Médecine
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J O U R N É E D U G R O U P E F R A N C O P H O N E D ’ H É P A T O - G A S T R O E N T É R O L O G IE E T N U T R IT IO N P É D IA T R IQ U E S
Igor est amené en consultation à seize jours de vie en raison d’un ictère persis- tant. La grossesse et l’accouchement se sont déroulés sans problème. L’enfant est né à terme, eutrophe. Il est allaité par sa mère avec une bonne prise de poids. L’ic- tère a été noté dès le premier jour de vie.
Les selles sont pâles, les urines foncées et l’examen clinique révèle une hépatoméga- lie. Il s’agit donc d’un ictère cholestatique avec décoloration des selles. Que faire ?
CE QU’IL FAUT SAVOIR
L’ictère physiologique du nouveau-né est fréquent. Il est décelable clinique- ment quand la bilirubinémie est supé- rieure à 50µmol/l.
L’ictère est pathologique s’il apparaît avant vingt-quatre heures de vie ou après la première semaine de vie, s’il persiste après le dixième jour et s’il s’ac- compagne d’anomalies cliniques, no- tamment des selles décolorées, des urines foncées ou une hépatomégalie, comme dans le cas d’Igor.
Il s’agit d’un ictère cholestatique si la bili- rubine conjuguée est supérieure à 20µmol/l ou à 10 % de la bilirubine tota- le. Les dosages du taux de prothrombine (TP) et du facteur V permettent de distin- guer une carence en vitamine K (TP bas et facteur V normal) d’une insuffisance hépatocellulaire (TP et facteur V bas).
Un ictère avec des selles décolorées est une urgence diagnostique et thérapeu- tique, l’atrésie des voies biliaires en est la principale cause (voir tableau).
CE QU’IL NE FAUT PAS FAIRE
첸Ne pas s’inquiéter de la couleur blanche des selles.
첸Considérer comme banal un ictère se prolongeant au-delà du dixième jour.
첸Porter par excès le diagnostic d’ictère au lait de mère.
첸Etre rassuré par une courbe de crois- sance correcte.
첸Etre rassuré par la présence de la vé- sicule biliaire à l’échographie.
첸Porter par excès le diagnostic d’hépa- tite néonatale ou de cholestase néona- tale transitoire.
CE QU’IL FAUT FAIRE
첸Une injection de 10 mg de vitamine K en IV ou en IM en urgence pour prévenir le risque hémorragique, en particulier cérébral, d’une carence en vitamine K.
첸Hospitaliser avec surveillance de la couleur des selles et des glycémies ca- pillaires, et bilan biologique compre- nant les dosages de la bilirubine totale et de la bilirubine conjuguée, des transa minases, ALAT et ASAT, des gam- ma GT (GGT), du taux de prothrombine et du facteur V (FV).
첸Des examens essentiels pour le dia- gnostic étiologique doivent être réalisés en première intention : une échogra- phie hépatobiliaire à la recherche d’un obstacle biliaire ; des examens spéci- fiques pour identifier les principales causes de cholestase néonatale autres que l’atrésie des voies biliaires : muco- viscidose, déficit en alpha-1 antitrypsi- ne, syndrome d’Alagille.
첸Si ces examens sont négatifs, l’enfant doit être transféré dans un centre spé- cialisé dans la prise en charge de l’atré- sie des voies biliaires* pour une opacifi- cation des voies biliaires par voie endo-
Igor, nourri au sein, est toujours ictérique à seize jours de vie
D’après la présentation de E. Gonzales,service d’hépatologie et de transplantation hépatique pédiatriques, CHU Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre, et Inserm UMRS-1174
Compte rendu des interventions du congrès ECHANGE (Echange de Consensus Hôpital-Ambulatoire en Nutrition, Gastro-entérologie et hEpatologie) organisé par le Groupe francophone d’hépato-gastroentérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP)
Rédaction : M. Joras
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt
* Le Centre national de référence de l’atrésie des voies bi- liaires est situé au CHU Bicêtre dans le service d’hépatolo- gie et de transplantation hépatique pédiatriques, au sein du pôle maladies du foie, de l’appareil digestif et urinaire (MFADU). Des centres de compétence régionaux lui sont associés.
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scopique, radiologique ou chirurgicale.
En cas d’atrésie des voies biliaires, l’opa- cification des voies biliaires par voie chirurgicale est idéalement immédiate- ment suivie par une opération de Kasaï (hépato-porto-entérostomie le plus sou- vent). Si l’atrésie des voies biliaires est éliminée par la cholangiographie, une biopsie hépatique peut être effectuée dans le même temps anesthésique.
LES QUESTIONS DE LA SALLE
Quels sont les signes en faveur d’un ictère au lait de mère ?L’absence de critère pa- thologique de l’ictère (voir supra) chez un nouveau-né allaité au sein. En cas de décoloration même partielle des selles, il faut hospitaliser l’enfant pour un bilan complet.
Comment distinguer des selles décolorées quand elles sont mêlées à des urines fon- cées ?Il faut collecter les selles sur plu- sieurs jours et regarder l’intérieur des selles en les coupant.
Une cytolyse hépatique est-elle systémati- quement associée à la cholestase ?L’as-
sociation à une cytolyse est très fré- quente, mais celle-ci est généralement modérée, avec une augmentation des transaminases inférieure à cinq fois la normale. Elle n’a pas de valeur de gravi- té et oriente peu sur l’étiologie.
Pourquoi des glycémies capillaires ?Tout d’abord dans le cadre de la surveillance d’une éventuelle insuffisance hépatocel- lulaire, et ensuite pour le diagnostic de certaines pathologies qui peuvent se compliquer de cholestase, comme le dé- ficit en cortisol ou certaines maladies métaboliques.
Une hémolyse intense peut-elle être en cause dans un syndrome cholestatique néonatal ?L’hémolyse donne un ictère à bilirubine libre, mais effectivement si l’hémolyse est intense, elle peut s’ac- compagner d’une augmentation de la bilirubine conjuguée.
Quels sont les éléments orientant vers une cholestase néonatale transitoire ?Aucun, car la cholestase néonatale transitoire est un diagnostic d’élimination. Néanmoins, certaines circonstances favorisantes ont été identifiées : retard de croissance in- tra-utérin, souffrance fœtale aiguë, pré- maturité, nutrition entérale ou parenté- rale prolongée, entérocolite. Il faut être vigilant avant de conclure à un épisode transitoire et surveiller ces enfants, car, chez le prématuré, une décoloration se- condaire des selles a été observée dans certains cas d’atrésie des voies biliaires. 첸
Pour en savoir plus
MOUTERDE O., DUMANT-FOREST C. : Abécédaire d’hépato- gastroentérologie et nutrition pédiatrique,Sauramps, 2015.
GOTTRAND F., TURCK D. : Gastroentérologie pédiatrique, Doin, coll. Progrès en Pédiatrie, 2016.
BROUÉ P., CUVINCIUC O. : « Ictère du nourrisson », Pas à pas en pédiatrie, http://pap-pediatrie.com/hepatogastro/ict%C3 % A8re-du-nourrisson.
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Ictère cholestatique néonatal : démarche diagnostique Les causes de cholestase néonatale
Voies biliaires extrahépatiques . . . 5 % lithiase biliaire, perforation des voies
biliaires, kyste du cholédoque, sténose congénitale
Voies biliaires intrahépatiques
et extrahépatiques . . . 47 % 첸atrésie des voies biliaires 45 %
첸cholangite sclérosante 2 %
Voies biliaires intrahépatiques 15 %
첸syndrome d’Alagille 14 %
첸mucoviscidose 1 %
Maladies de l’hépatocyte . . . 33 % 첸cholestase intrahépatique
progressive familiale 10 %
첸déficit en alpha-1 antitrypsine 10 %
첸cholestase transitoire 10 %
첸infection (E. coli, virus) 2 %
첸maladies métaboliques 1 %
Vitamine K 10 mg IV ou IM Cholestase néonatale et selles décolorées
Echographie hépato-biliaire
Dilatation des voies bilaires
Lithiase biliaire, kyste du cholédoque, autre cause extrahépatique
En l’absence de diagnostic
Selles partiellement ou transitoirement décolorées
Tests spécialisés négatifs
Biopsie hépatique
Cause hépatocytaire Selles blanches
Opacification des voies biliaires
Pas de dilatation des voies bilaires
Déficit en alpha-1 antitrypsine, mucoviscidose, syndrome d’Alagille
signes d’obstacle biliaire + Atrésie des voies biliaires,
cholangite scélorante Voies bilaires
extrahépatiques 5 %
Voies bilaires intrahépatiques 15 %
Maladies de l’hépatocyte 33 %
Voies bilaires intrahépatiques et extrahépatiques 47 %
Lithiase vésiculaire de l’enfant
D’après la présentation de X. Stephenne,cliniques universitaires Saint-Luc, université catholique de Louvain, Bruxelles
Mathurin, onze ans, a mal au ventre de- puis cinq mois. L’interrogatoire note une tendance à la constipation. L’état général de l’enfant est bon, l’examen clinique est normal, l’abdomen est souple, indolore, sans hépatosplénomégalie. Il n’existe pas d’antécédents personnels ou familiaux particuliers. Cependant, vous ne résistez pas à la pression des parents et vous de-
mandez une échographie. Celle-ci révèle une lithiase vésiculaire.
CE QU’IL FAUT SAVOIR
Les principales causes dépendent de l’âge (voir tableau). Chez le nourrisson, on ne trouve pas toujours de cause. Entre un et cinq ans, il faut rechercher une 06 sept 16 m&e gfhgnp 27/09/16 12:47 Page191
plications (cholécystite) ou une maladie hépatique sous-jacente (cirrhose).
첸Le bilan biologique doit comporter : ASAT, ALAT, GGT, bilirubine, NFS, pla- quettes, réticulocytes et haptoglobine, cholestérol, triglycérides, lipasémie, CRP, hémoculture.
첸Théoriquement, un test de la sueur doit être réalisé, car la mucoviscidose peut être responsable de lithiase. Ce diagnostic étant très peu probable chez Mathurin, le test n’est pas indiqué ici.
첸Les autres examens sont plus spéci- fiques et ont surtout un but thérapeu- tique : cholangiographie afin de retirer la lithiase qui fait obstacle, par voie transcutanée chez les nouveau-nés ou rétrograde par voie endoscopique chez les plus âgés ; échoendoscopie et cho- langiographie IRM en cas de suspicion de canal bilio-pancréatique.
Traitement
첸En cas de découverte fortuite d’une lithiase vésiculaire :
– si l’enfant est sans antécédent et a un bilan négatif (absence d’hémolyse et de dyslipidémie), une simple surveillance Médecine
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maladie hépatobiliaire ; après six ans, il faut penser d’abord à une maladie hé- molytique.
Il s’agit le plus souvent de calculs pig- mentaires, constitués de polymères de bilirubine non conjuguée ou de biliru- binate de calcium (composition com- plexe) et radio-opaques dans 50 % des cas. Ces calculs sont essentiellement re- trouvés dans les maladies hémolytiques et les maladies du foie. Chez les adoles- cents et les obèses, il s’agit plutôt de calculs de cholestérol, comme chez l’adulte.
CE QU’IL NE FAUT PAS FAIRE
L’abdomen sans préparation.
CE QU’IL FAUT FAIRE
Diagnostic
첸L’échographie est l’examen de choix.
Elle permet de visualiser la lithiase sous forme d’une image échogène avec un cône d’ombre postérieure, de la locali- ser précisément, de rechercher des com- Lithiase vésiculaire de l’enfant : algorithme décisionnel(d’après C. Rivet)
Lithiase vésiculaire
Enfant Découverte fortuite échographie
Pas d’antécédent
Bilan biologique
Bilan négatif
Echographie à 6-12 mois
Arrêt surveillance
AUDC : acide ursodésoxycholique. CPRE : cholangio-pancréatographie rétrograde par voie endoscopique.
Dyslipidémie
AUDC, surveillance
médicale
Hémolyse +
Antécédent de maladie lithogène
Hémolyse, mucoviscidose
Cholécystectomie
Résection iléale, cholestase
AUDC, chirurgie à discuter
Obésité, nutrition parentérale
totale
AUDC
Symptomatique, colique hépatique, pancréatite
Cholécystite
Traitement médical
Cholécystectomie secondaire
Mégacholédoque congénital Traitement chirurgical
Lithiase voie biliaire principale
CPRE, extraction du calcul Forme particulière du nourrisson Principales causes de lithiase vésiculaire
en fonction de l’âge(d’après C.A. Friesen et al. et C. Rivet)
0-12 mois 첸aucune (36,4 %)
첸nutrition parentérale totale (29,1 %) 첸chirurgie abdominale (29,1 %) 첸sepsis (14,8 %)
첸dysplasie bronchopulmonaire (12,7 %) 첸maladie hémolytique (5,5 %)
첸malabsorption (5,5 %)
첸entérocolite ulcéro-nécrosante (5,5 %) 첸maladie hépato-biliaire (3,6 %) 1-5 ans
첸maladie hépato-biliaire (28,6 %) 첸chirurgie abdominale (21,4 %) 첸aucune (14,3 %)
첸valve cardiaque (14,3 %) 첸malabsorption (7,1 %) 6 ans et plus
첸maladie hémolytique (22,5 %) 첸obésité (8,1 %)
첸chirurgie abdominale (5,1 %) 첸aucune (3,4 %)
첸malabsorption (2,8 %) 첸maladie hépato-biliaire (2,7 %) 첸nutrition parentérale totale (2,7 %) 06 sept 16 m&e gfhgnp 25/09/16 13:39 Page192
échographique à six et douze mois suf- fit. Dans la majorité des cas, la lithiase s’élimine spontanément, parfois après un épisode de colique hépatique ; – s’il y a des antécédents de maladies lithogènes (hémolyse ou mucoviscido- se), une cholécystectomie prophylac- tique est recommandée ;
– en cas de dyslipidémie, le traitement repose sur l’acide ursodésoxycolique (10 mg/kg x3/j).
첸Si la lithiase est symptomatique, l’atti- tude est différente : en cas de cholécysti- te, une antibiothérapie est mise en œuvre avant la cholécystectomie ; en cas de li-
thiase de la voie biliaire principale, l’ex- traction du calcul est réalisée au cours de la cholangiographie rétrograde ; le dia- gnostic de kyste du cholédoque impose quant à lui un traitement chirurgical.
LES QUESTIONS DE LA SALLE
La prise en charge dépend-elle aussi de la taille du calcul ?Non, s’il n’est pas symp- tomatique, l’attitude reste identique, ce- la étant à nuancer en cas de mégalithia- se (> 2 cm).
D e v a n t d e s d o u l e u r s a b d o m i n a l e s , quelles particularités sémiologiques peu- vent permettre d’évoquer une lithiase bi- liaire ?En l’absence d’une symptomato- logie de colique hépatique, il n’y a pas de signe particulier.
Un traitement par ceftriaxone (Rocéphi- ne®) peut être à l’origine de lithiases, quelles en sont les particularités ?Ces calculs sont dus à la précipitation de cet antibiotique dans la bile.
Si la découverte de la lithiase est fortuite et que le bilan est normal en dehors de l’haptoglobine, que faut-il faire ?L’hapto- globine seule n’a pas de valeur. 첸 Médecine
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FRIESEN C.A., ROBERTS C.C. : « Cholelithiasis. Clinical characte- ristics in children. Case analysis and literature review », Clin. Pe- diatr. (Phila),1989 ; 28 :294-8.
KAECHELE V., WABITSCH M., THIERE D. et al. : « Prevalence of gallbladder stone disease in obese children and adolescents : in- fluence of the degree of obesity, sex, and pubertal develop- ment », J. Pediatr. Gastroenterol. Nutr.,2006 ; 42 :66-70.
RIVET C. : « Lithiase vésiculaire », GFHGNP, Liège, 2011 (www.gfhgn
p.org/wordpress/wp-content/themes/kTheme-v2-gfhgnp/pdf/pub lications/liege-2011/020411-Rivet%20Ch-Lithiase_vesiculaire.pdf).
STRINGER M.D., CEYLAN H., WARD K. et al. : « Gallbladder po- lyps in children. Classification and management », J. Pediatr.
Surg.,2003, 38 :1680-4.
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