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Droit, histoire, mémoire. Le négationnisme : exercice d’une liberté ou violation d’un droit ?

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Droit, histoire, mémoire. Le négationnisme : exercice d'une liberté ou violation d'un droit ?

GARIBIAN, Sévane

GARIBIAN, Sévane. Droit, histoire, mémoire. Le négationnisme : exercice d'une liberté ou violation d'un droit ? Revue arménienne des questions contemporaines, 2012, no. 15, p.

53-65

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:27929

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Droit, histoire, mémoire.

Le négationnisme : exercice d’une liberté ou violation d’un droit ?

Sévane GARIBIAN

Universités de Genève et de Neuchâtel

« Il faut mettre fin à leur existence (…) Que soient déportés tous les enfants en âge de se souvenir » Talaat Pacha1

Un important débat divisa fortement l’opinion française suite à la promulgation de la loi du 23 février 2005 qui ne retenait, dans son article 4, que le « rôle positif de la présence française outre-mer »2. Cet épisode eut un double mérite : d’une part, il mit en acte le profond malaise contemporain lié au passé colonial de la France3 ; d’autre part, il donna naissance à une réflexion sur les rapports entre le droit, l’histoire et la mémoire, à travers une dénonciation plus générale des « lois mémorielles » considérées, par les historiens, comme restreignant leur liberté.

Le 12 décembre 2005, en effet, dix-neuf historiens français rendent publique une déclaration contre les interventions politiques dans leur travail et publient une pétition, appelée « Liberté pour l’Histoire »4, visant non seulement l’abrogation de la loi du 23 février 2005 mais aussi, par la même occasion, celle de : la loi du 13 juillet 1990 réprimant la contestation du génocide du peuple Juif (loi Gayssot)5, la loi du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide arménien de 19156, et la loi du 21 mai 2001 reconnaissant la traite et l’esclavage

Ce texte est la version française, légèrement modifiée, de S. GARIBIAN, « Derecho, Historia, Memoria. El negacionismo: ¿ejercicio de una libertad o violación de un derecho? », Nueva Doctrina Penal, vol. 2009/B, 2011, pp. 523-537.

1 Principal organisateur du génocide des Arméniens. Extrait d’un télégramme datant du 29 septembre 1915.

2 Loi n° 2005-158 du 23 février 2005, Journal officiel, 24 février 2005. L’article 4 était intégralement rédigé comme suit : « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre- mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l’étranger est encouragée » (nous soulignons).

3 A ce propos, voir notamment le dossier intitulé « Relectures d’histoires coloniales » dans Cahiers d’Histoire.

Revue d’histoire critique, n° 99, 2006, ainsi que C. COQUIO dir., Retours du colonial ? Disculpation et réhabilitation de l’histoire coloniale, l’Atalante, Nantes, 2008. Sur les traces du refoulement et de l’ « occultation juridiquement sanctionnée » (O. LE COUR-GRANDMAISON, « Passé colonial, histoire et

‘guerre des mémoires’ », Multitudes, n° 26, 2006 [online]) des crimes coloniaux français dans le champ de la jurisprudence nationale, voir en particulier S. GARIBIAN, « Qu’importe le cri, pourvu qu’il y ait l’oubli. Retour sur la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux crimes français commis en Algérie et en Indochine », in C. COQUIO dir., Ibid., pp. 129-146.

4 La pétition est publiée le 13 décembre dans le journal Libération, et le 14 décembre dans Le Monde et Le Figaro.

5 Loi n° 90-615 du 13 juillet 1990, Journal officiel, 14 juillet 1990.

6 Loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001, Journal officiel, 30 janvier 2001.

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en tant que crime contre l’humanité (loi Taubira)7. Ils sont relayés, trois jours plus tard, par vingt-cinq intellectuels de gauche exprimant la même demande au nom de la « liberté de débattre »8.

Deux camps s’affrontent alors par medias interposés : d’un côté, les détracteurs des lois

« mémorielles »9, pointées du doigt comme empêchant les chercheurs de « travailler dans le respect d’une séparation de l’Etat et de la connaissance », puisque « dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique »10 ; de l’autre, les opposants à cette vague abrogative qui, à travers l’appel « Ne mélangeons pas tout » (diffusé le 20 décembre 2005), affirment quant à eux qu’il est « pernicieux de faire l’amalgame entre un article de loi éminemment discutable et trois autres lois de nature radicalement différente »11.

Après de nombreux rebondissements12, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 fait l’objet d’une abrogation par décret du 15 février 200613, apaisant ainsi quelque peu la polémique.

Mais alors que les tourments causés par cette loi de 2005 s’estompaient à peine, l’Assemblée nationale française adopte, le 12 octobre 2006, une proposition de loi visant à pénaliser la négation du génocide des Arméniens sur le modèle de la loi Gayssot de 1990 qui sanctionne pénalement le négationnisme à l’encontre de la Shoah – procédure législative qui restera à terme au point mort14. Au même moment, l’Allemagne lance un programme de lutte contre le négationnisme au sein de l’Union européenne, en projetant la mise en place de nouveaux instruments juridiques en la matière.

Les réactions en France ne se font pas attendre : le débat est relancé15. Si l’expression

« lois mémorielles » désigne des textes juridiques faisant tous, sans conteste, référence à un

7 Loi n° 2001-434 du 21 mai 2001, Journal officiel, 23 mai 2001.

8 Cf. Le Monde du 15 décembre 2005.

9 Expression notamment utilisée par Françoise Chandernagor (également signataire de la pétition du 12 décembre) dans un texte paru au journal Le Monde du 17 décembre 2005, et systématiquement reprise par les opposants aux quatre lois précitées.

10 Extraits de la pétition « Liberté pour l’Histoire ».

11 Cet appel, publié par le journal 20 minutes en réaction à la pétition du 12 décembre, est signé par 32 personnalités (écrivains, juristes et historiens). Dans le même sens, en doctrine, voir : S. GARIBIAN, « Pour une lecture juridique des quatre lois ‘mémorielles’ », Esprit, février 2006, pp. 158-173.

12 Sur le débat doctrinal engendré par la loi du 23 février 2005, cf. par exemple : C. LIAUZU et G.

MANCERON dir., La colonisation, la loi et l’histoire, Syllepse, Paris, 2006 ; P. FRAISSEIX, « Le droit mémoriel », Revue française de droit constitutionnel, n° 67, 2006, en particulier pp. 504 ss ; E. CARTIER,

« Histoire et droit : rivalité ou complémentarité ? », Revue française de droit constitutionnel, n° 67, 2006, en particulier pp. 530 ss ; S. GARIBIAN, Ibid.

13 Décret n° 2006-160 du 15 février 2006. L’article 4 alinéa 2 de la loi de 2005 avait préalablement été

« délégalisé » par décision du Conseil constitutionnel (décision n° 2006-203 du 31 janvier 2006).

14 Le texte de cette proposition de loi ne sera en définitive jamais soumis au vote du Sénat, mais remplacé par une nouvelle proposition de loi votée à une large majorité devant l’Assemblée nationale le 22 décembre 2011, adoptée à son tour par le Sénat le 23 janvier 2012, puis censurée par le Conseil constitutionnel le 28 février de la même année : voir à ce sujet, et pour une actualisation complète, notre texte complémentaire dans cette même Revue, ainsi que notre contribution au numéro spécial de Droit et Cultures consacré au thème « Espaces des politiques mémorielles. Enjeux de mémoire », coordonné par Geneviève Koubi et Jacqueline Lahmani (à paraître courant 2013).

15 Voir en particulier, sur la pénalisation de la négation du génocide des Arméniens, les critiques de : F. TERRE,

« Négation du génocide arménien : une loi au mépris du droit », Le Figaro, 13 octobre 2006 ; M. WIEVIORKA,

« Les députés contre l’histoire », Le Monde, 17 octobre 2006 ; J.-P. FELDMAN, « Il faut abolir la loi Gayssot ! », Le Monde, 18 octobre 2006 ; J. DE HEMPTINNE, « Génocide: l’engrenage », Libération, 25 octobre 2006. Ainsi que, pour une opinion divergente : A. POLICAR, « Histoire: trois bonnes lois et une mauvaise », Le Monde, 18 octobre 2006 ; B.-H. LEVY, « Arménie : loi contre génocide », Le Monde, 2 février

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fait de l’Histoire, reste qu’il s’agit en l’occurrence de textes dotés de fonctions distinctes. De toutes les lois en cause, à ce jour seule la loi Gayssot de 1990 contient une norme pénale, applicable par les juges : elle est la seule à poser un interdit, par ailleurs exclusif (la contestation du génocide des Juifs)16, en modifiant la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 par l’insertion d’un article 24 bis17. C’est précisément la fonction répressive de la loi Gayssot qui offre un intérêt d’autant plus aigu à l’étude de sa compatibilité (et de celle de potentiels textes de loi identiques) avec les exigences démocratiques d’un Etat de droit, en écho aux critiques de nombreux historiens.

Les critiques reposent sur un double constat : d’une part, une loi pénalisant le négationnisme établirait une vérité officielle par le Parlement ; d’autre part, elle permettrait l’immixtion des juges dans le travail des historiens. Dans les deux cas, il s’agirait d’une confusion des rôles législateur-historien et juge-historien bien évidemment tendancieuse dans une démocratie. Or un tel constat nous parait fondé sur un malentendu. Nous nous attacherons donc ici à proposer la thèse suivante : d’un point de vue strictement juridique, la prise en compte du négationnisme par le droit pénal, comme le fait par exemple la loi Gayssot de 1990, n’est pas nécessairement liberticide et peut être défendable dans un Etat de droit. Cela suppose un éclaircissement sur les rôles respectifs du législateur et du juge en la matière, ainsi que sur la signification même, du point de vue du droit, de la négation de crimes contre l’humanité avérés.

Le « législateur-historien », ou l’établissement d’une vérité officielle ?

Une loi réprimant le négationnisme introduit-elle une vérité officielle par qualification législative de l’Histoire ? Il s’agit avant tout de préciser ce que l’on entend par

« qualification » de l’Histoire, c'est-à-dire s’il est question ici de qualification au sens juridique ou au sens commun. On ne peut pas dire qu’il s’agisse de qualification juridique à proprement parler. Cette opération consiste à subsumer un fait sous une catégorie juridique, au sein d’une décision, autrement dit c’est ce que fait le juge quand il décide, par exemple, que tel écrit est constitutif du délit puni par la loi Gayssot. En revanche, la qualification peut être comprise, au sens commun, comme le simple fait d’employer un mot pour désigner une chose, ce qui est effectivement réalisé par le texte de la loi de 1990. La question est donc de savoir, d’une, s’il est possible (d’un point de vue juridique) et, de deux, s’il est souhaitable (d’un point de vue politique) que le Parlement emploie un mot pour désigner un évènement historique.

Le premier point ne pose guère de difficultés. La Constitution française de 1958, même étendue au Préambule de 1946 et à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (qui constituent le bloc de constitutionnalité), est muette à ce sujet. L’existence même de la loi Gayssot, tout comme celle des autres lois dénoncées par les historiens à propos

2007 ; S. GARIBIAN, « Du négationnisme considéré comme atteinte à l’ordre public », Le Monde, 13 mai 2006 et « La négation, objet légitime du droit », Libération, 3 novembre 2006.

16 La loi Gayssot ne prévoit en effet que la condamnation pénale de propos négationnistes visant les crimes nazis, à l’exclusion de tout autre crime contre l’humanité ou génocide. Pour une critique de cette exclusivité, voir S.

GARIBIAN, « La loi Gayssot ou le droit désaccordé », in C. COQUIO dir., L’Histoire trouée : négation et témoignage, L’Atalante, Nantes, 2003, pp. 231 ss.

17 Article 24 bis : « Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’art. 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’art. 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’art. 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’art. 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ».

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desquelles le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi, laisse entendre que les parlementaires se sont reconnus une telle compétence. Ce qui, du reste, n’a rien de surprenant lorsque l’on se souvient que le Parlement a eu plusieurs fois l’occasion de qualifier l’Histoire par ailleurs, comme par exemple au sujet de la « guerre d’Algérie »18 ou des « Justes de France »19. De surcroît, il serait possible d’estimer qu’un acte visant à reconnaître des faits historiques de cette dimension relève de la mise en œuvre de règles et principes à valeur constitutionnelle, dont la compétence revient au législateur. On pourrait considérer, par exemple, que le Parlement condamne ainsi les valeurs des « régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine »20, en déterminant concrètement le principe de « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation »21.

Quant au second point, il est permis de juger que, même juridiquement possible, une telle qualification serait contraire aux valeurs démocratiques : en employant un mot pour désigner un fait historique, le Parlement trancherait ainsi un débat d’historiens. Le grief est d’importance et on pressent aisément qu’un Etat où la vérité historique est établie par le Parlement ne puisse se prévaloir d’un caractère démocratique. Or en adoptant la loi de 1990, le Parlement ne fait que constater, ou plutôt assumer, des faits préalablement établis et attestés : « le législateur ne s’est pas immiscé sur le territoire de l’historien, il s’y est adossé »22. Il n’écrit pas, ne dicte pas, n’interprète pas l’Histoire. Le texte de la loi Gayssot, contrairement à celui de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui parle du « rôle positif » de la France coloniale, n’a pas pour objet d’interpréter tel fait de l’Histoire23, mais il est de dire que celui- ci est reconnu avoir existé dans le but de lutter, précisément, contre l’idéologie de la négation24. Reste la question de l’éventuelle qualification de l’Histoire par les juges, à travers l’interdit pénal spécifique posé par la loi Gayssot.

Le « juge-historien », ou l’entrave faite à la liberté d’expression?

Selon les signataires de la pétition « Liberté pour l’Histoire », « l’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous ». Ce à quoi les défenseurs de l’appel « Ne mélangeons pas tout » répondent : « L’historien serait-il le seul citoyen à être au dessus de la loi ? Jouirait-il d’un titre qui l’autorise à transgresser avec désinvolture les règles communes de notre société ? ». Plus de quinze ans après l’adoption de la loi Gayssot, on retrouve ici un débat qui opposa, dès les travaux préparatoires de ce texte, parlementaires, auteurs de doctrine et/ou praticiens du droit et historiens. La loi Gayssot, à travers l’interdit

18 Par l’adoption de la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999 relative « à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc », Journal officiel, 20 octobre 1999.

19 Par l’adoption de la loi n° 2000-644 du 10 juillet 2000 instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et d’hommage aux « Justes » de France, Journal officiel, 11 juillet 2000.

20 Cf. alinéa 1er du Préambule de la Constitution du 16 avril 1946, faisant partie du bloc de constitutionnalité.

21 Le principe de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine est consacré comme principe constitutionnel, par le Conseil constitutionnel, dans ses décisions n° 94-343-344 DC du 27 juillet 1994, Journal officiel, 29 juillet 1994. Cette approche sera notamment confirmée dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 (Journal officiel, 24 janvier 1999) relative au Traité portant Statut de la Cour pénale internationale.

22 Extrait de « Ne mélangeons pas tout », appel du 20 décembre 2005 (cf. supra, note 11).

23 Comme le soulignent notamment l’avocat de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme, Alain Jakubowicz (entretien dans Libération du 21 décembre 2005), ou l’historien Tal Bruttman (entretien dans Le Dauphiné du 23 décembre 2005).

24 On trouve cet argument dans les diverses prises de position des chefs des partis de gauche, favorables à la loi Gayssot, mais aussi à la loi reconnaissant le génocide arménien et à la loi Taubira de 2001 : voir par exemple I.

MANDRAUD et S. ZAPPI, « Les partis de gauche défendent le devoir de mémoire », Le Monde, 16 décembre 2005.

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qu’elle pose, serait-elle contraire aux libertés essentielles dans une société démocratique que sont notamment la liberté d’expression, la liberté de presse ou encore le principe de la libre recherche scientifique ? D’un point de vue juridique, la dangerosité de la loi ne nous semble pas réelle, pour plusieurs raisons.

Premièrement, il est important de noter, comme le font à juste titre les personnalités ayant rédigé l’appel du 20 décembre 2005, que les textes posant les libertés fondamentales admettent aussi qu’aucune liberté n’est absolue ou sans limite. La seule contrainte en la matière est la suivante : les limites aux libertés doivent être établies par la loi et être nécessaires dans une démocratie. Les articles 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC) et 10 alinéa 2 de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 (CEDH) énoncent clairement l’idée selon laquelle les libertés trouvent leurs limites dans ce qui peut les mettre en danger elles-mêmes. Plus spécifiquement, l’article 10 de la DDHC garantit en France la liberté des opinions « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », et l’article 11 précise que « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ; sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi ». C’est ainsi qu’il existe en droit français de nombreuses infractions limitant la liberté d’expression sans que cela ne choque personne, comme par exemple la diffamation, l’injure, l’outrage au chef de l’Etat, la publication de fausses nouvelles ou l’outrage aux bonnes mœurs : « la loi qui réprime la négation des crimes nazis n’est donc qu’une limitation parmi d’autres de la liberté d’expression »25 et l’historien, s’il a la liberté de revisiter – au sens de questionner, remettre en cause, douter – , a aussi une responsabilité.

Deuxièmement, rappelons que la loi Gayssot est jugée conforme : d’une part aux principes constitutionnels de liberté d’expression et d’opinion, par la Cour de cassation dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité26 ; d’autre part, à l’article 10 alinéa 1 de la CEDH qui garantit au niveau européen le principe de la liberté d’expression et d’opinion, tant par les juges français27, que par la Commission européenne des droits de l’homme28. Ce texte de loi est considéré comme entrant dans les exceptions prévues à l’alinéa 2 de l’article 10 de la CEDH et, dès lors, ne peut être contraire au premier alinéa de ce même article. Sans compter que les juges de la Cour européenne des droits de l’homme appréhendent le négationnisme comme étant un « abus de droit » au sens de l’article 17 de la CEDH, selon lequel nul ne peut utiliser les droits garantis par la Convention de 1950 de manière à en détruire le sens29. Aussi la liberté d’expression ne peut-elle être utilisée comme justification de propos négationnistes ;

25 M. TROPER, « La loi Gayssot et la Constitution », Annales HSS, n° 6, 1999, pp. 1243-1244.

26 Arrêt n° 12008 du 7 mai 2010 de la Cour de cassation, refusant ainsi de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

27 Sur cette jurisprudence : R. DE GOUTTES, « A propos du conflit entre le droit à la liberté d’expression et le droit à la protection contre le racisme », in Mélanges Pettiti, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 251-265 ; La lutte contre le négationnisme. Bilan et perspectives de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, La Documentation française, Paris, 2003 ; S. GARIBIAN, « La loi Gayssot ou le droit désaccordé », Op. cit., p. 228.

28 Sur cette jurisprudence : G. COHEN-JONATHAN, « Négationnisme et droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 1997, pp. 571-597 ; P. WACHSMANN, « La jurisprudence récente de la Commission européenne des droits de l’homme en matière de négationnisme », in J.-F. FLAUSS et M. DE SALVIA éd., La Convention européenne des droits de l’homme : Développements récents et nouveaux défis, Nemesis / Bruylant, Bruxelles, 1997, pp. 101 ss et « Liberté d’expression et négationnisme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2001, pp. 592 ss.

29 Garaudy v. France, 24 juin 2003. Voir les commentaires M. LEVINET, « La fermeté bienvenue de la Cour européenne des droits de l’homme face au négationnisme. Obs. s/ la décision du 24 juin 2003, Garaudy c.

France », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2004, pp. 653-662, et D. ROETS, « Epilogue européen dans l’affaire Garaudy : les droits de l’homme à l’épreuve du négationnisme », Dalloz, 2004, pp. 240-244.

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autrement dit, et pour reprendre une image utilisée par Deborah Lipstadt, de « bouclier » elle ne saurait devenir « épée »30.

Ces deux premiers points illustrent une conception – européenne en générale, française en particulier – de la liberté d’expression héritée du célèbre slogan révolutionnaire de 1793 « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Cette conception trouve en outre un écho dans la réponse de Karl Popper au « paradox of tolerance » bien connu selon lequel la tolérance illimitée mène à la disparition de la tolérance, lorsqu’il revendique, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer l’intolérant31.

Troisièmement, contrairement à ce qu’affirment ses adversaires, il est difficile de considérer la loi Gayssot comme instaurant un délit d’opinion. Ce n’est pas l’opinion négationniste en soi qui est punie, mais la diffusion de cette opinion en tant qu’acte de mauvaise foi susceptible de produire des effets indésirables dans une démocratie32. Que l’expression publique d’une opinion jugée dangereuse, couplée d’une intention de nuire, soit l’objet d’une incrimination en France, est un état de fait d’autant moins surprenant qu’une conception absolutiste de la liberté d’opinion et d’expression est dans ce cas insoutenable, même dans un pays tel que les Etats-Unis – pourtant doté du 1er amendement que l’on connaît33.

Enfin et surtout, quant à la supposée mise en péril par la loi de 1990 du principe de la libre recherche scientifique, du fait de l’immixtion des juges dans le débat des historiens, il s’agit là encore d’un profond malentendu. Ceux-ci, en appliquant la loi Gayssot, n’interviennent pas sur la qualification de tel ou tel événement. Ce qui importe au juge, ce n’est pas la question de savoir si ce que dit l’historien est vrai, mais celle de savoir si son travail et ses allégations révèlent une intention de nuire, ou répondent au devoir d’objectivité et aux règles de la bonne foi34. En d’autres termes, le rôle du juge dans les affaires ayant trait à une contestation de crimes contre l’humanité, est identique à celui du juge confronté à l’Histoire dans le cadre d’un procès en diffamation : si l’Histoire est certes une remise en cause permanente des événements,

30 D. LIPSTADT, Denying the Holocaust : The Growing Assault on Truth and Memory, Free Press, New York, 1993, p. 26.

31 K. POPPER, The Open Society and Its Enemies, Routledge, London, New York, 2002 (1945), p. 668. Pour une étude détaillée du « paradox of tolerance », cf. M. ROSENFELD, « Extremist Speech and the Paradox of Tolerance », Harvard Law Review, 1987, pp. 1457 ss.

32 M. TROPER, Op. cit., p. 1253.

33 Patrick Wachsmann, dans son analyse des standards américains en la matière, rappelle les propos du célèbre juge Holmes : « La plus rigoureuse protection de la liberté d’expression ne protègerait pas l’individu qui crierait sciemment à tort ‘Au feu’ dans un théâtre et provoquerait une panique (…). La question, dans chaque cas, est de savoir si les mots utilisés le sont dans un tel contexte et avec un tel sens qu’ils créent ce danger manifeste et pressant de nature à engendrer les maux que le Congrès est en droit de prévenir. C’est une question d’urgence et de degré » (P. WACHSMANN, « Liberté d’expression et négationnisme », Op. cit., pp. 588 ss). A ce sujet, nous renvoyons à M. ROSENFELD, « La philosophie de la liberté d’expression en Amérique. La liberté d’expression en théorie et en pratique », in L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Economica, Paris, 2006, pp. 883-895.

34 Une telle intervention du juge pourrait s’expliquer par l’absence de code « écrit » de déontologie et/ou d’organe veillant au respect des « règles de l’art » minimales du métier d’historien (règles constituant un ensemble de coutumes et principes enseignés en cours d’étude) – contrairement à de nombreuses autres professions impliquant un travail d’interprétation. Le juriste Denis Salas parle par exemple de la nécessité de maintenir un « horizon de responsabilité à la liberté de l’historien », comme c’est déjà le cas pour le journaliste, médecin ou juge dans l’exercice de devoirs susceptibles de causer des préjudices moraux (D. SALAS, « Le droit peut-il contribuer au travail de mémoire ? », in La lutte contre le négationnisme. Bilan et perspectives de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, La Documentation française, Paris, 2003, p. 42).

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elle ne permet pas pour autant à l’historien de passer ipso facto du jugement de valeur au jugement de réalité. La liberté du scientifique ne rime pas avec son irresponsabilité, et ce que condamne le juge, le cas échant, ce n’est pas d’avoir pensé différemment, c’est de profiter de la légitimité conférée par le débat scientifique et le statut d’historien, pour soutenir une idéologie négationniste. On notera l’importance de la preuve (difficile) de la mauvaise foi dans ce type d’affaires, à charge de l’accusation : élément clé et décisif, qui distingue d’ailleurs le délit de négationnisme de tous les autres délits limitant la liberté d’expression (pour lesquels la mauvaise foi est présumée), il restreint considérablement le champ de l’interdit et préserve d’autant la liberté académique, tout en évitant aux juges de se prononcer sur les faits historiques à proprement parler35. C’est donc l’analyse de la méthode employée par le chercheur, et de son intention, qui permet de distinguer la contestation idéologique et nuisible, du doute ou de la remise en question légitimes et propres à toute recherche scientifique36.

Cela n’a en France rien de nouveau. Au XIXe siècle déjà, dans une affaire concernant Alexandre Dumas, la Cour d’appel de Paris, tout en affirmant que « l’histoire n’est pas tenue, lorsqu’elle rencontre un point obscur ou diversement raconté par les relations du temps, de rapporter les différentes versions auxquelles il a donné lieu » et que « ce n’est pas devant les tribunaux qu’elle peut trouver ses juges », pose pourtant une condition essentielle à l’exercice de cette liberté d’appréciation : la bonne foi et l’exactitude de l’historien lequel, s’il choisit parmi plusieurs versions de faits historiques celle qui lui parait la plus sûre, doit le faire avec impartialité37. De même, les juges civils de la Cour de cassation indiquent, dans un arrêt de 1951, que les omissions de l’historien sont sources de responsabilités si ce dernier s’écarte du modèle de « l’historien prudent, avisé et conscient des devoirs d’objectivité »38. Et ce qui vaut pour le silence, vaut à plus forte raison pour la négation ou la contestation39. Comme pour la révision d’une vérité dite judiciaire dans le cadre d’un procès pénal, la discussion d’une vérité historique généralement admise n’est possible qu’à la condition d’apporter, objectivement et de bonne foi, des éléments nouveaux permettant de la remettre en cause.

Pour terminer, l’argument selon lequel il n’appartient pas aux tribunaux d’établir la vérité historique n’est, en réalité, pas un argument en défaveur de la loi Gayssot mais bien au

35 Plus généralement, sur l’importance de l’intentional harm dans les cas de restrictions de la liberté d’expression, un parallèle intéressant peut être fait avec les mots de Dworkin relativement à la question des

« speech codes » adoptés dans certaines Universités américaines : « Intentional harm is generally graver than non intentional harm; as Oliver Wendell Holmes once said, even a dog knows the difference between being kicked and being stumbled over. But the distinction is important now (…) because though intentional insult is not covered by academic freedom, negligent insult must be » (R. DWORKIN, Freedom’s Law : The Moral Reading of the American Constitution, Oxford University Press, New York, 1996, p. 255).

36 Ce qui est en jeu ici, c’est une confusion critique entre la connaissance historique et le « discours messianique » ou la « passion idéologique » (D. SALAS, Op. cit., pp. 41-42). Sur le « relativisme académique » et le doute : H.

C. THERIAULT, « Denial and Free Speech : The Case of the Armenian Genocide », in R. G. HOVANNISIAN ed., Looking Backward, Moving Forward : Confronting the Armenian Genocide, Transaction Publishers, New Brunswick, London, 2003, pp. 236 ss. Cf. aussi M. NICHANIAN, La perversion historiographique. Une réflexion arménienne, Lignes, Paris, 2006, pp. 105 ss (sur la controverse Carlo Ginzburg / Hayden White autour du concept de « vérité historique »).

37 Cour d’appel de Paris, 26 avril 1865, Dalloz, 1865.2.289.

38 Arrêt Branly du 27 février 1951, Dalloz, 1951.329.

39 J. FRANCILLON, « Aspects juridiques des crimes contre l’humanité », in L’actualité du génocide des Arméniens, Edipol, Créteil, 1999, p. 403. Rappelons la condamnation (au civil) de l’historien Bernard Lewis accusé de contestation du génocide des Arméniens, par le Tribunal de grande instance de Paris le 21 juin 1995, pour manquement « à ses devoirs d’objectivité et de prudence » (Les petites affiches, 29 septembre 1995, n° 117, p. 17). De même, sur le fondement de la loi Gayssot, les juges de la Cour d’appel de Paris se placent sur le terrain méthodologique et distinguent, dans l’affaire Garaudy, le « travail d’histoire » de la « polémique politique » (Cour d’appel de Paris, 16 décembre 1998, Légipresse, n° 159, III, 1999, pp. 30 ss).

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contraire une justification supplémentaire à cette loi. Le théoricien du droit Michel Troper explique que c’est l’existence même d’une telle loi qui permet de cadrer le rôle des juges et d’éviter que ceux-ci, lors des procès faits aux négationnistes, examinent la véracité des thèses alléguées40.

Il est en définitive possible de considérer le problème de la compatibilité de la loi Gayssot avec les libertés fondamentales garanties dans un Etat de droit comme un faux problème. La répression pénale du négationnisme, dans les termes d’un texte tel que la loi de 1990, ne porte en soi aucune interprétation législative de l’Histoire, ne permet pas aux juges d’écrire l’Histoire, et n’empêche pas les historiens de faire leur travail. Surtout, l’élément le plus déterminant afin de comprendre la raison d’être d’une réponse juridique à ce phénomène reste le caractère potentiellement dangereux pour l’ordre public, ou nocif dans une démocratie, des propos réprimés par la loi41. Ce danger provient de discours mensongers en tant qu’expression d’une propagande antisémite (qui fonde, le plus souvent, le discours des négateurs de la Shoah), raciste ou haineuse (dans les autres cas de négationnisme)42. Mais il peut, de surcroit, être intéressant d’envisager une autre lecture possible du critère de dangerosité de la négation comme atteinte à la sauvegarde de la dignité humaine indépendamment – ou en complément – du mobile strictement raciste, haineux ou antisémite.

Le négationnisme comme atteinte à la dignité humaine

Certes, l’argument de la dignité humaine est sans doute vague : toutes les conduites susceptibles d’être interprétées comme portant atteinte à la dignité ne sont pas délictueuses.

En dépit de ce défaut intrinsèque au concept de dignité, plusieurs arguments peuvent néanmoins être invoqués en faveur d’une telle hypothèse.

Tout d’abord, si la dignité de la personne humaine est bafouée par l’exécution de crimes contre l’humanité et de génocides, quels qu’ils soient, elle l’est aussi par la contestation de ces mêmes crimes – le négateur fait au témoin ce que le bourreau fait à la victime43. Nombreux sont les auteurs, toutes disciplines confondues, qui s’accordent sur ce point.

« Consubstantielle »44 aux crimes dont il s’agit, leur négation n’est pas un acte « à part », elle est « part of it »45 : « assassinat de la mémoire »46, « attentat à la vérité »47, destruction de la preuve et du témoignage intrinsèquement liée à la criminalité d’Etat48, elle est généralement considérée comme l’étape ultime de tout processus génocidaire. Elle

40 M. TROPER, Op. cit., p. 1251.

41 Cf. aussi M. TROPER, Ibid., p. 1248.

42 En France, la portée haineuse du négationnisme dont font l’objet Arméniens et Rwandais, en particulier, ne fait par exemple aucun doute lorsque l’on garde à l’esprit « la dialectique bourreau-victime », spécifique à ces deux phénomènes de négation : accuser la victime d’être le bourreau. Cette dialectique a une portée particulièrement importante dans le cas d’un génocide comme celui des Arméniens, historiquement avéré mais objet d’un négationnisme d’Etat.

43 F. WORMS, « La négation comme violation du témoignage », in C. COQUIO dir., L’Histoire trouée…, Op.

cit., p. 96. Voir également les très belles lignes de N. MICHEL, « De l’affirmationnisme », in N. MICHEL dir., Paroles à la bouche du présent. Le négationnisme : histoire ou politique ?, Al Dante, Marseille, 1997, et de M.

NICHANIAN, Op. cit., pp. 201 ss.

44 D. SALAS, Op. cit., pp. 38 ss, ou encore B.-H. LEVY, Op. cit.

45 I. W. CHARNY, « A Contribution to the Psychology of Denial of Genocide », Journal of Armenian Studies, 1992, p. 299.

46 P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, La Découverte, Paris, 2005 (1981).

47 D. LIPSTADT, Op. cit.

48 H. C. THERIAULT, Op. cit., p. 242.

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perpétue le crime49, en maintenant les survivants et leurs descendants dans la honte50, sans réel accès au deuil51. Elle les noie, elle les broie, dans un rien, dans un non-événement, un inexistant – « ça » n’a pas existé.

Du point de vue juridique, le bien fondé d’une prise en charge par le droit se trouve dans la détermination de la valeur ou de l’intérêt protégés en l’espèce : ni la mémoire, ni la vérité, ni l’Histoire – qui ne font en France l’objet d’aucun droit subjectif – mais la sauvegarde de la dignité humaine, reconnue par le Conseil constitutionnel français comme étant un principe à valeur constitutionnelle52, et appréhendé par le Conseil d’Etat comme une « composante de l’ordre public »53. Le principe du respect de la dignité apparaît aussi régulièrement, depuis 2000, comme une limite à la liberté d’expression en matière de presse, érigée en tant que telle par la Cour de cassation (la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire)54 – sans compter l’usage très large qui en est fait par les juridictions ordinaires55.

Enfin, il est important de souligner que le principe du respect ou de la sauvegarde de la dignité humaine a une portée à la fois individuelle et collective. « Principe matriciel par excellence »56, la dignité engendre une multitude de droits essentiels, dits fondamentaux, et est de ce fait à l’origine des droits qui sont reconnus à tout homme : elle est le socle du « droit des droits de l’homme »57. Droit de l’individu, certes, la dignité est avant tout un droit propre à la personne en tant que membre de la communauté humaine. Seul droit absolument indérogeable58, il a, au-delà de sa valeur constitutionnelle en France, une valeur juridique au niveau régional59, européen60, international61 et universel62 : « si la liberté est l’essence des droits de l’homme, la dignité est l’essence de l’humanité »63. Précisément, la portée collective

49 La littérature sur ce point est très riche. Voir par exemple H. PIRALIAN, Génocide et transmission, L’Harmattan, Paris, 1994, pp. 89 ss ; C. COQUIO, « Génocide : une vérité sans autorité. La négation, la preuve et le témoignage », Revue de l’ARAPS (Association Rencontres Anthropologie Psychanalyse), 1999, pp. 163 ss ; Y.

TERNON, Du négationnisme. Mémoire et tabou, Desclée de Brouwer, Paris, 1999, pp. 14 ss ; F. WORMS, Op.

cit., pp. 95 ss. Pour une approche novatrice du négationnisme comme apologie du crime : N. MICHEL, Op. cit., pp. 13-22.

50 Voir en particulier M. NICHANIAN, Op. cit., pp. 201 ss.

51 Cf. J. ALTOUNIAN, La survivance. Traduire le trauma collectif, Dunod, Paris, 2000.

52 Supra, note 21.

53 Cne de Morsang-sur-Orge and Ville d’Aix-en-Provence, décisions du Conseil d’Etat du 27 octobre 1995.

54 En matière civile : 1e Civ. 20 décembre 2000 : Bull. civ. n° 341 ; 1e Civ. 20 février 2001 : Bull. civ., n° 42 et 43 ; 1e Civ. 13 novembre 2003 : Bull. crim. n° 231 ; 2e Civ. 4 novembre 2004 : Juris-Data, n° 2004-025441. En matière pénale : Crim. 7 décembre 2004 : Bull. crim., n° 310, arrêt d’autant plus intéressant qu’il s’agit d’une affaire d’apologie de crime de guerre (affaire Aussaresses).

55 Pour une étude détaillée de la jurisprudence française relative au principe du respect de la dignité humaine : S.

CURSOUX-BRUYERE, « Le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine », Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 2005, pp. 1377-1423 et 2317-2355.

56 B. MATHIEU, « La dignité de la personne humaine : quel droit ? quel titulaire ? », Dalloz, 1996, p. 285.

57 B. MATHIEU, Idem.

58 Mireille Delmas-Marty rappelle, en effet, que le respect de la dignité humaine est le seul droit absolument indérogeable, placé au sommet de la hiérarchie des droits de l’homme (M. DELMAS-MARTY, « Le crime contre l’humanité, les droits de l’Homme, et l’irréductible humain », Revue de sciences criminelles et de droit pénal comparé, 1994, p. 486).

59 Convention interaméricaine des droits de l’homme (1969) ; Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981).

60 Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (1950) ; Déclaration des libertés et des droits fondamentaux (1989) ; Convention européenne dite « bioéthique » sur les droits de l’homme et la biomédecine (1997).

61 Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) ; Convention sur les droits de l’enfant (1989).

62 Déclaration universelle des droits de l’homme (1948).

63 B. EDELMAN, « La dignité de la personne humaine, un concept nouveau », Dalloz, 1997, p. 186.

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de la dignité humaine est d’autant plus évidente et essentielle en matière de crime contre l’humanité et/ou de leur négation. Le concept même de crime contre l’humanité (et a fortiori de négation de crime contre l’humanité) comprend en son sein cette idée-force.

Ainsi, contrairement à ce que laisseraient penser certaines critiques, ce n’est pas tant l’adoption de textes de loi visant à pénaliser le négationnisme qui est difficilement conciliable avec les exigences d’une société démocratique. C’est au contraire la négation en tant que telle.

La négation comme abus de droit, comme atteinte à l’ordre public et, plus fondamentalement encore, au droit au respect de la dignité humaine dans sa portée collective ; c'est-à-dire un droit qui exprime la solidarité entre les humains et fonde le principe même de leur égalité. Un droit qui mérite protection.

Et si l’on accepte le postulat selon lequel « the distortion of history for political ends has significant implications for both the practice of democracy and the protection of human rights » et « each historical misrepresentation of efforts to exterminate a particular ethnic group increases the likelihood that such efforts will be undertaken again in another time and place »64, alors cela vaudrait aussi la peine d’appréhender la saisie du négationnisme par le droit comme un moyen de prévention, parmi d’autres – reliant ainsi le passé à un futur qui ne soit pas répétition.

64 R. W. SMITH, « The Significance of the Armenian Genocide after Ninety Years », Genocide Studies and Prevention, vol. 1, n° 2, 2006, i-iv. Voir également, par exemple, H. C. THERIAULT, Op. cit., p. 251, où l’auteur renverse l’argument classique du « slippery slope », habituellement utilisé par les opposants à la pénalisation du négationnisme (qui voient en cela une censure, et en la censure le premier pas vers la tyrannie) :

« permitting genocide denial despite the damage it does not only reinforces deniers in their destructive activities but also opens an ethical loophole that will potentially allow a range of harms, including violence, in various circumstances. At the extreme, successful genocide denial begets genocide ».

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