l’équation de Chapman, méthode
que Pospisil
areprise
etétendue.
B.Hostinsky
acorrespondu
avecFréchet de 1919 à
sa mort en1951, c’est lui qui
avéritablement popularisé
en Franceles études
surles processus de Markov
par ses
nombreux mémoires rédigés
enfrançais
età l’occasion de deux séries de conférences à
l’IHP en1930
et1936, [53], [54]...
Après
cepremier mémoire
surl’équation de Chapman, Pospi~il abandonne la théorie des
probabilités.
Ilarticipe
en1936
auséminaire de topologie de
Bmocréé par le grand topologue
et
géomètre E. ech
etsoutient
en1939
unethèse de topologie, [8]. Arrêté par la gestapo
en1941 il
est mort en1944 après trois
anspassés dans
un campde concentration. Voir [8] pour l’étude de
ses travauxtopologiques.
W.D.
eutl’occasion de revoir B. Hostinsky
auColloque
surle calcul des probabilités organisé à
Genève du 11
au16 octobre 1937. A Genève W.D.
aparticipé activement
auxdiscussions, [36], il
arencontré H. Steinhaus, W. Feller, A. Wald,
H.Cramér, B. de Finetti
etc...En
attendant de pouvoir
mettre au net sespremières idées
surles processus de Markov
continus, W.D. rédige début 1938
sonmémoire
surles
sommesde
v.a.indépendantes qu’il
termine
enfévrier 1938
etentreprend après Lévy
etKhintchine l’étude des domaines d’attraction
partielle d’une loi donnée. Il écrit à Fréchet
enoctobre 1939 qu’il "s’est acharné" vainement
toutle printemps 1938 à
trouver unecondition nécessaire
etsuffisante pour qu’un ensemble de lois indéfiniment divisibles soit précisément l’ensemble des lois limites des puissances d’un type de loi, question qu’il
nereprendra qu’en février 1939 après
sonincorporation dans l’armée
française
En janvier 1937 la situation matérielle de W.D. s’est améliorée. Sur la recommandation de Fréchet il obtient
eneffet
unebourse Arconati-Visconti de 6750
Fpour les trois premiers
trimestres de 1937. Cette bourse lui
serarenouvelée pour l’année universitaire 1937-1938. La demande de renouvellement de bourse déposée par
W.D. enmai 1937
se trouve auxArchives Nationales (AJ/16/5796) elle contient
unephoto d’identité à demi brûlée,
uncertificat de nationalité signé par deux témoins
JeanDubuffet (sans doute le peintre)
etVictor Detouche
et un"exposé des recherches" que W.D. souhaite entreprendre, il
està demi détruit mais
onpeut le reconstituer facilement. W.D. écrit : "J’ai l’intention de poursuivre
mesrecherches
surles chaînes
constantes,le
cascontinu dans
undomaine de
mesureinfinie. Je désire [continuer] à
étudier les chaînes variables".
"En dehors de
cesdeux questions
surlesquelles je travaille depuis [longtemps], je désire
étudier la probabilité des grandes valeurs des
sommesde variables aléatoires indépendantes
etcertaines questions relatives
auxéquations [aux dérivées partielles de type] parabolique". (sic).
Signalons qu’en 1937
et1938 W.D. organisa à Paris
avecJ.Ville
ungroupe de travail
surles
probabilités où étaient exposés les résultats récents les plus marquants. L’un des principaux sujets traités
en1938 fut la théorie des processus de Markov continus, voir [116], [40]. Ce
groupe de travail, bientôt officialisé par E. Borel, titulaire de la chaire de "calcul des probabilités
et
physique mathématique", devint le séminaire de probabilités de la Faculté des sciences de
Paris. Ce séminaire existe toujours
etaccueille de nombreux probabilistes du monde entier.
En 1938 W.D. semble avoir atteint
unecertaine maturité, il s’intéresse à tout, notamment,
aucours