• Aucun résultat trouvé

Une question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l Union Européenne (CJUE) a d ailleurs relancé le débat sur les contours de la notion

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Une question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l Union Européenne (CJUE) a d ailleurs relancé le débat sur les contours de la notion"

Copied!
46
0
0

Texte intégral

(1)

ALBERTHE MOUNGOUKA Juriste Propriété Intellectuelle, Dassault Systèmes

Le titulaire du droit d’auteur sur un logiciel peut permettre l’utilisation de son logiciel à des tiers dit « licenciés ». Cette permission intervient par contrat et il peut arriver que les licenciés ne respectent pas les termes de leur contrat en procédant à des utilisations non autorisées. À titre d’exemple, un licencié peut outrepasser ses droits en utilisant un logiciel après la date d’expiration de son contrat ou encore en utilisant le logiciel concédé à davantage de postes que le nombre spécifié par contrat. Ces utilisations dépassant ce qui a été prévu par le licencié et le titulaire du droit d’auteur sur le logiciel concédé, sont généralement qualifiées par les praticiens de « contrefaçon ». Cette admission par la pratique a néanmoins toujours été source de débat.

Une question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a d’ailleurs relancé le débat sur les contours de la notion

(2)

de contrefaçon. Dans un arrêt du 16 octobre 20181, la Cour d’appel de Paris a posé une question préjudicielle visant à savoir si le non-respect par un licencié des termes d’un contrat de licence de logiciel s’apparentait à de la contrefaçon ou répondait à un autre régime juridique tel que la responsabilité contractuelle de droit commun. Les deux régimes sont distincts et leurs mises en jeu ont des conséquences différentes tant pour le licencié que pour le titulaire du droit d’auteur. Plusieurs décisions ont été rendues sur le sujet mais celles-ci ne permettent pas d’établir un principe. Une réponse à cette question s’avère désormais fondamentale car le marché du logiciel ne cesse de s’étendre et les interrogations sur le sort des licenciés outrepassant leurs droits placent les titulaires de droits d’auteur et les licenciés dans une certaine insécurité juridique. Les premiers ne savent pas sur quels fondements agir lorsque des utilisations non autorisées sont constatées et les seconds ne savent pas quelles pourraient être les conséquences de telles utilisations. Les divergences doctrinales et jurisprudentielles m’ont donc poussée à m’interroger sur la question suivante : Les utilisations non autorisées d’un logiciel par un licencié sont-elles constitutives de contrefaçon ?

Pour répondre à cette question, il convient dans une première partie d’analyser la notion de contrefaçon et les justifications de son admission lorsque des utilisations non autorisées par un licencié sont constatées (I).

La contrefaçon est souvent mise en dualité avec l’inexécution contractuelle.

C’est pourquoi, dans une seconde partie il conviendra d’analyser les limites, notamment jurisprudentielles, apportées à l’admission de la contrefaçon dans le cadre de relations contractuelles (II).

1. CA Paris, 16 octobre 2018, SAS IT Development c/Free Mobile, n° 17/02679.

(3)

I. LA QUALIFICATION DE CONTREFAÇON DES UTILISATIONS NON AUTORISÉES DU LICENCIÉ

Dans le langage courant, la notion de contrefaçon est utilisée pour désigner tout acte portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle sans l’accord du titulaire du droit.

Toutefois, celle-ci est définie avec davantage de précision par le législateur et entraîne la mise en œuvre d’un régime spécifique et protecteur pour le titulaire du droit d’auteur lorsqu’elle est caractérisée.

Les incertitudes des magistrats sur la qualification de contrefaçon de l’action du licencié utilisant davantage de droits que concédés, sont nées de la difficulté à apprécier la notion de contrefaçon.

C’est pourquoi, dans cette première partie, une analyse de la notion de contrefaçon de logiciel et des moyens de recours mis à la disposition du titulaire du droit d’auteur sera effectuée (A). Ensuite, il sera procédé à l’étude des décisions qui, partant de la conception de la contrefaçon de logiciel, ont admis la qualification de celle-ci dans le cadre de relations contractuelles (B).

A. La conception large de la contrefaçon de logiciel et ses voies de recours

L’étude de la contrefaçon de logiciel nécessite l’étude de la contrefaçon de droit d’auteur en général.

(4)

Le législateur définit de façon générale la contrefaçon de droit d’auteur comme étant un délit, caractérisé par « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs »2. Toutefois, la contrefaçon de droit d’auteur ne se limite pas à cette définition puisqu’elle est fragmentée dans les dispositions du CPI. Celle-ci peut être caractérisées par différents actes (1) et peut provoquer la mise en œuvre d’un régime spécifique lorsqu’elle est caractérisée (2).

1. L’atteinte aux droits patrimoniaux de l’auteur

Le droit d’auteur correspond au droit de propriété dont dispose le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre. Celui-ci se décompose en deux types de droits qui sont le droit moral et le droit patrimonial. Le premier renvoie à la personne même du titulaire du droit d’auteur. Il comporte quatre prérogatives qui sont le droit de divulgation, le droit de repentir ou de retrait, le droit à la paternité et le droit au respect de l’œuvre. Le second quant à lui, aborde un aspect davantage économique et renvoie au droit exclusif d’exploitation du titulaire du droit d’auteur sur son œuvre.

La contrefaçon de droit d’auteur est en réalité une atteinte au droit de propriété du titulaire du droit d’auteur et plus spécifiquement à son droit patrimonial.

a. Les actes constitutifs de contrefaçon

Comme il l’a été précédemment indiqué, le législateur a posé une définition générale de la contrefaçon de droit d’auteur à l’article L335-

2. Article L335-2 al. 1 du CPI.

(5)

2 al.1 du CPI. Toutefois, il a prévu dans d’autres dispositions les actes concrets pouvant être qualifiés d’actes constitutifs de contrefaçon.

L’article L122-4 du CPI prévoit les actes qui nécessitent l’autorisation du titulaire du droit d’auteur et l’article L335-3 du CPI énumère explicitement les actes qui, en complément de la définition générale de contrefaçon de droit d’auteur, sont également constitutifs de contrefaçon. C’est ainsi qu’est également un délit de contrefaçon « toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi. ».

De cette définition générale, le législateur consacre ensuite la spécificité des logiciels en énumérant des actes constitutifs de contrefaçon de logiciel.

Celle-ci s’entend comme la violation des droits renvoyant à l’exploitation du logiciel. Au regard de l’article L335-3 du CPI, la contrefaçon de logiciel est caractérisée dès lors que, sans l’autorisation de l’auteur, un tiers reproduit de façon permanente ou provisoire un logiciel en tout ou partie, traduit, adapte, arrange, met sur le marché à titre onéreux ou gratuit ou de façon générale modifie le logiciel.

Cette conception de la contrefaçon de logiciel est en réalité une transposition de ce qui est prévu au niveau communautaire. Le droit communautaire ne fait pas explicitement référence au terme contrefaçon mais

« [d’]atteinte aux droits de propriété intellectuelle »3 ou encore « d’atteinte aux

3. Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, Article 2.

(6)

droits exclusifs de l’auteur »4. Une atteinte aux droits exclusifs de l’auteur est ici caractérisée par toute reproduction, traduction, adaptation ou transformation effectuée sans son autorisation.

En tout état de cause, tant au niveau national qu’au niveau communautaire, il n’est pas précisé que ces atteintes au droit d’auteur ne sont caractérisées que lorsqu’elles sont réalisées dans un contexte n’impliquant pas de lien contractuel entre le licencié et le titulaire du droit d’auteur.

b. Les qualifications de contrefaçon de logiciel par le juge

Le législateur énonce que la contrefaçon est caractérisée lorsqu’il y a réalisation de certaines actions sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur. Dans la pratique, ces actions peuvent être caractérisées sous une multitude de formes. C’est ainsi qu’il a été jugé comme constitutif d’un acte de contrefaçon de logiciel par reproduction et mise sur le marché, le fait pour un vendeur de revendre sur une plateforme en ligne des copies du système d’exploitation d’un logiciel réalisées à partir d’un exemplaire du logiciel qu’il avait acquis auprès du titulaire du droit d’auteur5. Il a également été reconnu que le fait pour un site internet de stocker des liens renvoyant à des logiciels stockés sans l’autorisation des titulaires des droits d’auteur constituait une forme de contrefaçon par diffusion6. L’utilisation par une société d’un logiciel permettant la transmission de messages télématiques pour des activités de

4. Directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, Considérant 15.

5. Cass. Crim 10 décembre 2013, Microsoft Corporation, n° 13.815.72, RLDI 2014/100, n° 3449.

6. TC Paris 2 avril 2015 n° 215-011625.

(7)

messagerie et non pour en vérifier le bon fonctionnement comme convenu par contrat, a également été caractérisée comme étant une contrefaçon mais cette fois-ci par utilisation7.

Les exemples sont donc nombreux. En tout état de cause le dénominateur commun à chacune de ces décisions est le fait que ce qui est sanctionné est l’atteinte à la propriété de l’auteur.

c. Les exceptions à l’autorisation impérative du titulaire du droit d’auteur

Toutefois, tout acte portant a priori atteinte au droit d’auteur détenu sur un logiciel sans l’autorisation de l’auteur ne constitue pas toujours une contrefaçon. En effet, des exceptions aux interdictions posées sont admises8. Celles-ci sont au nombre de quatre. Le licencié peut procéder à certains actes sans l’accord de l’auteur lorsque ceux-ci sont jugés nécessaires pour l’utilisation du logiciel conformément à sa destination9. À titre d’exemple, le licencié peut procéder à la maintenance du logiciel. La maintenance a pour but de réaliser des modifications sur un logiciel pour notamment corriger des erreurs ou encore améliorer l’efficacité du produit. Le but est donc de permettre une bonne utilisation du logiciel. Le risque est que ces opérations donnent la possibilité au licencié de développer un logiciel dérivé à partir du logiciel concédé et de s’en octroyer la propriété. En pratique, pour éviter ce risque, le

7. CA Paris, 11 févr. 1998, n° 1998-021979.

8. Article L122-6-1 du CPI.

9. Article L122-5-1 I du CPI.

(8)

titulaire du droit d’auteur prévoit généralement de se réserver la propriété de tout développement ou plus simplement d’assurer la maintenance.

Le licencié peut également sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur faire une copie de sauvegarde du logiciel10, étudier le fonctionnement du logiciel afin d’en analyser les principes11 ou encore reproduire le code du logiciel ou traduire la forme de son code à des fins d’interopérabilité12.

La protection du logiciel n’est donc pas absolue. Ces autorisations laissées au licencié constituent des atteintes à la propriété de l’auteur par interprétation stricte de la notion de contrefaçon mais elles sont justifiées pour des raisons pratiques.

2. L’action en contrefaçon

La contrefaçon porte en tout état de cause atteinte tant à la propriété de l’auteur qu’à ses profits. Afin d’agir contre la contrefaçon et mettre un terme aux conséquences négatives que celle-ci engendre, l’action en contrefaçon a été prévue par le législateur.

La spécificité de l’action en contrefaçon réside dans le fait qu’elle présente une double nature. Lorsqu’un titulaire de droit d’auteur constate une atteinte à son droit d’auteur, il a le choix entre deux voies d’action. Celui-

10. Article L122-5-1 II du CPI.

11. Article L122-5-1 III du CPI.

12. Article L122-5-1 IV du CPI.

(9)

ci peut exercer une action en contrefaçon en empruntant la voie pénale ou en empruntant la voie civile.

a. La voie pénale

En ouvrant la voie pénale au titulaire du droit d’auteur lorsqu’il constate une contrefaçon, le législateur montre dans une certaine mesure la gravité de l’acte de contrefaçon. Celle-ci a pour double objectif d’infliger une peine d’emprisonnement et des sanctions pécuniaires au contrefacteur.

Toutefois, la mise en jeu de la responsabilité pénale du contrefacteur nécessite la réunion de trois éléments qui sont les éléments légal, matériel et moral.

L’élément légal réside dans les articles L335-2 et s. du CPI. Ceux- ci prévoient des peines d’emprisonnement et des amendes à l’encontre de tout contrefacteur. Ces peines et ces sanctions sont augmentées en cas de circonstances aggravantes13. De plus, les sanctions pécuniaires à l’encontre des personnes morales sont plus importantes.

Ensuite, l’élément matériel est constitué par l’un des actes décrits précédemment14.

13. Article L335-2 du CPI.

14. Voir p. 7.

(10)

Enfin, en matière pénale il est nécessaire que le délit de contrefaçon ait été commis intentionnellement car « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre15 ».

d. La voie civile

La voie civile entraîne la mise en jeu de la responsabilité délictuelle du contrefacteur. Celle-ci vise essentiellement à indemniser le titulaire du droit d’auteur. Toutefois, elle a également un aspect punitif puisque l’indemnisation appauvrit nécessairement le contrefacteur. La voie civile tire sa légitimité des articles 1240 et 1241 du Code civil. La mise en jeu de la responsabilité délictuelle du contrefacteur suppose la réunion de trois éléments qui sont un fait générateur, un préjudice et un lien de causalité.

Le fait générateur est constitué par l’un des actes de contrefaçon16 décrits précédemment. Il est important de préciser que l’action civile en contrefaçon ne nécessite pas de faute. Le préjudice peut être réparé « sans avoir à rechercher l’existence d’une faute dès lors que la contrefaçon est établie17 ».

Le préjudice peut être économique et être ainsi caractérisé par le manque à gagner ou la perte subie par le titulaire du droit d’auteur. Le préjudice peut également être moral et peut être là par exemple caractérisé par l’atteinte à la réputation du titulaire du droit d’auteur et plus généralement de son

15. Article L121-3 du Code pénal.

16. Voir p. 7.

17. Cass.civ 10 mai 1995, Bull. Civ. I, n° 203 ; RIDA 4/1995.

(11)

entreprise. Cette typologie de préjudices découle des lois du 29 octobre 2007 et du 11 mars 201418.

L’action civile vise à l’allocation de dommages et intérêts au profit de l’auteur afin de réparer le préjudice subi. Le principe est une réparation intégrale du préjudice. Plusieurs faisceaux ont été établis par le législateur pour permettre au juge de fixer les dommages et intérêts. Le juge doit prendre en considération les préjudices économique et moral engendrés par la contrefaçon.

À ces sanctions, tant en matière civile qu’en matière pénale, d’autres sanctions facultatives peuvent être prononcées par le juge. Au civil, le juge peut ordonner la confiscation ou encore la destruction des objets contrefaisants19. Au pénal, le juge peut ordonner la confiscation20 des recettes obtenues grâce à la contrefaçon et également la fermeture21 de l’établissement ayant été le siège de la contrefaçon. Tant au civil qu’au pénal, le juge peut ordonner l’affichage ou la diffusion du jugement rendu22. Cette dernière mesure n’est pas sans rappeler le système des exécutions publiques qui a sévit en France jusqu’au

xxe siècle23. Par cette mesure, le législateur rappelle la gravité de la contrefaçon et la nécessité qu’elle soit sévèrement punie lorsqu’elle est constatée. D’autres mesures complémentaires peuvent être ordonnées par le juge.

18. Loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon et Loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon.

19. Article L331-1-4 al.1 du CPI.

20. Article L335-6 al. 2 du CPI.

21. Article L335-5 du CPI.

22. Article L331-1-4 al.2 du CPI ; Article L335-6 al.4 du CPI.

23. La dernière exécution publique en France a eu lieu en 1939. France Culture, 17 juin 1939, la dernière exécution publique en France, 2019.

(12)

Dans les deux voies, les sanctions prévues peuvent ainsi être fortement pénalisantes pour le contrefacteur car elles sont susceptibles de remettre en cause la viabilité de son entreprise tant au niveau de ses profits que de ses relations commerciales. De plus, l’action en contrefaçon peut permettre à l’auteur d’obtenir une réparation allant au-delà du préjudice subi notamment du fait des peines complémentaires facultatives. Toutefois, cette affirmation est à nuancer car dans la pratique des sanctions à la hauteur du préjudice subi par les titulaires de droits d’auteur sont rarement prononcées. D’autant plus que parfois des condamnations à l’encontre des contrefacteurs ne sont pas pénalisantes au regard des avantages qu’ils tirent de leurs activités illicites.

e. L’administration de la preuve

L’établissement de la contrefaçon est en pratique difficile. Il est en effet compliqué pour le titulaire du droit d’auteur de prouver les atteintes portées à ses droits. En matière de contrefaçon la matérialité de l’atteinte est néanmoins essentielle pour prouver la contrefaçon. Ainsi, pour favoriser l’efficacité de l’action en contrefaçon, le législateur a prévu une administration de la preuve par tout moyen.24 Dans cette optique, des moyens efficaces ont été mis en place. Parmi les moyens utilisés par les titulaires de droits d’auteur pour établir la réalité d’une contrefaçon, se trouve la saisie-contrefaçon. Celle-ci peut être définie comme étant un moyen mis à la disposition du titulaire du droit d’auteur afin de relever la matérialité de la contrefaçon. La saisie-contrefaçon intervient en amont de toute action en contrefaçon et peut être réalisée de deux façons. Il y a d’un côté la saisie-description qui consiste à réaliser une

24. Article L332-4 du CPI.

(13)

description détaillée des éléments jugés contrefaisants et d’un autre côté la saisie réelle qui consiste en la saisie matérielle des objets contrefaisants25. Cette mesure est réalisée par un huissier de justice accompagné si besoin d’experts.

Elle apparaît d’une réelle efficacité pour matérialiser une contrefaçon car elle est réalisée sans que le potentiel contrefacteur en ait au préalable connaissance.

Le titulaire du droit d’auteur doit uniquement obtenir une autorisation auprès d’un juge. Une telle autorisation est octroyée par voie d’ordonnance, lorsque le titulaire du droit d’auteur par requête, prouve la titularité de son droit d’auteur et sa qualité à demander une saisie contrefaçon.

f. La spécialisation des juridictions

Le droit de la propriété intellectuelle est un droit complexe et technique qui nécessite une connaissance précise des dispositions qui s’appliquent en la matière. La diversité des juridictions auparavant compétentes et l’absence de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle de certains juges qui se retrouvaient « démunis face à la spécialisation parfois très poussée des avocats »26 rendaient nécessaire de mettre en place une centralisation des juridictions compétentes. Le législateur a donc prévu la compétence exclusive de certains tribunaux. Tout litige relatif au droit d’auteur relève de la compétence exclusive des tribunaux de grande instance27. Plus généralement, tout contentieux relatif à un droit de propriété intellectuelle relève de la compétence des tribunaux de grande instance. Le législateur va d’ailleurs encore plus loin en

25. Article L332-4 du CPI.

26. Christian Cointat, Rapport d’information 345, Quels métiers pour quelle justice ?, page 250, 2001-2002.

27. Loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 ; Article L331-1 du CPI.

(14)

précisant par décret28 qu’uniquement certains tribunaux de grande instance sont territorialement compétents pour traiter des litiges relatifs au droit de la propriété intellectuelle. De plus, cette exclusivité s’applique également lorsqu’une personne de droit public est impliquée29.

Cette spécialisation des juridictions renforce l’idée selon laquelle le législateur considère le droit de la propriété intellectuelle comme un droit spécial nécessitant une analyse pointue.

La contrefaçon est envisagée ici de façon globale et un véritable régime a été mis en place par le législateur français sous l’impulsion des directives européennes. L’intérêt de la description de ce régime protecteur mis en place en cas d’atteinte au droit d’auteur réside dans le fait qu’il montre que le législateur accorde une place importante au respect de la propriété intellectuelle. La conception large qui est accordée à la notion de contrefaçon peut laisser supposer que le législateur a en réalité voulu viser toute atteinte au droit d’auteur sauf cas expressément admis. En matière de logiciel, et plus généralement pour toutes les œuvres protégées par le droit d’auteur, le législateur ne définit pas explicitement dans quel cadre la contrefaçon peut être caractérisée. Il n’exclut pas de ce fait que celle-ci puisse intervenir dans le cadre de relations contractuelles.

28. Décret n° 2009-1205 du 9 octobre 2009.

29. TC 2 mai 2011, n° 11-03770.

(15)

B. Les admissions jurisprudentielles de la contrefaçon du licencié

Comme il l’a été précédemment indiqué, aucune disposition relative à la contrefaçon n’exclut expressément que celle-ci ne peut être caractérisée qu’en l’absence de contrat. C’est d’ailleurs l’un des arguments avancés par la Cour d’appel de Paris pour justifier le dépôt d’une question préjudicielle auprès de la CJUE sur l’admission ou non de la contrefaçon lorsqu’un dépassement des droits concédés à un licencié est constaté30. D’autant plus que l’application stricte des textes permet la qualification de contrefaçon d’une action consistant pour un licencié à outrepasser les droits qui lui ont été consentis car, au-delà du contexte dans lequel cette violation intervient, elle vise la violation de la propriété. Il est explicitement prévu dans d’autres droits de propriété intellectuelle que le licencié outrepassant ses droits réalise un acte de contrefaçon (1). De plus, le vide juridique laissé par le législateur n’a pas empêché certaines juridictions nationales (2), communautaires (3) et non soumises au droit communautaire (4) de qualifier de contrefaçon l’acte du licencié utilisant davantage de droits que ceux consentis.

1. Comparaison avec d’autres droits de propriété intellectuelle

Dans d’autres matières de la propriété intellectuelle, le législateur indique explicitement la possibilité que la contrefaçon soit constatée dans le cadre d’un contrat. En droit des brevets, tout manquement par rapport aux droits du titulaire du brevet est constitutif d’un acte de contrefaçon31.

30. CA Paris, 16 octobre 2018, SAS IT Develpment c/Free Mobile, n° 17/02679.

31. Article L613-8 du CPI.

(16)

Il en est de même en droit des marques. Cependant en droit des marques, le législateur décrit précisément quels actes sont constitutifs de contrefaçon dans le cadre d’un contrat. Le titulaire de la marque peut agir en contrefaçon contre un licencié dès lors qu’il « enfreint l’une des limites de sa licence en ce qui concerne sa durée, la forme couverte par l’enregistrement sous laquelle la marque peut être utilisée, la nature des produits ou des services pour lesquels la licence est octroyée, le territoire sur lequel la marque peut être apposée ou la qualité des produits fabriqués ou des services fournis par le licencié32 ». Cet argument selon lequel la contrefaçon est explicitement prévue dans le cadre de relations contractuelles en droit des brevets et en droit des marques est l’un des arguments avancés par la Cour d’appel pour légitimer le dépôt de la question préjudicielle auprès de la CJUE33. Il apparaît en effet difficilement compréhensible que la contrefaçon soit admise dans d’autres matières du droit de la propriété intellectuelle et non pour le droit d’auteur.

2. Admissions jurisprudentielles

Le vide juridique laissé par le législateur et la prise en considération systématique du régime dédié aux atteintes au droit d’auteur ont permis aux praticiens et à certaines juridictions de l’introduire. En effet certaines juridictions françaises et étrangères ont reconnu que le licencié utilisant davantage de droits que concédés réalisait un acte de contrefaçon.

32. Article L714-1 du CPI.

33. CA Paris, 16 octobre 2018, SAS IT Development c/Free Mobile, n° 17/02679.

(17)

a. Admissions jurisprudentielles françaises

En droit interne, la qualification de contrefaçon de l’acte du licencié outrepassant ses droits est casuistique. En effet, celle-ci semble admise au cas par cas. Le fait qu’un contrat soit établi n’implique pas systématiquement l’implication de la responsabilité contractuelle en cas de défaillance. C’est cette position que semblent avoir certaines juridictions pour l’admission de la contrefaçon dans le cadre d’un contrat. Les décisions admettant la contrefaçon dans le cadre de relations contractuelles présentent toutes un dénominateur commun. Celui-ci est le fait que la contrefaçon est caractérisée par l’atteinte au droit de la propriété de l’auteur. Ici, il est complètement fait abstraction du contexte contractuel, c’est l’atteinte à la propriété qui justifie la qualification de contrefaçon. Plusieurs décisions vont dans ce sens. Dans un arrêt du 1er septembre 201534, la Cour d’appel de Versailles a jugé qu’était constitutif de contrefaçon le fait pour un licencié de permettre l’utilisation d’un logiciel pour un service de bureau destiné à de nouvelles entités non mentionnées dans le contrat de licence d’utilisation. Le licencié outrepassait donc ses droits.

La Cour d’appel retient que « toute utilisation d’un logiciel sans l’autorisation du titulaire des droits constitue une contrefaçon ». Selon le raisonnement de la Cour d’appel, dès qu’une atteinte à la propriété est réalisée, elle doit être qualifiée de contrefaçon et ce même si un contrat lie les parties. Dans une décision plus ancienne, la Cour d’appel de Paris avait également retenu que l’utilisation d’un logiciel par un nombre supérieur de postes à celui qui avait été autorisé était un acte de contrefaçon35.

34. CA Versailles, 1er septembre 2015, SAS Technologies c/SAS Infor Global Solutions, n° 13/08074.

35. CA Paris, 27 mars 1998, SDL Informatique c/Milotic, Gaz. Pal.1999.2, Somm.603.

(18)

Dans une autre décision rendue par la Cour d’appel de Versailles36, celle-ci avait réalisé le même raisonnement mais cette fois en distinguant clairement les faits constitutifs de contrefaçon des faits constitutifs de manquements contractuels. En l’espèce, il y avait manquement contractuel parce que le licencié n’avait pas avisé l’auteur du logiciel concédé du nombre de logiciels créés à partir du logiciel concédé qu’il avait cédé ou fait louer. Il y avait a contrario contrefaçon parce que le licencié avait cédé des droits de commercialisation sur le logiciel concédé sans que le contrat de licence le lui autorise. Les juges opèrent ainsi une distinction entre les violations des droits patrimoniaux du droit d’auteur qui sont constitutives de contrefaçon et les violations des obligations du contrat liées davantage à l’exécution du contrat qui sont constitutives de manquements contractuels.

Enfin, la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 16 octobre 2018, semble plus ou moins ouverte à l’idée de la qualification de contrefaçon de l’action du licencié portant atteinte au droit d’auteur dans le cadre d’un contrat. Elle a notamment déclaré que « c’est non sans pertinence que la société appelante [IT Development] soutient que la contrefaçon ne serait pas par essence délictuelle mais pourrait aussi résulter de l’inexécution d’un contrat ». Elle rappelle également le fait que la contrefaçon est appréhendée de manière large comme la violation des droits patrimoniaux de l’auteur. Elle émet ainsi en quelque sorte une réserve sur l’impossibilité d’agir en contrefaçon dans le cadre de relations contractuelles. Le dépôt de la question préjudicielle ne fait que confirmer le doute sur l’illégitimité des actions en contrefaçon contre le licencié outrepassant ses droits.

36. CA Versailles 10 février 1998, Software Partners c/Cecima, n° 1997-5284.

(19)

b. Admissions jurisprudentielles communautaires

Le droit communautaire influe fortement sur le régime appliqué aux droits de propriété intellectuelle par les législations nationales. En effet, plusieurs directives ont successivement été mises en place afin notamment de guider les législateurs nationaux et d’harmoniser les dispositions renvoyant au droit de la propriété intellectuelle dans chaque pays. Comme il l’a précédemment été indiqué, les directives du droit communautaire ne font pas mention du cas du licencié outrepassant ses droits. Celles-ci consacrent des moyens visant à protéger les droits de propriété intellectuelle et à sanctionner toute atteinte et ce « sans distinguer selon que cette atteinte résulte ou non de l’inexécution d’un contrat »37.

Il semble utile de s’intéresser à une décision rendue par le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) en 201038. Cette décision a par la suite été infirmée par la CJUE mais l’argumentation du tribunal n’en est pas moins intéressante. De plus, il semble fondamental d’analyser les arguments avancés par chacun sur la question du licencié outrepassant ses droits, dès lors qu’aucune règle n’est à présent retenue par tous. Dans cette affaire, le requérant reprochait à la Commission européenne d’avoir permis à un tiers de modifier un logiciel dérivé qui avait été créé à partir de son logiciel et ce sans son autorisation. La difficulté dans cette affaire tenait aux faits que la Commission européenne contestait d’une part la compétence du TUE pour connaître du litige et d’autre part qu’elle contestait la qualité du titulaire du

37. CA Paris, 16 octobre 2018, SAS IT Development c/Free Mobile, n° 17/02679.

38. TUE, 16 décembre 2010, Systran SA et Systran Luxembourg c/Commission européenne, n° T-19/07.

(20)

droit d’auteur sur le logiciel dérivé. La Commission européenne contestait la compétence du TUE parce que plusieurs contrats la liaient au requérant.

Or, conformément à l’article 238 du Traité instituant la Communauté européenne, les juridictions communautaires ne sont pas compétentes pour traiter des litiges de nature contractuelle. Elle contestait également la qualité de titulaire du droit d’auteur du requérant sur le logiciel dérivé car elle considérait que de nombreuses modifications avaient été réalisées sur le logiciel dérivé de telle sorte que le logiciel dérivé n’était pas une simple version du logiciel du requérant. Après avoir justifié sa compétence et démontré que le requérant était bien titulaire du droit d’auteur sur le logiciel dérivé, la question qui s’est posée au TUE était de savoir si le fait que la Commission européenne ait permis à un tiers de réaliser des modifications sur le logiciel dérivé sans l’autorisation de l’auteur était constitutif d’un acte de contrefaçon. Le TUE répond par l’affirmatif en considérant que les modifications apportées sur le logiciel dérivé sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, constituaient des actes de contrefaçon. Elle retient la contrefaçon car la possibilité pour la Commission européenne de procéder à des modifications ou de le permettre à un tiers n’avait pas été contractuellement autorisée. Ce qui est intéressant dans cette décision est le fait que le TUE ne s’arrête pas au contexte contractuel mais analyse justement les contrats entre les parties pour conclure que la contrefaçon est caractérisée et que le simple manquement contractuel est ici inopérant. Elle paraît réaliser une distinction entre les actes autorisés par contrat mais mal exécutés qui sont qualifiés de manquements contractuels et les actes non autorisés qui sont quant à eux qualifiés de contrefaçon.

L’appréciation du TUE n’est certes pas fondée sur le fait qu’il soit question d’une atteinte à la propriété intellectuelle mais elle est intéressante car elle

(21)

expose un autre raisonnement utilisé par les juges pour qualifier un acte de contrefaçon dans le cadre de relations contractuelles. Cette appréciation déroge en tout état de cause à celle généralement retenue par les juridictions françaises qui admettent la contrefaçon du fait qu’il y ait une atteinte à un droit de propriété intellectuelle.

c. Admissions au niveau international

Au niveau international, diverses conventions consacrent la spécificité du droit d’auteur et la nécessité de garantir aux auteurs un système de protection efficace. Parmi ces conventions se trouve la Convention de Berne de 188639. Celle-ci a posé les bases de la protection du droit d’auteur et a été établie afin de permettre la protection internationale du droit d’auteur et d’uniformiser des règles en matière de droit d’auteur à travers le monde.

À l’échelle internationale, l’action en contrefaçon érigée par le titulaire du droit d’auteur contre un licencié semble également admise par certaines juridictions. Il semble important de s’arrêter sur le cas des États-Unis. Les États-Unis dominent le marché du logiciel puisque les éditeurs de logiciels les plus importants sont d’origine américaine. Les logiciels peuvent d’ailleurs être protégés tant pas le droit des brevets que par le droit d’auteur40. Pour les besoins de cette étude, il sera néanmoins uniquement fait mention du droit d’auteur.

39. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 9 septembre 1886.

40. United States Supreme Court, March 3, 1981, 450 175 U.S 175, 187.

(22)

La protection du logiciel par le droit d’auteur aux États-Unis est consacrée dans le Copyright Act of 1976, codifié ensuite dans le Title 17 of the United States Code. Le législateur américain définit également la contrefaçon largement en prévoyant que celle-ci est constituée dès lors qu’un tiers viole les droits exclusifs de l’auteur41. Les droits exclusifs de l’auteur renvoient notamment aux droits de reproduction, de création d’œuvres dérivées ou encore de distribution42. La conception de la contrefaçon par le législateur semble assez similaire à celle admise en France et plus généralement par le droit communautaire. Aucune référence n’est faite au cadre dans lequel la contrefaçon doit avoir lieu mais les juridictions américaines admettent que la contrefaçon puisse être retenue dans le cadre de relations contractuelles.

La Cour d’appel du 9e Circuit dans une affaire43 datant de 2010, a notamment établi des lignes directrices sur le sujet de la contrefaçon dans le cadre de relations contractuelles. Elle a réalisé une distinction entre les

« license conditions » qui renvoient aux conditions d’utilisation de la licence et les « contractual convenants » qui renvoient aux obligations de faire ou de ne pas faire du licencié. Selon la Cour d’appel, lorsque le licencié outrepasse ses droits et utilise le logiciel au-delà de ce qui lui a été concédé, l’auteur peut agir en contrefaçon. A contrario, la responsabilité contractuelle du licencié sera engagée uniquement si celui-ci ne respecte pas ses engagements, ses promesses relatives à l’exécution du contrat. Par exemple, l’obligation de permettre des

41. United States Code, Title 17, Chapter 5 Copyright Infringement and remedies, Section 501.

42. United States Code, Title 17, Chapter 5 Copyright Infringement and remedies, Section 106.

43. United States 9th Circuit of Appeals, December 14, 2010, MDY Indus., LLC v. Blizzard Entertainment, n° 09-15932.

(23)

audits est un « contractual convenant ». En tout état de cause lorsqu’il est question de savoir si un dépassement du licencié entraîne la qualification de contrefaçon ou de manquement contractuel, il convient d’analyser si l’usage vient porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle ou pas. Là encore l’admission de la contrefaçon n’est pas naturelle, elle dépend des faits présentés.

Par la suite, plusieurs décisions ont admis la contrefaçon dans le cadre de relations contractuelles. Dans une décision rendue en 201344, une juridiction new-yorkaise a par exemple qualifié de contrefaçon les actions d’un licencié consistant à utiliser un logiciel après l’expiration du contrat de licence et d’en permettre son utilisation par un tiers alors que c’était expressément interdit par le contrat. Le titulaire du droit d’auteur avait mis fin au contrat de licence.

C’est du fait de l’atteinte à la propriété que la juridiction new-yorkaise a admis l’action en contrefaçon de l’auteur.

Comme il l’a été démontré, la contrefaçon est largement définie en France.

Elle inclut une pluralité d’actions et entraîne lorsqu’elle est retenue la mise en œuvre d’un régime protecteur en faveur du titulaire du droit d’auteur. Cette conception large, volontaire ou non du législateur, a conduit les praticiens et certaines juridictions à reconnaître qu’un licencié outrepassant ses droits réalise un acte de contrefaçon. De plus, la comparaison avec les systèmes étrangers ne fait que conforter l’idée selon laquelle cette admission est dans une certaine mesure pleinement légitime. C’est l’atteinte à la propriété de l’auteur qui est sanctionnée.

44. Western District of New York, July 12, 2013, Clinical Insight v. Louisville Cardiology Medical Group, n° 11-CV6019T.

(24)

Toutefois, cette admission ne fait pas l’unanimité et est souvent contestée du fait du contexte contractuel dans lequel elle est évoquée. Il convient désormais de voir les limites opposées à la contrefaçon.

II. LES LIMITES À L’ADMISSION DE LA QUALIFICATION DE CONTREFAÇON DES UTILISATIONS NON AUTORISÉES DU LICENCIÉ

Le vide juridique laissé par le législateur et les dispositions larges posées conduisent actuellement les juridictions nationales à remettre en question l’admission selon laquelle un licencié outrepassant les droits qui lui ont été consentis par contrat réalise un acte de contrefaçon. En effet, il convient de souligner qu’il existe actuellement une divergence jurisprudentielle et ce au profit du manquement contractuel. Ces divergences sont source d’une insécurité juridique tant pour le titulaire du droit d’auteur que pour le licencié.

Ce refus est principalement motivé par le fait que l’appel à la responsabilité contractuelle est également justifié et qu’elle jouit d’une primauté sur la responsabilité délictuelle. C’est d’ailleurs principalement ce motif qui conduit une partie des juges à nier la spécificité du droit d’auteur et de son régime en cas d’atteinte.

Dans cette seconde partie, une étude de la légitimité du recours à la responsabilité contractuelle sera effectuée (A). Ensuite, il conviendra d’analyser les décisions qui, sans ligne directrice uniforme, écartent la contrefaçon au profit du régime de la responsabilité contractuelle (B).

(25)

A. La légitimité du recours à la responsabilité contractuelle

Comme il l’a été démontré dans la première partie de cette étude, une atteinte non autorisée au droit d’auteur sur un logiciel devrait être qualifiée de contrefaçon. Un régime protecteur et consacrant la spécificité du droit d’auteur a été mis en place par le législateur. Toutefois, ce même régime peut se retrouver affaibli par les relations que le titulaire du droit d’auteur sur un logiciel noue avec des tiers.

Le titulaire du droit d’auteur sur un logiciel a la possibilité de faire bénéficier son logiciel à un licencié. Il le fait généralement par un contrat, censé organiser ses relations avec le licencié (1). La nature contractuelle des relations entre les parties, entraîne une dualité entre deux régimes lorsqu’un manquement du licencié est constaté. L’un délictuel et l’autre contractuel (2).

1. L’existence d’un contrat

Le CPI fait référence à plusieurs contrats auxquels le titulaire d’un droit d’auteur peut être partie. Certains contrats, comme le contrat d’édition, sont nommés dans le CPI et bénéficient de régimes spéciaux, tandis que d’autres utilisés dans la pratique sont ignorés. Tel est le cas du contrat visant pour le titulaire du droit d’auteur d’un logiciel à permettre l’utilisation de son logiciel par un tiers.

Un véritable contrat, dont il convient d’analyser la nature et le régime, né entre les parties.

(26)

a. Le contrat de licence

Le contrat dit « contrat de licence » est issu de la pratique. La doctrine et les praticiens ont déduit des dispositions législatives que le titulaire d’un droit d’auteur sur un logiciel avait la possibilité de faire bénéficier de ses droits patrimoniaux à un tiers.

Le contrat de licence s’apparente à un contrat de louage de choses. Le contrat de louage de choses est un contrat par lequel « l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer »45. Le contrat de licence repose sur ce même schéma. Le titulaire du droit d’auteur entend ici accorder un droit d’utilisation à son cocontractant en contrepartie généralement d’une compensation financière. La possibilité pour le titulaire du droit d’auteur de concéder ses droits peut être déduite des diverses dispositions du CPI. À titre d’exemple l’article L122-6-1 du CPI mentionne l’expression « la personne ayant le droit d’utiliser le logiciel ». Cela sous-entend par extension que le titulaire du droit d’auteur peut permettre l’utilisation par un tiers.

De plus, une comparaison avec les autres droits de propriété intellectuelle permet d’admettre ce type de contrat. La possibilité pour le titulaire d’un brevet de concéder totalement ou partiellement de manière exclusive ou non exclusive ses droits par l’intermédiaire d’une licence est prévue par le CPI46. La licence est également prévue pour le droit des marques47.

45. Article 1709 du Code civil.

46. Article L612-8 du CPI.

47. Article L714-1 du CPI.

(27)

b. Le régime juridique du contrat de licence

L’absence de régime spécifique applicable au contrat de licence conduit à se référer au droit commun des contrats. Un contrat est caractérisé dès lors qu’il y a un accord de volonté et qu’il y a la création, la modification, la transmission ou l’extinction d’obligations48.

Le contrat de licence suppose que le titulaire du droit d’auteur sur le logiciel souhaite permettre l’utilisation de son logiciel et que le licencié souhaite en bénéficier. Des droits naissent au profit des deux parties. Ceux-ci varient selon le logiciel et le besoin du licencié. À titre d’exemple, le contrat de licence peut prévoir la possibilité pour le licencié d’utiliser le logiciel selon des modalités définies par contrat et la possibilité pour l’auteur de mener des audits. À ces droits s’accompagnent des obligations à la charge des deux parties. Le licencié a par exemple une obligation de paiement des redevances et le titulaire du droit d’auteur une obligation de délivrance. Les droits et les obligations du titulaire du droit d’auteur et du licencié sont fixés à leur convenance car en matière contractuelle « chacun est libre de déterminer le contenu de son contrat49 ». Les seules limites sont celles posées par la loi.

De plus, pour être valablement formé le contrat doit respecter les conditions de fond posées à l’article 1228 du Code civil.

48. Article 1101 du Code Civil.

49. Article 1102 du Code Civil.

(28)

2. La dualité entre les responsabilités contractuelle et délictuelle

Du fait du contrat liant les parties, un lien contractuel est établi entre le titulaire du droit d’auteur et le licencié. Les relations des parties sont donc en principe régies par le régime propre au droit des contrats. C’est d’ailleurs l’existence d’un tel régime qui légitimerait que l’action du licencié outrepassant ses droits soit qualifiée de manquement contractuel plutôt que de contrefaçon.

a. La mise en jeu de la responsabilité contractuelle

Il convient là encore de se référer au droit commun des contrats. La responsabilité contractuelle d’une partie est engagée en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution de l’obligation qui lui incombe. Il est nécessaire que trois conditions soient remplies pour que la responsabilité contractuelle soit engagée. Tout d’abord, une obligation contractuelle doit être violée.

L’obligation contractuelle peut être une obligation de résultat ou une obligation de moyen. L’obligation de résultat implique que le débiteur de l’obligation s’engage à fournir un certain résultat tandis que l’obligation de moyen implique que le débiteur de l’obligation s’engage à mettre tout en œuvre pour que le résultat souhaité par le créancier soit atteint. La distinction entre ces deux obligations est fondamentale, notamment d’un point de vue probatoire. Ensuite, il faut qu’un dommage soit constaté.

Enfin, il est nécessaire qu’il y ait un lien de causalité entre le dommage et la violation de l’obligation. Cela signifie que l’inexécution ou la mauvaise exécution de l’obligation doit être la cause du dommage. Le législateur

(29)

prévoit néanmoins des cas d’exonération de responsabilité en matière contractuelle50.

b. Les conséquences de la mise en jeu de la responsabilité contractuelle

La réparation d’une inexécution ou d’une mauvaise exécution est le versement de dommages et intérêts. Toutefois, dans le régime de droit commun, le montant des dommages et intérêts pouvant être alloué au créancier victime d’une inexécution ou d’une mauvaise exécution est encadré. C’est d’ailleurs l’intérêt essentiel d’invoquer le simple manquement contractuel pour le licencié. En effet, seuls les dommages et intérêts prévus ou qui pouvaient être prévus à la conclusion du contrat sont versés par le débiteur51. De plus, ces dommages et intérêts se limitent « à la perte faite ou au gain manqué ». Le droit commun des contrats apparaît donc dans une certaine mesure plus avantageux pour le licencié car les dommages et intérêts dus en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution sont prévisibles.

De plus, comme il l’a été précédemment indiqué, les parties sont libres d’établir le contenu de leur contrat. Ainsi, elles peuvent insérer des clauses visant à anticiper les conséquences de tout manquement contractuel. Elles peuvent par exemple prévoir des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité.

Par une clause exonératoire de responsabilité, les parties peuvent convenir de l’absence de toute responsabilité en cas de manquement contractuel alors

50. Article 1231-1 du Code civil.

51. Article 1231-3 du Code civil.

(30)

que, par une clause limitative de responsabilité, les parties peuvent convenir à l’avance du montant des dommages et intérêts. Les clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité ont l’intérêt de permettre aux parties de connaître à l’avance les conséquences de leurs manquements. Toutefois, de telles clauses présentent des risques. La clause exonératoire de responsabilité écarte la responsabilité de la partie à l’origine du manquement contractuel alors même que celle-ci aurait pu être invoquée. La clause limitative de responsabilité limite la réparation de la partie lésée et ce même si elle pourrait prétendre à une indemnisation plus importante en temps normal. Quand la contrefaçon est écartée au profit du manquement contractuel, la réparation du titulaire du droit d’auteur est donc limitée à celle prévue dans le contrat ou par le droit commun des contrats.

c. Les juridictions compétentes

En matière contractuelle, la compétence d’attribution dépend de la qualité des parties, de la nature du litige et également des montants. À titre d’exemple, si un litige intervient entre deux entreprises agissant en leur qualité de commerçant, le tribunal de commerce sera compétent52. Le tribunal de commerce pourra également être compétent si face à un commerçant, un particulier fait le choix de le saisir.

Contrairement à ce qui est prévu en droit de la propriété intellectuelle, en matière contractuelle aucune spécialisation territoriale des juridictions n’est prévue. Le régime de droit commun prévoit que lorsqu’un conflit surgit,

52. Article L721-3 du Code de commerce.

(31)

la juridiction compétente est le lieu où le défendeur demeure53. Cependant en matière contractuelle, le demandeur a le choix entre le lieu de domicile du défendeur et la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation54.

Ensuite, les parties à un contrat commercial peuvent déroger aux dispositions du droit commun. Sous certaines conditions, les parties ont la possibilité de déroger aux règles de compétence territoriale en insérant dans leur contrat une clause attributive de juridiction.

Ainsi, si un conflit a lieu entre le titulaire du droit d’auteur et le licencié, le risque est que le conflit soit porté devant des juridictions ne disposant pas des compétences requises afin d’analyser avec clarté et précision un litige portant sur la propriété intellectuelle. L’application d’un tel régime pourrait mener à des décisions divergentes et parfois contraires à la spécificité du droit d’auteur.

D’autant plus que les juges du tribunal de commerce sont des commerçants ne disposant parfois pas des connaissances requises en matière de propriété intellectuelle.

d. La mise à l’écart de la contrefaçon

La contrefaçon peut certes engager la responsabilité pénale et la responsabilité délictuelle du contrefacteur mais c’est souvent la responsabilité délictuelle qui est recherchée par les titulaires du droit d’auteur sur un logiciel.

53. Article 42 du Code de procédure civile.

54. Article 46 du Code de procédure civile.

(32)

Lorsque les conditions de la responsabilité contractuelle et les conditions de la responsabilité délictuelle sont réunies, un concours s’opère entre les deux régimes. Il y a d’un côté la responsabilité délictuelle qui est justifiée par le fait qu’elle peut être recherchée par le titulaire du droit d’auteur lorsqu’une atteinte à ses droits est réalisée et d’un autre côté la responsabilité contractuelle qui est, quant à elle, justifiée par le contrat mis en place entre le titulaire du droit d’auteur et le licencié.

Cependant, ces deux responsabilités ne peuvent se cumuler au regard du droit français. En effet, un créancier ne peut se prévaloir cumulativement des règles des responsabilités contractuelle et délictuelle. C’est le principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle qui a été posé très tôt par la jurisprudence55. Cette règle prétorienne est largement admise et de nombreuses décisions le rappellent56.

Ensuite, le principe de non cumul de responsabilités implique également que le créancier d’une obligation ne dispose pas d’une faculté de choix. Dès lors que les parties sont liées par un contrat et que le préjudice subi par l’une des parties est la conséquence de l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’une obligation par l’autre partie, la responsabilité contractuelle doit être engagée et ce au détriment de la responsabilité délictuelle. En effet, « le créancier d’une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité délictuelle »57. Le but de cette règle est notamment d’assurer le respect de la

55. Cass.civ 11 janvier 1992, GAJC, vol. 2, n° 182.

56. Cass.com 26 septembre 2018, n° 17-15.306.

57. Cass.com 10 mars 2015 n° 13-10.003.

(33)

volonté des parties à un contrat et que leurs prévisions ne soient pas mises en échec par les règles de la responsabilité délictuelle.

Le principe de non cumul serait donc favorable à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle lorsqu’un licencié outrepasse ses droits du fait de l’existence du contrat. L’application stricte de ce principe met en échec le régime institué contre les atteintes au droit d’auteur car il peut conduire automatiquement à mettre en œuvre les règles du droit des contrats du simple fait de l’existence d’un contrat entre les parties.

Lorsque le contrat de licence est valablement formé, celui-ci instaure une relation contractuelle entre le titulaire du droit d’auteur et le licencié. Cette relation est régie par le droit commun des contrats ou par les dispositions prévues par les parties. Du fait de ce contrat, une dualité est instaurée entre le simple manquement contractuel et la contrefaçon. L’invocation du manquement contractuel est dans une certaine mesure justifiée s’il est fait abstraction des faits qui se présentent aux juges. Toutefois, l’existence d’un contrat ne suffit pas à justifier la mise en jeu de la responsabilité contractuelle.

En réalité, il est nécessaire d’apprécier la nature du manquement pour pouvoir écarter la contrefaçon.

B. Les restrictions jurisprudentielles apportées à la notion de contrefaçon

La concurrence entre les responsabilités contractuelle et délictuelle et l’absence de dispositions explicites résolvant le sort du licencié outrepassant

(34)

ses droits, conduisent à l’interprétation par les juges. En dépit de la conception large de la notion de contrefaçon, la jurisprudence restreint sa définition et semble davantage faire prévaloir l’admission du manquement contractuel lorsque le licencié outrepasse ses droits plutôt que de la contrefaçon. Les juges utilisent d’ailleurs souvent leur pouvoir de requalification pour écarter l’action en contrefaçon58.

1. La redéfinition de la notion de contrefaçon

La notion de contrefaçon renvoie à différentes formes d’atteintes au droit d’auteur. En effet, en acceptant une conception large de la contrefaçon telle que posée par le législateur, celle-ci regroupe en réalité toutes les actions portant atteinte au droit d’auteur du titulaire sans son autorisation et sans qu’elles soient autorisées par le législateur. Cependant, les décisions portant sur la contrefaçon de logiciel redéfinissent constamment la notion de contrefaçon en adoptant des positions divergentes et en la niant souvent dans le cadre de relations contractuelles. Il semble ici intéressant de se référer au contentieux ayant opposé des entités du groupe Oracle (Oracle) à L’Agence Nationale Pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA)59. Ce contentieux est intéressant car une appréciation de la contrefaçon est réalisée dans le cadre de relations contractuelles. Un logiciel F avait été concédé à L’AFPA pour un nombre déterminé d’utilisateurs. Cependant, ce logiciel F était accompagné d’autres logiciels, dont le logiciel P, avec lesquels il formait une suite logicielle.

58. Article 12 du Code de procédure civile.

59. TGI Paris, 6 novembre 2014, Oracle Corporation, Oracle International Corporation et Oracle France c/Association Nationale pour la Formation Professionnelle des adultes et Sopra Group, n° 12/04940.

(35)

C’est dans ce contexte que l’AFPA a réalisé des utilisations non autorisées du logiciel P. Il était ici question de savoir si le logiciel P, utilisé sans autorisation, était inclus dans le périmètre du contrat et si son utilisation constituait un acte de contrefaçon. Le logiciel litigieux était inclus dans la suite logicielle mais le contrat de licence ne portait pas sur ce logiciel. En principe, le conflit se situait donc en dehors du contrat. Le Tribunal de grande instance a tout de même considéré que le logiciel était inclus dans le périmètre du contrat et que seule la responsabilité contractuelle du licencié pouvait être engagée.

Cette décision peut toutefois être justifiée par les pratiques mises en place par le titulaire du droit d’auteur. Celui-ci a favorisé l’utilisation du logiciel P par l’AFPA. En effet, Oracle avait intégré le logiciel P alors même que celui-ci n’avait pas été commandé par le licencié et que le besoin exprimé par celui- ci lors de sa commande ne nécessitait pas l’intégration du logiciel litigieux.

Cette décision est intéressante car il est question d’une dualité entre les responsabilités contractuelle et délictuelle mais surtout du fait de la définition que les juges donnent à la contrefaçon. Selon les juges de première instance, la contrefaçon ne peut être caractérisée car « il n’est à aucun moment soutenu que l’AFPA aurait utilisé un logiciel cracké ou implanté seule un logiciel non fourni par la société […], ni même que le nombre de licences ne correspondait pas au nombre d’utilisateurs ». Les juges dressent ainsi une liste limitative des actes de contrefaçon puisqu’ils limitent la contrefaçon au crack, à l’implantation seule du logiciel, et au dépassement du nombre d’utilisateurs par rapport au nombre de licences concédées. Ils ne nient pas vraiment l’éventualité d’un acte de contrefaçon dans le cadre de relations contractuelles car l’utilisation d’un nombre de licences supérieur au nombre d’utilisateurs peut intervenir alors que le titulaire du droit d’auteur est lié par contrat au licencié. Cependant,

(36)

ils limitent ce qui a été prévu par le législateur. Cette argumentation apparaît dans une certaine mesure simpliste car comme il l’a été précédemment exposé, les dispositions législatives prévoient que plusieurs types d’actions peuvent être constitutives d’actes de contrefaçon.

2. L’attrait des juges pour la responsabilité contractuelle

Lorsque les praticiens intentent une action en justice, ils fondent généralement leur action sur le fondement de la contrefaçon. Cependant les juridictions semblent majoritairement contre cette approche et rejettent souvent l’action en contrefaçon intentée par le titulaire du droit d’auteur sur son logiciel lorsqu’il constate des utilisations non autorisées par un licencié.

Les mises à l’écart de la contrefaçon ne sont toutefois pas justifiées par les mêmes motifs.

a. Rejet de la contrefaçon du fait d’un contrat

Les décisions rendues laissent paraître des interprétations divergentes de la notion de contrefaçon et des motifs parfois difficilement compréhensibles.

En tout état de cause, la présence d’un contrat conduit généralement les juges à s’arrêter à ce fait et à retenir la responsabilité contractuelle du licencié. Tel a été le raisonnement adopté par la CJUE pour infirmer l’arrêt rendu par le TUE dans l’affaire précédemment exposé impliquant la Commission européenne60. En première instance, le TUE avait réalisé un examen des contrats liant les parties pour établir qu’il était compétent pour traiter du litige. Or, sur

60. CJUE, 18 avril 2013, Systran et Systran Luxembourg c/Commission Européenne, C-103/11.

(37)

le fondement des articles 238 et 240 du Traité instituant la Communauté européenne, la CJUE retient l’incompétence du TUE et plus généralement des juridictions communautaires du fait des relations contractuelles qui liaient les parties. Elle énonce que le TUE n’aurait pas dû procéder à un examen des contrats liant les parties mais plutôt prononcer son incompétence du fait qu’un tel examen était nécessaire. Le TUE ne pouvait pas examiner le contenu comme « n’importe quel document » et n’était pas compétent pour traiter un tel litige. La CJUE ne s’est certes pas prononcée sur la question de savoir si les actions de la Commission européenne constituaient des manquements contractuels ou de la contrefaçon mais elle fait tout de même abstraction de la spécificité du régime institué pour la protection du droit d’auteur et ce du simple fait que des contrats liaient les parties.

Il peut également être fait de nouveau référence au contentieux ayant opposé Oracle à l’AFPA. Tant en première instance qu’en appel, la contrefaçon a été écartée. Toutefois, les motifs des juges sont différents. En première instance, la contrefaçon a été écartée parce qu’une redéfinition de la contrefaçon a été réalisée par les juges du fond mais également parce qu’il a été jugé que le logiciel litigieux était compris dans le contrat. En appel, c’est la désignation d’un nouveau titulaire du droit d’auteur qui a permis au juge d’écarter la contrefaçon. La Cour d’appel avait considéré que le titulaire du droit d’auteur aurait pu agir en contrefaçon si les manquements étaient reconnus car il n’était pas lié au licencié par un contrat tandis que sa filiale, demanderesse en première instance, n’était qu’un distributeur et n’aurait pu agir quant à elle que sur le terrain contractuel. La filiale n’était finalement pas titulaire du droit d’auteur sur le logiciel et était liée au licencié par un contrat.

(38)

La décision de la Cour d’appel ne permet pas de répondre à la question de notre étude. En effet, elle contourne la véritable question en plaçant le titulaire du droit d’auteur dans une situation où celui-ci n’est pas lié au licencié par un contrat. Le moyen d’action du titulaire du droit d’auteur ne peut être ici que l’action en contrefaçon et l’action en responsabilité contractuelle est logiquement écartée car il n’y a pas de contrat suite aux conclusions des juges.

Toutefois, l’argumentation de la Cour d’appel laisse entendre que si le titulaire du droit d’auteur était lié par un contrat au licencié, il n’aurait pu chercher que la responsabilité contractuelle du licencié.

Les dissidences entre les juges de première instance et d’appel, dans cette affaire, rappellent que les actions intentées portant sur des droits de propriété intellectuelle ne sont parfois pas analysées avec beaucoup de profondeur. À titre d’exemple, dans ce contentieux, le titulaire du droit d’auteur n’avait pas été clairement identifié en première instance.

b. Rejet de la contrefaçon du fait du contenu du contrat

L’analyse des différentes décisions ayant écarté la qualification de contrefaçon dans le cadre de relations contractuelles montre qu’une appréciation variante est effectuée par les juges. Certains, comme il l’a précédemment été démontré, s’arrêtent au simple fait qu’un contrat a été établi et qu’ainsi la contrefaçon doit être écartée au profit du manquement contractuel. Toutefois, d’autres juges réalisent une analyse plus poussée et écartent la contrefaçon du fait du contenu du contrat. Dans ce cas, la contrefaçon serait retenue quand le contrat ne mentionne pas du tout le droit

(39)

patrimonial qui a été violé par le licencié. Il semble ici pertinent de se référer à la décision du Tribunal de grande instance61 ayant provoqué la saisine de la Cour d’appel à l’origine de la question préjudicielle du 16 octobre 2018.

Dans cette affaire, le titulaire du droit d’auteur avait intenté une action en contrefaçon du fait des modifications sur le logiciel, réalisées par le licencié sans son autorisation. Une clause du contrat interdisait expressément au licencié de procéder à de telles modifications. C’est du fait de cette clause que le Tribunal de grande instance qualifie les actions du licencié de manquements contractuels et non d’actes de contrefaçon. Il énonce notamment qu’« il existe deux régimes distincts de responsabilité en la matière l’un délictuel en cas d’atteinte aux droits d’exploitation de l’auteur de logiciel tels que désignés par la loi, l’autre contractuel en cas d’atteinte à un droit de l’auteur réservé par contrat ». Par cette formulation, les juges du fond montrent une faille dans leur raisonnement car l’atteinte d’un droit d’auteur concédé par contrat constitue également une atteinte aux droits d’exploitation de l’auteur et ce bien qu’il y ait un contrat. En tout état de cause, les juges du fond retiennent que ce sont des manquements contractuels qui sont reprochés par le titulaire du droit d’auteur et que son action en contrefaçon doit être nécessairement écartée au profit d’une action en responsabilité contractuelle. C’est le contenu du contrat qui permet aux juges d’écarter la contrefaçon.

Il peut également être de nouveau fait référence au raisonnement réalisé par le TUE dans l’affaire impliquant la Commission européenne. Celui-ci avait retenu la qualification de contrefaçon mais avec des tempéraments. Il avait notamment indiqué que la contrefaçon aurait été écartée au profit du

61. TGI Paris, 3e chambre, 6 janvier 2017, IT Development SAS c/Free Mobile, n° 15/09391.

Références

Documents relatifs

Dans un contexte de remise en cause de l ’ ensemble du système européen qui rend les contestations à l’égard de la CJUE plus nom- breuses et peut-être plus

– Fonctionnaires et agents recrutés : les données personnelles traitées lors du recrutement servent de base à la constitution de leur dossier personnel, en vertu de l’article

Direction scientifique Jean-René BINET Antoine GOUËZELP. Professeurs à l’Université de Rennes

Si Ferguson G. dans Diglossia recense les situations dans lesquelles la variété H est utilisée et celle où la variété L est employée dans la so- ciété diglossique, Gumperz

L'article 5 § 1 c) concerne la garde à vue et la détention provisoire : quelle que soit sa forme, la privation de liberté doit être décidée en vue de conduire la personne arrêtée

En application de cet article, le Conseiller juridique pour les affaires administratives (ci-après le « Conseiller juridique ») est nommé agent, individuellement ou

« L’article 433terdecies du Code pénal viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6, § 1, de la Convention de

Le registre épique vise à impressionner le lecteur, à provoquer son admiration pour les exploits, parfois merveilleux, toujours extraordinaires, d’un héros individuel ou