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LE PEUPLE EN APPELLE AU ROI

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N° 1213 - Du 2 au 8 juin 2017

LE PEUPLE EN

APPELLE AU ROI

La contestation d’Al Hoceima s’étend à d’autres régions du pays.

Comment éviter l’embrasement ?

S.M. le Roi entouré du Prince héritier et de SAR le prince Moulay Rachid à la mosquée Hassan II. Casablanca,

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C o u v e r t u r e

Éditorial

4 Plus marocain que moi…

Direct

6 Le HCR rappelle le Maroc et l’Algérie à l’ordre au sujet des réfugiés syriens

7 Le Maroc, 2ème pays africain en investissements étrangers

Couverture

8 Le peuple en appelle au Roi 14 Interview de Hassan Aourid, ancien porte-parole du Palais royal 16 Al Hoceima fait tache d’huile 18 Interview de Ali Chaâbani, Sociologue

20 Al Hoceima: coupables et responsables

Portrait

24 Le fabuleux destin de Najat Belkacem

Economie

26 Bank Al Maghrib pourchasse les impayés

28 Sound Energy annonce une nouvelle découverte de gaz 30 Une mainmise sur les biens des Marocains ou une faillite de l’Etat ?

Autos

36 Essai de la semaine:

YAMAHA MT-09

Société

38 Le mal qui ronge le pays 40 Ça sent le gaz

41 Les Voyageuses passent du virtuel au réel

Culture

42 L’Histoire se réécrit pour la capitale impériale

Sport

46 La Fifa s’oppose à une candidature commune du Maroc avec l’Espagne

Chronique

50 Pugilat diplomatique

8

14

26

KIOS EN QUES

Le peuple en appelle au Roi

Nasser Zafzafi.

(3)

ÉDIT OR IA L

C’

est un jour de l’année

1991 que feu Abraham Serfaty apprit de la bouche de ses geôliers de la prison civile de la ville de Kénitra que le roi Hassan II avait décidé de le gracier; le plus célèbre prison- nier politique marocain de son temps allait donc enfin, après quelque 17 ans passés dans les oubliettes du défunt Souverain, goûter à la liberté. On lui proposa même, à sa sortie, de l’escorter, et on affréta à ce titre une voiture. Bien pouvait en prendre à ces messieurs! En cours de route, Serfaty se rendit cependant compte, à un moment, qu’on était en train non de l’emmener à son domicile ou quelque lieu où il pouvait mo- mentanément séjourner mais à l’aéroport.

Devinez quoi? Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Driss Basri, lui avait trouvé une lointaine ascendance brésilienne et, sur cette base, avait décidé de l’expulser dere- chef du territoire. On aura tout vu.

Pourquoi cette anecdote? Deux raisons m’ont incité à la reprendre. D’abord, parce qu’elle renvoie à la brûlante actualité du moment, puisque voilà encore des acti- vistes, en l’occurrence rifains, qui sont publiquement lynchés parce qu’ils seraient séparatistes -quand on ne peut vous nier votre marocanité, on vous accuse de vou- loir vous-même la rejeter. Ensuite, et ceci explique finalement cela, parce qu’elle ren- seigne sur le fait que malgré le passage des ans et l’inauguration d’une nouvelle ère depuis 1999 et l’accession au trône de Mohammed VI, certains cercles du pouvoir restent braqués dans les mêmes logiques

et les mêmes méthodes comme l’ancien porte-parole du Palais royal, Hassan Aou- rid, le critique dans l’interview qu’il nous a accordée (lire ailleurs).

En tant que Rifain, j’ai sans doute vécu les événements de la ville d’Al Hoceima un peu trop passionnément. Bien que mes grands-parents aient quitté le Rif depuis la fameuse année de la faim qu’évoque no- tamment l’écrivain Mohamed Choukri dans son roman le Pain nu, je me suis toujours identifié à la région. Quand les occasions se sont d’ailleurs présentées, je n’ai jamais manqué de m’y rendre, et j’ai pu de visu

constater la marginalisation dont fait l’ob- jet la population locale et qu’à juste titre conteste la Mouvance populaire rifaine. En même temps, je garde le souvenir d’une population patriote et qui, au péril de sa vie, a souventes fois au cours de l’histoire pris les armes pour défendre son pays.

Ceci pour dire que j’ai été profondément navré par les délires gouvernementaux à propos de velléités séparatistes de la part des Rifains.

«Le jour où le crime se pare des dépouilles

de l’innocence, par un curieux renverse- ment qui est propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir ses justifications», écrivait, dans son essai L’Homme révolté, l’écrivain Albert Camus.

A cet égard et contrairement aux comités de la Mouvance populaire rifaine, je pense qu’il est inutile de se justifier sur ses vé- ritables intentions. Les côtes rifaines sont là pour témoigner des épopées des pirates Ibaqoyen pour contrer l’impérialisme es- pagnol. Anoual, non loin d’Al Hoceima, du sacrifice des hommes de l’émir guérillero Mohamed ben Abdelkrim El Khattabi pour la mère patrie. Plus au sud, Aknoul, de l’en- gagement rifain dans l’Armée de libération nationale (ALN) face aux forces coloniales du protectorat. Et j’en passerai encore.

Au risque de paraître plus royaliste que le Roi, je suis convaincu de la bonne volonté de Mohammed VI de réconcilier les Ri- fains avec l’État. Depuis 1999, il n’a jamais manqué d’entourer le Rif de sa sollicitude, et dans la mesure du possible, il a fait en sorte de développer la région, à travers notamment le programme “Al-Hoceïma, phare de la mer Méditerranée”, pour ne citer que l’ultime projet en cours. Certains pôles de l’administration doivent cela dit suivre.

Ce n’est, “definitely”, pas en arrêtant des activistes et en les taxant de tous les maux (de servir notamment des agendas chiites, pour reprendre l’illuminé président du Centre maghrébin pour les études sur la sécurité et l’analyse des politiques, Ab- derrahim Manar Slimi) que l’on va certaine- ment aider à panser les plaies l

PAR WISSAM EL BOUZDAINI

PLUS MAROCAIN QUE MOI…

Malgré le passage des ans et l’inauguration d’une nouvelle ère depuis 1999, certains cercles du pouvoir restent braqués dans les mêmes logiques.

QUAND ON NE PEUT VOUS NIER VOTRE MAROCANITÉ, ON

VOUS ACCUSE DE

VOULOIR VOUS-

MÊME LA REJETER.

(4)

Casablanca se dote d’un centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelle, réalisé par la fondation Mohammed V pour la solidarité pour un investisse- ment global de 9 millions de dirhams. Inauguré par S.M.

le Roi, mercredi 31 mai2017, ce centre, qui se situe à Aïn Chock, s’inscrit en droite ligne des efforts déployés par le Souverain en vue de mettre à la disposition des personnes en situation de handicap ou d’inadapta- tion, tous les moyens leur permettant une meilleure insertion dans le système éducatif, le tissu social et la vie professionnelle.

Le président de la Chambre des représentants, Habib El Malki a présidé, le 30 mai 2017 à Rabat, une réunion avec le Groupe thématique parlementaire pour la parité et l’égalité.

Composé de 15 députés, dont 14 femmes, relevant de 7 groupes parlementaires, le groupe thématique parle- mentaire pour la parité et l’égalité a été mis en place pour promouvoir et veiller à l’harmonisation des projets de lois soumis au parlement avec les dispositions consti- tutionnelles en matière de droit des femmes et d’égalité des sexes.

Images de la semaine

INSERTION

Un nouveau centre pour handicapés à Casablanca

GENRES

El Malki préside une réunion avec le Groupe pour la parité Le Roi Mohammed VI a procédé, samedi 27 mai 2017 à Fès, au

lancement de l’opération de soutien alimentaire “Ramadan 1438”.

Celle-ci mobilise une enveloppe budgétaire de 55 millions de dirhams et bénéficiera à près de 2,4 millions de personnes.

L’Agence pour le développement agricole (ADA), dirigée par Mohamed El Guerrouj, réalise une belle percée au profit des produits du terroir dans un canal de distribution moderne. Ainsi, l’ADA a pu ouvrir la porte de Label’Vie au profit des groupements producteurs des produits du terroir à travers l’introduction d’une gamme étendue des produits dans les surfaces commerciales Carrefour et Carrefour Market. A cette occasion, l’ADA a lancé une large campagne promotionnelle au niveau de 21 points de vente de Label’Vie situés dans 12 villes du Royaume.

L’ADA poursuit la promotion des produits du terroir

(5)

DIRE CT in fos

© DR

Dans une réponse écrite à une question de 13 euro- députés, le Commissaire européen à la Pêche, Kar- menu Vella, a indiqué que les eaux du Sahara «sont incluses dans l’accord de pêche conclu entre l’Union et le Maroc».

Les 13 eurodéputés s’inter- rogeaient notamment sur le consentement du «peuple du Sahara occidental» et la légalité de cet accord suite à

l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 21 décembre 2016 en vertu duquel les accords agricoles

«ne sont pas applicables»

au Sahara. Le commissaire européen a ajouté que l’accord «contient des dispo- sitions visant à garantir que l’accord respecte pleinement le droit international et serve les intérêts de toutes les populations concernées».

MAROC-UE

L’accord de pêche englobe le Sahara

«Le polisario est responsable de la séquestration de milliers de Sahraouis dans les camps de Tindouf en Algérie en l’absence de conditions de vie minimales, contrairement aux conditions de vie des Sahraouis dans les provinces du Sud du Royaume .»

C’

est un rappel à l’ordre que l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a adressé, le mercredi 31 mai 2017, aux gouvernements marocain et al- gérien pour admettre les quarante-et-un réfugiés syriens bloqués à la frontière ma- roco-algérienne. Dans un communiqué, l’agence s’est dite profondément préoccu- pée par la détérioration “rapide” de leurs conditions. Il faut dire que le groupe de réfugiés compte, d’après nos informations, plusieurs personnes malades. Ledit groupe est plus précisément bloqué dans la région de Taghla, non loin de la ville de Figuig.

Contacté par nos soins, Dr Zouhair Lahna, célèbre pour son engagement humanitaire en Palestine ainsi que, justement, en Syrie, nous a déclaré que les autorités locales lui avaient refusé de pouvoir accéder à la zone

où se trouvent les réfugiés et que c’est seu- lement grâce au secours de certains rive- rains, émus par le récit des réfugiés, que les rares soins pour l’instant prodigués ont pu être fournis à travers les classiques réseaux de contrebande entre le Maroc et l’Algérie.

“Déjà, il faut savoir que le périple est très dif- ficile depuis la Syrie, puisqu’il faut passer par plusieurs pays avant d’arriver à la frontière maroco-algérienne, nous a-t-il expliqué.

Pour sa part, le groupe antiraciste de dé- fense et d’accompagnement des étrangers et migrants (GADEM) accuse les autorités marocaines et algériennes de contrevenir à la convention relative au statut des réfugiés adoptée en 1951 dans la ville de Genève, en Suisse. “Du moment qu’il s’agit de réfugiés, le Maroc et l’Algérie ne peuvent refuser de les accueillir”, nous a déclaré le chargé des relations médias du groupe, Bilal Jouhari l

Le HCR rappelle le Maroc et l’Algérie à l’ordre au sujet des réfugiés syriens

Martha Chavez , ancienne présidente du parlement péruvien

X

(6)

Le Maroc va supprimer les visas pour les Burkinés

Le Maroc et le Burkina Faso ont décidé de supprimer les visas d’entrée pour leurs ressortissants respectifs, selon le site burkinabé Lafaso.net: «Au regard de la qualité de leur relation, le Burkina et le Royaume chérifien ont décidé de briser les barrières entre les deux peuples en trouvant un accord pour la suppression des visas…

Cet accord intervient après moult

discussions et sa signature aura lieu dans les jours à venir au cours d’une rencontre solennelle avec les deux chefs d’Etat».

Le site rappelle qu’actuellement seuls 700 Burkinabés se trouvent sur le sol marocain, dont 500 étudiants.

Le ministre de l’Aménagement du Territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville, Nabil Benabdallah, a dévoilé, le 30 mai 2017 à Rabat, que 35 plans d’orientation de l’aménagement urbain sont en cour d’élaboration.

Soumis à la supervision du

ministère, les plans d’orientation de l’aménagement urbain, constituent un modèle innovant par rapport aux plans précédents, vu qu’ils visent la réalisation de la cohérence spatiale des stratégies et des différents programmes.

LE MAROC, 2

ÈME

PAYS AFRICAIN EN INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS

L

e Maroc demeure un important récepteur d’investissements étrangers au bénéfice de nouveaux projets en Afrique, et confirme ainsi son statut d’in- vestisseur majeur du continent.

Selon un rapport international édité par le Financial Times, le Maroc a accueilli des investisse- ments sur 80 nouveaux projets, ce qui permet au Royaume de progresser de 13% pour se positionner à la deuxième place, derrière l’Afrique du Sud, qui a reçu des investissements pour 105 nouveaux projets, en recul de 19%.

Cependant, sur le plan de la valeur des investissements, le Maroc ne vient qu’en 5ème position avec un total de 6,6 milliards de dollars de finance- ments captés. Deuxième pays africain récepteur d’investis- sements étrangers dans de nouveaux projets, le Maroc est aussi le premier investisseur étranger d’Afrique, avec un total de 5 milliards de dollars injectés dans 22 projets l

30 sites web audités pour une meilleure protection des données personnelles

Rénovation de milliers de constructions menaçant ruine

Protection du patrimoine culturel subaquatique

La commission nationale de contrôle de la protection des don- nées à caractère personnel veut identifier les meilleures pratiques que les éditeurs de sites web implé- mentent pour permettre aux internautes d’avoir un meilleur

contrôle sur leurs données person- nelles. Ces bonnes pratiques seront définies au terme de l’audit qui a été mené sur 30 sites web exploités par des entreprises marocaines.

L’institution annonce que les résultats de l’audit seront rendus publics en septembre 2017.

La secrétaire d’État chargée de l’habitat, Fatna Lkhiyel, a sou- ligné, le 30 mai 2017, que son département a élaboré des pro- grammes qui permettront de rénover environ 22.548 construc- tions menaçant ruine, avec un investissement global de 3,22 milliards de dirhams.

Le Maroc a été élu, à l’unanimité et pour la première fois, membre du Conseil consultatif scientifique et technique de à la Convention pour la Protection du Patrimoine Culturel Subaquatique, pour un mandat de quatre ans, en la personne de Azzeddine Karra.

35 plans d’orientation

et d’aménagement urbain

(7)

COUVE RTURE

© Photo Achraf Bela

LE PEUPLE

EN APPELLE AU ROI

COUVE RTURE

(8)

s

PAR WISSAM EL BOUZDAINI

LE PEUPLE

EN APPELLE

AU ROI s

(9)

COUVE RTURE

L

es habitués de la côte méditer- ranéenne marocaine, spécia- lement du littoral de la région du Rif, connaissent bien Sfiha.

Cette plage située à quelque 9 kilomètres de la ville d’Al Hoceima, dans la province éponyme, est en effet localement célèbre pour son sable fin et ses eaux azurées où riverains et touristes aiment à venir se baigner et/ou admirer la resplen- dissante vue que seule gâche la garnison espagnole colonisant l’île de Nekkor, à quelques centaines de mètres seulement du rivage.

C’est dans ce décor paradisiaque, à l’aube du lundi 29 mai 2017, plus précisément aux alentours de 6h, que les forces de l’ordre ont interpellé le leader de la Mou- vance populaire rifaine, Nasser Zafzafi, après trois jours de cavale. Recherché depuis qu’il avait interrompu le vendredi 26 mai 2017 dans une mosquée d’Al Ho- ceima un prêche qu’il a considéré comme mettant en cause son mouvement (lire ail- leurs), M. Zafzafi s’était réfugié avec deux de ses hommes de confiance dans un ca- banon appartenant à l’un de ses amis.

Entrave à la liberté de culte

C’est, non loin de là, au café Méditerranée, que les comités de la Mouvance populaire rifaine venaient d’ailleurs souvent se ré- unir. C’est l’agence de presse française Agence France-Presse qui la première, citant une “source gouvernementale”, an- nonce l’interpellation de M. Zafzafi. Plus tard dans la journée, le procureur général du roi près la cour d’appel d’Al Hoceima, Mohamed Akouir, l’officialise. Dans son communiqué, M. Akouir a indiqué que M.

Zafzafi avait été transféré au siège de la Brigade nationale de la police judiciaire

(BNPJ) dans la ville de Casablanca et qu’il faisait également l’objet d’une enquête sur des actes présumés concernant l’atteinte à la sécurité intérieure de l’État et d’autres actes constituant des crimes en vertu de la loi. C’est qu’il ne s’agit plus seulement d’une affaire d’entrave à la liberté de culte comme c’était uniquement le cas au dé- part, mais, plus grave, d’actes portant atteinte d’après le ministère public à l’in- tégrité du pays.

À cet égard, au moins quarante membres de la Mouvance populaire rifaine ont, de- puis le vendredi 26 mai 2017, également été appréhendés. Certains d’entre eux -on parle d’une quinzaine de personnes- ont, au même titre que M. Zafzafi, été confiés à la BNPJ. Dans le détail, les comités de la Mouvance populaire rifaine sont accusés d’avoir perçu des transferts d’argent et un appui logistique de l’étranger.

Instrumentalisation des revendications Des faits pour lesquels les personnes mises en cause encourent jusqu’à 5 ans d’emprisonnement ferme voire, d’après certaines interprétations, la prison à vie.

En avril 2017 déjà, la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) avait, dans une analyse confidentielle ré- vélée par l’hebdomadaire français Jeune Afrique, fait état d’une présumée OPA séparatiste sur la Mouvance populaire rifaine, en citant notamment un présumé appui des organisations non gouverne- mentales (ONG) du Regroupement démo- cratique du Rif Agraw N’Arif et du Mouve- ment du 18-Septembre, respectivement basées en Belgique et aux Pays-Bas.

Les partis politiques prenant part au gou- vernement de Saâd Eddine El Othmani, lors d’une réunion le 14 mai 2017 au siège

s

La contestation d’Al Hoceima s’étend à d’autres régions du pays. Comment éviter l’embrasement?

© Photo DR

WISSAM EL BOUZDAINI

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NASSER ZAFZAFI AVAIT LUI-MÊME APPELÉ LES MANIFESTANTS À ÉVITER TOUT TROUBLE QUELLE QUE SOIT LA RÉACTION DES FORCES DE L’ORDRE À LEUR ÉGARD.

s

adressé à Jeune Afrique, “fermement” re- jetées. Plusieurs personnalités et organi- sations nationales et internationales ont, à cet égard, demandé la libération sans condition des prisonniers rifains encore dé- tenus (sept seulement ont, pour l’heure, été relâchés).

Les bureaux provinciaux du Parti de la jus- tice et du développement (PJD), du Parti de l’Istiqlal (PI) et de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), dont le premier et le troisième cité font pourtant partie de la coalition au gouvernement, ont notamment exprimé leur profonde inquiétude et renou- velé leur refus vis-à-vis de l’approche qu’ils jugent “sécuritaire” de l’État dans le Rif.

Dans la ville de Fnideq, qui dépend éga- lement de la région administrative de Tan- ger-Tétouan-Al Hoceïma, un élu municipal a lui, le lundi 29 mai 2017, présenté sa démis- sion en raison de ce qu’il considère comme

“l’échec” de la politique du gouvernement et l’“infraction” par l’Exécutif des chartes et conventions internationales des droits humains.

Profonde inquiétude

Il faut dire que les activistes auraient été ar- rêtés dans des conditions contraires à la loi -leurs familles n’auraient notamment pas été immédiatement averties de leur lieu de détention comme le veut pourtant le code de procédure pénale- et certains auraient même été torturés.

À cet égard, le parquet général a ordon- né, lors de la séance tenue le mardi 30 mai 2017 à la cour d’appel d’Al Hoceima, de procéder à une expertise médicale sur les détenus. “Les traces de torture étaient tellement évidentes sur certains activistes, notamment sur M. Morad Zafzafi, qui n’est autre que le cousin de Nasser Zafzafi, que le parquet ne pouvait faire autrement”, nous a déclaré Me Rachid Bellaali, qui coordonne la défense.

Deux mineurs âgés de 17 ans faisaient même, au départ, partie du lot des détenus.

Pour sa part, le président de la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Ilyas Elomari, critiqué en raison de son silence au cours des précédents semaines et mois sur la Mouvance populaire rifaine a lui affirmé, du ministère de l’Intérieur dans la capitale,

Rabat, reprendront également l’accusation.

“Les partis de la majorité gouvernementale ont souligné que le Maroc ne peut tolérer l’atteinte à ses constantes nationales et à ses valeurs sacrées à travers l’instrumen- talisation des revendications des habitants de la province d’Al Hoceima de façon à nuire à l’intégrité territoriale du Royaume et à promouvoir des idées destructives qui sèment la zizanie dans la région”, détaillait un communiqué publié dans la foulée.

M. Zafzafi avait, lui, maintes fois rejeté les accusations des autorités à l’encontre de

la Mouvance populaire rifaine. “Si l’État prouve que j’ai touché un quelconque sub- side de quelque partie que ce soit, je suis disposé à me jeter du plus haut sommet des montagnes du Rif”, déclarait-il notam- ment lors d’une de ses interventions pu- bliques, en avril 2017.

Refus de l’approche “sécuritaire”

Dans le Rif et plus généralement dans le reste du Maroc, beaucoup mettent en doute la véracité des accusations du gouverne- ment de M. El Othmani. Agraw N’Arif les avait lui-même, dans un droit de réponse

(11)

COUVE RTURE

dans des déclarations accordées le mardi 30 mai 2017 à plusieurs médias nationaux et internationaux, que les activistes d’Al Hoceima ne pouvaient être catalogués de séparatistes du moment qu’aucun ju- gement n’a encore été prononcé. “Je ne peux pas me contenter des accusations du gouvernement”, a-t-il notamment dé- claré. M. Elomari a par ailleurs annoncé, dans une publication sur le site web Face- book, la tenue d’un colloque avec la par- ticipation de différents acteurs nationaux, régionaux et locaux.

Arrestations et matraquage

Son initiative va-t-elle cependant aider à un retour au calme dans le Rif et plus spé- cialement dans la province d’Al Hoceï- ma? Pour l’instant, les riverains semblent décidés à poursuivre leurs manifestations malgré les arrestations et le matraquage, notamment dans la ville d’Imzouren, où plusieurs personnes ont été blessées dans des heurts dans la nuit du vendredi 26 au samedi 27 mai 2017.

s

© Photo MAP

Désormais même, en lieu et place de M.

Zafzafi, d’autres jeunes, notamment des femmes, ont pris le relais.

Lors de la manifestation organisée le mardi 30 mai 2017 après la prière d’Al Ichae au quartier de Sidi Abed, un des plus emblématiques d’Al Hoceima, c’était ainsi Nawal Ben Aissa, une figure asso- ciative locale, qui menait le cortège des protestataires. Le père de M. Zafzafi, Ah- med Zafzafi, a pour l’anecdote participé en personne à la marche.

Dans une déclaration à l’AFP, il s’est dit

“fier” de son fils, qui d’après lui “a agi en homme”. “Il n’a rien fait d’autre que de manifester pacifiquement pour des re- vendications légitimes”, a-t-il commenté, en pleurs. Il y a lieu de préciser que la Mouvance populaire rifaine a insisté sur la nécessité de maintenir le caractère pa- cifiste et non violent de la contestation.

D’ailleurs, dans son dernier message, pu- blié quelques heures après avoir manqué d’être arrêté au domicile de ses parents, M. Zafzafi avait lui-même appelé les ma-

nifestants à éviter tout trouble quelle que soit la réaction des forces de l’ordre à leur égard. Amusés, certains internautes ont ainsi pu voir manifestants et membres des forces de l’ordre se donner les accolades à Imzouren après plusieurs heures de batailles rangées. En attendant, plusieurs organisations proposent désormais leur médiation. Après le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) le 18 mai 2017, treize personnalités ont pris l’initiative de se rendre dans les semaines à venir à Al

LE ROI VA-T-IL INTERVENIR? C’EST SANS DOUTE LA SEULE VOIE QUI RESTE POUR ÉVITER AU MAROC DES LENDEMAINS QUI DÉCHANTENT.

S.M. le Roi inaugurant, en juin 2010, le nouveau terminal de l’aéroport Al Hoceima Acharif Al Idrissi.

(12)

Hoceima pour tenter d’ouvrir le dialogue avec les habitants de la ville. Parmi eux on retrouve notamment le président de l’Orga- nisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH), Boubkeur Largo, la secrétaire générale du Médiateur pour la démocratie et les droits de l’Homme, Khadija Meroua- zi, ou encore le président du mouvement Damir, Salah El Ouadie. La présence également du président de l’Observatoire amazigh des droits et des libertés, Ahmed Assid, qui avait critiqué M. Zafzafi pour ses multiples références à la religion, pourrait cependant compliquer la donne.

Une excellente image

Au vu des récents développements dans la région, il semble en fait que seul le roi Mohammed VI a véritablement les moyens d’apaiser la situation.

Depuis qu’il s’était rendu, quelques mois après son intronisation en 1999 dans le Rif en signe de volonté de réconciliation, le Souverain jouit en effet d’une excel- lente image parmi les locaux.

Beaucoup se souviennent aussi qu’après le tremble- ment de terre de 2004, il avait en personne pris ses quartiers dans une tente de fortune pour suivre le dé- roulement des opérations de sauvetage. S’il a mis en cause de nombreuses per- sonnalités de l’État, M. Zaf- zafi a, à titre indicatif, toujours été laudateur envers Moham- med VI et la sollicitude dont il n’a jamais cessé d’entourer la région.

Le Roi va-t-il cependant in- tervenir? C’est au final sans doute la seule voie qui reste pour éviter au Maroc des

lendemains qui déchantent. Depuis la mort accidentelle, en octobre 2016, du poisson- nier Mohssine Fikri broyé par la benne tas- seuse d’un camion de ramassage d’ordure, le laisser-aller du gouvernement face à des revendications qu’il reconnaît lui-même comme “légitimes” a assez duré l

D

epuis son arrestation, le lundi 29 mai 2017, à la plage de Sfiha dans la province d’Al Hoceima (lire ailleurs), le leader de la Mouvance po- pulaire rifaine, Nasser Zafzafi, se trouve au siège de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) dans la ville de Casablanca. Il devrait y rester au moins jusqu’au samedi 3 avril 2017 puisque le parquet général a décidé, le surlende- main de son arrestation, de prolonger sa garde à vue d’au moins 72 heures.

Outre d’être accusé d’avoir entravé la liberté de culte après avoir interrompu le prêche de l’imam de la mosquée Mohammed-V de la ville d’Al Hoceima qu’il avait considéré comme mettant en

cause son mouvement, il fait également l’objet d’une enquête au sujet de présu- més transferts d’argent et d’appui logis- tique de l’étranger. Au titre de l’article 206 du code pénal, il encourt jusqu’à 5 ans d’emprisonnement ferme et 10.000

dirhams d’amende. Lui nie. Dès son ar- restation, il aurait, en signe de protes- tation, entamé une grève de la faim -il l’avait promis, le vendredi 26 mai 2017, aux activistes de la Mouvance populaire rifaine, face auxquels il avait improvisé un discours depuis le toit de la maison de ses parents.

Semer la discorde

On ignore cependant si c’est vrai et si, le cas échéant, son état de santé est resté stable. Il faut dire que pour l’heure, aucun avocat n’a encore pu le rencontrer: au mercredi 31 mai 2017, la BNPJ le refusait tout bonnement. Le mardi 30 mai 2017, plusieurs personnes ont tenté de se réunir, pour le soutenir, devant le siège de la brigade; elles ont toutefois été dispersées. A Al Hoceima, beaucoup soutiennent le geste de M.

Zafzafi d’interrompre l’imam. C’est des riverains qui sont d’ailleurs venus l’aver- tir du prêche.

Des membres de la Mouvance popu- laire rifaine estiment toutefois que leur leader a commis une erreur. “Il aurait pu critiquer l’imam à la fin de le prêche;

personne n’aurait rien trouvé à redire”, nous déclare notamment, sous le sceau de l’anonymat, un activiste rifain. La plu- part s’accordent cependant à mettre en cause le prêche et par ricochet le minis- tère des Habous, qui d’après eux serait la véritable partie à semer la discorde, non la Mouvance populaire rifaine.

Le département d’Ahmed Toufiq avait fustigé ceux des citoyens d’Al Hoceima qui appellent aux manifestations. “L’ap- pel à la désobéissance, les troubles, par le mensonge, la falsification est condamné par le Prophète”, avançait notamment le prêche l

Le prêche de la discorde

W. El Bouzdaini

NASSER ZAFZAFI ENTAME UNE GRÈVE DE LA FAIM

(13)

Propos recueillis par Wissam El Bouzdaini

INTERVIEW DE HASSAN AOURID,

ancien porte-parole du Palais royal

“L’administration doit changer son approche au Rif”

Ancien porte-parole du Palais royal, Hassan Aourid ne mâche pas ses mots quand il commente les récents développements dans le Rif. Pour lui, l’administration doit se défaire de ses anciennes méthodes dans la région.

l’oreille à la rue et plus précisément aux revendications de la Mouvance populaire rifaine; cela d’autant plus que le gouver- nement lui-même les a à maintes reprises, qualifiées de légitimes.

Ce que je constate par exemple, c’est que lesdites revendications ne sont pas spéci- fiquement infrastructurelles; elles charrient également le besoin d’une reconnaissance des maux et des blessures du passé en préalable à tout processus de réconciliation.

Cela veut dire que, pour autant que les projets socioéconomiques lancés ici et là soient une partie de la solution, ils n’en sont pas pour autant la totalité. Je me rappellerai par exemple toujours les mots qu’avait eus Dr Mhamed Lachkar à la mort de son neveu, le militant USFP (Union socialiste des forces populaires) Karim Lachkar, après avoir été poursuivi par la police. Les faits s’étaient déroulés en 2012 dans la ville d’Al Hoceima, là même où la Mouvance populaire rifaine est le plus active. Dr Lachkar avait déclaré que le problème au Rif n’est pas lié qu’aux infrastructures et aux choses mais principa- lement à la façon dont on traite la popula- tion. On ne lui avait malheureusement prêté aucune attention.

Quelle évaluation faites-vous des récents développements dans la région du Rif?

Il faut d’abord reconnaître que le virage que nous entamons présentement est dange- reux, en ce sens que je ne crois pas que l’arrestation des membres des comités de la Mouvance populaire rifaine soit pour calmer la rue. Pis, je vois bien que la contestation ne fait que grandir de jour en jour. Il faudrait

à mon sens négocier la chose autrement.

L’approche sécuritaire, vous le voyez bien, n’est pas à proprement parler une solution.

Quelle approche faudrait-il d’après vous adopter?

Je ne prétends pas avoir des solutions clés en main, mais je pense qu’en tout cas l’al- pha et l’oméga est de sérieusement prêter

COUVE RTURE

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“L’administration doit changer son approche au Rif”

Vous partagez donc les revendications de la population rifaine…

Absolument. De toute façon, on n’en vient pas par hasard à se révolter; il faut néces- sairement des données objectives, aux- quelles peut certes, bien entendu, toujours concourir un substrat émotionnel, que dans le cas d’espèce rifain alimente l’histoire à travers l’épopée émancipatrice de Moham- med ben Abdelkrim El Khattabi dans les an- nées 1920, la répression du soulèvement de Mohamed Sellam Amezian en 1958 et 1959 et les révoltes urbaines de 1984. L’essentiel est maintenant de faire une lecture correcte de la situation et d’éviter de rééditer les er- reurs du passé. C’était d’ailleurs l’idée dès le départ du roi Mohammed VI, comme l’illustre la visite qu’il a effectuée en 1999, quelques mois après son accession au trône, au Rif.

Cela dit, malheureusement, l’administration n’a pas su accompagner le nouvel élan.

Elle s’est contentée de recycler des mé- thodes qui pourtant, l’histoire l’a bien prouvé, sont depuis belle lurette éculées.

Qu’entendez-vous par méthodes?

Je l’ai déjà dit: on n’a pas pris en considéra- tion, du moins assez, les véritables aspira- tions des populations.

On a cru bon de leur imposer sa propre vision des choses, sa propre façon de faire à travers, plus concrètement, des projets qu’on n’a même pas cherché à discuter avec elles, et surtout des élites qui n’ont aucune légitimité populaire, au lieu de laisser des personnalités du terroir émerger d’elles-mêmes. On l’a vu d’ailleurs depuis le commencement de la Mouvance populaire rifaine; les élites que j’ai mentionnées n’ont absolument aucune prise sur la rue.

Vous faites certainement allusion au Parti authenticité et modernité (PAM),

qui compte à sa tête de nombreuses personnalités rifaines…

Le PAM fait effectivement partie du pro- blème. La Mouvance populaire rifaine l’a d’ailleurs clairement rejeté.

À partir de là, pensez-vous vraiment qu’il puisse être la solution? Vous savez, en 1980, le roi Hassan II avait reçu, à l’occasion de la cérémonie annuelle d’allégeance, des représentants de la tribu des Ouled Dlim, qui font partie des plus importantes du Sahara marocain. Ils avaient dit au Souverain: “Ne mettez-pas nos crapules à notre tête, mais si cela est

nécessaire, ramenez-nous au moins vos propres crapules.” C’est aussi pour dire que le problème de représentativité ne concerne pas exclusivement le Rif.

Vous avez tout à l’heure fait mention des spécificités du Rif. En parler, n’est-ce pas ouvrir la voie plus tard, comme c’est le cas dans certains pays d’Europe, au séparatisme? C’est du moins l’opinion que défendent certains politiques et responsables marocains.

Que faire alors? Nier la réalité? Impos-

sible. Le Rif en tant que région, avec ses spécificités culturelles et historiques, est quoi qu’on dise une réalité. Le clamer haut et fort n’est pas pour autant ourdir un projet destructeur à l’endroit de la nation.

Où le mal existe-t-il dans le fait de vouloir s’approprier son histoire et sa culture?

J’ai suivi de près la Mouvance populaire rifaine et j’ai bien pu comprendre que les Rifains étaient eux-mêmes les premiers à s’opposer au séparatisme. Plus, les références à l’unité de la totalité de l’Afrique du Nord-Ouest ont toujours été explicitement claironnées. J’imagine mal un séparatiste porter un tel idéal.

Ce n’est pas ce qu’avance pourtant le gouvernement…

Ce qu’avance le gouvernement ne va cer- tainement pas arranger les choses. Il faut au contraire s’ouvrir et cesser de taxer de félonie n’importe quel manifestant qui porterait des revendications n’allant pas dans le sens du vent.

Qu’avez-vous pensé de l’interruption par le leader de la Mouvance popu- laire rifaine, Nasser Zafzafi, du prêche mettant en cause son mouvement?

Devait-il agir d’après vous de la sorte?

La question est plus complexe que cela;

elle intéresse le mélange des genres que l’on peut faire entre religieux et politique. A mon avis, cela n’est pas normal.

Faut-il d’après vous libérer M. Zafzafi?

C’est un préalable requis. Tous les acti- vistes détenus doivent le plus tôt possible être libérés. Je suis pour le dialogue, et je suis surtout pour la stabilité de mon pays.

Je crains, en persistant dans l’approche sécuritaire, qu’on s’engouffre dans la voie du pire l

L’ESSENTIEL EST DE FAIRE UNE LECTURE CORRECTE

DE LA SITUATION ET D’ÉVITER DE

RÉÉDITER LES

ERREURS DU PASSÉ.

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COUVE RTURE

vite en besogne. À ce stade déjà, une première déduction peut être avancée. Si ce genre de dé- rapage malveillant ou d’exploitation haineuse a pu se produire, c’est parce que ces descentes répétées dans la rue ont duré trop longtemps. Et s’il en a été ainsi, c’est parce que ce conflit n’a pas été appréhendé à sa juste mesure par les pouvoirs publics. De même que les méthodes utilisées pour espérer l’endiguer ont été mal conçues, mal adaptées et mal conduites. Plus le temps passait plus le laisser-courir devenait synonyme de laisser pourrir.

Un premier fait témoigne d’une mauvaise éva- luation de l’état des lieux, la nomination d’un

SOMMES-NOUS POUR LE MOMENT DANS UN REMAKE,

PLUS OU MOINS ACTUALISÉ, DU 20

FÉVRIER 2011?

Al Hoceima

fait tache d’huile

Vaste élan de solidarité avec les révoltés d’Al Hoceima. Un rassemblement d’électrons libres qui se revendique de la société civile. Les amis de Nasser Zafzafi ne se sentent

pas représentés par les partis politiques, les élus, encore moins le gouvernement.

Échec du dialogue, arrestations ciblées et priorité à l’ordre public

Abdellatif Mansour

U

n vocable a constamment ac- compagné les manifestations d’Al Hoceima, pratiquement depuis le début de l’année en cours: Le Rif. Comme si ce mot était chargé d’une polysémie à cheval sur l’histoire nationale et la géographie territoriale. Les habitants sont sys- tématiquement désignés par leur origine locale, les Rifains, comme s’ils étaient une peuplade à part, irrémédiablement étrangère à la population marocaine dont ils font partie. Le traitement fait par la presse de l’autre rive de la Méditerranée trahit une inculture feinte ou réelle.

Disons que l’on fait semblant d’ignorer que le Maroc est ethniquement et culturellement pluriel.

Il a été façonné ainsi par son historicité particu- lière, par delà les cycles cumulatifs du brassage humain. C’est ce qui fait son originalité et son unité. Les péripéties historiques que cette région a connues en font partie.

Dérapage malveillant

C’est à cette vérité et à nulle autre que renvoie le mot Rif ou Rifain. Y compris les photos de Mo- hamed Ben Abdelkrim El Khattabi, précurseur de la guérilla anticoloniale, ainsi que le drapeau aux couleurs de la république éphémère brandi par les manifestants d’Al Hoceima. Il y a même eu des slogans à connotation excessivement particulariste ou carrément séparatiste. Il n’en fallait pas plus pour que nos voisins de l’Est, de même que certains médias européens, aillent

suffisamment de détachement. À titre de rappel, c’est Ahmed Bensouda, nommé gouverneur, qui a hissé le drapeau national sur le toit de la com- manderie espagnole de Laâyoune. On ne peut pas dire que cet originaire de l’ancienne médi- na de Fès, qui allait devenir conseiller de S.M.

Hassan II, soit au fait des us et coutumes d’une société sahraouie, à structure tribale. Ce geste, entré dans l’histoire, signifiait que le Maroc pluriel est indivisible.

Colère à fleur de peau

L’autre question qui a préoccupé tous les Maro- cains concerne la légitimité ou pas des manifes- tants. Réponse quasi unanime, évidemment que oui. Déjà handicapé par un relief tourmenté et une situation excentrée par rapport aux grands axes routiers, ce Nord oriental a toujours été délaissé par le pouvoir central de Rabat. Un dé- sintérêt qui a été reçu comme une punition pour une contrée à la fois lointaine et viscéralement rebelle.

Tous les prétextes sont bons pour dégager une colère à fleur de peau, dont un hooliganisme spécifique à la sortie d’un match de foot, quel que soit le résultat. Les problèmes économiques et leurs pendants sociaux ne sont pas si différents dans les autres régions du pays. Ils sont juste beaucoup plus prononcés, surtout en termes d’équipements et de routes carrossables. Les délégations interministérielles ont fait l’inventaire des déficits dans tous les domaines d’activités et promis d’y pallier par ordre de priorité à partir d’un échéancier précis.

En principe, ces “engagements fermes” devaient suffire. Apparemment, cela n’a pas suffi. Non nouveau ministre de l’Intérieur. Fallait-il que

Abdelouafi Laftit, natif de Tifrisst, dans la ban- lieue d’Al Hoceima, soit de la même souche tribale, sous prétexte qu’il connaît les hommes et la mentalité de la région? Même si cette op- tion est défendable, il n’est pas sûr qu’elle soit la bonne. Il se peut que M. Laftit, impliqué par essence dans cet environnement, n’ait pas as- sez de recul pour faire la part des choses avec

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seulement les manifestations n’ont pas cessé, mais elles ont redoublé d’intensité, avec des pro- pos et des gestes de plus en plus radicaux. La crispation est montée d’un cran. Le primat du maintien de l’ordre, aussi. Affrontements musclés, quadrillage de la ville et chasse à l’homme jusque dans les douars environnants.

Ce n’est pas pour autant un ratissage à la louche, mais des interpellations ciblées. La liste des ap- préhendés et le récit des chefs d’accusations sont faits par le procureur général du roi près la Cour d’appel d’Al Hoceima. Seul manquait à l’appel, précisément, le meneur de ce mouvement, Nas- ser Zafzafi. Il a été arrêté chez lui au petit matin du 30 mai 2017.

Il est accusé d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État. Une accusation passible de la peine ca- pitale. Ils sont au total 22 présumés coupables conduits à Casablanca pour être entendus par la brigade nationale de la police judiciaire. Comme

Quelle a été l’attitude des partis politiques face à ces deux mouvements d’extraction société ci- vile? Au départ, les partis n’y étaient pour rien. Ils sont venus se greffer après coup et pas toujours de façon publique et assumée contrairement à Al Adl Wal Ihsane et au PSU.

C’est que les manifestants d’Al Hoceima, tout comme ceux du 20 Février ne se réclament ni se reconnaissent dans aucun parti politique. Ils ne se sentent représentés ni par le gouvernement, ni par l’opposition, encore moins par les élus lo- caux et les députés du parlement. Ils se veulent autonomes dans un rassemblement d’électrons libres. C’est là le drame du jeu politique national.

On joue entre soi, en circuit fermé, dans un es- pace calfeutré et insonorisé, tout en suffisance.

Les anciennes pratiques à l’égard des partis politiques; de leur histoire, quand ils en ont, ou de leur jaillissement du néant; ont-ils réellement disparu? Tout l’enjeu est là l

© Photo AIC Press

pour répondre à ces arrestations, une vague de manifestation de solidarité a eu lieu dans une quinzaine de villes, dont Rabat, Casablan- ca, Agadir, Tanger, Oujda, Nador, entre autres.

Nous ne sommes pas loin du grand soir de tous les fantasmes révolutionnaires; du moins d’une lame de fond insurrectionnelle. Si ce n’est pas le cas, ça y ressemble.

Atteinte à la sûreté de l’État

Sommes-nous pour le moment dans un remake;

plus ou moins actualisé du 20 février 2011?

Après le pourquoi pas et le quoi que, il faut juste relever quelques similitudes et autres différences de nature et de forme entre les deux mouve- ments. Les amis de Zafzafi ont inscrit leur action dans le temps et dans l’espace. C’était et c’est resté le Rif. Sans plus. Tandis que le “20 Février”

se voulait d’emblée national. Les deux réfutent l’autorité du pouvoir central de Rabat.

Une manifestation de soutien à Al Hoceima.

Casablanca, le 30 mai 2017.

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COUVE RTURE

“Seule une intervention du Roi peut apaiser la situation”

Ancien professeur à l’université Mohammed V de Rabat, enseignant vacataire notamment à l’ISIC, Ali Chaabani est un chercheur

en sociologie reconnu par de nombreux instituts de renommée internationale. Il explique dans cet entretien les raisons sociologiques des manifestations d’Al Hoceima.

Comment analysez-vous, en tant que sociologue, ce qui se passe dans la région d’Al Hoceima depuis voilà six mois?

D’abord, ce qui se passe à Al Hoceima n’est pas spécifique à la région du Rif comme on le laisse entendre. Il s’agit d’une situation économique et sociale générale qui a engendré pratiquement partout au Maroc diverses formes de protestations. Les manifestations d’Al Hoceima ont malheureusement pris une autre tournure depuis la mort de Mohcine Fikri.

Des slogans d’ordre politique sont par- fois scandés… Il ne faut pas culpabiliser uniquement les manifestants dans cette escalade. L’Etat, n’ayant pas donné des réponses appropriées aux reven- dications de la population, a entraîné le pourrissement de la situation. Mais les manifestations de ras-le-bol ont lieu fréquemment à Khouribga, Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech…

Oui, mais celles d’Al Hoceima ont pris une tournure plus grave ces derniers jours?

Plus généralement, les Rifains estiment que leur région a été délaissé, margi- nalisé depuis la révolte de 1958. L’Etat, lui aussi, considère les Rifains comme des insou-mis, des rebelles. Ce qui n’a pas permis des relations saines entre le centre du pouvoir et cette région.

Si on ajoute à cette image, pas for- cément toujours vraie, les six mois d’attente du gouvernement et leurs conséquences sur les projets de développement et on en prenant en considération la montée des ONG régionalistes, amazighes, on sort avec Propos recueillis par Noureddine Jouhari

INTERVIEW DE ALI CHAÂBANI

Sociologue

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un cocktail réellement explosif. Ceci dit, il ne faut pas oublier que certains milieux ou certaines personnes, du Maroc ou de l’étranger, peuvent trouver matière à faire de la propagande anti-marocaine et à attiser le feu.

Et ce pour des desseins qui leur sont propres et que les manifestants du Rif ne sont pas censés partager.

Pourquoi les Marocains sont devenus plus prompts à protester? Est-ce la crise sociale qui s’est aggravée ou y a-t-il d’autres facteurs?

Le Marocain d’aujourd’hui n’est pas celui d’il y a dix, vingt ou trente ans.

Le Marocain d’aujourd’hui est ouvert sur le monde via les réseaux sociaux, les chaînes de télévision, entre autres.

Avant, le Marocain pouvait “gober” ce que les médias officiels lui disaient.

Aujourd’hui, la parole des partis po- litiques n’est pas audible. Le citoyen marocain se fait sa propre idée sur ce qui se passe et comment les choses doivent être gérées. Le Marocain a accès aux rapports internationaux comme ceux de la Banque mondiale ou Transparency international.

Les intermédiaires traditionnels, les partis, les élus, ne sont pas crédibles aux yeux de la population. Reste la rue, qui constitue le moyen d’expression de cette nou-velle opinion publique.

Cette nouvelle opinion publique est menée par des jeunes et moins jeunes comme Nasser Zafzafi…

Depuis des décennies, l’Etat -ou le pouvoir- n’a jamais accepté des par- tis politiques forts, des ONG fortes et crédibles. Il a tout fait pour museler les formations poli-tiques, par tous les moyens possibles.

Résultat, un parti comme l’Istiqlal ou l’USFP ne peut plus canaliser la grogne et jouer ce rôle d’intermédiation avec l’Etat. Les intellectuels des années soixante, soixante-dix ou même les années quatre-vingt, n’ont plus voix au chapitre.

Certains sont morts, d’autres à force d’être réprimés se sont tus et enfin d’autres ont intégré le système. Ce sont les intellec- tuels qui pouvaient analyser, alerter et proposer des pistes de sortie de crise.

Face à ce vide, il y a des pseudo militants ou des pseudo intellectuels qui se procla- ment idéologues et leaders de la contesta- tion populaire. Cela est grave…

Mais la situation n’est pas sans issue…

Elle n’est pas sans issue, mais, pour apai- ser le climat rapidement, il faut absolument des mesures de nature à installer ce climat de confiance entre la population et l’Etat.

Ce climat qui fait défaut. Pour ce faire, la lutte contre la dilapidation des deniers publics, les abus de pouvoir doit être une priorité. Ensuite comment le citoyen peut-il accepter qu’un projet dont les travaux ont

IL Y A DES PSEUDO- MILITANTS QUI SE PROCLAMENT

IDÉOLOGUES ET LEADERS DE LA CONTESTATION POPULAIRE.

été lancés par SM le Roi ne voie pas le jour? Cela s’est passé à Al Hoceima après le séisme de 2004, pour ne citer que cette ville. Ce climat de confiance passe à mon avis par une sortie royale, un discours ou un conseil des ministres au cours duquel des mesures claires, opératoires et avec un échéancier d’exécution, doivent être annoncées.

Cette action royale témoignera, encore une fois, de la bonne volonté de l’institu- tion monarchique de lancer et d’accom- pagner les grands chantiers de dévelop- pement dans le Nord et partout dans le pays. Ce sera une deuxième séquence dans le règne de SM Mohammed VI après la réforme constitutionnelle de 2011. En définitive, seule une intervention du Roi peut apaiser la situation.

Ne voyez-vous pas que dans la mou- vance du Rif, il peut avoir des per- sonnes scissionnistes?

Quand la population d’une région ne voit rien venir, elle se sent marginalisée et se recroqueville sur ses propres valeurs identitaires locales. On le voit depuis un certain temps avec l’émergence d’ONG amazighes, par exemple. Ce qui se passe dans le Rif participe de cette logique, qui y trouve un terrain fertile.

On n’a pas vu de drapeau marocain lors des manifestations du Rif, mais plutôt les drapeaux amazighs, de la république du Rif, et j’en passe.

Il faut que la protestation reste pacifique et constitue une réaction à une politique qu’ils considèrent injuste qu’autre chose.

On ne peut pas accepter que sous pré-

texte de mauvaises conditions de vie, d’in- justice, de chômage, voire de manque de visibilité pour l’avenir, on puisse appeler à créer son propre état. Surtout lorsqu’à cet aspect d’ordre socio-économique, vient se greffer le facteur régionaliste. Parce que le Marocain est pluriel. Il est musulman, juif, chrétien, amazigh, arabe et je ne sais quoi encore. Il n’y a pas un Marocain “pur sang”, comme on dit. Il y a un Marocain produit de centaines de décennies de brassages avec ses cultures, ses us et coutumes. Ce qui se passe actuellement dans le Rif et dans d’autres régions du pays n’est légitime que s’il s’inscrit dans une démarche de préservation de l’unité nationale, de défense sincère de la ci- toyenneté des citoyens, et la consolidation de la construction démocratique …l

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COUVE RTURE

centrer son prêche sur l’exigence de l’unité des croyants en dénonçant les fauteurs de troubles voulant ou générant la “fitna”. De quoi rameuter et enflammer les groupes de proches de Zafzafi, lequel s’est alors emparé du micro, bousculant et insultant l’imam comme étant au “serivce des Sultans”; un tel acte était dicté par le souci de dé- légitmer ce prêcheur officiel et plus globalement l’“ordre” dont il relevait.

Zafzafi a ainsi changé de registre et de péri- mètre. Il est en effet sorti du champ couvrant différents domaines de sa contestation pour in- vestir celui de l’exercice du culte religieux. Il a porté atteinte à la “conscience de la Nation” et au profond attachement de la communauté de l’Oumma donc, à des normes et à ses valeurs.

Une mosquée, en tant que de lieu de culte, ne relève pas du terrain de la contestation, sociale et politique, elle est, et doit rester, hors champ.

Comment le gouvernement a-t-il donc appré- hendé cette situation, en dégradation continue depuis des mois et qui a conduit à un tel déroulé jusqu’à ce jour-là? Gouvernement, dites-vous?

Quel gouvernement, au fait? Celui de Saâd Eddine El Othmani, nommé le 5 avril après pratiquement six mois de crise institutionnelle et politique, n’a pas été mis sur pied dans les meilleures conditions possibles, tant s’en faut.

ZAFZAFI EST SORTI DU CHAMP COUVRANT DIFFÉRENTS DOMAINES DE SA CONTESTATION POUR INVESTIR CELUI DE L’EXERCICE DU CULTE RELIGIEUX.

Fragilisé, il l’était. Durant cette même séquence, une mention particulière doit être faite à propos du décès tragique de Mohssine Fikri, ce pois- sonnier broyé par une benne à ordures le 28 oc- tobre. État de choc à Al Hoceima, dans la région et dans tout le Royaume.

Populisme et paranoïa

Ce drame réactive la contestation autour de plu- sieurs thèmes; corruption, incurie des pouvoirs publics, marginalisation, exclusion, arbitraire avec l’invocation de la “hogra” … L’examen de la rhétorique de Nasser Zafzafi, leader auto- proclamé, s’articule autour d’une “construction”

émotionnelle et historique dont les différentes composantes sont les suivantes: ravivement d’une mémoire collective et sa réappropriation par la figure légendaire de Mohamed Ben Ab- delkrim El Khattabi, rappel de la répression du Rif en 1958 ainsi que celle des événements de 1984 et 1990…

La structure du discours de Zafzafi met en relief plusieurs composantes: populisme, paranoïa (il y a un “ennemi” avec des forces obscures au sein de l’État), références religieuses (versets, hadits, Omar Ibn el Khattab) et même marxistes.

Ce discours manque de cohérence et il veut ra- tisser large, visant différents publics (religieux,

Al Hoceima: coupables et responsables

Comment le gouvernement a-t-il appréhendé cette situation, en dégradation continue depuis des mois et qui a conduit à un tel déroulé, jusqu’à ce vendredi 26 mai

avec la perturbation de l’office religieux?

Les manifestations du Rif prennent une nouvelle tournure

Mustapha Sehimi

M

ais pourquoi en est-

on arrivé là? Le script a été le suivant: une contestation sociale qui s’enflamme; elle connaît divers avatars; et puis elle finit par la mise en branle de la machine ju- diciaire depuis le 26 mai 2017. Pour l’heure, pas moins de quarante personnes ont été interpel- lées, dont Nasser Zafzafi, le principal meneur.

L’historique de ce qui s’est passé depuis des mois d’ailleurs montre précisément que c’est le vendredi 26 mai qu’a été opéré ce qu’il faut bien appeler une “rupture” dans les formes d’action de cette contestation.

Ce jour-là, M. Zefzafi a fait une faute majeure:

perturbation de l’office religieux à la mosquée Mohammed V d’Al Hoceima. Les faits sont connus: discours provocateur, troubles, insulte à l’imam, atteinte à la sacralité du lieu de culte. Cet acte est doublement condamnable. C’est un délit formellement sanctionné par les dispositions de l’article 221 du code pénal: entrave à l’exercice d’un culte, désordre volontaire, trouble de la sé- rénité du lieu de culte. Sanctions: emprisonne- ment de six mois à trois ans, amende de 10 à 500 Dh). Mais cet acte condamnable du point de vue de la loi pénal en vigueur va bien au-delà. Il relève aussi du non-respect du Coran, dont un verset précise: “Qui est plus injuste que celui qui empêche que, dans les mosquées d’Allah, on mentionne Son nom et s’efforce à les détruire”. Il faut dire que l’imam de la mosquée s’est risqué à

s

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gauche et extrême gauche). Cette particularité tient à l’influence de plusieurs profils et groupes et génère ainsi une congruence donnant un ca- ractère confus à la rhétorique et à l’argumentaire de Zafzafi. Dans cette mouvance l’on retrouve la “pâte” de certains éléments: Mohamed Jelloul (mouvement du 20 Février), Mohamed Mejjaoui, Najib Ahamjik, Mohamed Asrih et d’autres en- core. Zafzafi est un “porte-voix” et, compte tenu de son médiocre cursus scolaire, il n’était pas en mesure d’assimiler et de traiter une thématique construite et structurée.

Dès le lendemain de sa nomination, le nouveau gouvernement s’est trouvé confronté à cette agitation. Une semaine auparavant, le 28 mars 2017, le gouverneur d’Al Hoceima, Mohamed Zhar, avait été limogé et rappelé à l’administra- tion centrale. Une mesure qui fait sans doute suite à l’incendie d’une résidence affectée aux policiers par des manifestants. Le “pacifisme”

invoqué par les meneurs ne tient plus: la contes- tation tourne à la violence. Abdelouafi Laftit suc-

élus, la société civile aussi; mais les représen- tants de “Hirak arrifi”, sous la houlette de Nasser Zafzafi, boycottent ce rendez-vous. Sont de nou- veau détaillés et mis en relief les programmes de l’ordre de 10 milliards de dirhams prévus dans le chantier lancé par le Roi, à la fin 2015, dans le cadre du programme “Al Hoceima, Manarat al Moutawassit (2015-2019)”.

Les esprits se sont-ils pour autant calmés? Pas le moins du monde. L’opération de proximité et d’écoute des citoyens ne porte pas ses fruits.

L’État et son autorité ont-ils gagné en crédibilité?

Le spectacle de ministres piétons, déambulant dans les rues et s’employant à parler aux contes- tataires n’a-t-il pas été contreproductif? Zafzafi et les siens n’ont pas ainsi considéré ces membres du gouvernement comme des interlocuteurs représentatifs, exigeant en l’occurrence qu’ils soient formellement mandatés par le Roi. Le bras de fer change de niveau, il veut donc impli- quer la plus haute autorité du Royaume. Nasser Zafzafi se hisse à cette échelle-là, censeur de cède à Mohamed Hassad au ministère de l’In-

térieur et se rend sur place le 10 avril. Il “check”

l’état des lieux, les revendications comme les projets en cours. Mais la contestation ne faiblit pas; elle rebondit même.

Atteinte à la sûreté de l’État

Une réunion des chefs de partis de la majorité est convoquée le dimanche 14 avril à laquelle assiste Saâd Eddine El Othmani, Chef du gou- vernement. Un communiqué fait état de la prise en compte des demandes sociales légitimes de la population d’Al Hoceima, mais il condamne aussi leur instrumentalisation par des groupes séparatistes et leurs relais étrangers. De l’huile sur le feu! Quatre jours plus tard, à l’issue d’un conseil de gouvernement hebdomadaire, le jeudi 18 avril, un autre communiqué s’attache à recon- naître un caractère fondé, légitime, à la même contestation sociale.

Le lundi 22 avril, sept ministres se rendent sur place pour tenter de nouer un dialogue avec les

Abdelouafi Laftit et Abdellatif Hammouchi, directeur général de la Sûreté nationale.

s

© Photo AIC PRESS

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COUVE RTURE

LES POURSUITES JUDICAIRES RISQUENT DE RELANCER LA CONTESTATION.

© Photo AIC PRESS

tout un gouvernement et interpellateur national comme s’il était désormais dépositaire d’une nouvelle légitimité concurrente voire même al- ternative…

Mutisme partisan

Dans cette épure, tout le “système” d’intermédia- tion institutionnelle accuse le coup et se claque- mure dans l’embarras, la frilosité et la démission.

Les sections locales de trois partis (PJD, USFP, PI) s’étaient déjà désolidarisées de la prise de position des partis de la majorité en date du 14 avril. Curieux de voir la formation islamiste signer avec l’USFP et le PI par ailleurs –dans l’opposi- tion– se rallier à ces deux partis. Tout paraît se passer, semble-t-il, comme si une spirale régio- nale –voire régionaliste?– happait ces partis-là alors que leurs directions nationales respectives observaient un mutisme complet. Il n’y a que le MP de Mohand Laenser qui a pris position contre les menées de “Hirak Arrif” alors que le PSU leur apportait son soutien. L’attitude d’un autre parti, pourtant dans l’opposition, comme le PAM nourrit de fortes interrogations. En voyage à Washington, Ilyas El Omari se borne à lancer un appel au dialogue. Ce n’est qu’à la fin mai, qu’il s’est résolu à sortir de cette réserve. Il pro- pose une conférence nationale pour le début du mois de juin comme une initiative de médiation

devant associer des membres du gouverne- ment, l’administration territoriale, les élus, les ONG et les représentants de “Hirak”.

Compte tenu de la modestie des moyens et des ressources de toutes ces collectivités ter- ritoriales, que peut-il faire de plus? Ce sont, en effet, les politiques publiques du gouvernement, déclinées dans de multiples secteurs, qui sont en cause. L’on y revient: c’est la gouvernance institutionnelle qui est en cause. Pouvait-elle être mieux assurée dans un contexte automne 2016–printemps 2017 plombé par une formule gouvernementale en panne?

Le gouvernement en panne

La difficulté qui va peser intéresse plusieurs ordres. Comment mettre fin à la situation ac- tuelle de fronde “antisystème” qui rejette l’ad- ministration, les élus et qui n’augure d’aucune

chance de succès à une éventuelle médiation?

Au Parlement, mardi 30 mai, lors de la séance des questions orales de la Chambre des conseil- lers, les groupes de la majorité et de l’opposition ont demandé au Chef du gouvernement d’orga- niser une séance spéciale sur la situation à Al Hoceima. Quant aux députés de la Chambre des représentants, ils ont réclamé la réunion urgente de la commission de l’Intérieur pour auditionner Abdelouafi Laftit, en charge du département. En- fin, un collectif d’intellectuels et d’artistes a publié un communiqué sollicitant l’intervention du Roi, faisant un parallèle au passage entre le Mouve- ment du 20 Février 2011 et le discours historique du Souverain du 9 mars qui a suivi -une manière d’accrocher la contestation actuelle à Al Hocei- ma à l’onde de choc du printemps arabe voici six ans...

Comment assainir le climat social et politique et faire prévaloir une “normalisation” alors que les poursuites judicaires actuelles vont se pour- suivre et risquer de relancer une contestation ne pouvant, par ailleurs, qu’être de nouveau instrumentalisée au dedans et au dehors? En- fin, comment consolider l’autorité de l’État et le respect de la légalité avec les principes d’une construction démocratique assurant à tous une pleine citoyenneté marquée du sceau de la lettre et de l’esprit de la Constitution de 2011? l

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PORTRA

Le fabuleux destin de Najat Belkacem

La petite fille d’un village reculé du Rif; puis d’une cité ouvrière d’Amiens; accède aux responsabilités les plus élevées dans la hiérarchie de la République française. Un enrichissement humain et culturel pour la France.

Q

uand la caméra fait un gros plan sur Najat Vallaud-Belkacem, on retient deux éléments marquants, un regard vif et scrutateur et un sourire apaisant et significatif.

La parole coule de source sans accent et sans pos- ture empruntée, ni circonvolution de langage.

Najat Vallaud-Belkacem est entière. Elle per- sonnifie autant qu’elle exprime un parcours pas comme les autres. Un parcours qu’elle ne se contente pas d’assumer; mais qu’elle reven- dique dans son entièreté particulière.

Plusieurs fois ministre, en charge de dépar- tements ou de fonctions nominatives ou élec- tives; à la fois stratégiques et problématiques, Najat Vallaud-Belkacem suscite interrogation et admiration. La première impression est plutôt une certitude. Cette jeune femme, se dit-on, au propos et à l’allure assurés est un produit de l’immigration. Comment en est-elle arrivée à ce niveau de responsabilité dans la hiérarchie des structures de l’État français?

Najat Vallaud-Belkacem est née en 1977 à Beni Chiker, un village proche de Nador, dans ce Rif à la nature tourmentée et ingrate et une histoire ré- gionale toute particulière. C’est dans ce site ex-

Najat Vallaud-Belkacem une figure emblématique du champ politique français

NAJAT VALLAUD- BELKACEM EST

LA DEUXIÈME PERSONNALITÉ

POLITIQUE PRÉFÉRÉE DES

FRANÇAIS.

centré où la vie est un combat au quotidien; où la mise à contribution de tous, y compris les petits bras; est la règle; que Najat Belkacem a passé sa prime enfance. Un environnement naturel et humain qui laisse des traces, aussi vrai que le dicton “on n’est jamais guéri de son enfance”.

Tout au long du 20ème siècle et jusqu’à présent, le Rif a toujours été une terre d’émigration. La famille Belkacem n’y a pas échappé; le père, Ahmed, est parti en éclaireur en France. Il béné- ficie d’un regroupement familial à Amiens, où il travaille comme ouvrier du bâtiment. Il est rejoint par sa femme et ses deux filles Fatiha et Najat.

C’est à Amiens que Najat fait sa scolarité du primaire au baccalauréat, qu’elle décroche en 1995, à l’âge de 18 ans. La future Najat pointe déjà sous la bachelière. Studieuse et attentive, elle en veut pour elle-même et pour son extrac- tion familiale. Après une licence en droit, quasi- ment dans la foulée, elle s’inscrit à Sciences Po Paris, une institution très courue et très sélective où elle obtient un diplôme très valorisant parmi l’intelligentsia parisienne. Son échec à deux re- prises au concours d’accès à l’ENA n’a pas alté- ré un brillant parcours universitaire.

C’est d’ailleurs à Sciences Po qu’elle rencontre Boris Vallaud, son futur mari, avec qui elle aura des jumeaux, un garçon et une fille: Louis-Adel

et Nour-Chloé, nés en 2008. Une année au- paravant, S.M. Mohammed VI l’avait nommée membre du Conseil de la communauté maro- caine à l’étranger; puis en 2014, membre du groupe de travail “Approche genre et nouvelles générations”.

Deux convictions primordiales

Son itinéraire politico-professionnel s’est déroulé sous le signe de deux constantes: Attachement permanent à l’action publique, au nom de l’État et des services dus au citoyen. Et la culture sous toutes ses coutures comme centre d’inté- rêt transversal. Armée de ces deux convictions primordiales qui lui viennent du plus haut de son vécu familial en France, elle entre au Parti Socialiste (PS). Son adhésion coïncide avec les élections présidentielles du 21 avril 2002, où Lio- nel Jospin a été mis en échec pour le deuxième tour par un certain Jean-Marie Le Pen, patron fondateur du Front National (FN). Tout pousse à croire qu’elle s’est sentie concernée par cette dangereuse perspective d’un présidentiable in- carnation d’une idéologie raciste et exclusiviste.

Elle ne quittera plus le PS

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.

Aux présidentielles de 2007, elle est porte-pa- role de Ségolène Royal, la candidate socialiste qui voulait être la première femme présidente de la République française. Un ticket perdant qui n’empêchera pas Najat Vallaud-Belkacem de jouer le même rôle pour le candidat François Hollande en 2012, pour un ticket gagnant, cette fois-ci. Un investissement de fidélité par rapport à son engagement partisan qui va tout de même lui rapporter des ministrabilités à sa mesure. En mai 2012, elle est nommée ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Militante dans sa tête, tout ce qui relève du droit social l’intéresse, pourquoi pas le droit des femmes, un domaine

Abdellatif Mansour

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