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Géographie Économie Société: Article pp.311-331 of Vol.18 n°2 (2016)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 18 (2016) 311-331

Comptes Rendus

Rémi de Bercégol (2015), Petites villes et décentralisation en Inde, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 295 pages.

Ce livre est le remaniement d’une thèse en aménagement de l’espace et urbanisme (accessible sur https://pastel.archives-ouvertes.fr/pastel-00708078) soutenue en juin 2012 au Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (université Paris-Est).

Il en conserve quelques traces comme le récit autobiographique de la découverte de l’univers des petites villes indiennes en début d’ouvrage (pp. 47-56) qui pourra servir de préparation psychologique au terrain pour de futurs apprenti-es chercheur- es. L’auteur aborde une frange négligée de l’armature urbaine de ce vaste pays, les petites villes, sous l’angle de l’économie politique (p. 18) et plus spécifi quement les effets des lois de décentralisation (73e et 74e amendements de la constitution en 1992) sur leur gestion politique à travers l’exemple des services publics et de leurs fi nances.

Loin des métropoles objet de toutes les attentions médiatiques et scientifi ques, l’ou- vrage offre une plongée dans la vie quotidienne de quatre villes de 20 000 habitants dans une province orientale de l’Uttar Pradesh. Abondamment illustré (37 planches de photographies en noir et blanc et un cahier central de 11 pages en couleurs, 22 tableaux, 12 planches cartographiques), le travail de Rémi de Bercégol prend soin de contextualiser ses données par de nombreux encadrés (28) qui facilitent l’accès au lectorat peu familier avec le monde indien.

Après une solide introduction d’une trentaine de pages qui fait l’état de la question et présente l’échec de la décentralisation urbaine en Inde, l’auteur justifi e le choix des petites villes par sa volonté d’analyser l’évolution de la gouvernance locale avec un jeu d’acteurs plus circonscrit et une situation de plus grande proximité entre décideurs et citoyens. C’est la raison pour laquelle il concentre son attention sur la redistribution des pouvoirs politiques, l’effi cience des services publics et la transparence de la gestion fi nan- cière municipale. Le plan de l’ouvrage reprend ces différentes interrogations (p. 41) en suivant une approche par échelle décroissante. Tout d’abord une présentation du contexte géographique de l’Uttar Pradesh jusqu’aux quatre lieux étudiés (chap. 1), suivie de l’ana- lyse des relations politiques qui incluent l’échelon fédéral (chap. 2), puis les services publics qui font intervenir des agences extérieures aux petites villes (chap. 3) enfi n les fi nances des petites villes, un chapitre recentré sur chaque commune (chap. 4). L’auteur prend cependant bien soin d’analyser les interactions aux différentes échelles des phéno- mènes étudiés dans le cadre d’une approche multi-niveaux (p. 31).

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Dans le premier chapitre, Rémi de Bercégol restitue le contexte de son analyse dans l’évolution de l’Uttar Pradesh, un État marqué par une grande pauvreté à l’échelle indienne (« les villes d’un État pauvre : déséquilibre urbain et services déficients » p. 65) et une situation politique originale avec la « révolution silencieuse » (Jaffrelot, 2003) des basses castes. L’arrivée au pouvoir de leur leader Mayawati (cf. encadré 4, p. 61) se traduit aussi par un renforcement des politiques en direction des intouchables. Ce chapitre s’achève par la présentation des quatre petites villes, comparables en taille mais aux situa- tions locales variées : deux sont à moins de 40 km d’une ville millionnaire (Chandauli de Varanasi, Phulpur d’Allahabad) donc sous l’influence d’une métropole ; l’une est un chef- lieu de district - donc d’un niveau administratif supérieur aux trois autres (Siddarthnagar) ; enfin du point de vue des activités, une est industrielle (Phulpur) et une seconde marquée par des projets patrimoniaux et touristiques (Kushinagar). Cette diversité illustre bien la difficulté à « réduire le spectre d’analyse à des villes situées dans une seule et même zone homogène, cohérente » (p. 36) comme le souhaite l’auteur.

Le second chapitre nous entraîne dans une plongée au cœur du fonctionnement poli- tique et administratif des petites villes. Il s’agit de vérifier la mise en place de la décen- tralisation et son efficacité. Cette approche débute par une interrogation quant à l’effet redistributif de la réforme sur l’exercice du pouvoir : a-t-elle renforcé la démocratisation ? L’auteur montre bien l’articulation entre les niveaux régional et municipal tant du point de vue des partis politiques que des fonctionnaires extérieurs nommés. La transformation de la constitution se traduit finalement par l’affirmation de la figure de « maires », qui nourrissent des ambitions plus larges vers l’assemblée fédérale, et la constitution d’une oligarchie entrepreneuriale. Le jeu des castes dans la redistribution du pouvoir est évo- qué, mais l’auteur en reste aux catégories très vagues du recensement (SC, ST, OBC), ce qui affaiblit la démonstration.

La vie des petites villes devient encore plus palpable dans le troisième chapitre qui traite des services urbains. Grâce à une très abondante iconographie (57 photographies), l’auteur décrit le combat des habitants pour accéder à des services de qualité. Il se concentre principalement sur l’accès à l’eau et la voirie. Cette dernière est l’occasion d’évoquer aussi l’éclairage public, le drainage (et surtout son absence) et la propreté.

Tous ces services sont de piètre qualité et peu améliorés par la décentralisation, faute d’investissements dans les petites villes et de maîtrise technique des équipes municipales.

L’analyse plus complète de la distribution de l’eau (cartes pour Chandauli, enquêtes de satisfaction auprès des usagers) confirme le sombre tableau que l’auteur attribue à des rai- sons techniques (« Le panorama de l’accès à l’eau dans les villes étudiées démontre donc l’importance du réseau technique dans la détermination du niveau de service » p. 190) plus qu’à des inégalités socio-économiques.

Enfin le dernier chapitre nous introduit aux subtilités des finances publiques des petites villes. Remi de Bercégol réussit à reconstituer les budgets des quatre municipalités jusqu’en 1991, veille de la réforme de la constitution, pour en mesurer l’impact sur l’autonomisa- tion financière de celles-ci. L’analyse comptable de la balance des recettes et des dépenses dévoile l’accroissement de la perfusion des transferts de fonds en provenance du gouver- nement fédéral particulièrement important en Uttar Pradesh (80 %), mouvement contradic- toire avec l’idée de décentralisation. La collecte des taxes locales s’appuie sur les activités économiques plus que sur un impôt citadin toujours difficile à mettre en place pour des élus

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cherchant à conserver leur fonction. On peut s’interroger toutefois si l’effort de reconstruc- tion des budgets, extrêmement chronophage (p. 55, p. 202, p. 206, p. 210) ne détourne pas l’auteur d’autres analyses puisque l’approche comptable se limite selon ses dires à « déter- miner la qualité théorique des services fournis en fonction des moyens investis » (p. 235).

À l’issue de cette visite au cœur des petites villes de l’Uttar Pradesh, suffisamment rare pour que ce travail soit remarqué, on reste sur un sentiment d’incomplétude pour une approche d’économie politique. La minutie de certaines analyses (fonctionnement des institutions municipales, budget des petites villes) laisse d’autres dimensions bien dégar- nies (rapports sociaux à l’échelle des castes, redistribution des richesses). Cette vision partielle du fonctionnement urbain est renforcée par deux orientations de la recherche qui en restreignent la portée.

La première est une importance trop grande accordée au poids des techniques dans le fonctionnement urbain. Dès le début de l’ouvrage, la justification du seuil de sélection de l’échantillon des petites villes (20 000 habitants) repose sur une norme technique du réseau de distribution de l’eau (note 34 p. 36). Et un peu plus loin (p. 77), on apprend que ce chiffre a été fourni par les ingénieurs du Jal Nigam (société des eaux). La complexité du fonctionnement d’une société urbaine ne peut se réduire au dimensionnement technique de ses réseaux. L’échec de la distribution des services est imputé à un manque de maîtrise technique des autorités locales quand ce n’est pas à l’hostilité des ingénieurs par rapport aux élus (« sentiment de déclassement » p. 176). Cette posture technophile est d’ailleurs affirmée dès le début de l’ouvrage (« la morphologie de l’espace urbain est donc modelée et modifiée de manière plus ou moins importante par l’absence ou la présence des équi- pements de ces services » p. 33). On peut s’étonner alors qu’en conclusion, l’auteur attri- bue l’échec de la décentralisation dans les petites villes à une « méconnaissance de leurs caractéristiques socioculturelles » (p. 259) qui auraient mérité plus d’attention de sa part.

La seconde dimension problématique de cette approche est la comparaison systé- matique de l’objet d’étude, les petites villes, avec l’échelon supérieur de la hiérarchie urbaine. Rémi de Bercégol s’étonne de l’absence de « société civile organisée » (p. 56), d’associations de résidents et d’ONG (p. 114). La petite ville apparaît en négatif par rap- port aux métropoles dont l’introduction avait souhaité s’éloigner. Les comparaisons avec les villages sont rares (une exception p. 141 sur la capture du pouvoir par les élites) et plutôt négatives. Une meilleure connaissance et utilisation de l’abondante littérature sur les villages indiens auraient permis de mieux cerner l’originalité des petites villes par rapport à ces derniers. La problématique de l’échelle de l’objet étudié aurait alors pu constituer une interrogation plus centrale dans l’ouvrage (comme p. 112 à propos des réseaux locaux de pouvoir).

Cette dernière remarque interroge la dimension spatiale de cette analyse richement illustrée de cartes (12 planches). On peut regretter le passage en noir et blanc d’une grande partie de cette production qui lui fait perdre sa lisibilité originale. Dans le premier chapitre, les quatre cartes de présentation des villes sont trop uniformément grises. Les collections de cartes réduisent leur dimension et donc leur visibilité. L’outil cartogra- phique reste peu mobilisé pour étayer les démonstrations de l’auteur. En dehors d’une cartographie censitaire par quartier au premier chapitre, on ne retrouve une collection de cartes que pour une seule ville Chandauli (p. 182). Elles concernent l’accès à l’eau avec une mauvaise représentation des quantités absolues (pompes manuelles, robinets publics)

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et une absence de discrétisation problématique pour les autres variables. Cette faiblesse est compensée quantitativement par de nombreuses photographies d’une portée démons- trative moindre.

Ce livre offre un panorama du fonctionnement quotidien des petites villes d’Uttar Pradesh avec leurs difficultés pour l’accès aux services de base (eau, assainissement, voirie). On voit s’y construire un nouvel équilibre politique autour d’une élite entrepre- neuriale qui capte la majeure partie des pouvoirs délégués par la décentralisation. Il sera par contre plus difficile de juger globalement de l’efficacité de cette réforme constitu- tionnelle, car en choisissant l’un des État les plus pauvres de l’Inde, et une région de ses régions les moins avancées (Purvanchal), les chances de réussite de la décentralisation étaient bien minces.

Éric Leclerc U.F.R. de Géographie et Aménagement – Université Lille 1 Laboratoire TVES, E.A. 4477

© 2016 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Isabelle Sacareau, Benjamin Taunay, Emmanuelle Peyvel (dir.), (2015), La mon- dialisation du tourisme, les nouvelles frontières d’une pratique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. Espace et territoires, 264 pages.

« Le tourisme ne peut plus être considéré comme une pratique exclusivement occi- dentale » (p. 14). Le ton de l’ouvrage est donné, manifestant l’ambition d’une étude de la mondialisation du tourisme au prisme des « pratiques touristiques » des « touristes domestiques » (p. 257) d’autres régions du monde. Il s’agit alors de se décentrer d’une recherche « trop longtemps prisonnière d’une lecture occidentalo-centrée du tourisme » (p. 17), en proposant un regard « post-colonial » sur le tourisme (p. 258).

Cet ouvrage collectif mobilise 13 auteur.e.s, quasiment exclusivement des géographes, et regroupe 11 contributions thématiques, plus une introduction et une conclusion géné- rale, écrite par les trois coordinateur-trices de l’ouvrage. L’ouvrage résulte de l’organi- sation en 2011 à Bordeaux des journées de la Commission nationale de géographie du tourisme. Les territoires de ces études relèvent d’échelles variées : échelles nationales (le Viêt-Nam, la Chine, le Japon), perspective continentale (l’Amérique latine), ou territoires régionaux (l’Amazonie, la région du Caucase du Nord en Russie, la Polynésie Française) et métropolitains (Durban). Dans trois contributions, l’entrée principale est un ensemble d’individus rassemblés par leurs pratiques touristiques : membres de la diaspora indienne, descendants de migrants en vacances en Algérie, ou croisiéristes chinois. L’introduction pose la question d’une dénomination d’ensemble pour qualifier ces espaces d’enquêtes : de Tiers-Monde à pays émergents, en passant par pays en développement, voire Global South (p. 14-15).

L’ouvrage est organisé en trois parties relevant non pas d’aires géographiques mais de l’identification d’enjeux similaires. La première partie évoque les enjeux d’identification et de qualification des touristes domestiques au Sud. Ainsi Nathalie Raymond évoque les différenciations sociales du tourisme domestique en Amérique latine. Jennifer Bidet et Anthony Goreau réinterrogent le lien entre migrations et mobilités touristiques, du point

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de vue des pratiques des descendants d’immigrés en Algérie ou de la signification des pratiques touristiques diasporiques indiennes.

La seconde partie questionne les modèles de la pratique touristique, en envisageant les « filiations, apprentissages et différenciations ». Dans quelle mesure les pratiques tou- ristiques actuelles indiquent-elles une autre généalogie possible du tourisme, constituée aussi dans ses liens avec des mobilités passées, comme le suggère Sylvie Guichard-Anguis pour le Japon ? Caroline Blondy questionne les origines de la diffusion de pratiques touris- tiques auprès des habitants de Polynésie Française, identifiant l’importance des situations de co-présence entre touristes extérieurs et habitants. Inversement, Emmanuelle Peyvel souligne le cadre national d’apprentissage du tourisme au Viêt Nam, mais aussi la façon dont les touristes font avec. Cette différenciation peut être davantage synchronique, avec l’étude en Chine par Benjamin Taunay et Philippe Violier des différenciations de lieux et de pratiques, entre touristes de Chine continentale et touristes internationaux.

Enfin la troisième partie porte sur les « recompositions touristiques dans un monde en mouvement », concernant tant les recompositions territoriales que les mutations de l’industrie touristique globale face à ces nouvelles clientèles. Ainsi, Véronique Mondou étudie les adaptations des principales compagnies de croisières aux clientèles chinoises.

Terence Keller Andrade montre la diversité du tourisme amazonien, mêlant là tourisme domestique et international, par le développement de nouvelles façons de regarder et de pratiquer cet espace. Ekaterina Jourdain illustre les politiques nationales en faveur du tourisme intérieur, de l’ère soviétique et post-soviétique, sur le plan des idéologies et des aménagements, en centrant son étude sur le Caucase du Nord. Le dernier chapitre par Fabrice Folio constitue un important rappel des différenciations et inégalités dans l’accès d’une population nationale aux espaces touristiques, dans le contexte d’opérations de régénération urbaine et de méga-projets de la façade littorale de Durban.

Les auteur.e.s mettent en œuvre une pluralité de méthodologies pour appréhender ces nouvelles formes de tourisme : observation de lieux, enquêtes par entretiens auprès des touristes, analyse généalogique à partir d’archives étatiques et de récits de vie pour resituer « l’histoire vacancière des enquêtés » (E. Peyvel), analyse iconographique de photos promotionnelles, enquêtes multisituées (A. Goreau), examen des guides et rela- tions de voyage, examen des catalogues des tours-opérateurs (B. Taunay et Ph. Violier), etc. Certaines études ont recours à l’analyse généalogique, pour identifier les points de rupture et de transformation du tourisme. Cela permet de relativiser le propos introduc- tif : si l’introduction met en scène des gestes inauguraux dans la production du savoir (rappelant ainsi l’étude pionnière de Mohamed Berriane sur ces questions), cela ne signifie pas une nouveauté radicale du phénomène étudié, qui s’inscrit dans des tempo- ralités plus complexes.

Les démarches sont variées, entre une vue d’en haut, qui saisit par la cartographie ou les enquêtes statistiques les nouvelles pratiques touristiques, et une vue d’en bas, qui s’intéresse aux trajectoires de touristes, aux apprentissages et processus d’acquisition de

« compétences mobilitaires ». Le rapport au corps constitue aussi une façon de question- ner les normes intériorisées dans la pratique touristique. Ces études fines ouvrent la voie à une étude de la « subjectivité du statut du touriste » (p. 259), qui jette un doute sur l’appli- cation (parfois) d’un système catégoriel a priori pour étudier les pratiques touristiques dans leur hybridation ou invention.

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Une lecture transversale de l’ouvrage permet de mettre en évidence quelques enjeux de recherche particulièrement intéressants.

En introduction est évoquée l’hypothèse d’une troisième révolution touristique. Or ce qui fait révolution est-ce l’extension désormais mondiale des pratiques, ou une mutation des pratiques elles-mêmes ? Autrement dit, la révolution est-elle d’abord liée à la géné- ralisation du fait touristique ou à une transformation de ses modalités ? Parallèlement, peut-on en avoir une lecture d’ensemble ou faut-il intégrer des modalités différenciées des pratiques ? Le vocabulaire disant les mélanges et hybridations est omniprésent dans l’ouvrage, ainsi que les références aux travaux de l’anthropologie de la mondialisation.

Le questionnement porte ainsi tant sur une géographie de la diffusion et circulation (les « foyers d’innovation touristiques », la « circulation mondialisée des pratiques et des modèles de lieux touristiques ») que sur les modalités d’une incorporation locale, voire d’une « hybridation avec les pratiques autochtones » (p. 18). Plusieurs chapitres ques- tionnent de façon fine l’émergence des pratiques touristiques. Par exemple C. Blondy montre que le développement du tourisme nécessite une adaptation des systèmes lexicaux locaux. Elle relève aussi l’importance des processus d’imitations des pratiques touris- tiques. À l’inverse, pour le Japon est évoquée l’hybridation entre pratiques touristiques contemporaines et pratiques de mobilité passées. Selon V. Mondou, les compagnies de croisières internationales ont à la fois en vue la transposition d’un modèle touristique et une nécessaire adaptation aux clientèles chinoises : les mêmes équipements (par exemple la piscine) servent des appropriations différenciées. De fait il est difficile de conclure à une généralisation mondiale des pratiques touristiques, la lecture d’ensemble donnant l’idée d’une pluralisation des formes touristiques, non réductible à un modèle unique.

À l’inverse, B. Taunay et Ph. Violier proposent de dépasser le constat des différences entre pratiques des touristes domestiques et occidentaux en identifiant des « invariants » fondant l’idée de « modalités universelles » du tourisme, de « l’invention de lieux touris- tiques (…) par intégration des marges » à des « similarités » dans la « construction du rap- port au monde » par le tourisme, fondant alors une lecture qu’on pourrait qualifier de précé- dentiste, certaines dynamiques pouvant être retrouvées « plus tôt en Europe ». Nous voyons ainsi qu’au sein de l’ouvrage, les positions demeurent contrastées sur l’interprétation à don- ner à cette émergence de pratiques touristiques auprès de nouvelles populations, que l’on mette l’accent sur la pluralisation, l’hybridation ou l’identification possible d’invariants.

En outre, ces enquêtes sèment un trouble sur les catégories établies. L’introduction montre la difficulté à appliquer les catégories forgées pour les statistiques nationales et internationales (tourisme interne, domestic tourism, tourisme national). Certaines pra- tiques relèvent de « mobilités post-migratoires », ce qui conduit à se méfier des « caté- gories officielles » basées sur une statistique nationale, ou un prisme national (cf. Ulrich Beck). Ainsi l’enquête menée par Jennifer Bidet aboutit à nuancer la césure entre tou- risme international et tourisme domestique, et évoque les liens entre migrations et tou- risme. Pareillement, les pratiques touristiques apparaissent hybrides, entre loisirs et tou- risme domestique (F. Folio), entre tourisme et religieux (N. Reynaud), ou tourisme et pratiques politiques (E. Peyvel). À l’inverse, C. Blondy maintient une définition stricte du tourisme, tout en évoquant l’« apprentissage de la mobilité touristique » permis par les mobilités religieuses ou sportives, ce qu’on pourrait prolonger en évoquant des formes d’hybridation opérant également à l’échelle locale.

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Un troisième enjeu consiste à qualifier les entités sociales analysées. La conclusion rappelle les inégalités sociales qui demeurent structurantes de cette « ère du tourisme de masse », ou plutôt de « massification touristique ». De fait, l’ouvrage permet de ne pas opposer binairement touristes du Nord et touristes du Sud, s’attachant aux lignes de diffé- renciations sociales entre touristes, par exemple aux différences d’âge, de niveau de vie, de compétences, au sein d’un même État-nation, comme le montre l’exemple vietnamien.

En prolongement, certaines études qualifient les rapports groupes – pratiques. Ainsi N.

Reynaud mentionne le tourisme des « classes populaires », des « classes moyennes », voire les resorts des « classes moyennes supérieures émergentes ». C. Blondy identifie les pratiques distinctives d’une élite locale, qui sont en même temps construites par imita- tion des pratiques touristiques. L’industrie touristique elle-même opère des campagnes de communication ciblant des clientèles privilégiées (V. Mondou). Enfin, les lignes mêmes de la différenciation voire de l’exclusion de la pratique touristique peuvent apparaître en mouvement. Dans l’appropriation touristique de Durban, « au curseur racial s’est subs- titué le curseur social », ce que relève aussi N. Reynaud dans certains lieux d’Amérique Latine. Dès lors apparaissent l’enjeu d’une caractérisation des univers sociaux des pra- tiques touristiques, et l’idée que les différentes pratiques touristiques au sein d’un même pays ne font pas nécessairement système. Caroline Blondy retourne également la ques- tion, se demandant si les pratiques touristiques des habitants peuvent être un « facteur de différenciation socio-spatiale et identitaire ». On ne peut alors qu’être convaincu par la proposition de Jennifer Bidet d’intégrer une « perspective sociologique » à l’étude du tourisme international, permettant de se prémunir de toute essentialisation culturaliste, comme le rappelle E. Peyvel.

Enfin se pose la question des modalités de transformation des pratiques touristiques, et du rôle tant des normes que des institutions. Ainsi la conclusion évoque à la fois « l’in- croyable diversité et inventivité de ces touristes », qui sont « intégrés à des degrés divers dans la mondialisation », tout en rappelant la nécessité d’intégrer les normes et de ques- tionner « le rôle de l’État » (p. 260), c’est-à-dire a minima d’opérer une « contextuali- sation politique » (E. Peyvel, p. 119) pour faire valoir les imbrications entre « idéologie et tourisme » (p. 120). Ainsi les États peuvent promouvoir une idéologie différente du tourisme, comme en Algérie ou au Vietnam à l’Indépendance, avec un triple objectif politique, social et nationaliste. Dans le Brésil dictatorial des années 1960, la promo- tion d’un tourisme intérieur vers l’Amazonie sert l’objectif d’« intégration nationale ».

Certaines pratiques semblent alors relever d’un « tourisme patriotique » (p. 35). De même, E. Jourdain montre la permanence d’un intérêt étatique pour le tourisme intérieur, par-delà les changements de régime politique et d’idéologies du tourisme. En Chine, l’étude des catalogues des TO ne peut totalement court-circuiter l’État dans les explica- tions, s’il faut reconnaître « le poids du politique dans la définition des lieux à visiter » (p. 103), comme pour l’île-province de Hainan. Dans le cas du développement des croi- sières se tissent aussi des liens entre compagnies de croisières et autorités nationales et provinciales. Même les formes touristiques transnationales apparaissent couplées à des politiques nationales volontaristes, en Inde ou à l’île Maurice.

Pour conclure, cette publication, originale dans le champ des études touristiques fran- cophones, permet de stimuler la recherche sur la dynamique double et dialectique de dif- fusion/différenciation des pratiques touristiques, sans postuler un schéma diffusionniste

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unique, sans court-circuiter les politiques locales du tourisme, et en réinterrogeant les modalités de la circulation, transmission, création, et appropriation de normes et schèmes de pratiques touristiques, dans un contexte mondialisé.

Sébastien Jacquot Université Paris 1 Panthéon Sorbonne EA EIREST

© 2016 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

André Torre et Sébastien Bourdin (dir.), 2016, Big Bang territorial : la réforme des régions en débat, Armand Colin, (ebook).

Imaginons François Hollande dire : Moi, président de la République, je redessinerai la carte des régions. Et imaginons Nicolas Sarkozy au lieu de demeurer coi, dire : Et alors ? Cette réponse imaginaire résume bien le point de vue de la majorité des quelque 40 col- laborateurs à cet ouvrage numérique portant sur la réforme ramenant à 13 le nombre des régions françaises. Et oui, Tout ça pour ça ! pour reprendre la phrase demeurée célèbre de la regrettée Madame Claude. Il ne faut donc pas se surprendre si Claude Lacour, dans une de ses contributions à cet ouvrage, juge à propos de faire allusion à un dessin de Plantu paru dans Le Monde avec pour légende : Hollande a réussi à mettre tout le monde d’accord : tous mécontents… Pourtant, Bernard Pecqueur ne voit dans cette réforme rien de moins que la grande réforme du présent quinquennat1.

André Torre, qui n’a pas besoin de présentation pour les lecteurs de GES, a fait appel pour les fins de cet imposant collectif aux services d’un jeune géographe, Sébastien Bourdin, enseignant-chercheur à l’École de Management de Caen. Cette publication fait suite à un blog initié par la Revue d’économie régionale et urbaine lequel, de toute évi- dence, a su susciter un intérêt dépassant les attentes de ses responsables. Ces derniers, dans leur intéressante introduction, précisent que durant plus d’un an des chercheurs, spécialistes en géographie, aménagement du territoire, économie régionale, marketing territorial etc. ainsi que quelques acteurs de terrain, se sont intéressés à la réforme et à son évolution ne se privant pas de fournir leurs commentaires. Pourquoi cette réforme ? On peut lire qu’elle prend son appui sur la conviction que Big is powerful. On voulait dès le départ de grandes régions dont la mise en œuvre devait permettre des économies d’échelle tout en offrant l’occasion de réduire l’épaisseur du millefeuille en faisant disparaître ce vestige de la Révolution que représentent les départements. C’était faire peu de cas de la résilience des élus locaux que l’on imagine facilement arborer le badge Touche pas à mon département ! La cure d’amaigrissement du millefeuille fut donc reléguée aux calendes grecques. On devra donc s’en tenir à l’objectif d’accroître la compétitivité interrégionale.

Torre et Bourdin estiment que le problème le plus évident de la réforme réside juste- ment dans la taille des nouvelles régions. Ainsi, Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente- Maritime (en attente d’un nouveau nom au moment d’écrire ces lignes) n’a pas son équiva-

1 Moi qui croyais que la grande réforme du quinquennat était celle permettant de voyager en bus entre deux villes tout en offrant la possibilité d’acheter un jean 12 dimanches par année…

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lent à l’échelle européenne. La crainte exprimée en présence de ce gigantisme s’explique par l’éloignement des centres de décision des centres d’exécution, soit le contraire que ce que recherche tout effort de décentralisation. Les populations se verront bien éloignées de leur capitale régionale. Enfin, les responsables de cet ouvrage, qui comprend cinq chapitres, regrettent que la réforme occulte totalement le territoire construit ou vécu par les acteurs locaux. En effet, ils font remarquer que le texte de loi se réfère uniquement à des territoires « donnés » et institutionnels vus comme des lieux où pourront émerger des stratégies de développement. C’est comme si l’abondante littérature sur la dynamique territoriale de ces dix dernières années n’avait pas su attirer l’attention des conseillers de celui qui, dans son bureau élyséen, a su entretenir le suspense. On l’imagine se penchant minutieusement des heures durant sur la carte de l’Hexagone, croyant ainsi apporter à son quinquennat le fleuron tant recherché2.

Le premier chapitre, Les objectifs invoqués de la réforme territoriale, comme ceux qui suivent, comprend plusieurs sections dont la première est l’œuvre de Lise Bourdeau- Lepage qui, en exergue, affirme que la réforme territoriale se trouve tributaire d’idées reçues faisant fi de l’histoire. L’auteure estime que la capacité d’innovation des territoires est laissée pour compte évitant ainsi de considérer la propension des populations rurales à s’impliquer pleinement dans le développement de leur territoire. Pour sa part, Michel Dimou, tout en s’attardant sur les fondements théoriques de la réforme, identifie les rai- sons susceptibles de la soutenir. Selon celui qui préside aux destinées de l’ASRDLF, la recherche de la rationalité́ budgétaire se veut la première, alors que la deuxième vise la rationalité́ institutionnelle tandis qu’une troisième raison pourrait être d’ordre politique et électoral. Concernant ce dernier point, Maurice Baslé s’interroge sur la volonté de l’État. Recherche-t-il une fédération du type qu’offre l’Allemagne ? Curieusement, il se demande si enfin les Girondins pourraient l’emporter sur les jacobins. Pure illusion à mon avis, car les jacobins dans le cas présent, comme toujours, n’ont guère à craindre. Avec Luc Gwiazdzinski on se trouve, enfin, en présence d’une bonne nouvelle : l’institution qu’il voit comme étant la plus prisée par les Français est sauvée. Le lecteur aura deviné qu’il s’agit de la commune (la paroisse de l’Ancien régime). Citons-le : « On échappe au discours éculé sur la nécessaire suppression des 36 000 communes inadaptées au monde d’aujourd’hui ». C’est le président de la République lui-même qui aurait dit qu’elle (la commune) doit demeurer une petite république dans la grande. N’a-t-on pas envie de verser une larme en présence d’une telle prose ? L’auteur annonce le chapitre qui suit en signalant que si l’on savait que « les Français étaient des veaux, voilà qu’avec la réforme on coupe et recoupe, ils peuvent jouer le rôle de boucher » (sic), couteau à la main.

Le chapitre 2 intitulé Le nouveau découpage régional : légitimité des coups de ciseaux débute avec la contribution de Gérard-François Dumont qui évoque des lois irréfléchies et inappropriées. La géographie serait délaissée au profit de la métropolisation. S’en suivent les réflexions de Stéphane Cordobes qui, avec les voyageurs Usbeck et Rica au pays des territoires, plonge le lecteur dans les Lettres persanes. On est ainsi conduit à imaginer le défi qui attend ces deux voyageurs venant d’un monde où le concept de territoire tel que conçu au pays de Marianne ne trouve pas son équivalent dans leur pays d’origine.

Le recours aux dictionnaires ne leur est guère utile étant donné la dizaine de définitions

2 Il est plus facile de modifier une carte des régions que d’inverser une courbe…

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qu’ils peuvent y trouver. Parmi les paradoxes identifiés, l’auteur met en évidence le fait que tout un chacun s’entend sur la nécessité de la réforme. Alors qu’elle est vue comme indispensable, on diverge d’opinions sur la façon de faire, sur les parties à associer et les moyens à mobiliser. En d’autres mots, il s’avère que l’on ne serait pas sorti de l’auberge.

La contribution de Paulette Pommier3 abonde dans le même sens en considérant que le projet insiste trop sur la relation entre les collectivités territoriales et l’entreprise. Or, l’auteure soutient que l’entreprise en tant qu’élément d’un écosystème, aussi précieuse soit-elle, ne contribue qu’à la marge à l’évolution d’un territoire. C’est pourquoi il fau- drait miser davantage sur les solidarités et les interdépendances.

Avec Alexandre Grondeau on revient au découpage en se rappelant l’image du « bou- cher et ses couteaux » de Gwiazdzinski. En fait, avec une section intitulée Le nouveau découpage régional : légitimité des coups de ciseaux, c’est plutôt au Français se faisant

« tailleur » qu’on fait référence. En jouant des ciseaux, il procède à un découpage adminis- tratif qui n’aurait rien d’anodin puisqu’il crée ou recrée « du » territoire. Mais pourquoi ? se questionne l’auteur. Que vont faire ces nouvelles régions, quelles seront leurs compétences, qu’est ce que l’État va leur concéder, quels seront les moyens économiques et réglemen- taires mis à leur disposition ? Voilà des interrogations que le président de la République sortant aurait pu soulever lors de l’assertion imaginaire du début de cette recension.

Avec Antoine Bailly, rencontré pour une première fois dix ans avant Paulette Pommier, la critique porte sur l’aspect peu démocratique de la réforme. Notre ami genevois, qui souhaitait voir disparaître les départements, aurait aimé que les municipalités soient consultées avant de recourir au couteau ou aux ciseaux. De cette façon la fille ainée de l’Église aurait retrouvé ses fondements démocratiques. Rien de moins ! Ouf. Dans le cas de leur perte, on peut dire qu’elle appartiendrait à un grand club. Passons. Aux yeux de l’auteur, les élites parisiennes auraient perdu le sens des territoires et du vécu de ceux qui y vivent. Pleurons… Suit Alain Rallet, alors le pathos fait place à l’image : Le millefeuille ou le mille-pattes ? Mille-pattes, car on aurait multiplié les intermédiaires sans supprimer les anciens. Pour l’auteur, les responsables de la réforme seraient de joyeux drilles qu’il voit comme de drôles artificiers ayant créé un big bang à l’envers. Pourquoi alors ne pas parler d’un big crunch territorial ?

Ce très long chapitre, qui donne dans le deux dans un par ses nombreuses sec- tions, se poursuit avec Claude Lacour, grand girondin devant l’éternel, qui se réfère à Houellebecq dont la carte lui a valu (non sans raison) le Goncourt, et au Britannique Brotton pour qui une carte est plus qu’une carte. Qui a dit la même chose pour une tarte ? Une des sœurs Tatin, sûrement. À ceux qui prétendent que François Hollande fait de la politique en jouant au boucher ou au tailleur, Lacour leur dit que toute carte est politique en prenant l’exemple des États-Unis. Il aurait pu ajouter l’exemple de leur voisin tout au nord du 45e parallèle. Et comment ! Le tourangeau Jean-Paul Carrère n’en pense pas moins en estimant que le débat sur la réforme est pollué par le recoupage.

Mais, il ose espérer que l’intercommunalité donnera aux régions une vitalité qu’elles n’ont encore jamais eue quitte à ce que celle des départements en paie le prix. L’on retrouve plus loin Claude Lacour qui, Bordeaux oblige, chapeaute sa contribution d’un Vieilles bouteilles et grands crus. Comme tout le monde est pour la vertu et contre le

3 Elle fait partie de mon réseau depuis une première rencontre lorsqu’elle œuvrait pour le ministère du Tra- vail avant de passer à la DATAR, soit en… 1981.

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vice, notre collègue affirme que personne n’est contre la réforme dans la mesure où elle ne concerne que le voisin. Ici le syndrome NIMBY prend la forme de « Pas dans ma région ». Comment ne pas penser à une autre réforme que tout le monde souhaite, mais que personne ne veut au final : celle du Code du travail. Difficile à réformer la France ? Mets-en ! comme on dit au Québec.

On en arrive au chapitre 3 Une gouvernance territoriale à repenser. Mon ami Gwenaël Doré s’y distingue avec pas moins de trois sections à lui seul. Grosso modo, il estime qu’il a manqué un préalable à la réforme. Il aura fallu mieux aborder les fonctions des différents niveaux à savoir celui des régions et des « pays » où se jouent les stratégies, pour ensuite passer au niveau des gestionnaires à savoir les départements et les commu- nautés. Pour ce faire, il aurait fallu trouver une solution à la contradiction entre le besoin de proximité de gestion et la masse critique nécessaire à son exercice pour être efficace.

Le chapitre 4 La réforme territoriale et après ? offre une place particulière à Bernard Pecqueur. Elle lui revenait. Ses attentes étaient très grandes, faut-il le souligner à nouveau.

Le sont-elles toujours ? On peut en douter, le temps qui passe véhicule les désillusions. À l’instar de ce qu’écrivent Torre et Bourdin en introduction, celui pour qui le concept de territoire n’a aucun secret signale un malentendu sur la nature du territoire. De quoi parle- t-on se demande-t-il ? Il fait part de sa crainte, à l’instar de Paulette Pommier, que l’on passe au côté d’un vrai renouvellement de la démocratie dont le besoin lui paraît évident.

Y aurait-il des enjeux cachés ? s’interroge Pecqueur qui déplore la faiblesse d’un débat qui ne rejoint pas la hauteur des enjeux de la gouvernance territoriale, alors qu’André Torre de son côté considère que la réforme devrait être une chance pour le développement des territoires. Encore une fois, les espoirs formulés pourraient s’avérer vains en présence de ce qu’il estime être un gigantesque Monopoly. Ainsi, si l’architecte de la réforme a joué du couteau et des ciseaux, il semble avoir joué également avec des dés.

Le cinquième chapitre Comparaisons internationales, est relativement bref et fait office de remplissage malgré la qualité de la contribution de Paul Vermeylen. Selon ce dernier il n’existe pas de modèle européen susceptible de guider la confection de la carte régionale d’un État. Mais, dans un contexte de mondialisation toujours plus importante, il ne faut pas se surprendre du rôle grandissant des métropoles.

Mais alors, sur ce dernier point, comment ne pas conclure sur un questionnement puisque l’ouvrage en est rempli ? On ne contestera pas la pertinence de François Saint- Pierre qui dans le premier chapitre remet en cause l’intérêt de la fusion Midi-Pyrénées/

Languedoc-Roussillon : si Toulouse est une ville plus dynamique que Montpellier sur le plan économique, pourquoi mettre ces deux métropoles dans la même région ? Tout comme, à ses yeux, il ne serait guère pertinent de mettre Tarbes et Nîmes au sein de la même entité territoriale. Décidément, cet intéressant ensemble assorti de beaux gra- phiques rappelant ceux de la DATAR début de siècle comme le fait remarquer plus haut Claude. Lacour, est disponible en ligne pour une petite poignée de 50 centimes. Le lecteur dégagera, tel que déjà formulé, qu’en matière de régionalisation les Français ne sont pas effectivement sortis d’une auberge qui risque de prendre des allures très ibériques.

André Joyal Centre de développement territorial Université du Québec

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Violaine Jolivet (2015), Miami la cubaine. Géographie d’une ville-carrefour entre les Amériques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 272 pages.

Lors de sa visite à Cuba, le président Barack Obama a tenu le 22 mars 2016 le propos suivant : « Nous avons aux États-Unis un monument de ce que les Cubains sont capables de bâtir : c’est Miami »4. Cette petite phrase est un bon résumé de l’ouvrage de Violaine Jolivet qui s’intéresse à la façon dont les immigrants cubains et en particulier leur élite se sont appropriés un territoire particulier et l’ont transformé au point d’en faire une « ville relationnelle » entre les Amériques, une « ville-carrefour », « ville à bascule » qui oscille entre la mise en exergue d’une spécificité cubano-américaine et son insertion dans les flux mondiaux (économiques, culturels, sociaux).

L’ouvrage se centre sur le comté de Miami-Dade5, qui comptait 2,5 millions d’habitants en 2010, dont 69 % d’Hispaniques, et qui abrite la moitié des habitants de la métropole miamienne. Les Cubano-américains représentent de leur côté un tiers de la population totale de ce comté. Rappelons que dans le contexte étasunien, les Hispaniques sont devenus la première minorité des États-Unis, dont ils représentent environ 1/6e de la population.

L’ouvrage de Violaine Jolivet plonge dans les dimensions de pouvoir qui tendent à struc- turer un territoire. Partant du principe de Raffestin (beaucoup cité dans l’ouvrage) selon lequel l’intérêt porté aux relations dynamiques sur un territoire permet de rendre compte des modes d’inscription du pouvoir, l’auteure assume sa posture de recherche en multi- pliant les échelles d’observation et en abordant de nombreuses questions permettant, entre autres, de caractériser les processus de mobilités et d’ancrage des populations, en parti- culier pour la première génération des Cubains exilés après 1958. Au-delà des nombreux auteurs mobilisés (Foucault, Deleuze et Guattari, Agambem, Appadurai, Debord etc.) pour construire un appareil théorique visant à légitimer cette géographie relationnelle, on peut dire que Violaine Jolivet cherche à distinguer « le » politique sur le territoire miamien, à caractériser finalement ce qui rend les lieux aussi spécifiques, ce qui confère un support concret aux habitants qui y vivent. L’ambition de la démarche doit être saluée puisque non seulement elle s’attache à décrire la métropole comme un fait social total au sens de Mauss mais aussi parce qu’elle souligne les articulations de ce territoire avec d’autres, Cuba bien sûr, les États-Unis mais également le bassin caribéen et l’Amérique latine. Dès lors, on peut dire que l’auteure cherche à penser la totalité de la métropole miamienne à l’heure où les sciences sociales se contentent bien souvent de micro-objets rassurants.

Pour procéder, l’auteure découpe son ouvrage en sept parties, qui ne sont pas toutes également abouties.

La première partie est indispensable au lecteur non-familier de Cuba et de la Floride.

Violaine Jolivet distingue les différentes vagues de migration cubaines (l’exil doré, les Freedom flights ou encore les Marielitos puis les Balseros). Elle souligne combien la migration cubaine a bénéficié de conditions très favorables de la part de gouvernement étatsunien : les migrants cubains pendant longtemps n’avaient pas à justifier leur demande de résidence, et bénéficièrent de nombreuses mesures (santé, éducation, logement) des- tinées à faciliter leur intégration. Les années 1990 marquent cependant un tournant dans

4 Le Monde, 23 mars 2016.

5 Il faut bien distinguer le comté, la ville de Miami et également la ville de Miami Beach.

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cette politique d’accueil avec notamment la loi « pied sec, pied mouillé » qui octroie le droit de résidence aux Cubains ayant atteint la terre ferme mais renvoie ceux qui se trouvent en mer à Cuba, ce qui tend à favoriser une immigration illégale.

Les deux parties suivantes « Les mécanismes de l’ancrage » et « Faire avec l’espace » soulignent les appropriations différenciées de l’espace miamien selon les dates de migra- tions et s’intéressent particulièrement à l’importance de la « communauté pionnière », celle de la génération qui n’a vécu qu’une partie de son enfance à Cuba, contrairement donc à la génération précédente qui a émigré à l’âge adulte (qu’elle qualifie de « communauté morale ») et à la suivante, née aux États-Unis. Les traces de l’ancrage cubain sont multiples dans le Comté de Miami-Dade avec différents mécanismes favorables à la reproduction du groupe : « le marché communautaire, l’usage habile des aides étatsuniennes, la (re)pro- duction des lieux de vie et d’un chez soi » (p. 78). L’auteure utilise fort à propos de nom- breuses photographies pour en rendre compte. En fait, l’auteure voit les Cubains comme des conquistadors de l’espace urbain qu’ils ont modelé à leur profit, en misant notamment fortement sur leurs réseaux économiques propres, sur les investissements immobiliers et sur l’économie de la drogue qui a été fondamentale dans le développement de Miami.

L’appropriation de l’espace est également allée de pair avec une représentation politique massive à partir des années 1980, « disproportionnée eu égard à la diversité des groupes qui peuplent la cité » (p. 96). Le personnel cubano-américain supplante peu à peu les anciens représentants, notamment grâce aux modifications successives des découpages électoraux, qui leur permettent de contrôler des territoires plutôt homogènes.

Les deux chapitres suivants distinguent deux territoires bien différents. D’abord, Little Havana. Ce quartier central d’environ 50 000 habitants fut le quartier historique de l’an- crage des Cubains à Miami, avant que la transformation de la composition de la popula- tion ne le transforme plutôt en quartier hispanique pauvre, qui fait aujourd’hui l’objet de politiques de revitalisation destinées à favoriser le retour en ville de populations aisées.

Les discussions sur Little Havana sont l’occasion pour Violaine Jolivet de réfléchir sur le caractère historiquement ségrégué de la ville (en particulier pour les populations noires) et de mettre en évidence des formes de gentrification. Cependant, c’est plutôt Hialeah qui retient l’attention de l’auteure et du lecteur. 225 000 habitants peuplent cette deuxième ville la plus peuplée du Comté, dont 73 % de Cubano-américains et cette suburb aux pay- sages monotones semble le lieu clé de la mise en place d’un clientélisme politique qui en fait une chasse gardée pour les représentants cubains. Hialeah apparaît comme une sorte d’ethnoburb mêlant à la fois la suprématie du pavillon de banlieue étasunien classique et une cubanisation des trottoirs, magasins et restaurants lui conférant une ambiance cubaine qui a fait fuir les populations non-cubaines. L’auteure conclut en soulignant que Hialeah

« est certes une porte ouverte pour les investisseurs, mais c’est aussi une ville qui se gouverne en huis clos » (p. 168), avec de nombreux cas de corruption et de passe-droits.

Violaine Jolivet souligne d’ailleurs qu’elle n’a pas pu y mener d’entretiens officiels que ce soit avec les conseillers locaux ou dans les bibliothèques ou les maisons de retraite…

Les deux chapitres finaux cherchent notamment à qualifier l’importance de Miami et à rendre compte de ses spécificités. L’auteure s’interroge sur la place de Miami dans la hiérarchie des villes globales. Si certaines données économiques (importance de l’aéroport, du fret, du tourisme, des investisseurs latino-américains) soulignent son importance, on constate cependant que les sièges de multinationales ne sont pas légion et que Miami ne

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concentre pas les fonctions de commande de l’économie mondiale. Plutôt qu’une ville glo- bale, elle apparaît à l’évidence comme une ville carrefour et donc plutôt comme un centre régional à cheval sur les deux sous-continents. On y retrouve les traits caractéristiques de l’urbanisme contemporain diffusé dans les métropoles mondiales, entre condominiums aisés sur le front de mer d’un côté et expériences plus locales du New Urbanism de l’autre.

Le dernier chapitre la définit comme « ville communicationnelle » en mettant notamment l’accent sur son caractère central dans la production médiatique hispanophone (presse, radios etc.) puis en s’intéressant au « paysage sonore » et à l’omniprésence de la langue espagnole dans l’espace public. Le fait que la Floride ait été en 1963 le premier État à mettre en place un système d’éducation publique bilingue revêt une importance majeure dans cet état de fait. La créolisation apparaît pour l’auteure comme la marque de fabrique de cette ville relationnelle, de cette adaptation du territoire miamien aux exigences des Cubains, et plus généralement de l’importance de la ville sur sa zone d’influence latino-américaine.

Stimulante par son objet et son ambition, la démarche de Violaine Jolivet souffre cependant de quelques faiblesses.

La première renvoie à ce qu’on pourrait classifier comme des enjeux de méthode.

L’auteure ne nous donne finalement que peu d’informations sur les données qu’elle produit.

Les sources sont très diverses (recensements, entretiens, presse etc.) et cette diversité appa- raît parfois problématique tant le choix des sujets abordés est parfois peu justifié. Ainsi on s’étonne du poids accordé aux radios à l’heure où les réseaux sociaux occupent une place majeure (ch. 7). De même, le panorama économique du comté n’est pas dressé clairement alors qu’on aurait souhaité en savoir plus sur le poids du tertiaire (et des industries créatives par exemple). Certaines données sont assez étonnantes comme les « 17 000 firmes » qui se seraient installées à Hialeah en 10 ans dans les années 1960. Beaucoup d’extraits d’entretien semblent utilisés comme des éléments de preuve alors même que les enquêtés sont assez peu ou mal situés. On regrette également que les descriptions des quartiers ne soient pas davantage ethnographiques. L’auteure justifie longuement la démarche de géographie rela- tionnelle mais elle ne l’ancre pas dans une méthode de terrain suffisamment convaincante.

La seconde renvoie à d’insuffisants développements sur la domination cubaine dans les réseaux politiques locaux. On regrette de ne pas avoir davantage de données sur la domination cubaine à l’échelle de la ville et surtout sur la mise en évidence des diffé- rents réseaux. Peu de portraits sont dressés des leaders cubains et des entretiens auraient certainement pu mettre en évidence des registres de justification intéressants. De même, on peine à comprendre la manière dont les mécanismes du pouvoir castriste auraient donné naissance à des formes proches de contrôle de l’espace à Hialeah. Les comités de quartier révolutionnaires ont-ils effectivement des équivalents dans les sergents (petits chefs) au sein des logements sociaux de Hialeah ? La démonstration n’est pas apportée et l’affirmation surprend d’autant plus que l’auteure a mis en évidence l’importance des Neighborhood Enhance Teams dans le contrôle du territoire, institutions dans l’inspira- tion est clairement libérale-conservatrice.

Enfin l’auteure utilise beaucoup de citations ou de références très rapides à des auteurs aussi distincts que Foucault, Arendt, (Neil) Smith et Gottmann entre autres, citations qui alourdissent plus le propos qu’elles ne le rendent intelligibles. C’est d’autant plus dom- mage que le style est lui très clair et qu’on regrette d’une certaine manière que l’auteure ne soit pas plus longue dans ses descriptions du Miami cubain.

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Pour conclure, Miami la cubaine est un ouvrage dont le propos général est tout à fait convaincant, tant sur la description des modalités de l’inscription cubaine sur le territoire que dans la caractérisation, à partir de cette cubanisation de Miami, de l’influence de la métropole sur les territoires alentour. Davantage qu’une ville paradigmatique qui pren- drait la relève de Chicago ou Los Angeles, Miami apparaît bien comme une ville-carre- four, une ville-relationnelle à la géographie mouvante. Il sera particulièrement intéressant d’observer les effets du rapprochement entre Cuba et les États-Unis, étant donné que cette ville a été forgée par une idéologie anti-castriste.

Paul Cary Université Lille 3/Ceries

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Maria Inês Pedrosa Nahas (org.), 2015, Qualidade de vida urbana. Abordagens, indicadores e experiências internacionais, Belo Horizonte, Edit. C/Arte, 183 pages.

Dans les années 1990, les différents débats autour des conséquences sociales et envi- ronnementales de l’expansion urbaine accélérée des dernières décennies ont fait émerger un nouvel indicateur, « la qualité de vie urbaine ». Ce dernier apparaît comme idéal pour évaluer les conditions de vie, le bien-être, ainsi que l’inclusion/exclusion d’une popula- tion urbaine déterminée. La plupart des expériences et des approches présentées par Maria Inês Pedrosa Nahas dans l’ouvrage Qualidade de vida urbana. Abordagens, indicadores e experiências internacionais s’inscrivent dans cette réflexion. Ce livre est constitué de 9 articles, la plupart présentés au séminaire International « Indicadores Urbanos para o Planejamento Municipal: Tendências e desafios » (Belo Horizonte, 2011) par 10 collabo- rateurs de réputation internationale dans des disciplines variées.

L’ouvrage, divisé en quatre parties principales et une conclusion, est une discussion à la fois théorique et pratique sur la construction et la mise en place de nouveaux indicateurs de richesse et du bien-être comme outils pour la planification et la gestion urbaine. Dans une première partie, les articles soulèvent des questions théoriques relatives aux défis de la mise en place de ces nouveaux indicateurs, censés contester l’approche « économiciste ». La deuxième partie expose deux expériences de construction d´indicateurs par des institutions publiques. L’une de ces expériences a été la création de l’Indicateur de Qualité de Vie Urbaine (IQVU) par la Mairie de Belo Horizonte et la Pontifícia Universidade Católica de Minas Gerais. C’est précisément l´organisatrice de cet ouvrage qui a mené la réflexion à l’origine de cette méthodologie, reproduite en 2015 dans 5 560 municipalités brésiliennes.

Finalement, les troisième et quatrième parties présentent plusieurs cas où les indicateurs ont été utilisés comme outils de gestion et de gouvernance urbaine, mais aussi employés par la société civile comme instruments de contrôle social.

Plus qu’un simple recueil d’articles, l’ouvrage apparaît comme un dialogue entre les 10 collaborateurs. Ces derniers livrent un regard critique envers l’hégémonie des indi- cateurs économiques. Ainsi, les indicateurs tels que l’IQVU, proposé par M. Nahas, l’Urban Deprivation Index (UDI), exposé par A. Nehmeh et les sphères d’intégration/

exclusion suggérées par G. Busso, aspirent non seulement à faire contrepoids aux indica- teurs de revenus, mais aussi à rompre avec la dichotomie « pauvre/pas pauvre » typique

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de ces analyses. G. Busso et P. Jannuzzi défendent la nécessité de lier les notions de vul- nérabilité, d’inclusion, d’exclusion et de marginalisation afin de concevoir des politiques publiques mieux ajustées pour combattre la reproduction du phénomène de pauvreté. Il ne s’agit plus alors d’élaborer des catégories exclusives de niveaux et de composition de revenus, mais, plutôt, comme l’établit G. Busso dans la première partie de l’ouvrage, d’analyser le désavantage social.

Ce désavantage - ou handicap social - pourrait être conçu comme un continuum de conditions inhérentes à la capacité d’une population déterminée à s’intégrer et, surtout, à profiter d’un éventail de services et d´opportunités offerts par une société. L’analyse des dimensions physiques des habitations et du niveau de revenu des foyers doit désormais être complétée par des mesures plus qualitatives comme la perception de l’espace public ou encore l’(in)existence d’organisations de la société civile. En ce sens, la construction d’indicateurs géo-référencés dans l’espace intra-urbain, tels que l’IQVU, apparaît comme l’expression d’une préoccupation pour évaluer non seulement l’accès social aux services, mais aussi l’accès spatial. En effet, ce dernier indicateur innovant inclut une « mesure d’accessibilité », visant à incorporer le temps des déplacements d’une population afin de pouvoir profiter de certains services. Bien qu’augmentant la complexité des méthodolo- gies, la spatialisation des indicateurs permet de révéler les asymétries urbaines.

Les suggestions et les critiques présentées dans cet ouvrage reflètent la préoccupation du monde académique et de la société civile d’établir de nouveaux outils de mesure qui améliorent la gestion et la gouvernance urbaine. La Méthode d’Analyse de Multivariables (MAM), présentée par Y. Cabannes comme une nouvelle façon de différencier et d’éva- luer les Budgets Participatifs, ainsi que les Enquêtes de Participation Citoyenne, promues par les organisations non-gouvernementales « Cómo Vamos » et exposées par P. Restrepo et T. Lobo, en sont un bon exemple. Cette dernière enquête, connue à Rio de Janeiro sous le nom de “Recherche de perceptions”, tente de conférer une légitimée sociale à ces indi- cateurs (et non uniquement scientifique) en incluant la population dans leur construction.

Même si l’ensemble des auteurs défend les arguments exposés ci-dessus, il existe quelques points de discorde entre eux. Par exemple, l’Urban Deprivation Index proposé par A. Nehmeh apparaît comme la matérialisation de tout ce qui a été critiqué par des auteurs tels que G. Busso, P. Cary et F. Jany-Catrice. Ces deux derniers auteurs remettent en question certains types d’indicateurs qui, créés par des experts, utilisent les mêmes paramètres de développement - eurocentrés - que les indicateurs traditionnels. G. Busso souligne également l’importance de s’éloigner des mesures qui prennent en compte uni- quement les dimensions matérielles de la pauvreté et de la marginalité.

En revanche, même si A. Nehmeh s’abstient d’utiliser des mesures telles que les reve- nus et les dépenses, il continue à se concentrer sur la pauvreté matérielle. De plus, les indicateurs qu’il mobilise pour analyser chaque dimension de l’UDI, reflètent une repré- sentation de la richesse centrée sur le mode de vie occidentale. Des indicateurs tels que

« household does not own a private car », « household does not have a bank account »,

« household has not been in restaurant or coffee shops for the past two months », en sont un bon exemple. C’est précisément par rapport à ces nouveaux indicateurs de richesse que P. Cary et F. Jany-Catrice se montrent assez sceptiques, et s’interrogent sur leur capa- cité à contester la suprématie du PIB et à leur possibilité de modifier les imaginaires politiques dominants.

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Il convient de soulever ici quelques questionnements relatifs à la méthodologie utili- sée dans certaines expériences exposées par les auteurs, ainsi qu’à leur mise en pratique.

Les tableaux et les graphiques proposés par G. Busso, dont l’objectif est d’analyser les niveaux d’intégration/exclusion d’une population, semblent difficilement reproductibles dans d’autres contextes et par n’importe quel acteur. De même, Y. Cabannes, laisse au lec- teur le soin de comprendre la méthodologie qui a été utilisée pour définir les trois niveaux d’accords qui servent à évaluer les Budgets Participatifs. L’origine et la raison d’être de ces trois niveaux - minimal, moyen, avancé - ne sont jamais dévoilées au lecteur.

Finalement, il nous faut questionner les initiatives telles que les « Cómo Vamos », exposées dans la dernière partie du livre. Même si l’objectif de ces organisations non- gouvernementales est d’exercer un contrôle social, les intérêts qui peuvent se cacher der- rière ce contrôle financé par des institutions privées doivent être étudiés avec attention.

Que se passe-t-il quand les politiques publiques d’une mairie contredisent les idéolo- gies des bailleurs de ces institutions ? L’accent mis sur certains indicateurs de perception citoyenne serait-il toujours le même ? Les résultats des analyses de ces organisations ne pourraient-ils pas être biaisés par la nature des relations entre bailleurs et décideurs poli- tiques dans les mairies ?

Pour conclure, l’ouvrage Qualidade de vida urbana. Abordagens, indicadores e expe- riências internacionais présente des débats et des expériences qui éclairent les différentes manières d’interpréter la richesse. Ces expériences attestent d’une rupture d’une partie du monde académique et de la société civile vis-à-vis d’un système qui interprète le monde selon des paradigmes plutôt néolibéraux. Le livre est donc une invitation à réfléchir à de nouveaux indicateurs sociaux et environnementaux dont les cadres d’analyse ne reposent plus sur des niveaux de progrès à la Rostow. Chacun des articles soutient et renforce, avec une approche complémentaire, la nécessité de rompre avec la croyance d’une supposée objectivité des mesures quantitatives. Tout indicateur, quantitatif ou non, est le résultat d’un système de valeurs qui oriente, indiscutablement, les perceptions et les choix de ceux qui le construisent et le mettent en œuvre.

Natalia Duarte Cáceres Universidad de La Sabana (Colombie)

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Dominique Vidal, 2016, Le Brésil. Terre de possibles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Collection « Des Amériques », 130 pages.

Dominique Vidal réussit un pari difficile : faire tenir dans un petit format une sociologie du Brésil, ce pays de 200 millions d’habitants, grand comme 16 fois la France. Il lui fallait pour cela éviter au minimum trois écueils. D’abord se distinguer des nombreux ouvrages de synthèse en géographie (dans une moindre mesure en histoire), qui insistent fortement sur les dynamiques spatiales différenciées et s’inscrivent souvent dans un temps long, décrivant les différents cycles économiques du Brésil etc. Ensuite, il fallait parvenir à dégager un fil directeur capable de résister au discours selon lequel la diversité sociale, régionale ou cultu- relle du Brésil résisterait à tout discours totalisant. Enfin, de façon plus conjoncturelle, il s’agissait de ne pas céder aux sirènes de la prédiction étant donné l’actualité politique char-

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gée du moment, avec la destitution en cours courant 2016 de la Présidente Dilma Rousseff et les procédures judiciaires multiples de l’opération Lava Jato.

Les deux premiers écueils sont évités grâce au choix d’une ligne directrice claire, qui se penche sur le sens de l’expérience démocratique dans le Brésil contemporain. Il ne s’agit plus, comme les « transitologues » le faisaient à une époque, de savoir où en est le Brésil sur une échelle de la démocratie vue alors comme un modèle figé mais plutôt de dégager les significations de l’expérience démocratique dans les relations sociales, donc de réfléchir aux formes collectives de vie en commun. Pour le dire en d’autres termes, l’appareil théo- rique de D. Vidal puise dans un héritage inspiré par Claude Lefort où le politique corres- pond à la mise en sens du social. L’auteur n’a ainsi de cesse de s’interroger sur ce qui « fait société » au Brésil, dans une société où la représentation des individus comme égaux ou semblables ne va pas toujours de soi. Pour ce faire, sans s’interdire de mettre en perspective des épisodes majeurs de la formation du Brésil, il s’ancre résolument dans les trois der- nières décennies afin de percer « la singularité de l’expérience démocratique qu’il connaît » (p. 13). Cette lecture résolument sociologique confère sa spécificité à l’ouvrage et l’auteur ne cache pas que sa lecture de la société brésilienne, « ouverte et fluide » revêt une « tonalité positive » (p. 111). Ainsi D. Vidal peut échapper à la tendance de la « permanence » qu’on trouve dans certains manuels de géographie (dans lesquels la trajectoire du Brésil serait surdéterminée par le modèle d’occupation du territoire) et nous décrit un pays en prise avec son historicité. Pour autant, l’optimisme de l’auteur le pousse peut-être à minimiser les dif- ficultés (politiques, économiques, sociales) que connaît actuellement le pays. L’importance de la corruption dans la vie politique locale, régionale ou nationale, notamment par le biais des groupes de travaux publics (comme Odebrecht) ou des entreprises et les effets déstabi- lisateurs qu’elle pourrait avoir sur les institutions est peut-être sous-estimée.

L’ouvrage, s’il donne les clés de compréhension de moments importants du XXe siècle comme l’ère Vargas où furent concédés les droits sociaux des travailleurs et le bascule- ment dans la dictature militaire qui se met en place en 1964, se focalise, on l’a dit, sur les 30 dernières années. Dominique Vidal revient en particulier sur le caractère négo- cié du retrait de la dictature militaire et sur les implications contemporaines de cette transition. En particulier, pour les lecteurs non familiers du Brésil, on peut souligner que les exactions de cette période n’ont pas fait l’objet de poursuites suite à une loi d’amnistie de 1979. Les années 1980 furent aussi celles, difficiles, de l’hyperinflation et de l’explosion de la criminalité. En ce sens, la jeune démocrate brésilienne a accouché d’une Constitution (1988) particulièrement ambitieuse et porteuse de nouveaux droits dans un contexte social qui rendait leur mise en place bien difficile. C’est dans les années 1990 que l’auteur a commencé à s’intéresser au Brésil et à y mener ses premiers terrains d’observation, en particulier à Recife : il montrait dans son premier ouvrage La politique au quartier6, combien, dans les rapports sociaux du quotidien, était formulée une exi- gence de respect, structurante, qui renvoyait au refus d’être catégorisé comme citoyen de seconde zone. Il y faisait déjà le constat, dans une ville aux inégalités sociales mar- quantes, d’une véritable infusion de l’idée démocratique. D. Vidal prolonge ses réflexions et ne manque pas de souligner la continuité entre les mandats des présidents Fernando

6 Dominique Vidal, 1998, La politique au quartier. Rapports sociaux et citoyenneté à Recife, Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme.

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Henrique Cardoso et de Luiz Inacio Lula da Silva, réfutant le discours souvent entendu d’une opposition entre un président favorable au néo-libéralisme (le premier) et un autre qui aurait été celui de la rupture (le second).

L’organisation de l’ouvrage, en cinq chapitres (Inégalités et mobilités ; Métissage ; Sociabilités ; Institutions et pratiques politiques ; Défis de l’âge démocratique) est adroite en ce qu’elle évite les catégorisations trop fermées (l’économie du Brésil, sa population) et permet à l’auteur d’approfondir son argumentation sur l’expérience démocratique dans la société brésilienne contemporaine. Les quelques répétitions liées aux recoupements thématiques permettent d’approfondir les questions et les encarts sur un sujet particulier (les Yanomani, les budgets participatifs) seront très utiles au lecteur.

Le premier chapitre insiste sur les ambivalences entre la persistance de niveaux d’iné- galités très élevés et l’importance des transformations récentes, en particulier les mobili- tés sociale et géographique qu’ont connues de nombreux Brésiliens. L’auteur revient en particulier sur les débats autour de la définition de la classe moyenne, enjeu politique et scientifique d’une certaine représentation de la société, et également sur l’importance très relative du discours de la lutte des classes au Brésil. S’il voit dans les droits sociaux attri- bués sous l’ère autoritaire de Getúlio Vargas l’expression d’une citoyenneté réglementée, il souligne que l’accès aux droits du travail reste aujourd’hui un « symbole de l’inclusion sociale » (p. 34) pour les travailleurs domestiques ou ruraux.

Le second chapitre embrasse, sous le titre « Métissages », deux grandes thématiques.

Il revient d’abord sur la construction de l’identité nationale en soulignant combien les travaux de Gilberto Freyre dans les années 1930 ont concouru à la valorisation d’une

« démocratie raciale », alors que dans les années 1870 on encourageait encore un blan- chiment de la population par l’appel à l’émigration européenne. Il souligne la montée des débats contemporains autour du racisme et des discriminations en soulignant à la fois les stratégies individuelles de distinction (et d’auto-qualification), l’essor de mou- vement collectifs notamment autour des descendants d’Africains et la mise en place de politiques publiques de discrimination positive pour les descendants des Indiens ou les Afro-descendants. On peut voir ainsi combien l’idéologie du métissage, sur laquelle la dictature militaire avait fortement insisté notamment en mettant en scène les exploits de l’équipe nationale de football de 1970, fait aujourd’hui moins consensus au profit d’une approche qui valorise la lutte contre les discriminations. De fait, il ne manque pas de déceler dans cette évolution le fait que la société brésilienne « n’ignore plus sa réalité sociologique » (p. 51) et donc le signe de l’imprégnation des idéaux démocratiques.

Le chapitre suivant « Sociabilités sous tensions » est un passage obligé de l’étude du Brésil. D. Vidal passe en revue des thématiques aussi diverses que le divertissement, la sexualité, le rapport de clientèle et le fameux jeitinho, stratégie généralisée de la débrouille, qui embrasse aussi bien la fraude fiscale des plus aisés que le système D des plus pauvres pour décrocher un rendez-vous à l’hôpital. Il rappelle le fait que le recours croissant au droit peut aujourd’hui largement s’interpréter comme l’affaiblissement de relations de domination traditionnelles, qui étaient symbolisées par l’expression « Savez- vous à qui vous parlez ? »7. On regrettera que des thématiques comme le rapport au corps

7 Roberto da Matta, 1997, Carnavais, Malandros e Herois. Para uma sociologia do dilema brasileiro (6e éd.), Rio de Janeiro, Rocco.

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