2322 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er décembre 2010
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Trêves de couples !
Ils se regardent en chiens de faïence ; lui, dans la quarantaine, arrogant et mortifié, tra- vaille dans une entreprise dont il a la respon- sabilité. Elle, archiviste, abattue et acérée, ne tarit pas dans ses blâmes justifiés et irri- tants. Ils sont venus à la suite de la décou- verte d’une liaison extraconjugale du mari.
Le traumatisme pour elle a été profondément déstructurant. Elle lui en veut ; il souhaiterait qu’elle tourne enfin la page ; de toute façon l’incartade est finie, dit-il. Il semble pourtant requérir de la part de sa femme aide et com- préhension pour sa souffrance. Elle ne sup- porte pas son air, faux, de chien battu. Insup- portables, ces maris «fautifs» qui se posent en victimes.
Ils ont un garçon d’une dizaine d’années, qui demeure bien absent de leur discours, tant ils sont occupés par les disputes qui les carte blanche
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er décembre 2010 2323 opposent et qu’ils ne cessent obstinément
d’ali menter.
De prime abord j’éprouve une forme de re- jet. J’ai écouté trop de fois des histoires ana- logues : c’est l’impuissance assurée. Mais de l’autre côté je me sens saisi par leur déses- poir et connais les ravages – notamment sur les enfants – d’un tel climat.
Nous sommes bien au cœur du problème de la fiabilité des relations. Les entorses aux règles de la confiance alimentent un sentiment d’injustice, d’où des désirs de vengeance ou d’autodestruction.
La culpabilité et la haine sont devenues leur pain quotidien. La négligence de l’enfant en est la conséquence naturelle et injuste. Ils sont venus me voir, et je leur ai dit que je vou- lais bien essayer d’aborder les conflits avec eux.
J’ai profité ces dernières années des re- cherches originales d’Olivier Real del Sarte dont l’ouvrage récent1 résume de manière ac- cessible et documentée le thème ancien de la conflictualité dans le couple. Il a été écrit pour les psychothérapeutes, mais il pourrait éclairer aussi les médecins. Que nous dit-il de nouveau ?
1. que, dans la guerre, il convient d’opérer des trêves,
2. que, pour les introduire, nous possédons, comme les animaux, des stratégies innées
d’apaisement et de sauvegarde du lien dans les situations qui en menacent fortement la permanence.
L’exemple le plus parlant nous est fourni par les grands singes. Real del Sarte décrit des comportements ritualisés qui caractéri- sent la «trêve primatique» (par exemple toilet- tages réciproques, grooming). Nous pouvons nous en inspirer pour aider les couples dés es- pérés à désactiver leurs conflits et réduire les hostilités.
La trêve se révèle bien avantageuse. Si l’enjeu du conflit est celui de s’assurer pri-
mauté et pouvoir face au partenaire, ou de se venger haineusement d’un tort subi, il paraît évident que demander la trêve risque de se révéler un aveu de faiblesse. Ce serait intolé- rable. Mais si la finalité de la relation est la coopération, faire le premier pas, arrêter les blâmes incessants pourrait se révéler avanta- geux pour les membres du couple et en con- séquence pour l’ensemble de la famille.
La trêve ouvre certes sur un espace de négo ciation où le couple peut se reconnaître responsable des «boucles douloureuses» dans lesquelles il se trouve pris. Mais Real del Sarte nous transmet aussi sa conviction selon la- quelle c’est un seul des partenaires qui peut décider de cesser les hostilités, même sans négociation préalable. Cet acte, ritualisé, in- duit aussi un apaisement chez l’autre parte- naire furieux.
On peut ainsi espérer retrouver une cer- taine confiance réciproque qui se fonde sur l’attente que l’autre soit certes fidèle dans les liens, mais aussi capable de s’adapter aux événements perturbateurs qui jalonnent la vie du couple, sans renier nécessairement l’atta- chement qui les unit.
1 Real del Sarte O. Le couple coopère-t-il ? Perspectives piagétiennes et systémiques. Toulouse : éRèS, 2010.
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