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Géographie Économie Société: Article pp.579-593 of Vol.18 n°4 (2016)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 18 (2016) 579-593

Comptes Rendus

Christophe Assens, 2013, Le management des réseaux – Tisser du lien social pour le bien-être économique, Bruxelles, De Boeck, 168 p ages.

Cet ouvrage est le fruit des recherches de son auteur Christophe Assens1 sur le mana- gement des réseaux depuis une vingtaine d’années. La fi gure du réseau est par nature une fi gure transdisciplinaire qui correspond aux regards croisés de la revue Géographie Économie Société. Ainsi, bien que l’auteur relève, institutionnellement, de la discipline des sciences de gestion, il prend bien soin de replacer le réseau dans son contexte éco- nomique, social et territorial. Le sous-titre (Tisser du lien social pour le bien-être éco- nomique) est à ce titre particulièrement évocateur de la perspective socio-économique de l’ouvrage. Celui-ci a été récompensé en 2014 par le prix SFM (Société Française de management) - Syntec du meilleur ouvrage de recherche appliquée en management et par le prix littéraire de la Fondation ManpowerGroup - HEC Paris. Son auteur Christophe Assens a ainsi été récompensé pour les implications pratiques de son ouvrage pour les organisations et leurs décideurs.

En remettant en cause dès l’introduction le cadre de référence classique des entre- prises qu’il compare à celui de la tragédie grecque : unité de lieu (par la globalisation), de temps (par les procédés de communication) et d’action (par de nouveaux problèmes de gouvernance), l’auteur donne le ton à son ouvrage. Il vise à examiner « le management des relations » de ces entreprises qui obéissent aujourd’hui à des règles plus nombreuses et sont soumises à des frontières plus fl oues qu’auparavant. « Pour réduire les risques d’incertitude dans le rapprochement des fi rmes émerge une forme d’organisation au sein de laquelle les principes de confi ance et de réciprocité vont prévaloir : le réseau » (p. 14).

Partant de l’étymologie latine du mot « réseau » (« retis », fi let ou maillage) et de son origine historique liée au maillage entre artisans, sorte de communauté productive, du Moyen Âge, l’auteur défi nit le réseau ainsi : « Qu’il soit d’origine sociale ou technique, le réseau sert à décrire un mode d’organisation basé sur des relations d’échanges entre des entités autonomes, qui sont connectées entre elles malgré l’éloignement physique ou cognitif, pour valoriser leurs complémentarités » (p. 16).

Sur la base de cette défi nition, le livre cherche à analyser « les mécanismes de création de richesse à partir du lien social » (p. 23) en mettant en perspective les relations de la notion de réseau avec le capitalisme d’une part (premier chapitre), l’entreprise d’autre

1 Christophe Assens est Maître de Conférences en Sciences de Gestion et Directeur adjoint du LAREQUOI, laboratoire de recherche en management de l’Université Versailles St-Quentin-en-Yvelines.

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part (deuxième chapitre) et enfin le territoire (troisième chapitre). Ce choix, rapidement justifié dans l’introduction, permet au livre d’aborder les différentes dimensions spatiales et temporelles mais aussi macro, méso et micro de la notion de réseau.

Le premier chapitre aborde la thématique « réseau et capitalisme » à travers une mise en perspective historique de la crise intrinsèque du capitalisme et le réseau y est étudié comme un mécanisme régulateur de l’économie capitaliste, au même titre que l’État ou le marché. Ces derniers semblent aujourd’hui impuissants à faire converger l’économie mondiale vers le bien-être général. Durant trente ans, la rémunération des facteurs de production (travail et capital) s’est progressivement détachée d’une base économique réelle, à savoir la contribution des facteurs à la valeur ajoutée. L’intérêt général s’est ainsi progressivement éloigné du cœur des préoccupations des dirigeants d’entreprises, plus préoccupés de satisfaire aux pressions de la gouvernance actionnariale. À partir de la fin 2007, la bulle spéculative a entraîné l’économie mondiale dans une crise financière puis une grave récession aux racines économiques profondes. Dans ce cadre, la question posée est de savoir si le capitalisme de réseau, présenté par l’auteur comme une sorte de démocratie participative fondée sur davantage de solidarité entre ses acteurs, peut servir de réponse à cette crise du capitalisme. Le capitalisme de réseau permet, par le biais de la confiance, de créer et de répartir la richesse de façon plus équitable que le capitalisme d’État. Il s’appuie sur les mécanismes d’ajustement ou de connivence entre les parties prenantes pour parvenir à la création de richesse, non par l’acquisition exclusive de droits de propriété sur les ressources mais par l’acquisition de droits collectifs de propriété qui impliquent le partage de ces ressources.

À partir de la littérature académique, l’auteur distingue trois formes de réseau : - le réseau distribué ou autogouvernance, comparable à une « communauté de pratiques »,

est une forme de réseau au maillage dense où les conventions entre les membres per- mettent au réseau de s’autoréguler (modèle dominant dans les réseaux sociaux) ; - le réseau piloté comprend un acteur qui joue le rôle de coordinateur central de ses

membres (modèle dominant dans l’économie marchande) ;

- le réseau administré comprend des règles institutionnelles qui permettent la coopé- ration entre ses membres et où la gouvernance est assurée par des membres élus à la tête du réseau (modèle dominant dans l’économie sociale et solidaire).

Pour l’auteur, « le réseau offre le visage d’un nouveau contrat social dans le capita- lisme » (p. 52). Il permet la mutualisation des ressources sur la base d’un contrat moral.

Néanmoins, dans le capitalisme de réseau, l’ordre social établi s’applique aux membres du réseau (« l’intérêt du club ») et ne correspond donc pas nécessairement à l’intérêt général. Le réseau, en favorisant le mimétisme des acteurs, tendrait même à renforcer les risques de crise systémique (cas des subprimes) au sein du capitalisme de réseau. Dans cette situation, il semble difficile de faire sortir l’économie mondiale de la crise si ce n’est en replaçant l’idée d’intérêt général au centre même de l’entreprise en charge de la création de valeur en prenant en compte les attentes de toutes les parties prenantes. Pour l’auteur, la finance devrait reprendre la place économiquement neutre (et non créatrice de valeur) que lui accordait JB Say (1841). « Dans cette perspective, cela nécessite pour les pouvoirs publics d’adopter une régulation propice à une performance de long terme, qui conduise les acteurs à adopter un comportement éthique, soucieux du bien commun, et non pas à courte vue » (p. 58).

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Le deuxième chapitre aborde la thématique « réseau et entreprise » sous l’angle straté- gique. L’auteur part de la question classique en stratégie d’entreprise du « faire » (interna- liser) ou « faire faire » (externaliser). Pour lui, le réseau se comprend comme un ensemble varié de collaborations entre des entreprises indépendantes et complémentaires, rendant ainsi plus difficile la détermination des frontières entre les entreprises. À contre-courant de la littérature issue des travaux de Coase (1937) puis de Williamson (1983) et dans le prolongement des travaux de Powell (1987), il présente le réseau non pas comme une forme hybride entre le marché (et ses coûts de transaction) et l’organisation (et ses coûts d’intégration) mais comme un mode d’organisation à part entière. Il dispose en tant que tel de ses propres mécanismes de gouvernance avec au cœur de ceux-ci la confiance, venant pallier le caractère incomplet des contrats. La confiance est une notion centrale dans le livre par laquelle l’auteur fait un long détour pour la mettre au cœur du fonc- tionnement d’un réseau. Il la définit comme « l’acceptation d’un individu d’être exposé librement aux décisions arbitraires d’un autre individu » (p. 77). Le management par la confiance apparaît comme un mode de coordination des collaborations entre les entre- prises du réseau, à la manière d’un « lubrifiant des relations sociales » (Arrow, 1972). Au travers des illustrations de Benetton en Italie (confiance intuitu personae), du Technopark à Casablanca (confiance institutionnelle), du réseau Ikea dans l’ameublement ou du réseau Ford dans l’automobile (confiance relationnelle), la confiance apparaît sous ses diverses formes, comme la condition d’équilibre, parfois instable, de cette forme spéci- fique qu’est le réseau.

Le troisième et dernier chapitre aborde la thématique « réseau et territoire ». L’auteur déplace ici la problématique vers les réseaux territoriaux, à l’échelle mondiale, régionale puis locale, afin d’examiner les modalités de répartition des créations de valeur et de par- tage des rentes relationnelles entre les acteurs au sein des différents territoires.

Au niveau supranational, l’auteur propose un zoom sur l’Union Européenne (UE) qu’il appréhende comme « un réseau de pays » (p. 101). Au sein de ce réseau, il montre com- ment le principe de subsidiarité gouverne les décisions et les actions des différentes parties prenantes : elles sont prises au « niveau le plus bas » en général sauf si un « niveau supé- rieur » est requis pour l’intérêt collectif (recherche de la taille critique à travers de grands projets européens comme Galileo, Airbus ou Ariane par exemple). Régulé par des règles conventionnelles puis institutionnelles, le réseau de pays est menacé d’éclatement lorsque le nombre de membres de l’UE augmente et que la coordination entre ses membres devient trop difficile. De même, lorsque le territoire de l’UE devient trop grand ou morcelé, il ne parvient plus à jouer son rôle fédérateur grâce à la proximité entre ses membres.

Au niveau régional, le réseau renvoie à diverses appellations. Le réseau territorial ou

« écosystème d’affaires à l’échelle territoriale » (p. 111) est généralement constitué par un ensemble d’entreprises et de parties prenantes de divers statuts (en termes de taille, marchand/non marchand, public/privé, recherche/industrie, appartenant à la même filière ou à des activités complémentaires, etc.). Revenant sur les fondements théoriques des écosystèmes d’affaires (Moore, 1996), l’auteur égraine successivement le district indus- triel de Marshall (1920) et son économie d’agglomération, réexaminé dans le contexte italien à l’image du réseau Benetton, puis les clusters de Porter (1998), dont l’exemple emblématique est celui de la Silicon Valley ayant inspiré en France la technopole de Sophia-Antipolis et enfin les 71 pôles de compétitivité essaimés sur l’ensemble du terri-

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toire français. L’auteur est critique à l’égard de cette construction de pôles sachant que

« l’innovation ne peut pas se décréter » (p 114) expliquant que le manque de confiance et d’intérêts compatibles seraient à l’origine du manque de compétitivité d’un tiers de ces pôles de compétitivité en France. Il s’intéresse en particulier aux avantages territo- riaux ou « effets de proximité » (Rallet et Torre, 2005) : la proximité géographique (l’ap- partenance à un même territoire), la proximité industrielle (l’appartenance à une même filière d’activité) et la proximité identitaire (la connivence locale autour du métier et des valeurs) expliquent les avantages compétitifs d’un réseau territorial, quel qu’il soit (dis- trict, cluster ou pôle de compétitivité). Ces avantages sont précieux car, « à l’image d’un bien commun… ils bénéficient à tout le monde et à personne en particulier » (p. 115).

Au niveau local, à travers le cas d’Hervé Thermique, PDG de l’entreprise acronyme puis maire de la ville de Parthenay, l’auteur montre qu’un cas de démocratie d’entre- prise n’est pas nécessairement transposable à un modèle d’autogestion d’une ville. À travers ces diverses situations (entreprise, administration publique ou ville), il conclut qu’il n’existe pas un modèle unique de gouvernance mais plutôt des combinaisons de pratiques managériales opposées et complémentaires : la hiérarchie (autorité) garante de la dimension politique, le marché (négociation) garant de la dimension économique et le réseau (coopération) garant de la dimension sociale.

L’auteur conclut son livre en attribuant à la logique de réseau une double ambition : une ambition économique en contribuant à développer l’intelligence collective et une ambition sociale où la logique du lien l’emporte sur la valeur du bien (en reprenant Marcel Mauss). Considérant l’entreprise comme un lieu de socialisation mais aussi les territoires comme des lieux de solidarité, le réseau apparaît à l’auteur comme une réponse à la complexité grandissante d’une économie sans frontières ou au désenchantement des salariés dans leur univers de travail. L’auteur imagine un acteur, l’homo reticulus (p. 14), qui réconcilierait l’homo economicus, totalement mû par un intérêt égoïste et l’homo sociologicus, complètement social. Il évoque un capitalisme de réseau qui réconcilierait capitalisme de marché et capitalisme d’État. Quant au management en réseau de l’entre- prise, il réconcilierait la main invisible du marché et la main visible du dirigeant pour la création de valeur (Assens, 2013).

Le management des réseaux est, à n’en pas douter, un ouvrage ambitieux qui vise à montrer que le réseau contribue à « créer de la richesse économique à partir du lien social » (p. 146). Il s’agit d’un remarquable travail de synthèse des travaux de son auteur sur la gouvernance des réseaux, les stratégies interorganisationnelles et les avantages compétitifs des réseaux territoriaux. Finalement, il s’agit d’un livre hybride qui se situe quelque part entre le manuel, pour son exhaustivité, et l’ouvrage de recherche, pour ses nombreuses références à la littérature de théorie des organisations, de sociologie, d’éco- nomie et de management stratégique (champ des sciences de gestion duquel l’auteur se revendique) dont nous n’avons pu donner ici qu’un rapide aperçu. Il aborde de nom- breuses dimensions et de nombreuses références disciplinaires qui en font un ouvrage de fond dont il est délicat de rendre compte en si peu de pages tant son contenu est riche et hétéroclite.

Cet ouvrage offre un maillage intéressant et dense de connaissances théoriques et empiriques sur le management des réseaux. Il met en outre en perspective la notion de réseau, tant par sa contextualisation (macro/micro, État/entreprise) que par la variété de

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ses objets (entreprise, système économique). Il est ainsi susceptible d’intéresser un public académique large appartenant à des champs disciplinaires variés. Plus largement encore, sa lecture est susceptible d’être tout aussi bénéfique pour un lectorat académique que pour des décideurs privés et publics.

La lecture de cet ouvrage peut néanmoins susciter des questions chez un lecteur non averti. Certains jugeront que l’ouvrage reflète par endroits une vision trop optimiste des effets macro-économiques et sociétaux du réseau qui gagnerait à être tempérée (comme la façon de réguler la toute-puissante finance mondiale). D’autres trouveront sa lecture particulièrement stimulante dans un contexte où les individus se complaisent parfois dans la morosité ambiante. Le réseau, un îlot de solidarité dans un océan de rivalité mondiale ? Ou, comme l’écrit l’auteur dès son introduction, « un îlot de cohésion sociale dans un océan d’incertitudes économiques et politiques » (p. 14).

Frédérique Blondel, RITM, Faculté des Sciences – PUIO – MIAGE d’Orsay

© 2016 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Pierre-Alexandre Beylier (2016), Canada/États-Unis. Les enjeux d’une frontière.

Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Collection « Amériques ».

L’ouvrage Canada/États-Unis. Les enjeux d’une frontière paraît dans le contexte des élections présidentielles américaines de 2016. Issu de la thèse de doctorat de Pierre- Alexandre Beylier, maître de conférences en civilisation nord-américaine à l’Université Grenoble-Alpes, le livre fournit les clés d’analyse d’un sujet de grande actualité.

Quel a été l’impact des attentats du 11 septembre 2001 sur les représentations, les pra- tiques et les discours de cette limite interétatique terrestre non militarisée de 6 414 km ? L’ouvrage apporte une réponse empirique mais l’apport théorique introductif situe l’ori- ginalité de ces transformations. Loin de corroborer la thèse du gommage des frontières, l’évolution de la « dyade » nord-américaine renforce plutôt le paradigme émergent de la frontière « intelligente ». C’est de la lecture géographique, géopolitique et historique de l’objet et de son analyse à plusieurs niveaux que l’ouvrage tire son originalité. Étoffé par ses sources et ses références il reste didactique, avec ses cartes et photographies en couleurs, ses graphiques et croquis.

La démonstration s’organise en dix chapitres et trois parties. La première partie décrit la construction et la déconstruction de la frontière sur le 49e parallèle. Elle débute à la signature du Traité de Paris entre les treize colonies américaines et l’empire britannique (1783). La frontière situe et matérialise alors les frictions diplomatiques entre l’empire britannique, amputé de la moitié de ses possessions territoriales et les jeunes États-Unis.

Néanmoins, à la fin du XIXe siècle l’accroissement des échanges commerciaux favorise l’ouverture et la réciprocité, suscitant aussi des inquiétudes d’ordre culturel, démogra- phique et économique côté canadien. La Guerre Froide déplace le centre de gravité de la sécurité vers le nord, les deux pays unissant leurs efforts militaires. La signature de l’ALENA parachève cette trajectoire de rapprochement à l’échelle continentale, visible aussi à l’échelle locale, comme dans le fonctionnement de paires urbaines industrielles transfrontalières.

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Avec les attentats du 11 septembre 2001, les représentations que les États-Unis se font de leur limite septentrionale changent profondément et ouvrent la voie à l’« épaississe- ment » sécuritaire (deuxième partie). Les chapitres II et III décrivent la mise en œuvre d’un dispositif « intelligent » de gestion matérielle et virtuelle. Les États-Unis déploient un arsenal législatif pour pallier les défaillances de la politique migratoire canadienne, jugée laxiste, pour rééquilibrer la distribution des effectifs frontaliers entre sud (Mexique) et nord (Canada) et pour moderniser des infrastructures obsolescentes. La description du matériel technique, des changements institutionnels, de la surveillance des marchandises et des individus et de la segmentation des flux est précise et fort intéressante. Le Canada adopte aussi un système législatif contraignant et participe à l’effort d’équipement. Mais les changements reflètent surtout la profonde asymétrie d’implication des deux pays. La frontière est un problème construit côté américain. Et la gestion de ce « rempart de carton lézardé de failles » (p. 212) donne lieu à un bilan mitigé.

La troisième partie propose une analyse des nouvelles représentations de la frontière.

L’auteur se livre à un bilan fin des coûts engendrés par la sécurisation, à partir des résultats d’enquêtes des deux gouvernements fédéraux. L’interdépendance commerciale est confrontée à la diminution du commerce transfrontalier et des flux de personnes qui affecte surtout le Canada. Ces changements ont aussi un coût positif pour les gouvernements, qui investissent des milliards de dollars dans la sécurité frontalière. Ils affectent les industries automobile et alimentaire fortement intégrées de part et d’autre. Naguère facilitatrice, la frontière agit comme un facteur de fragilisation et de précarisation. Ce constat est d’autant plus acéré que les leitmotivs de la porosité et de la circulation d’individus dangereux entre les deux pays relèvent surtout du mythe. Malgré l’existence de zones de trafic illégal, il s’agit d’un espace tranquille.

L’ouvrage apporte des éléments de réflexion à la fois audacieux et rigoureux sur le rapport au centre et à la marge, sur les jeux de domination et l’exercice du pouvoir. Ainsi, l’auteur n’hésite pas à qualifier le processus de transformation frontalière de mexicanisa- tion. On regrette toutefois que dans une collection consacrée aux Amériques si peu soit dit des autres processus de construction frontalière dans la région. L’ouvrage comporte quelques maladresses ponctuelles – les grands espaces américains semblent « vides » mais ils sont emplis de représentations fondatrices du rapport au territoire. Les Français puiseront des points de repère utiles dans les références européennes. L’ensemble du lectorat, universitaire ou praticien, appréciera cette enquête méticuleuse et passionnée.

Marie-Noelle Carré

Docteure en géographie Chargée de cours à l’Université de Montréal (Québec, Canada) Chercheuse associée au CREDA (France)

© 2016 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Carine Guérandel (2016), Le sport fait mâle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.

L’intérêt de cet ouvrage est double. Tout d’abord, il traite un sujet original, très peu exploré, celui de la pratique sportive des jeunes filles dans les quartiers populaires. Ensuite, il propose un ensemble de données rationnelles qui permet au lecteur de prendre de la distance avec des présupposés fondés, trop souvent, sur une vision passionnelle ou/et idéologique.

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L’argumentation repose sur le croisement et l’interpénétration de deux flux. Le premier, descendant, déroule des chapitres qui concentrent les thèmes qui organisent la réflexion.

Ils vont du général, les politiques sportives, au plus particulier, l’encadrement du par- tage sexué de la pratique. Le second, ascendant, est porté par les constats provenant de l’enquête de type ethnographique. Parce que l’auteure part des données recueillies sur son terrain, par infusion, elle illustre et donne de la consistance aux différents aspects qu’elle explore. Du coup la pensée est guidée tout en étant immergée dans la réalité ordinaire.

L’approche monographique permet, en cernant le sens que les différents acteurs concernés donnent à leurs actions, une meilleure compréhension de la situation sin- gulière ici étudiée. Cependant le pouvoir de généralisation des résultats obtenus reste attaché à la construction d’une comparaison réfléchie avec l’exploration de la même thématique dans d’autres terrains. Mais, comme tout travail pionnier, celui-ci est en attente d’autres enquêtes, traitant du même sujet, afin de dégager des arguments à la portée plus généralisante.

Si ce livre est découpé par l’auteure en sept chapitres, sa lecture nous amène à distin- guer trois grands domaines d’analyse.

Le premier concerne les politiques d’intégration des filles par le sport. En présentant un exemple de mise en œuvre des politiques nationales dans le cadre particulier du ter- ritoire étudié, on perçoit les liens complexes qui se tissent entre la gestion centrale et celle plus périphérique d’un tel dossier. Les politiques récentes de développement de la pratique du sport féminin dans les cités se heurtent à des contextes sportifs locaux dans lesquels le sport est considéré comme une culture masculine.

Le second aborde ces jeunes sportives à partir de leurs relations avec et dans les pra- tiques sportives. Des mondes sportifs se distinguent, celui des garçons et des filles, celui de la rue et des pratiques plus instituées. Force est de constater que ces univers ludiques sont trop souvent refermés sur eux-mêmes. La socialisation par le canal de l’engagement moteur se vit en petite communauté refermée sur elle-même.

Enfin le dernier donne à voir, grâce à la richesse des témoignages utilisés, les pouvoirs contrastés d’une pratique sportive mixte. Elle peut à la fois renforcer l’étanchéité qui sépare l’univers sportif des garçons de celui des filles mais également être un moment propice au questionnement de « l’ordre des genres ». Ici comme bien souvent l’efficacité d’une telle ambition repose prioritairement sur le regard cultivé et critique que l’éduca- teur ou l’enseignant porte sur ce sujet.

La lecture de cet ouvrage est une nécessité pour tous ceux qui perçoivent dans la pratique du sport un moyen privilégié d’expérimentation de l’universel. Partager, sans discrimination, une culture sportive commune ne peut pas s’envisager sans tenir compte des cultures sportives singulières. En pénétrant dans l’univers sportif d’une cité l’auteure nous dévoile l’arrière-fond des mondes sportifs qui coexistent. C’est un préalable indis- pensable avant d’entrevoir comment construire des ponts.

Maxime Travert MCF HDR ESPE Aix Marseille Université ISM UMR 7297 Aix Marseille Université

© 2016 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

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Marcel Calvez (dir.), Santé et territoires. Des soins de proximité aux risques environne- mentaux, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 204 pages.

Loin d’être une réelle préoccupation pour les pouvoirs publics jusqu’à la fin du XXe siècle, la santé publique est devenue aujourd’hui un enjeu important dont l’objectif central est la réduction des inégalités de santé2. Ainsi la planification sanitaire, d’abord nationale, puis régionale dans le cadre de la décentralisation, n’a cessé de fluctuer et d’évoluer en fonction des besoins et de l’offre de santé. Or, la notion de territoire est poly- sémique. De manière générale, « le territoire est une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale, donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire » (Di Méo, 1996)3. Plus précisé- ment, concernant l’aménagement sanitaire du territoire, le territoire est conçu comme un élément qui va structurer l’organisation des soins prenant en compte à la fois les objectifs quantifiés de l’offre de soins et un projet médical de territoire, ainsi que différents acteurs (professionnels de santé, professionnels, usagers…). La loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoires » de juillet 2009 va véritablement introduire la notion de territoire en créant les Agences Régionales de Santé (ARS), qui ont pour mission l’organisation des soins de premier recours et la prise en charge des malades, en favorisant l’accès aux soins en termes de distance et de temps de parcours, de qualité et de sécurité.

Sensible à la question de la « santé environnementale », Marcel Calvez nous présentait en 2011 un ouvrage établissant le lien entre les signalements de cancer et l’environne- ment des populations touchées4. Cette fois il élargit la question en proposant un ouvrage collectif qui prend appui sur un colloque organisé en 2012, par la maison des sciences de l’homme (MSH) de Bretagne et la MSH Ange-Guépin à Nantes, où il était question des relations entre santé et territoires et les inégalités qu’elles expriment. Dans une volonté de présenter des définitions larges de la santé et des territoires ne se réduisant ni aux maladies, ni aux nuisances, cet ouvrage aborde les relations susceptibles de s’établir entre la santé et les territoires, au prisme de deux entrées complémentaires, et non exclusives du capital social5, celle de l’organisation des soins de proximité et celle de la qualité de l’environnement de vie. À partir d’une approche pluridisciplinaire, à la fois théorique et empirique6 les douze contributions vont s’organiser en deux parties.

Dans son introduction, Marcel Calvez revient dans un premier temps brièvement et non sans intérêt, sur l’origine puis l’évolution de la notion de territoire et son inscrip- tion dans les politiques publiques de santé. Si le territoire de santé est construit par les politiques publiques, pour l’auteur « il résulte également des actions des professionnels

2 Article 36 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 : « la réduction des inégalités de santé est un objectif central confié aux agences régionales de santé (ARS) ».

3 Di Méo Guy, Les Territoires du quotidien, Paris, L’Harmattan, 1996.

4 Calvez Marcel et Leduc Sarah, Des environnements à risques. Se mobiliser contre le cancer, Presses de l’école des Mines, coll. « Sciences sociales », 2011.

5 Le capital social, pour Kawachi et Berkman, peut influencer les comportements favorables à la santé par l’intermédiaire des relations de proximités, et peut également avoir un rôle déterminant dans la fabrication de l’accès au service de santé » (p. 14) : Kawachi Ichiro et Berkman Lisa F., Neighborhoods and Health, New York, Oxford University Press, 2003

6 Les contributions sont issues de disciplines universitaires diverses (sociologie, géographie, épidémiologie, droit public, science politique) et de professionnels. Elles proposent à la fois une réflexion théorique et des recherches à partir de bases de données, d’observations et d’enquêtes de terrains.

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et de l’engagement des usagers dans la promotion ou la défense de leur qualité de vie ou de leur environnement » (p. 18). Dans un second temps il nous présente l’ouvrage, avec en point de départ l’idée que « les relations entre la santé et le territoire deviennent des enjeux majeurs de régulation sociale et politique qui s’expriment au travers de dif- férentes préoccupations dans l’espace public » (p. 10). De fait seront pris en compte les usagers dans le sens où ces territoires impliqués par les questions de santé vont à la fois renvoyer aux espaces vécus par la population et leur fournir des ressources mobilisables dans l’organisation des soins.

La première partie propose sept contributions consacrées aux territoires de proximité et à l’organisation des parcours de soins qui visent à discuter « du rôle de la puissance publique et des professionnels dans la construction d’un capital social identifiable par l’offre de soins dans un territoire » (p. 15).

À partir de deux situations différentes en France et au Québec, Sébastien Fleuret nous propose quelques éléments de réponse concernant la territorialisation à partir de laquelle est organisée l’offre de santé. En France, les territoires de santé sont avant tout des espaces d’organisation et de planification du soin où le réseau territorial de première ligne est absent, alors qu’au Québec l’offre de services sociaux et de santé est centrée sur l’usager à partir de diagnostics locaux de territoires. Pierre Bertrand nous montre de son côté, en s’appuyant sur la situation bretonne, que le contexte et les enjeux de coordination des parcours de soins sont importants pour le bénéfice des usagers. L’auteur avance que

« l’organisation territoriale des soins suppose une approche décloisonnée et organisée autour des besoins des patients » (p. 43).

La contribution de Xavier Schweyer va s’intéresser à l’offre de soins de premier recours, qui s’inscrit plus précisément dans un territoire de proximité. Ce territoire est à la fois le lieu de vie d’une population et le lieu d’exercice de professionnels dont le premier interlocuteur incontournable reste encore le « médecin traitant ». Leur répartition sur tout le territoire est un enjeu important pour les pouvoirs publics, c’est pourquoi « l’ancrage territorial d’une offre de soins de premier recours ne dépend pas seulement d’éventuels compromis locaux mais bien d’une régulation macrosociale au niveau national » (p. 46).

Romain Marié complète cette présentation en nous exposant deux types de mesures régle- mentaires mises en œuvre pour améliorer la répartition géographique de l’offre de soins de proximité des médecins libéraux. Les premières actions portent sur la répartition géo- graphique des médecins et les secondes sur les conditions d’exercice. Il nous présente plus particulièrement les maisons de santé dont il discute la pertinence.

Anne Chantal Hardy revient sur les différentes étapes qui ont conduit les pouvoirs publics à une territorialisation renforcée de l’offre de soin, en délocalisant l’action publique avec la mise en place des Agences Régionales de Santé. La présentation de la prise en charge prénatale de proximité va venir illustrer positivement en quoi « une approche territorialisée devrait ainsi permettre de sortir d’une problématique de l’offre pour y adjoindre un questionnement sur les conditions de réalisation de cette offre, du côté des usagers comme celui des professionnels » (p. 83). De manière plus précise, Florence Doucet et Alain Vilbrod vont s’intéresser à l’accroissement de la pratique libérale des sages-femmes liée à la réorganisation de la prise en charge de proximité du soin périnatal.

Une étude menée dans deux régions françaises contrastées (Alsace et Bretagne), a mon- tré que cet accroissement en créant un risque de concurrence s’est traduit par des choix

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d’installation « sous contrainte », doublé de la nécessité de diversifier l’offre de soins, et par conséquent a produit des tensions au sein de ce segment professionnel.

L’approche géographique proposée par Zoé Vaillant et ses collègues ainsi que des étudiants avec qui ils ont travaillé pour le plan local de santé de Gonesse, vise à mon- trer « comment les inégalités de santé participent de et à la construction du territoire » (p. 105). Une étude portant sur l’accès au dépistage des cancers du sein en Ile-de-France en 2011 a permis d’avancer que c’est en mettant en place avec différents acteurs (cher- cheurs, acteurs locaux et décideurs) un « dispositif de coproduction et de transfert de connaissances » sur les déterminants des inégalités que l’on pourra agir pour la diminu- tion des inégalités socio-territoriales de santé.

Les cinq contributions de la deuxième partie vont s’intéresser aux territoires de vie et aux risques de santé. Elles vont porter sur « le territoire vécu par les populations, le sens et les valeurs qu’elles lui donnent et qui trament les dimensions symboliques du capital d’un territoire » (p. 15).

Isabelle Roussel questionne les moyens mis en œuvre pour évaluer les risques sani- taires sur un territoire et les inégalités de santé qui en découlent. Elle interroge également les limites territoriales et plus particulièrement celles de la santé dont les composantes environnementales sont situées à différentes échelles7. Cela va s’avérer d’autant plus vrai pour des risques sanitaires liés à l’exposition aux pollutions atmosphériques. Dans ce cas, les inégalités territoriales, quand elles sont fortement ressenties, peuvent permettre une mobilisation des habitants contre un projet pouvant entraîner un risque pour la santé. Pour aller plus loin, Rémi Demillac discute les apports et les limites des méthodes épidémiolo- giques visant à documenter les liens existants entre l’appartenance à un territoire et l’état de santé de population, sachant qu’un certain nombre d’études sont à l’origine de choix de politiques publiques.

La contribution de Véronique Daubas-Letourneux et Christophe Coutanceau vient illustrer les propos précédents avec la présentation des différentes étapes d’une recherche- action8 qui visait à établir le lien entre les expositions sur le Grand Port maritime de Nantes/Saint-Nazaire et les risques de cancers d’origine professionnelle, constituant un enjeu de santé publique. C’est à partir de la mobilisation d’une association de dockers et de travailleurs portuaires et d’un collectif pluridisciplinaire de chercheurs que ce projet a pu être mené à bien. Au-delà de la production de connaissances, ce dispositif de recherche doit également permettre in fine, la mise en place d’actions de prévention.

En s’appuyant sur des recherches ethnographiques ayant pour cadre le traitement des déchets ménagers en Bretagne, Marcel Calvez va à nouveau s’intéresser aux tensions qui entourent les plaintes en santé environnementale9, à leurs modalités, leur dimension territoriale et enfin aux relations qu’elles impliquent entre santé et qualité des territoires.

7 « L’environnement décrit les facteurs “externes au corps” […] par opposition aux facteurs “internes au corps”

qui incluent les facteurs génétiques, l’état hormonale et immunitaire » (Le Moal Joelle, Eilstein Daniel et Salines Georges, « La santé environnementale est-elle l’avenir de la santé publique ? » Santé publique, 2010, p. 281-289)

8 Le projet ESCALES : Enjeux de santé au travail et cancer. Les expositions à supprimer dans les métiers portuaires.

9 Marcel Calvez, entend par plaintes en santé environnementales « les protestations qui mettent en cause des installations techniques ou des activités industrielles, en invoquant des dommages de santé ou des décès qu’elles provoquent dans les populations vivant aux alentours par l’intermédiaire des nuisances qu’elles produisent » (p. 171)

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Il analyse ces plaintes comme « des ressources culturelles qui permettent aux habitants de faire valoir publiquement leur perte de maîtrise du territoire vécu » (p. 17) qui peut être vécu dans certains territoires marginalisés comme une « stigmatisation supplémentaire ».

La dernière contribution de l’ouvrage, œuvre de Véronique Van Tilbeurgh et Sylvie Ollitrault, présente les enjeux sociaux d’un processus de mobilisation sur deux territoires de riverains contre l’installation de nouveaux dispositifs sociotechniques (éoliennes et antenne de téléphonie mobiles) pouvant avoir une incidence sur leur état de santé.

Les plaintes concernant les risques de santé font suite au sentiment d’une non-prise en compte de leur inquiétude par les pouvoirs politiques locaux et vient remettre en cause la confiance envers les systèmes sociaux ancrés dans leur territoire.

L’apport de cet ouvrage réside dans la diversité des travaux exposés. S’appuyant sur de riches exemples, les différentes contributions sont accompagnées par de nombreuses figures (schémas, figures, tableaux, cartes…) qui permettent d’illustrer et de compléter les présentations. Pour autant, nous pourrions ici rependre les premiers mots de l’article de Didier Tabutin (2010) qui étaient : « le secteur de la santé connaît depuis quelques années un véritable prurit législatif »10. En effet depuis cet ouvrage la loi HPST a encore évolué. La loi de modernisation du système de santé (LMSS) du 26 janvier 2016 va une nouvelle fois induire des modifications dans les relations entre la santé et les territoires.

Avec une nouvelle version du projet régional de santé, les soins vont s’organiser sur de nouveaux territoires avec de nouvelles instances. Ainsi, les parcours de soin inscrits dans une approche territoriale vont être redéfinis par le projet régional de santé (PRS)11, qui va fixer les objectifs pluriannuels de l’ARS et les mesures pour les atteindre12. L’organisation territoriale de santé va dès lors s’appliquer sur deux territoires délimités par l’ARS, les territoires de démocratie sanitaire (anciens territoires de santé) à une échelle infrarégio- nale et les zones de répartition des activités de soins, de biologie médicale et des équipe- ments matériels lourds. Aussi, avec les différentes lois qui n’ont cessé d’évoluer et qui ont conduit à concevoir le territoire de santé comme un espace d’organisation adminis- trative sous l’autorité des ARS, nous pouvons avec cet ouvrage, nous demander quel sera l’impact de l’élargissement des limites spatiales des régions, sur la prise en charge des soins de proximité.

Patricia Fruleux Doctorante au CERIES Université Lille Nord de France

10 Tabuteau Didier, « Loi " Hôpital, patients, santé et territoires " (HPST) : des interrogations pour demain ! », Santé Publique, 1/2010 (Vol. 22), p. 78-90.

11Le PRS contient un cadre d’orientation stratégique à dix ans, un schéma régional de santé sur cinq ans fu- sionnant les schémas de prévention, d’organisation des soins, et médicosociaux, un programme régional d’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies (CSP, art. L.1434-2).

12 Code de la santé publique (CSP) art. L.1434-1. Cette loi modifie en profondeur le Code de Santé Publique en apportant des changements importants : généralisation du tiers payant, paquets de cigarettes neutres, sup- pression du délai de réflexion de sept jours pour l’IVG, modification des règles en matière de dons d’organes, instauration de nouvelles interdictions concernant le vapotage et enfin celle qui est certainement la plus contro- versée, ouverture des salles de consommation à moindre risque (SCMR).

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Jean-Paul Carrière, Abdelillah Hamdouch, Corneliu Iaţu. 2016. Développement durable des territoires. Paris, Economica-Anthropos, 240 p.

Ce livre fait du bien. Issu d’une réflexion sur le Développement territorial durable (DTD) engagée entre des chercheurs français de l’université de Tours et des chercheurs roumains de l’université de Iasi, à laquelle ont été associés des chercheurs d’autres uni- versités (France, Québec et Maghreb), l’ouvrage offre un point de vue alternatif à la littérature actuelle sur les politiques publiques de développement régional. En effet, force est de constater que la tendance n’est plus aujourd’hui aux politiques de rééquilibrage ter- ritorial mais à la concentration des investissements dans les grandes villes mondialisées.

Tandis que l’économie présentielle est considérée comme un moyen de transférer les richesses issues de la croissance des métropoles vers les autres territoires hors métropoles qualifiés d’hinterland. Ici, on ne s’intéresse pas uniquement à la croissance économique mais au développement territorial durable (DTD) propre à améliorer véritablement le bien-être des populations. Le renforcement de la métropolisation comme moyen de maxi- miser l’allocation des ressources est perçu comme un facteur d’inégalité territoriale et d’injustice spatiale, pour reprendre les mots d’Antoine Bailly qui signe le préambule.

Cet ouvrage montre que des ressources peuvent être identifiées et valorisées dans des territoires ruraux et engendrer des processus de développement durable à des échelles plus larges. Ainsi de nouveaux modes de développement dans les métropoles peuvent émerger si l’on intègre dans leur périmètre des espaces ruraux protégés et si l’on implique les acteurs associés dans les dispositifs de gouvernance. L’accès à des espaces ruraux constitue alors un facteur d’attractivité important et amène à reconsidérer la notion de solidarité territoriale. La recherche de durabilité, devenue de plus en plus cruciale, repré- sente une opportunité pour les territoires ruraux et hors métropole. Il semble bien que le DTD devra émerger de la coordination des acteurs ruraux et d’un renouvellement des modes de gouvernance.

J.-P. Carrière, A. Hamdouch et C. Iaţu introduisent l’ouvrage en revenant sur la genèse des deux notions que sont le développement territorial et le développement durable et ils soulignent tout l’intérêt qu’il y aurait à les combiner. L’ambition affichée de ce livre est de faire avancer la réflexion sur les réponses à apporter en termes de DTD aux pro- blématiques posées par les mutations territoriales. Il s’agit de mieux prendre en compte les dimensions environnementales et sociales et de proposer une approche opération- nelle alternative aux visions libérales, conversationnistes ou socio-environnementales du développement durable étant donné les défis résultant de la mondialisation, de l’essor des régions métropolitaines et des inégalités territoriales.

Le livre est organisé en trois parties composées de quatre à cinq chapitres qui offrent une approche assez complète de la notion du DTD. La première partie regroupe des contributions sur la mise en œuvre du développement durable à différentes échelles terri- toriales, la deuxième partie traite de gouvernance et d’organisation territoriale, tandis que la troisième partie s’intéresse à la valorisation des paysages, au développement touris- tique et aux limites de ces démarches dans le cadre d’une stratégie de DTD.

Pour questionner la mise en territoire du développement durable, B. Pecqueur et P.A Landel pointent dans le premier chapitre l’inadéquation entre pratiques politiques issues de la décentralisation et évolution de la pensée économique. Les fondements théoriques d’une intervention économique décentralisés sont rappelés. À la nécessité de valoriser

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la spécificité des territoires et de gérer les disjonctions entre lieux de consommation et production, la question environnementale est ici réaffirmée. Cette contribution souligne également le fait que les interventions se sont concentrées sur l’aide aux entreprises et à l’emploi sans hiérarchie entre les collectivités et qu’elles ont conforté les modèles domi- nants sans laisser place à la construction de projet de territoires et au renforcement de l’ancrage territorial des activités ou à l’émergence d’autres formes d’intervention.

Les deux chapitres suivants soulignent le caractère central de la prise en compte des acteurs et de leurs capacités dans les stratégies de DTD. La contribution de B. Jean, en s’appuyant sur les travaux du Centre de recherche canadien sur le développement territorial, met en avant la solidarité interterritoriale comme lien entre développement durable et développement territorial. Il s’agit de reconnaître les capacités des acteurs qui construisent quotidiennement les territoires à en valoriser les ressources et de souligner les avantages réciproques d’une approche partenariale entre les villes et les territoires ruraux, producteurs d’aménités. Pour leur part, L. Barbut, A. Desgrée et S. Muhlberger analysent dans le troisième chapitre les résultats des actions de deux PNR franciliens, les confrontant aux objectifs régionaux du Grand Paris auxquels ils sont intégrés. Il en ressort que ce type d’articulation interterritoriale peut favoriser le DTD si de nouvelles formes de gouvernance multi-scalaire sont privilégiées pour donner toute leur place à la participation des acteurs et à leur mise en réseau comme à la contractualisation et à la pratique de l’évaluation.

Les petites et moyennes villes (PMV), objets d’étude des deux chapitres suivants, constituent quant à elles une échelle privilégiée pour faire face aux changements écono- miques mondiaux lorsqu’il s’agit d’appliquer les principes du développement durable.

Cependant, en dépit des atouts qu’elles représentent a priori, H. Mainat pointe dans le quatrième chapitre un décalage important entre l’effort fourni pour valoriser une image de qualité du cadre de vie et la réalité opérationnelle beaucoup moins ambitieuse des politiques de développement durable si l’on considère l’Agenda 21 ou le Programme Villes-santé. Le volet économique étant rarement associé aux politiques de développe- ment durable, celles-ci sont souvent reléguées à un second plan. Pourtant, comme l’af- firment A. Hamdouch et K. Banovac dans le cinquième chapitre, les PMV ont intérêt à construire leur développement économique à partir des facteurs environnementaux et sociaux de manière à contrebalancer l’effet polarisateur des grandes villes. Les auteurs de cette contribution caractérisent les profils que peuvent avoir les PMV (résidentielles, pro- ductives, partiellement créatives) et les dynamiques économiques associées qui doivent être prises en compte pour favoriser le développement durable.

La deuxième partie s’ouvre sur trois chapitres qui traitent des difficultés à mettre en œuvre les programmes de développement régional dans des pays qui ont longtemps connu des gouvernements très centralisés.

G.C Pasacriu et R. Taganasu relèvent dans leur contribution, les difficultés rencontrées en Roumanie au cours du processus de régionalisation en l’absence d’une expérience d’administration régionale suffisante et dans un contexte de fortes inégalités infrarégio- nales. Au-delà des questions de découpage fondées sur des seuils normatifs, l’effort doit se porter sur la reconstruction de dispositifs de gouvernance régionale qui facilitent la coordination des acteurs publics et privés en vue d’articuler la stratégie de développement économique aux dimensions environnementales et sociales du développement durable.

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Le chapitre VII porte sur le contexte algérien, où la planification a également long- temps été très centralisée. À partir de l’exemple d’une région du littoral confrontée à l’étalement urbain, Ain Defla, A. Madani relève les difficultés que rencontrent les ins- tances régionales à s’en tenir aux orientations des plans directeurs des plans d’aménage- ment censés être co-construits avec la société civile. Il fait le constat que les pratiques de l’administration locale, opérant de multiples révisions de ces documents pour faire face à la demande résidentielle, affaiblissent les formes de gouvernance participative, les initia- tives de préservation des terres agricoles et le développement durable.

La contribution de C. Iaţu dans le chapitre suivant, montre en quoi les logiques parti- sanes, le manque d’autonomie budgétaire et le contrôle encore important de l’État sur les transferts budgétaires vers les communes constituent des obstacles majeurs à la mise en œuvre d’une gouvernance locale en Roumanie. Il apparaît que des réformes de l’adminis- tration et de la classe politiques doivent être menées en profondeur et sur le long terme pour permettre une application par étapes et multi-échelle.

M. Carrier établit quant à lui un bilan partiel des pratiques de DTD au Québec. Dans son écrit, il mobilise une étude réalisée sur une démarche intégrée de développement territorial, proposée par le gouvernement, et dont l’objectif était de servir de cadre pour la production de normes et de pratiques locales de développement durable. Il en ressort que l’adoption du DTD semble encore souvent impulsée par l’État au lieu de procéder d’une territorialité active.

La seconde partie de l’ouvrage s’achève par le chapitre de M. Eva, A.I. Tomascuic et C. Iatu, dans lequel ils tentent d’identifier les leviers locaux du DTD. Plusieurs modèles analytiques considérés comme non applicables sont évoqués et une liste de leviers est fournie. Il est toutefois dommage que les auteurs n’aient pas pris la peine d’expliquer comment ceux-ci ont été identifiés. On en revient finalement à la nécessité de réformes structurelles étant donné la persistance d’un régime encore fortement hiérarchisé, fonc- tionnant selon le mode « top down » et centralisé – comme le signalent les chapitres sur la Roumanie qui précèdent.

La dernière partie du livre comprend des contributions qui analysent les démarches de valorisation des paysages et de développement touristique et leur contribution au DTD.

À travers l’exemple de Blois, L. Voisin montre dans le chapitre XI comment la mobi- lisation de la notion de paysage amène à prendre en compte le développement périurbain et conduit à élaborer des formes de gouvernance intercommunale davantage décloison- nées. La communauté d’agglomération blésoise a ainsi pu porter un projet de territoire et s’affirmer comme structure adaptée pour construire une démarche de DTD.

Dans le chapitre suivant, A.-C. Propescou met en avant le fait que le projet touristique peut constituer un levier, au-delà des effets directs de transfert des capitaux, pour engager les acteurs publics et privés dans un projet de DTD. Dans le cas étudié, en Souscarpate de l’Olténie (Roumanie), les ressources ont pu être valorisées, les infrastructures améliorées et diversifiées et, dans la mesure où le projet inclut les activités traditionnelles telles que l’agriculture, l’artisanat et l’industrie agro-alimentaire, il assure la durabilité des proces- sus de développement territorial.

L’apport de Véronique Peyrache-Gadeau est quant à lui consacré à l’innovation durable territoriale qui ouvre des perspectives intéressantes. L’approche pluridimensionnelle de l’innovation conduit à considérer la capacité adaptative du point de vue de l’appréciation

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des enjeux et non plus seulement du point de vue de la capacité à saisir les opportunités de marché ou les opportunités d’avancées technologiques. L’exemple des stations de ski dans les Alpes françaises du nord mobilisé dans cette contribution montre comment la volonté de s’inscrire dans le tourisme durable a amené les acteurs à engager différentes initiatives qui s’inscrivent dans l’existant et peuvent entraîner des dynamiques de rupture- filiation ou à impulser des changements de pratiques plus radicales.

Dans le dernier chapitre, M. Bulaï montre enfin à partir d’exemples de projets touris- tiques infructueux, que le tourisme doit être appréhendé à partir d’approches renouvelées, globales et systémiques afin de susciter un DTD : les projets touristiques visant la dura- bilité ne peuvent se faire sans l’organisation d’une gouvernance en mesure de créer les conditions de réalisation de projets partagés.

En conclusion, J.-P. Carrière synthétise brièvement les principaux apports de l’ou- vrage : le DTD conduit à repenser les périmètres de l’action publique et à renouveler les modes de gouvernance tandis que la territorialisation du développement durable ouvre de nouveaux champs d’action et d’innovation. L’auteur s’interroge sur la résilience des territoires face aux ruptures engendrées par la globalisation et son articulation avec le DTD. Issue de stratégies d’adaptation consciente, par exemple dans le cadre d’un projet de territoire, ou d’actions spontanées et indépendantes, la résilience territoriale se traduit par des changements et des inflexions dans les trajectoires de développement. Elle dépend de l’existence de ressources, de réseaux locaux et d’un cadre d’action collective (à la base du DTD). La stratégie pertinente consiste alors à repérer et à valoriser les ressources territoriales et à conjuguer les priorités relevant de la protection de l’environnement aux actions de lutte contre toutes les formes d’exclusion sociale pour susciter l’adhésion des populations.

Bien que l’on puisse regretter que la problématique de la gouvernance territoriale – étant donné les jeux d’acteurs qu’elle implique et les leviers que peuvent constituer les dispositifs d’action publique – n’ait été davantage approfondie, ce livre fait avancer la réflexion sur les réponses à apporter en termes de DTD aux problématiques posées par les mutations territoriales. Il illustre bien comment la notion de DTD peut être appréhen- dée dans différents contextes et il conduit à réviser la perception que l’on peut avoir des espaces ruraux qui apparaissent ici comme garants du développement durable.

Étienne Polge UMR SAD APT INRA-Agroparistech

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